❁ Chapitre 2 : Émotions en pagaille (2ème partie) ❁
Lorsque je reviens à moi, je ne suis plus étendue sur le trottoir. J'ai dû perdre connaissance et être évacuée dans une ambulance. Un néon blafard clignote au dessus-de moi. La peinture du plafond s'effrite. De fines pellicules blanchâtres viennent s'écraser sur mon visage ou peut-être est-ce de la poussière ? Je ne vois plus très bien. Des taches obscures dansent devant mes yeux.
Nauséeuse, je prends appui sur un coude puis sur ma main et me redresse avec difficulté. Je suis livrée à moi-même dans cette chambre humide et terne d'hôpital. Tobias m'a abandonnée.
Une douleur lancinante perfore mon crâne. Tout me revient.
Lorsque j'appuie sur l'interrupteur pour éteindre, pour oublier, un rai de lumière filtre sous la porte close. Je perçois un bruit régulier de pas qui se rapprochent. L'angoisse me broie les entrailles. La poignée s'abaisse, silencieuse. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. J'envisage de me cacher dans la salle d'eau et de m'enfuir à toutes jambes dès que l'occasion se présentera. D'un geste vif, je rejette la couette et bondis hors du lit. La pièce lugubre tangue autour de moi. Je titube, pliée en deux, jusqu'au mur gris le plus proche.
— Heidi ! s'époumone mon aîné.
Alors que je m'apprête à embrasser le sol, il me rattrape, suivi de près par un médecin en blouse blanche. La pression qu'il exerce sur mon estomac a raison de moi. Leurs chaussures impeccables en cuir de vachette se recouvrent d'un mélange grumeleux et malodorant.
La mine dégoûtée, Tobias me rallonge sous les couvertures et se pince le nez. Il se précipite dans la salle de bain pour nettoyer cet immondice.
— Madame Endresen, vous n'auriez pas dû vous lever. Vous êtes faible, me sermonne le docteur Stenberg alors qu'il retire, impassible, le vomi à l'aide de mouchoirs en papier.
L'air désolé, je l'observe s'affairer.
— Pardon, marmonné-je, piteuse. Je ne voulais pas vous salir. J'ai cru, à tort, que la personne qui m'a agressée tout à l'heure revenait.
— Il n'y a pas de mal, me rassure-t-il après s'être relevé. À vrai dire, je reviens vers vous avec des nouvelles encourageantes. Votre état de santé n'est pas jugé préoccupant.
— C'est vrai ?
— Vous le verrez, des hématomes légers ont fait leur apparition au niveau de vos poignets. Il n'y a en revanche aucune trace de traumatisme crânien, ni de fracture. m'informe-t-il, d'une voix grave en lisant ses notes. Vous avez de la chance, Madame Endresen. Votre ange-gardien devait veiller sur vous. Vous allez pouvoir répondre aux questions des enquêteurs avant de rentrer avec votre frère.
— Je peux me rhabiller avant ?
— Bien sûr, je vais les prévenir. Votre frère leur ouvrira.
Reconnaissante, je hoche la tête.
— Oh, et n'hésitez pas à consulter un psychologue si vous en ressentez le besoin. Je vous ai noté quelques noms de confrères sur un post-it collé sur le compte-rendu des examens passés. Ce que vous avez vécu est terrifiant.
— Docteur ? Avant que vous ne partiez, j'ai cru voir du sang avant de perdre connaissance.
— Ce n'était pas le vôtre. Une balle est venue se loger dans l'épaule de votre agresseur mais vous n'avez pas dû entendre la déflagration. Il va pouvoir être placé en garde à vue.
Sur ses derniers mots, il m'adresse un ultime regard compatissant et referme derrière lui. Secouée par ce que je viens d'apprendre, j'enfile d'un geste nerveux mes vêtements souillés par cette violente altercation. Tobias sort au même moment et vient aussitôt me réconforter. Son parfum puissant et mystique m'enveloppe dans une bulle de sérénité.
Je me sens prête à m'entretenir avec les policiers. Comme s'ils avaient lu dans mes pensées, deux coups secs sont frappés à la porte.
— Entrez ! tonné-je d'une voix qui ne me ressemble pas.
