❁ Chapitre 25 : Cours vite, petit lapin ❁
Dimanche 14 février, milieu de matinée
Point de vue d'Heidi :
Je suis étonnée que ce malade m'ait donné autant de répit. Je ne l'ai pas encore croisé depuis les pièges que je lui ai tendus. Dans ma précipitation, j'ai réussi à le mettre sur de fausses pistes.
J'ai notamment fermé à clé des portes de l'intérieur pour lui faire croire que je m'y suis cachée. Je ne pense pas que ces diversions dureront encore longtemps mais j'espère avoir gagné une marge conséquente pour réfléchir à un plan ou pour être sauvée par des personnes extérieures. Sinon, je n'aurai qu'à m'en prendre à moi-même. C'est vrai : à quoi pensais-je à faire la justicière ? J'aurais dû laisser les autorités compétentes se charger de l'arrêter.
Toutefois, il faut que je me ressaisisse. Je ne dois pas dévier de mon objectif.
Trouver un moyen de m'en tirer. Sans encombres de préférence. Ou pas trop dans le pire des cas.
De prime abord, j'analyse le lieu. La superficie du sous-sol humide peut jouer à mon avantage. Je n'ai pour ainsi dire jamais vu autant de pièces exiguës de ma vie. Et la faible luminosité peut faire mon affaire également. Mine de rien, c'est un vrai labyrinthe.
Le bruit de ma respiration affolée brise le silence aussi lourd qu'une chape de plomb. Je meurs de trouille. De nombreux trophées sont accrochés là où je me trouve et de pauvres animaux vidés de leur sang ont été pendus, se balancent au gré du vent et cognent dans mon dos frissonnant. Dans un élan d'espoir, je tente de contacter à nouveau Viktor puis Tobias mais aucune tonalité ne se fait entendre. Il ne doit pas y avoir de réseau ou ce malade peut être équipé d'un brouilleur.
— Je sais que tu es là, ma douce et chère Heidi. Mais sache une chose, je ne suis pas content du tout. Pourquoi m'as-tu trahi ? Après tout ce que j'ai fait pour toi, comment as-tu pu ?
Tremblant comme une feuille, je place une main devant ma bouche. Que raconte-t-il ?
Un coup de feu m'empêche de réfléchir à ce qu'il vient de dire. Déchirant le calme qui avait repris ses droits. Perçant mes tympans. Un coup de feu suivi d'une salve d'artillerie terrifiante. Du plâtre se décroche par morceau des murs qui s'effritent et explosent sous les impacts de balle. Je couvre mes oreilles pour tenter de réduire le bruit des déflagrations. De la poussière vole dans l'air, je me sens de plus en plus mal. Des larmes de désespoir roulent sur mes joues. Je ne vois plus rien. Plus aucun détail. Mon cœur s'apprête à sortir de ma cage thoracique. Je me retiens d'hurler. Pour me rassurer, ou du moins pour me convaincre que je vais m'en sortir, je ramène les genoux au niveau de ma poitrine et me balance d'avant en arrière. Au diable les pauvres bêtes mortes qui viennent rencontrer ma colonne vertébrale. Des perles de sueur glissent sur mon front, le long de mon dos, entre mes seins. Mes doigts agrippent mes cheveux, tirent sur les extrémités. Je craque.
Les armes de crime que j'ai pu apercevoir avant de me cacher ne sont pas là pour me rassurer. Je suis chez un tueur en série et je me suis jetée toute seule dans la gueule du loup.
Ma Brita, j'aimerais tellement que tu sois avec moi maintenant. Tu saurais me rassurer. Je suis bien partie pour te rejoindre. Dans quel pétrin me suis-je fourrée ? Protège-moi s'il te plaît. Veille sur le policier, Viktor Olsen. Tu l'aurais apprécié, j'en suis certaine. Il me rend heureuse. Et surtout, veille sur Tobias, sur Maman et Papa, sur Viggo et Aslak. Tu faisais partie de la famille.
La voix glaçante de Glenn se rapproche petit à petit.
— Ce petit jeu de cache-cache que tu as décidé d'instaurer entre nous est fort plaisant et excitant même. J'ai hâte de te trouver. Nous pourrons parler tous les deux. Enfin ! Après tout ce temps. Tu n'imagines pas à quel point j'ai attendu ce moment. Et te voilà... Chez moi... Mes prières ont été entendues.
Un bruit de métal, de tôle froissée agresse mes oreilles. Répétitif. Mélodie horrifique. Il doit rouer de coups de pied et de poing la porte de la chambre froide pour vérifier que je n'y suis pas. Je ne peux m'empêcher de me recroqueviller davantage sur moi-même. Cet homme n'est vraiment pas net. Mais si je suis honnête, je ne vaux pas mieux. Quelle idiote suis-je...
— Tu sais, m'explique-t-il, toutes ces morts, c'est pour toi que je l'ai fait. Pour te prouver tout mon amour et mon affection mais maintenant, je me rends compte que je me suis trompé sur toi. Tu es une ingrate qui refuse de m'admirer et me rendre la pareille. À la place, tu as préféré sortir avec le policier en charge de l'enquête. Ce connard va mourir dans d'atroces souffrances par ta faute.
