❁ Chapitre 19 : L'enquête piétine ❁
Vendredi 5 février, soirée
Point de vue de Viktor :
Alors que je m'apprête à enfiler ma veste, l'inspecteur débarque dans les vestiaires les cheveux en bataille et me barre la route. Une trace de stylo bic noir traverse sa joue de gauche à droite.
— Viktor, je crois avoir compris quelque chose qui m'avait échappé jusque-là ! Je dois vous parler. C'est important. Suivez-moi !
Comme s'il était en pleine épreuve d'athlétisme aux Jeux Olympiques, il court à toute allure à son bureau et m'ordonne de refermer derrière nous dès que je le rejoins. Les yeux exorbités, il semble chercher un précieux objet. Il balaie d'un revers de main les feuilles volantes qui reposaient sur les quatre coins d'un petit meuble de rangement, ouvre les tiroirs fermés précautionneusement à clé.
Agacé, il donne un coup de pied dans son fauteuil qui traverse la pièce et vient s'écraser contre la fenêtre qui surplombe la ville, permettant de distinguer de nombreux bâtiments s'étendre à perte de vue.
— Ah ! hurle-t-il, en brandissant victorieux le carnet qu'il ne quitte jamais. Trouvé !
Alors que je prends tranquillement place sur une chaise, il se jette sur les informations notées à la hâte il y a une poignée de minutes et relève le nez vers moi, rouge d'émotion.
À grandes enjambées, il parcourt la courte distance le séparant du vieux fauteuil éjecté quelques instants plus tôt avec rage et s'y laisse tomber. L'enquête a tout compte fait du bon : elle favorise l'exercice physique de Monsieur Fredriksen qui refuse catégoriquement d'entendre le simple mot « sport » dans une conversation en temps normal.
Tandis qu'il se relit, j'en profite pour balayer du regard l'espace dans lequel nous nous trouvons. Il est rare que nous passions en général la porte tant il n'aime pas être dérangé dans son travail.
Hormis quelques fournitures traînant ça-et-là ainsi qu'une plante verte en train de mourir, il y a un vide parfaitement assumé. Les murs blancs font concurrence à ceux de l'hôpital et la moquette ne semble plus de toute fraîcheur. Une odeur puissante de vieux et de renfermé s'en dégage. J'en ai le ventre noué. Pour ne pas vomir, j'essaie de m'empêcher le plus possible de respirer.
— J'ai le sentiment que le meurtrier veut impressionner Heidi et intégrer son entourage en faisant du ménage lui-même. Il s'agit d'une personne à la recherche de reconnaissance, qui souhaite être remarquée, remerciée et aimée pour ce qu'elle fait.
Abasourdi, je le scrute. La mâchoire m'en tombe. Ce type est tordu si cette hypothèse est vraie !
Non. Ce n'est pas possible. Il me fait marcher pour tester mes réactions. Me soupçonnerait-il ? Je n'y suis pourtant pour rien même si le comportement de ce fou ressemble à celui que j'ai avec ma douce et belle Heidi Endresen. À la différence que moi, je suis innocent.
— Cette spéculation pourrait se révéler exacte, inspecteur ?
— J'ai échangé avec celles et ceux ayant établi son profil et il s'avère que c'est très probable. Ma théorie tient la route. Elle n'est pas si déconnante. Bien sûr, pas un mot. C'est un secret entre vous et moi pour le moment.
Pour ne pas éveiller les soupçons, je m'empresse de hocher la tête et de rebondir sur un sujet qui me taraude également l'esprit depuis des jours.
— Et avez-vous des nouvelles concernant le cheveu retrouvé dans les entrailles de la victime ?
— Ah, oui ! J'ai convoqué vos collègues pendant que vous étiez en repos. Il appartient à Madame Endresen. Cheveu blond. Fin. En se penchant, il a dû tomber. Nous avons abandonné la piste.
De soulagement, mes épaules s'affaissent. Il n'a définitivement plus une dent contre elle depuis le moment où les résultats sont tombés et ont défini un portrait précis ne correspondant pas à Heidi. Enfin, précis, tout est relatif. L'enquête piétine... Nous n'avons toujours pas assez d'éléments. Il va falloir que nous trouvions le responsable de tous ces crimes. Et vite !
