❁ Chapitre 27 : Nous deux, envers et contre tous ❁

Lundi 15 février, après-midi

Point de vue d'Heidi :

Bien que cela me paraisse insurmontable, je quitte mon domicile et roule en direction de l'hôpital d'Oslo. Pour tout ce qu'il a fait pour moi, je lui dois bien ça. Il a failli y laisser sa peau par ma faute et je dois l'admettre, une mort de plus, la sienne, aurait fini de m'anéantir.

La tempête s'est calmée. Dans tous les sens du terme. Dans ma vie mais aussi dehors. Elle a laissé place à un magnifique ciel bleu dans lequel de timides rayons de soleil parviennent à percer.

La lumière au bout du tunnel.

Ils inondent d'une douce lueur les trottoirs, accompagnent les passants pressés. Les branches nues des arbres longeant la route scintillent, m'apportent le réconfort dont j'avais tant besoin et qui me semblait impossible à atteindre. Si inaccessible. Inconcevable. Et pourtant. Ma vision des choses a changé. Heureusement. Je ne suis plus aussi pessimiste. Plus aussi défaitiste.

Contre toute attente, je parviens à sortir la tête hors de l'eau, emplis mes poumons d'un nouveau souffle, d'un oxygène on ne peut plus pur, et le plus important, reprends doucement goût à la vie.

Glenn Solberg m'a changée à tout jamais. Pour le meilleur et pour le pire. Le garçon à la perruque rousse qui m'avait bousculée sur le chemin du retour après le moment convivial au restaurant avec mes collègues, c'était lui. Il me suivait, me traquait comme un vulgaire animal depuis des lustres. Il aurait pu s'en prendre à mon frère, Tobias. Il aurait pu éliminer le reste de ma famille, mes chiens.

Ce malade à enfermer était là depuis le début et je ne m'étais rendue compte de rien. Je me suis faite avoir comme une bleue.

Peut-être étaient-ils les prochains sur la liste ? Probablement. Aucune certitude cependant.

J'aurais fini derrière les barreaux en faisant justice moi-même ou bien dans la tombe avec tous ces êtres chers perdus pour toujours. Malgré toute ma bonne volonté, je n'aurais pas pu le laisser s'en tirer à si bon compte. La vengeance m'aurait aidée à tenir et serait devenu mon moteur.

À quoi bon poursuivre lorsque l'on perd tout si nous n'avons aucun but pour soulager la douleur ?

L'arrestation de Glenn a été une révélation. Une délivrance comme je n'aurais jamais imaginé. Elle m'a permis de faire enfin mon deuil concernant le meurtre de Brita.

Je sais désormais que je n'ai rien à me reprocher. Il est seul responsable de ce crime. J'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir. Même si ce n'était pas assez. Même si je n'ai pas réussi à la sauver.

Il aurait tenté encore et encore jusqu'à réussir son coup. Sa détermination aurait fini par payer. Ses plans macabres, sa folie, son côté malsain, son inventivité au service du mal, rien ne l'aurait arrêté.

La perte de ma meilleure amie reste encore terrible mais je parviens à la digérer davantage. Grâce aux aveux de Glenn, – je n'aurais jamais cru dire ça un jour – je ne m'en veux plus comme au début. Je ne me déteste plus.

Ma haine est seulement dirigée vers lui, et rien ni personne, ne pourra me faire changer d'avis. Le pardon est impossible dans cette terrible et sombre affaire.

Le bruit d'un Klaxon m'arrache violemment à mes pensées et me ramène à la réalité. Les voitures devant moi s'impatientent pour sortir du parking de l'hôpital, tandis que je me gare sur une place libre non loin des barrières.

J'espère que Viktor n'est pas trop fatigué et que ma visite lui fera plaisir. Je ne veux surtout pas lui paraître étouffante. Il a besoin de se requinquer à son rythme, de respirer sans que je sois dans les parages constamment. Non pas que ce soit le cas pour le moment mais sait-on jamais. Je pourrais trop prendre mes aises avec le temps.

