❁ Chapitre 6 : Par Thor ❁
Lundi 5 janvier, matin
Point de vue de Viktor :
Pour mon plus grand regret, le ciel bleu des jours précédents a laissé place à un ciel menaçant et sombre, parfait reflet terrifiant de cette immensité qui pèse au-dessus de nos têtes. Transpercé de temps à autre par des éclairs qui le déchirent, il semble plier mais ne rompt pas. Les jets de lumière doivent foudroyer ça-et-là les arbres centenaires qui font la fierté des habitants d'Oslo. De sorte à noircir ce tableau impressionnant, des grondements sourds éclatent, retentissent et se projettent avec violence, rebondissent contre les roches des fjords qui nous entourent dans un vacarme des plus tonitruants. Comme s'ils venaient d'outre-tombe, les sifflements du vent déchaîné filent vers moi à toute allure, coupent ma respiration et mon effort inutile pour me déplacer. L'énième éclair qui fend le ciel m'arrache une traînée de frissons qui remontent le long de ma colonne vertébrale jusqu'à ma nuque pourtant dissimulée sous une écharpe en laine.
Pour lancer son marteau de guerre de la sorte, Thor* doit être vraiment furieux contre nos actions. Je ne donne pas cher de notre peau.
Contre toute attente, une légère accalmie me permet de reprendre mon périple jusqu'à mon café préféré. Je ne suis plus très loin. Heureusement.
Alors que j'entame un virage à angle droit au détour d'une rue peu fréquentée, Heidi Endresen, qui pique le sprint de sa vie me rentre dedans de plein fouet. En plus d'hurler de terreur, elle perd l'équilibre, manque de tomber à la renverse, tente de se rattraper au vide avant que je la retienne fermement par les épaules.
Serait-ce un coup du destin ? J'en ai peur...
— Oh pardon ! s'excuse-t-elle. Je suis en retard pour une réunion importante.
Et la voilà qui file à toute vitesse à l'agence de communication qu'elle tient avec son aîné. Quelle rencontre expéditive ! Je pourrais même penser l'avoir rêvée si la pluie diluvienne ne s'abattait pas désormais sur mon parapluie. Pour éviter de finir trempé comme une soupe, je saute les flaques d'eau, longe les immeubles en pierre et cours me réfugier chez Giuseppe.
Aussitôt, je me retrouve enveloppé par une chaleur réconfortante. Derrière son comptoir en bois ancien, l'Italien m'adresse un sourire dont lui seul a le secret.
Tandis que je comble l'espace qui nous sépare, j'en profite pour faire un examen complet de sa personne. Satanée déformation professionnelle. En raison de sa taille, un mètre quatre-vingt cinq, le trentenaire paraît encore plus svelte qu'il ne l'est réellement. De longs cheveux bruns encadrent son visage angulaire. Son front large se plisse de contrariété, ses sourcils épais se froncent et son nez droit frémit subrepticement. Ses yeux perçants vert émeraude dissimulés derrière une rangée de cils noirs font ressortir son teint mat. Ses lèvres fines se retroussent, laissent apparaître une rangée de dents alignées, aussi pointues et puissantes que celles d'un loup. Comme si elle avait été taillée dans de la pierre, sa mâchoire se contracte, entraîne avec elle son menton volontaire ainsi que ses joues émaciées.
— Viktor, tu sais que tu m'agaces quand tu m'observes avec cette mine suspicieuse ? Je n'ai tué personne...
— Pardon, Giuseppe. Ce n'est pas contre toi. C'est plus fort que moi.
— Allez, c'est oublié mon garçon. Que désires-tu aujourd'hui ? Comme d'habitude ? Un cornetto* et un capuccino ?
D'un hochement de tête, j'acquiesce. Il connaît mon penchant pour ces classiques délicieux.
Pendant la légère attente, mes pensées vagabondent vers Heidi Endresen, nos échanges au cours de cette soirée du Nouvel An qui m'ont tant plu. Nous étions vraiment sur la même longueur d'onde. En plus d'être dotée d'une forme d'intelligence rare, je la trouve très jolie à l'intérieur et à l'extérieur.
— File donc à une table libre, je t'apporte ton plateau tout de suite.
Sans me faire prier, je vais m'installer à ma place favorite près de la fenêtre. Dehors, des rafales de vent emportent dans leur course non pas des virevoltants comme dans le Far West mais de lourds panneaux en bois et d'immenses affiches destinées aux arrêts de bus. Quel temps !
L'arrivée de Giuseppe m'empêche de cogiter plus longtemps. De délicieux effluves s'élèvent dans un rayon de trois bons mètres autour de nous. Délicatement, il pose ce que j'ai commandé devant moi et s'assoit, son torchon sur l'épaule, sur la chaise qui me fait face.
— Sacrées intempéries en ce moment. Tu as entendu parler du malheureux pêcheur, Erik Darsen ?
— Je ne te le fais pas dire. On n'est pas gâtés. Non, que s'est-il passé ?
— Pauvre homme. Il est parti sur une mer agitée pour essayer de nourrir sa famille. Son bateau a chaviré. Son corps est revenu sur une plage pas loin d'ici. Il n'a pas survécu à l'eau glacée.