— Vous souhaitiez me transmettre d'autres informations ?
Lorsqu'il se met debout, son œil aguerri se pose sur mon genou qui tressaute sans arrêt et sur la montre encerclant mon poignet que je n'arrête pas de fixer.
— Vous semblez bien pressé, mon cher Viktor. Je ne vais pas vous retarder plus longtemps. Allez-y. Ce doit être important pour que vous ne teniez plus en place à ce point.
L'air contrit, je me redresse avec la rapidité d'un diable sur son ressort. Rien ne lui échappe sauf le meurtrier encore en liberté. Du moins, pour l'instant. Les jours lui sont comptés désormais. Quand l'inspecteur découvre le pot aux roses, les coupables passent un sale quart d'heure.
Pour me faire gagner de précieuses secondes, il ouvre la porte à la volée, me pousse hors de son antre sans ménagement puis m'encourage, d'une voix venue d'outre-tombe, au fur et à mesure que je traverse le couloir. Sans le savoir, il me fait penser à mon père qui m'entraînait lorsque je courais. Il rêvait de me voir devenir sportif professionnel ou policier. J'ai exaucé son vœu le plus cher quand je suis entré dans les forces de l'ordre. De là où il veille, je suis sûr qu'il est fier du chemin que j'ai parcouru en son honneur depuis son décès. Lui aussi est mort des suites d'une longue maladie. Je l'ai accompagné jusqu'au bout. Je ne me suis jamais senti aussi impuissant de toute ma vie.
Le voir rendre son dernier souffle a été une terrible épreuve pour moi. Je suis toujours brisé. Rien ni personne ne pourra m'enlever ma peine. Cela nous fait un triste point commun avec Heidi.
Lorsque j'enfile ma veste, mes yeux s'embuent.
Je sais que je ne devrais pas mais des souvenirs affluent soudain, défilent devant moi sans que je ne trouve la force de les chasser. Douloureux.
Ils me rappellent sans cesse que j'aurais pu la perdre aussi. Chaque jour, je m'en veux. À cause de moi, son fils unique, elle aurait pu nous quitter en me mettant au monde. Sa grossesse difficile. Je ne peux imaginer le cauchemar que cela a pu être pour mes parents. À l'image d'un chien avec le plus précieux des cadeaux – un os –, la culpabilité me ronge.
Maman aurait pu mourir par ma faute. Comment aurais-je pu me regarder dans un miroir après ça, après avoir appris que je n'étais qu'un assassin impitoyable ?
C'est avec ces tristes pensées que je prends le volant et rejoins Heidi devant chez elle. Comme je le lui ai conseillé, elle m'attend à côté du véhicule de fonction d'un de mes collègues. Lorsque je la vois, emmitouflée dans un manteau en fausse-fourrure noir, mon cœur s'apaise aussitôt. Le sourire qu'elle arbore en m'apercevant à son tour me fait sortir la tête hors de l'eau. J'ai le sentiment que le simple fait de la savoir face à moi me redonne des forces. Son visage doux et ses gestes emplis de grâce pansent mes plaies les plus profondes quand elle me rejoint. Elle est mon remède.
L'ancre à laquelle je peux me raccrocher en pleine tempête. Avec elle, je sais que tout ira bien. Un bruit étouffé me parvient soudain. Son petit poing qui frappe contre la vitre me rappelle à l'ordre. Je déverrouille les portières en quatrième vitesse et lui laisse le loisir de s'installer comme bon lui semble sur le siège passager le temps de reprendre mes esprits ni vu ni connu.
Heureusement, pas un chat ne traîne dans la rue, pas de conducteur pressé à klaxonner derrière.
— Comment vas-tu depuis la dernière fois ? s'enquiert-elle.
Le tutoiement que nous avons décidé d'instaurer d'un commun accord me comble de joie. Notre relation amoureuse naissante a pris un vrai tournant. Et, même si nous souhaitons aller en douceur pour poser des bases solides, savoir que nous n'allons pas dans le mur me plaît bien.
— J'ai eu une semaine très chargée donc je suis sur les rotules. Et toi ?
— Pareil. Sans parler de tous ces événements récents qui m'ont bien miné le moral. C'est comme si je me tenais à côté de mon corps, que je flottais au-dessus, que je subissais sans subir vraiment.