L'estomac tiraillé par l'angoisse, je m'extirpe de mon Audi. Le froid mordant qui s'infiltre sous mes vêtements chauds me remet les idées en place aussi sec. Au pas de course, je remonte l'allée qui mène à l'entrée du bâtiment d'apparence austère.

Les hôpitaux n'ont jamais été une partie de plaisir pour moi... Surtout quand je me remémore ce que j'y ai vécu avec Jonas. Lorsque j'y pénètre cette fois-ci, la chaleur suffocante du sas me coupe la respiration. Je me sens comme entraînée par une force inconnue dans un tourbillon marin, dans les abîmes. Au fond. Tout au fond. Et puis le néant. Cette impression m'échappe.

Ma peur panique s'est dissipée. Envolée comme par magie. Comme si elle n'avait jamais existé. À ma grande surprise. Pour mon plus grand bonheur. Le cœur plus léger, je traverse le hall, m'arrête aux ascenseurs et lis les inscriptions sur l'écriteau en Plexiglas.

Chaque étage concerne une pathologie, un service différent.

Neurologie. Oncologie. Rhumatologie. Pneumologie.

Des mots lourds de sens qui me font froid dans le dos et prendre conscience que je n'ai pas à me plaindre tout compte fait. Ce que j'ai subi, n'est rien comparé à ce que doivent endurer certaines personnes ici. Nous sommes bien peu de choses finalement. Nous nous retrouvons rattrapés par la maladie, par la mort. Nul ne peut échapper à son destin.

Peu importe l'argent qu'il a, la notoriété dont il jouit. Nous finissons tous pareils. Dans une tombe. Dans une urne. Ou encore, au fond de l'océan. Dans un cratère. Dans l'espace. Ou que sais-je.

Les portes métalliques qui s'ouvrent devant moi m'aident à reprendre pied sur la terre ferme. Une marée humaine en ressort, m'obligeant à me décaler pour les laisser passer. Puis, je m'engouffre à mon tour dans la cage une fois la voie libre.

Les étages défilent au fur et à mesure. Les secondes s'égrènent. La course vers le ciel s'arrête. Je suis arrivée à bon port. N'ayant plus rien pour me retenir, je file alors à toute allure dans le couloir, à la recherche de la chambre de Viktor. Des infirmières sont regroupées dans une sorte de local.

Lorsque je passe devant, aucune ne fait attention à moi. Je poursuis donc mon épopée, ralentis et me stoppe devant le numéro 989.

J'ignore combien de temps je reste là, figée. Clouée. Incapable de bouger. De réagir. De ressentir quelque chose. J'ai le sentiment d'être une coquille vide. Puis, la peur me prend aux tripes.

Je crois distinguer des impacts de balle, perçois des bruits de carabine, sens l'odeur de poussière humide qui pique le nez, entends le tremblement inquiétant des murs, l'air se raréfie. Des gouttes de sueur, froides, coulent le long de ma colonne vertébrale, le long de l'arête de mon nez, le long de mes aisselles lisses. Mes yeux s'arrondissent d'horreur.

Et si Viktor était dans un piteux état ? Ou pire ? Et si je le retrouvais mort sur son lit, blanc comme un linge, entièrement vidé de son sang ?

— Madame, vous allez bien ? s'enquiert une jeune femme, vêtue d'une blouse claire, descendant jusqu'aux genoux.

Sa voix pourtant douce m'arrache un sursaut. Je pivote vers elle. Mes lèvres me semblent cousues tellement j'ai dû mal à les entrouvrir. Mon cœur affolé est prêt à sortir de ma poitrine. Mes oreilles bourdonnent, se bouchent. Un voile gris, blanc, noir, opaque prend position devant mes yeux, me nargue, rit à gorge déployée.