— Mais il ne savait pas que la saison n'est plus ouverte depuis novembre ?
— Bien sûr que si. D'après ce qui m'a été rapporté par un de ses amis, des brigands ont mis le feu aux réserves disposées dans son fumoir de fortune. Il était effondré. Il ne lui restait plus rien.
— Quelle tragique fin. Mourir dans de telles conditions... Qu'il repose en paix.
Se signant, Giuseppe lève ses yeux empreints de gravité vers la voûte céleste aussi noire que les plumes d'un corbeau.
— La vie peut se montrer si cruelle, murmure-t-il avant de se lever pour aller servir un client.
Je ne peux que partager son opinion. Un jour, la chance nous sourit. Le lendemain, un drame se produit et nous nous retrouvons dans un état entre la vie et la mort. Tout peut basculer si vite.
En silence, je termine mon petit déjeuner.
Pour la première fois en l'espace de plusieurs semaines, je n'ai pas réussi à savourer les douces saveurs qui se libèrent et affluent lorsqu'elles viennent au contact de mon palais. Cet événement tragique m'a complètement retourné l'estomac. Je n'imagine pas la femme de ce monsieur et ses enfants à l'heure qu'il est. Ils doivent être brisés.
Entrer dans la police a toujours été une évidence pour moi. Sauver des vies, assurer la sécurité de son pays et de son prochain sont des exemples parmi tant d'autres. Si j'avais pu, j'aurais été aussi secouriste en montagne, sauveteur en mer et soldat du feu.
Peut-être que si j'avais choisi cette voie, Erik Darsen serait toujours de ce monde.
Le moral au plus bas, je quitte l'établissement hospitalier de Giuseppe. Le chemin du retour n'est pas une partie de plaisir. Je tente d'éviter les torrents qui dévalent à vive allure les trottoirs pentus et de ne pas me faire arroser par les voitures qui me frôlent. Ou presque.
C'est un soulagement d'arriver en un seul morceau dans mon appartement. Prestement, j'enfile le pantalon de jogging, le t-shirt et le sweat préparés sur mon lit Kingsize puis repars à l'extérieur. Le soleil s'est levé et a eu raison du temps exécrable du début de matinée.
Les écouteurs vissés aux oreilles, je commence à trottiner en direction du parc de mon quartier. La fraîcheur hivernale me pousse à donner le meilleur de moi-même dès les premières foulées. Je ne voudrais pas me transformer en glaçon ! Avec cet air vivifiant, la course me semble plus complexe et l'oxygène paraît se raréfier, exactement comme si j'étais en pleine ascension de l'Everest. Je ne vais pas traîner. C'est un fait.
À mon retour, je file prendre une douche bien chaude pour me réchauffer et détendre, je l'espère, mes muscles endoloris et engourdis par le froid. C'est étonnant. Habituellement, je produis de la chaleur pendant l'effort peu importe la température dehors.
Aujourd'hui, cela m'aura apporté de l'énergie pour le reste de la journée. Rien de plus. C'est déjà ça de gagné j'imagine.
Lorsque je retourne dans la pièce de vie, je ne peux m'empêcher d'être rattrapé par des souvenirs remontant à plusieurs années. Ce logement, je l'ai loué pendant mes études et ne l'ai plus quitté depuis tellement je m'y sens bien. Sa cuisine équipée a été un coup de cœur immédiat.
Tout comme son canapé chocolat si doux au toucher avec son effet peau de pêche et le placard à l'entrée qui permet de ranger une petite collection de vêtements et chaussures. Je ne devrais pas avoir besoin de mentionner le meuble en bois du hall sur lequel repose une corbeille prévue pour déposer ses clés et le courrier à traiter. Son côté fonctionnel m'a immédiatement séduit.
La pile d'enveloppes qui m'attend depuis plusieurs jours à côté un peu moins. Je vais m'y atteler dès que j'ai un moment après avoir rattrapé mon retard de lessives et une fois le ménage réalisé. Mais avant toute chose, je vais allumer le poêle à granulés.
Après m'être agenouillé devant, je dispose du combustible à l'intérieur puis referme le foyer. Cela devrait faire l'affaire et tenir jusqu'à ce soir sans trop de difficultés. Du moins, je l'espère.
* Thor : mythologie nordique. Il est le Dieu du tonnerre, de la protection, de la force et aussi de la fertilité. Les peuples nordiques croient beaucoup aux différents dieux. Son père est Odin (dieu suprême de la mythologie nordique : roi des dieux, dieu de l'éternité et de l'intemporel, dieu de la sagesse, de la guerre et des morts, de la magie, des poèmes et des runes) et sa mère est Jörd (déesse personnifiant la Terre). Il a plusieurs attributs dont le célèbre marteau de guerre qui l'aide à créer les éclairs.
* Cornetto : il s'agit d'une spécialité italienne. Équivalent du croissant français.
Notes de l'auteure :
Coucou tout le monde, me voici de retour pour vous jouer de mauvais tours !
Un chapitre toujours calme, cette fois-ci au point de vue de Viktor pour que vous puissiez le suivre dans son quotidien ! Les choses vont se corser bientôt !
Qu'en avez-vous pensé ? À vendredi prochain ♥️
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