— Je comprends cette sensation. Ça m'est arrivé aussi à plusieurs reprises et c'est désagréable.
Sans doute soulagée que je fasse preuve d'empathie, elle pose la main sur son cœur et m'adresse un discret coup d'œil avant de reporter son attention sur la route qui défile au fur et à mesure que nous avançons. Des arbres aux branches décharnées délimitent les rues, des racines déforment le goudron, tentent de refaire surface par tous les moyens et sortent à de rares endroits.
Ne dit-on pas que la nature reprend toujours ses droits ?
Ceci en est un parfait exemple.
Notre destination finale atteinte, nous nous extirpons de la voiture puis cheminons en direction du restaurant que j'ai réservé un peu plus tôt dans la journée.
Il est réputé au national pour proposer de délicieux et savoureux plats traditionnels à un excellent rapport qualité-prix.
En véritable gentleman, je retiens la porte et attends qu'Heidi passe devant moi. Je m'engouffre à sa suite aussitôt après et prends la direction des opérations lorsque nous arrivons au comptoir.
— Bonsoir, j'ai réservé pour deux personnes au nom d'Olsen.
La quinquagénaire parcourt son grand calepin en cuir de son index et s'arrête sur mon nom.
— Bonsoir et bienvenue dans notre établissement. Je vous en prie, venez avec moi.
Lorsqu'elle redresse la tête, elle nous adresse un sourire chaleureux. Derrière une monture en bois clair, ses yeux noisette pétillent de malice. D'un geste rapide, elle replace une mèche de cheveux dans son chignon travaillé puis, après avoir pris deux menus qu'elle glisse sous son bras, elle nous mène à la table que nous occuperons pour le dîner.
Tout du long, elle ne se départit pas de sa mine accueillante.
Elle profite du moment où nous prenons place dans les sièges en velours rouge pour lisser sa jupe crayon marine et son chemisier blanc boutonné à hauteur de ses clavicules saillantes. Remarquant que nous n'attendons plus qu'elle, elle se racle la gorge, gênée, et s'avance vers nous.
— Excusez-moi, se reprend-elle, le rouge aux joues. Vous trouverez nos suggestions du moment au même titre que les boissons sur la page intérieure gauche et les plats à la carte de l'autre côté, sur celle de droite, nous explique-t-elle, en joignant le geste à la parole.
Lorsqu'elle nous tend respectivement le précieux document dissimulé derrière une couverture en cuir marron foncé, nous la remercions en chœur et louchons pratiquement dessus, affamés.
— Prenez le temps qu'il vous faut pour choisir. Désirez-vous commencer par un apéritif ?
Après avoir sondé Heidi en silence, je hoche la tête.
— Je vais prendre un cocktail de fruits sans alcool s'il vous plaît, demande-t-elle.
— Et un jus de pomme pour moi.
— Très bien, je vous apporte ça, nous informe-t-elle d'une voix douce.
L'échange terminé, elle tourne ensuite les talons et transmet notre commande au barman.
Non sans avoir jeté un œil aux mets proposés, le regard d'Heidi dérive sur la table recouverte par une nappe en soie bordeaux. Une rose éternelle blanche y repose en son milieu. Je me prends au jeu moi aussi et observe les appliques dorées contre les murs en crépi qui inondent la pièce d'une lumière chaude. L'espace a été optimisé sans aucun doute pour faciliter le trajet des serveurs. Une atmosphère qui procure bien-être et sérénité m'enveloppe tout entier. Je me sens bien avec Heidi et j'espère qu'elle aussi de son côté ressent une douce quiétude en ma présence.
Lorsque je reporte mon attention sur elle, mon cœur rate un battement.
Émerveillée par la décoration élaborée avec goût, elle arbore un délicieux sourire qui ferait fondre n'importe quel homme comme neige au soleil. Ses cheveux longs et fins bordent son visage dont les traits paraissent apaisés momentanément. Son nez en trompette lui donne un air enfantin et sa frimousse dans son ensemble n'est pas pour me contredire. Elle est superbe.
Ses pommettes remontent lorsqu'elle remarque que je la détaille. Ses joues se teintent d'une jolie couleur rosée.