— Bonjour, oui, je vais bien, murmuré-je avec difficulté.

— Vous êtes sûre ? Vous êtes toute pâle.

— Oui, oui... J'ai le teint blafard ces derniers jours. Rien d'anormal, ne vous inquiétez pas, mens-je effrontément.

Dubitative, elle m'observe entrer dans la chambre de Viktor, tremblante.

— Je vous apporte un verre d'eau et un sachet de sucre. Vous en ferez ce que vous voudrez, me prévient-elle, d'un ton catégorique.

Et sur ces paroles, elle tourne les talons et s'éloigne à grandes enjambées.

— Princesse, tu es là ! m'accueille Viktor, tout sourire.

Sans doute très heureux que je lui rende visite, il se redresse à la vitesse de l'éclair sur un bras. Lui demander de prendre garde à ne pas forcer ou se faire mal me paraît mal avisé, inutile et surtout, trop tard. La grimace qu'il fait, la main qu'il porte à sa blessure encore fraîche m'oblige à regarder ailleurs. L'empathie dont je fais preuve me force à m'asseoir près de lui. Le peu d'énergie qu'il me restait jusqu'alors semble s'amenuiser dangereusement, se réduire drastiquement.

— Comment tu te sens ? m'enquiers-je, comme si de rien n'était au bout de quelques secondes.

Inquiet, il me sonde tandis que je tente tant bien que mal de ne rien laisser passer sur mon visage pour ne pas le paniquer davantage. Je dois être impassible car il répond à la question que je lui ai posé sans insister et ses épaules se sont affaissées. De soulagement, j'imagine.

— Tant que les médicaments font effet, je me porte bien. En revanche, lorsque je dois attendre le créneau suivant, que la douleur se réveille, je ne fais pas le malin. Tu savais qu'en fait, la balle était toujours à l'intérieur quand vous m'avez emmené, avec les collègues, à l'hôpital ?

— Non, je l'ignorais. Ils t'ont endormi pour l'intervention ?

— Non du tout. Ils ont dû désinfecter et la retirer ensuite avec une pince spéciale. Bon, je n'ai pas été capable d'observer leur travail. J'ai un peu tourné de l'œil. Ils m'ont ensuite fait un bandage.

— Ils ont prévu de vérifier que ça ne s'infecte pas ? l'interrogé-je, livide.

— Bien sûr, mon ange. Chaque jour, une aide-soignante s'occupe du pansement.

Rassurée, j'entrelace nos doigts en douceur, puis me penche vers mon sac à main et en ressors un petit paquet emballé dans du papier cadeau noir et doré. Sa bouche s'ouvre en cœur.

Je souris, malicieuse. Je suis ravie d'avoir réussi à obtenir cet effet de surprise.

Et, alors que je le place devant lui, pressée de le voir découvrir ce que je lui ai acheté, la porte de sa chambre s'ouvre sur l'infirmière que j'ai croisée dans le couloir. Aussitôt, je suis contrariée, mon regard s'assombrit et, malgré les signes que je lui adresse pour qu'elle fiche le camp, elle avance dans notre direction avec un verre d'eau et un sachet de sucre. Comme elle me l'avait promis. J'ai la désagréable impression que je suis en train de bouillir à l'intérieur.

Il me faut faire un effort surhumain pour ne pas exploser.

— Vous avez repris un peu de couleurs, Madame. Je vous pose cependant l'eau et le sucre sur les livres prêtés à votre compagnon pour l'occuper durant son séjour ici.

— Merci, Madame. Vous êtes bien trop aimable, réponds-je poliment, les lèvres pincées.

— Je vous en prie. Et si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas. Il suffit d'appuyer sur le bouton rouge. Nous aurons alors l'alerte et pourrons venir dès que possible.

— Je vous remercie pour vos explications. À bientôt dans ce cas, conclus-je la conversation sans plus de cérémonie.