Accompagné d'un jeune homme en uniforme, un quinquagénaire à l'allure étrange entre. Il passe une main robuste dans ses cheveux roux gominés et l'essuie sur son vieux pardessus râpé. Il sort d'une de ses poches un calepin crasseux et un crayon rongé à son extrémité. Visiblement pressé, il ne me laisse pour ainsi dire aucun répit.
— Bonjour Madame Endresen, je suis l'inspecteur Fredriksen. Et voici mon collègue, Viktor Olsen. Avant de commencer, je tiens à vous informer de la procédure très institutionnelle que nous allons suivre. Dans un souci de transparence, je vous alerte sur le fait que notre échange sera enregistré. Bien sûr, il va de soi que ce que vous nous confierez restera confidentiel.
— Je vous remercie pour ces explications claires.
— Fort d'une dizaine d'années d'expérience, je vais conduire l'interrogatoire et vous guiderai tout du long avec des questions que j'ai l'habitude de poser. Vous êtes prête ?
Avalant ma salive avec difficulté, je hoche la tête.
— Madame Endresen, c'est à vous. Pouvez-vous m'expliquer ce qu'il s'est passé ?
La silhouette légèrement musclée de Viktor Olsen n'échappe pas à mon examen rapide. Ses yeux gris perçants me sondent alors qu'il se tient en retrait. Des cheveux épais châtains encadrent son visage impassible. Il n'a pas l'air facile.
La gorge nouée, j'expose les faits dans l'ordre où ils surgissent de mon esprit. Je tente par tous les moyens de rester méthodique et concise. Tobias ajoute des éléments qui m'ont échappé lors de mon atroce lutte. L'inspecteur griffonne sur son calepin tout ce qui attire son attention, revient en arrière sur certains points pour avoir davantage de précisions. Les événements sont balayés en une demi-heure. Puis, flanqué de son collègue, il me salue et quitte l'espace que nous partagions.
━━━━ ◦: ✧✲✧ :◦━━━━
Le trajet jusqu'à l'appartement de Tobias se déroule dans un silence religieux. Je prends le temps de digérer ce à quoi j'ai échappé de peu. Jamais je n'aurais cru Andreas capable d'une agressivité pareille. Jamais je ne l'aurais cru capable d'une telle cruauté. Brutalité. D'une telle inhumanité.
Je m'extirpe de la Mercedes et suis mon aîné jusqu'au troisième étage de l'immeuble dans lequel il réside. Aussitôt, l'ambiance cosy qui se dégage m'enveloppe et vient chasser mon chagrin. Ou du moins essaye.
De style ethnique, la décoration me plaît toujours autant. Sa gigantesque bibliothèque terracotta et anthracite m'impressionne par le nombre d'ouvrages en édition originale qui s'y cachent. Je m'imagine déjà m'assoir dans le luxueux divan vert anis en microfibre et effleurer la couverture en cuir d'un de mes livres préférés, caresser ses pages cornées et jaunies par le temps, découvrir les enluminures embellissant son texte. Disposés sur la cheminée, divers cadres dans lesquels se trouvent des photos de famille accrochent mon regard. Je remarque un portrait en sépia de Maman, un cliché en noir et blanc de mon petit-frère riant aux éclats dans mes bras. Il me manque tellement. Ses yeux remplis de malice, son nez mutin, ses blagues pas drôles, son sourire d'ange. Tout en lui me manque. Tout ce qui le définissait. Tout ce qui faisait de lui un être unique et merveilleux.
J'espère que de là où il est, Jonas ne souffre plus.
Plein de compassion, Tobias me saisit par l'épaule et m'attire contre lui. Nous fixons ce souvenir si douloureux. La tête inclinée contre son biceps, je tente de faire bonne figure. Nous avons tous les deux perdu une partie de nous. Malgré notre bonne volonté, il nous sera impossible d'un jour la retrouver.
Mot de l'auteure :
Bonjour tout le monde !
Vendredi rime avec chapitre sorti ! Je suis heureuse de vous retrouver aujourd'hui pour la suite du deuxième chapitre. J'espère de tout cœur qu'il vous plaira. ♥️
Qu'en avez-vous pensé ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top