Le moment me semble idéal. Il faut que je me lance avant d'atermoyer encore ou de trouver une énième excuse bancale pour me rassurer et retarder cette discussion inévitable.
— Dis-moi, tu te sentirais prête à te lancer dans une relation amoureuse, toi ? la sondé-je.
C'est à mon tour de m'empourprer. J'ai l'impression de me mettre à nu et surtout, j'ai une trouille bleue de me prendre un râteau monumental... Au fur et à mesure que les secondes s'étirent, mes mains deviennent moites, ma respiration se bloque dans ma gorge et mon cœur bat la chamade.
Heureusement pour moi, Heidi prend conscience de mon état et ne tarde pas à répondre.
— Je pense que oui. Certes, j'ai souffert dans ma précédente relation mais je ressens le besoin de me sentir aimée et appréciée à ma juste valeur par une personne qui saura me combler, m'aider à sortir la tête hors de l'eau, qui saura me rassurer et me tirer vers le haut. Et réciproquement, je me sens prête à accompagner ma moitié autant dans les épreuves difficiles que les joies de la vie. Toi, tu te situes comment ? On avait discuté un peu de ça mercredi dernier, je sais que ta précédente relation t'a laissé des marques indélébiles qu'il est difficile de surmonter du jour au lendemain.
Ses mots résonnent en moi et viennent une nouvelle fois panser mes blessures les plus profondes.
Son écoute active, sa bienveillance, son empathie et sa capacité à comprendre ce que l'on ressent à toute épreuve font partie des traits de sa personnalité qui me plaisent le plus. Elle est incroyable et c'est un euphémisme. Heidi Endresen m'a ensorcelé. Je suis complètement sous le charme. Ce n'est plus un secret pour qui que ce soit maintenant...
— Je me sens prêt à relever le défi. Je me suis assez caché derrière ma peur de souffrir à nouveau et je me rends compte que c'était complètement idiot. Je ne veux plus passer à côté de l'amour.
Alors que je me confie comme je ne l'ai jamais fait auparavant, les moindres faits et gestes d'Heidi ne m'échappent pas. Elle enroule une mèche folle autour de son index, ses iris océan rivés sur ma personne. Pour la première fois – ou presque – de ma vie, je suis entendu.
Et pas par n'importe qui, qui plus est !
La deuxième partie que je m'apprête à aborder n'est pas des moindres. D'y penser, de nombreux fourmillements élisent domicile dans la pulpe de mes doigts et dans mes joues.
Ça y est, je panique officiellement.
Je la juge même plus dure et périlleuse que la précédente mais impossible pour moi de reculer.
— Et donc, ça te dirait qu'on sorte ensemble tous les deux pour voir où ça nous mène ? reprends-je d'une traite. Et nous irions à notre rythme, bien sûr, m'empressé-je de rajouter.
Dès que ces paroles franchissent la barrière de mes lèvres, je les regrette.
Il est trop tard pour faire machine arrière mais n'est-ce pas trop rapide ?
Ne vais-je pas plus vite que la musique ? Je le crains...
— Je suis d'accord. Je veux bien essayer un nous. déclare-t-elle d'un ton affectueux. Tu dois juger que ça vient un peu à la hâte mais ça ne me dérange pas personnellement.
Mon cœur est prêt à sortir de ma cage thoracique tant il s'emballe. Je porte une main tremblante vers mon verre de jus de pomme, le saisit, le boit d'une traite pour me remettre de mes émotions.
— Et puis, le feeling passe bien entre nous, ajoute-t-elle. Tu es sérieux et présent pour moi depuis le début. Tout compte fait, c'est une évidence. J'accepte de sortir avec toi, Viktor Olsen.
Toutes mes angoisses s'envolent comme par magie.
C'est officiel, Heidi Endresen est ma petite amie. Je suis le plus chanceux des hommes.
Mots de l'auteure : Bonjour tout le monde ! Après quelques semaines sans publier, me revoilà en bien meilleure forme ! Comment allez-vous de votre côté ? Allez-vous avoir des vacances ? 😁
J'espère de tout cœur que vous aurez aimé ce chapitre un peu plus long que d'habitude. Qu'en avez-vous pensé ? Dites-moi tout !
Très belle fin de week-end à vous et à bientôt ♥️
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