Dès l'instant où elle referme derrière elle, Viktor me scrute, la mine grave.

— Pourquoi elle t'a apporté ça ?

— Pour m'embêter, soupiré-je bruyamment.

— Heidi... souffle-t-il à son tour. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Je ne peux pas lui mentir. Il a le droit de savoir. Piteuse, je baisse le nez et lui explique la situation.

— Rien. Enfin, juste une broutille. Des traumatismes par rapport à ce que j'ai vécu dans la maison, et j'ai eu peur aussi de te perdre. J'ai dû faire une crise d'angoisse riquiqui, avoué-je, en balayant d'un revers de main ce que je viens de dire comme si cela n'avait aucune espèce d'importance.

— Tu continues les séances chez le psychiatre qui t'ont été conseillé ?

— Oui, j'ai plusieurs rendez-vous par semaine. Ne t'inquiète pas, je compte en parler avec lui.

La pression qu'il exerce sur mes doigts se fait plus douce. J'ai réussi à le rassurer.

— Allez, ouvre, changé-je de sujet, en lui montrant le petit paquet toujours emballé devant lui.

Tel un enfant devant ses cadeaux de Noël, il arrache le papier noir et doré mû par l'impatience, et découvre, pour sa plus grande joie à en juger son sourire large comme un parapluie, une boîte de chocolats du meilleur artisan d'Oslo.

— C'est pour moi ? s'émerveille-t-il.

— Non, pour le pape, le taquiné-je. Bien sûr que c'est pour toi. Tu peux en prendre maintenant si tu veux, ou plus tard si tu préfères.

— Je vais inaugurer cette merveille tout de suite alors. Et pendant que je commence à me régaler il faut que je t'annonce quelque chose aussi.

Je bois quelques gorgées d'eau, puis me stoppe. Je l'admire goûter à une des mignardises.

Le temps semble s'arrêter tant je le trouve séduisant. Viktor Olsen a volé mon cœur. C'est un fait.

— Glenn Solberg est derrière les barreaux maintenant en attendant son procès. déclare-t-il d'une voix solennelle. À la vue de toutes les charges contre lui, il risque d'en prendre pour un sacré bout de temps. Ton cauchemar est terminé, princesse.

Soulagée d'un poids non négligeable, je souffle de contentement.

Glenn Solberg va payer pour ce qu'il a fait subir à ma Brita. Il va devoir répondre de ses actes. J'ai envie de sauter au cou de Viktor tant je suis heureuse mais compte tenu de sa blessure, je préfère éviter. À la place, je pose ma bouche sur la sienne pour le remercier, l'embrasse tendrement.

Sans lui et son équipe, cette enflure courrait toujours à l'heure actuelle.

Il n'a pas idée d'à quel point je lui suis redevable.

L'amertume du chocolat sur ses lèvres éveille mes papilles, m'emporte dans un monde meilleur. Si le Paradis existe, j'y suis sans l'ombre d'un doute. Finalement, tout est bien qui finit bien. Apaisée, mes doigts remontent dans ses cheveux soyeux. L'air amoureux, il me couve du regard.

Pour la première fois de ma vie, je me sens chanceuse. Terriblement chanceuse.

Viktor Olsen est ce qui m'est arrivé de mieux depuis des années. Il est ma perle rare. Ma moitié. Il me complète. Nous sommes deux âmes sœurs et nous nous sommes trouvés.

Il n'y a rien de plus beau que ce sentiment d'accomplissement.

Ce sentiment d'aimer et surtout, surtout d'être aimé. 


Mots de l'auteure : Bonjour tout le monde ! Voici l'avant-dernier chapitre de La Traque. Je ne suis pas vraiment satisfaite de celui-ci mais je ne me suis pas sentie capable de le modifier aujourd'hui. J'espère que la lecture n'aura pas été trop pénible et à bientôt pour le dernier chapitre ! ♥️

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