Ma longue et lente descente aux enfers se poursuit pour mon plus grand malheur.
Je lui interdis de toucher, ne serait-ce qu'à un seul cheveu, de Viktor. Et s'il faut que je sorte de là pour me battre avec lui, alors soit. Je refuse qu'il y ait une autre victime. Je ne me le pardonnerai jamais. Puisque j'en suis la seule responsable, alors je dois y mettre un terme. Sans remords. Alors que je me relève, prête à en découdre, je me fige lorsqu'il reprend la parole.
— Tu es à moi. Et rien qu'à moi. À personne d'autre, tu entends, ma douce ?
Un autre coup de feu, cette fois-ci tiré en l'air semble-t-il, m'oblige à me baisser. Par automatisme. Comme si j'étais un soldat luttant sur un champ de bataille. Comme si j'évitais les balles ennemies qui sifflent à ma gauche, à ma droite, puis à mes oreilles et enfin longent ma tempe, mes bras, mes jambes. Ce que je vis est une vraie scène de guerre. Comme dans les films. À la différence que là, c'est la réalité. Ma vie est en jeu. Et je n'ai pas le droit à une seconde chance. Ni à une troisième.
Si je tombe au combat, malgré toute ma bonne volonté, je ne me relèverai pas.
Je ne suis pas l'héroïne d'une série. Je suis juste Heidi Endresen, une incurable blessée de la vie.
Probablement pour toujours et à jamais, vu les circonstances qui ne laissent que peu d'espoir pour un dénouement heureux.
Plus le temps passe et plus mes chances de survie s'amenuisent. Pour autant, je ne crains pas mon destin. Funeste. Macabre. Des êtres chers m'attendent, bras ouverts, là-haut.
Mon Jonas. Mon petit ange parti bien trop tôt.
Ma Brita. Ma béquille, celle qui m'a toujours soutenue dans les moments difficiles. Ou presque.
Je m'étonne d'ailleurs devant tant de lucidité. Je suis cependant satisfaite d'une certaine manière. J'ai réussi à ouvrir les yeux avant la fin.
J'ai pris conscience du sort m'étant réservé suite à cette misérable bêtise. Je vais en payer le prix fort. Et je suis la seule et unique responsable de cette horreur sans nom.
— Tu sais, j'ai assisté il y a quelques mois, à une dispute entre toi et la responsable des ressources humaines de ton entreprise. Mais à quoi pensait-elle cette greluche ? Qu'elle s'en tirerait à si bon compte après avoir brisé ton couple ? Je ne pouvais pas laisser passer ça... Elle n'avait honte de rien et te piquait ton copain à ton nez et à ta barbe sans que tu ne réagisses. Alors, j'ai été dans l'obligation d'intervenir pour qu'elle comprenne que ce qu'elle faisait, ce n'était pas bien du tout. Je crois qu'elle a compris la leçon mais un peu tard, s'esclaffe-t-il.
Il trouve son crime si drôle que je l'entends durant plusieurs minutes rire à gorge déployée. Glenn est fou. Comme quoi, ils ne sont pas tous enfermés... Il en est la preuve vivante. Irréfutable.
— En tous les cas, j'ai rendu justice. Ensuite, Andreas était vraiment odieux avec toi. Il ne méritait pas une aussi belle personne que toi. Bien sûr, l'assassiner s'est montré plus compliqué que prévu puisque tu n'ignores pas que c'était mon meilleur ami. Tu aurais vu sa tête quand il m'a vu et s'est rendu compte que je venais pour mettre fin à cette mascarade. Et maintenant, à cause de toi, sale ingrate, qui n'est pas capable de reconnaître tout ce que j'ai fais pour toi, j'ai perdu le seul à avoir été là pour moi dans les bons comme dans les mauvais moments.
Sa haine pour moi est arrivée à un tel stade, à un tel niveau, que je sais déjà pertinemment que je me retrouverais criblée de balles si je ne réussis pas à me défendre correctement. Intelligemment. Il semble tellement instable. De plus en plus au fur et à mesure qu'il me fait ses aveux. Il va falloir que je sois rapide. Efficace. Que je ne tergiverse surtout pas. Que j'aille droit au but.
— Je t'ai gardé le meilleur pour la fin. Ou devrais-je dire, la meilleure. Je sais que c'est surtout sa mort qui t'a attristée. Tu aurais pu la sauver. À quelques minutes près. Mais j'ai été plus rapide. Je t'ai devancée. Comme toujours. Quand j'ai rencontré Brita à la soirée du Nouvel An, j'ai trouvé qu'il était intolérable de sa part de t'abandonner pour s'amuser avec moi. Tu avais besoin de soutien, il t'était si difficile de te détacher de ton petit copain. Elle t'a mise en danger sans faire attention, t'a jetée dans la cage aux fauves en te mettant sur le chemin d'Olsen. Là aussi, j'ai dû rattraper le coup puisque j'étais le seul à me soucier de toi. J'ai dû faire du ménage dans ton entourage pour que nous soyons heureux tous les deux. Rien que tous les deux. Je continuerai jusqu'à ce qu'il ne reste plus personne. Mais laisse-moi te raconter les derniers mots de ta très chère Brita...
Brita avait été étonnée de le trouver là, une hache de bûcheron en main. La jeune femme n'aurait jamais imaginé ce qui pouvait bien l'animer. Elle avait cru l'apercevoir au détour d'une allée, avait pensé rêver de prime abord, puis, en repassant au même endroit, elle s'était arrêtée, heureuse de pouvoir passer du temps avec lui.
— Tu savais que je serais ici ? Tu voulais me faire une surprise ? l'avait-elle questionné, touchée.
— Tu n'as pas honte ? lui avait-il rétorqué, d'un timbre macabre. Je suis venu m'occuper de toi. Ta vie compliquée, ton cœur pauvre, doivent cesser d'exister. Tu en as assez fait comme ça.
— De quoi parles-tu ? s'était-elle alors alarmée, doutant des paroles dures de son petit ami.
— Tu as très bien entendu. Tu as fait souffrir Heidi. Je ne peux pas te le pardonner. Je ne pourrais jamais. Cours vite, petit lapin. J'ai déjà hâte de m'élancer.
Ni une ni deux, Brita avait saisi toute l'ampleur de la situation. Elle s'était mise à courir à en perdre haleine, il en allait de sa survie. Des branches fouettaient ses joues rougies par l'émotion et par le froid, la neige la ralentissait et la forçait à éviter des obstacles de plus en plus nombreux.
Estimant qu'il la rattrapait trop facilement, Glenn avait alors commencé à tendre des pièges pour augmenter la difficulté : disposer des ficelles entre deux bancs et les tendre au maximum, placer à hauteur des branches les plus basses un système d'arbalètes, ajouter des pièges à ours sur le sol recouvert d'une blancheur étincelante.
Mais Heidi avait failli faire tomber à l'eau son plan en se joignant à eux. Il ne voulait pas qu'elle se blesse, avait été dans l'obligation de retirer la majorité de ce qui l'avait pourtant amusé de poser.
Complètement paniquée, Heidi n'avait pas vu à temps l'une des dernières cordelettes attachées. Elle s'était étalée par terre. De tout son long. Toutefois, le cri effroyable qu'avait poussé Brita, qui avait retenti si fort, l'avait motivée à la retrouver.
Ce qu'Heidi ignorait encore, c'est que ce hurlement était le signe qu'il était déjà trop tard.
Avec rage, Glenn avait asséné un énorme coup, par derrière, dans le cou de Brita. Semblable à un poupon, une vulgaire poupée de chiffon, elle s'était écroulée, les yeux révulsés, tremblant de tous ses membres. Et alors, courageuse jusqu'au bout, elle avait murmuré à son assassin ces quelques mots.
« Heidi Endresen te retrouvera. Crois-moi, elle te fera payer pour tout ce que tu m'as fait subir. Et je serai là pour te voir tomber. Je t'en fais la promesse. »
Ce jour-là, Brita Wolden avait rendu son dernier souffle. Laissant Heidi, dévastée, derrière elle.
S'ancrant à nouveau dans la réalité, la tonalité de sa voix change. Il rit à nouveau aux éclats tandis que je meurs d'envie de respecter ce que lui a murmuré Brita avant de mourir. Seule. Non loin de notre domicile. Dans d'atroces souffrances. Alors qu'elle n'avait rien fait hormis l'erreur de croiser son chemin.
— C'est la Saint-Valentin aujourd'hui. Pour te prouver encore une fois mon amour, je vais tuer l'un des seuls individus à faire encore obstacle entre nous. Viktor. Dès qu'il se sera vidé de son sang, je te ferai boire dans une coupe en argent ce qu'il restera de lui.
Une autre salve retentit alors qu'il rit de bon cœur. Une balle siffle au-dessus de ma tête. Puis, il se met dans une colère noire.
— J'en ai plus qu'assez de tes caprices ! Je perds patience, tu es affreuse avec moi. Je refuse. J'ai envie de te voir. Je ne veux plus jouer !
Alors que je me recroqueville à nouveau, m'accroupis pour lui échapper, il décide de changer de stratégie, de tactique, et prend la décision de viser plus bas. Je porte aussitôt une main à ma joue qui irradie d'une douleur lancinante. J'ignore si c'est mon imagination qui me joue des tours mais j'ai le sentiment qu'elle n'est plus égale, comme légèrement creusée.
Sur la pulpe de mes doigts, je discerne avec effroi, un liquide rougeâtre.
La balle m'a éraflée.
Il est désormais temps que j'entre dans l'arène. Que je respecte la dernière volonté de ma Brita.
Glenn Solberg, prépare-toi à mourir.
Mots de l'auteure :
Bonjour tout le monde !
Heidi semble être encore plus tête brûlée que jamais. Et, l'heure des révélations a sonné ! Que vous inspire Glenn Solberg ?
À bientôt pour la suite! ♥️
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