❁ Chapitre 17 : Sans toi ❁
Mardi 2 février, fin d'après-midi
Point de vue de Tobias :
Depuis l'odieux assassinat de Brita, Heidi se réfugie dans le travail pour éviter d'être rattrapée par de tristes et douloureuses pensées.
Je ne peux que la comprendre. J'avais réagi de la même façon au décès de notre petit frère. Il est parfois plus facile de se réfugier dans notre bulle que de se laisser rattraper par les émotions, que de voir la vérité en face. La personne que nous avons perdue ne reviendra plus malgré toutes nos prières et peu importe l'amour que nous lui portons. Elle s'est envolée vers des cieux inconnus. Et c'est tout. Nous n'avons pas notre mot à dire malgré l'injustice. Le plus dur est pour les personnes qui restent. Elles doivent tenter de combler ce manque, se reconstruire et faire perdurer l'esprit et l'âme du défunt en se souvenant.
Mon poing se suspend dans l'air, hésitant. Je ne peux plus atermoyer. Je dois me lancer.
Prenant mon courage à deux mains, je frappe deux coups secs contre la porte du bureau d'Heidi.
Elle ne me laisse pas le loisir de regretter mon geste ou d'y réfléchir. Elle ouvre à la volée, son sac à main reposant sur son épaule dissimulée sous sa veste fétiche en fausse fourrure, et referme à la vitesse de l'éclair derrière elle.
Ses yeux éteints me fixent avant de se concentrer sur le couloir vide de tout occupant. En silence, elle se dirige vers la cage métallique qui n'attend plus que nous. Nos collègues sont rentrés chez eux depuis belle lurette pour retrouver leur famille ou juste la chaleur agréable de leur foyer en ce climat hivernal si glacial.
D'un doigt tremblant, elle appuie sur le bouton appelant l'ascenseur puis replace son bras le long de son corps.
— Comment tu vas ? Tu as pu avancer comme tu le voulais sur tes dossiers ? m'enquiers-je.
— Ça va, répond-elle d'une voix neutre. Certains clients m'ont appelée pour me transmettre leurs condoléances. Ils ont appris pour la série de meurtres. Les journalistes s'en donnent à cœur joie. Il n'y a pas un jour où ils ne communiquent pas dessus. Et toi, ta journée ?
Tout du long de sa tirade, son regard fixe un point lointain comme si elle n'était plus vraiment là. Il me faut faire un effort surhumain pour ne pas m'effondrer devant elle. J'en suis tellement malade.
— Elle s'est bien passée dans l'ensemble. Quelques réunions par-ci par-là. Rien de bien méchant.
Et au moment où je termine ces quelques phrases, nous nous engouffrons dans l'espace contigu.
Puis, arrivés en bas, nous cheminons en direction de ma voiture du plus vite que nos jambes nous le permettent et nous réfugions dans l'habitacle.
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À notre arrivée devant mon domicile, le policier qui veille sur moi nous salue de son véhicule.
Avec cette surveillance accrue, je me sens plus en sécurité, moins en danger. C'est peut-être bête. Le tueur pourrait trouver d'autres moyens d'entrer ou bien il pourrait me suivre et m'attaquer dans un lieu désert comme il ferait ses courses au supermarché. Il semble organisé, méthodique et prêt à tout pour parvenir à ses fins.
Cela ne m'étonnerait pas qu'il passe à l'attaque au nez et à la barbe des forces de l'ordre.
Ça lui plairait sans doute même...
Pourvu que ce malade soit retrouvé et enfermé dans les plus brefs délais.
Le son de la clé qui tourne dans la serrure me ramène à la réalité. Heidi ne m'a pas attendu. Elle a pris les choses en main pour limiter au maximum le temps passé à la merci de l'assassin. Sans crier gare, l'un de mes voisins déboule dans le couloir et s'empresse, lui aussi, de rentrer chez lui. Nous sommes tous aux aguets, craignons d'être les prochaines victimes et devenons paranoïaques.
Je suis tellement tracassé que je suis rattrapé la nuit par d'horribles cauchemars. Je n'ai pour ainsi dire aucune seconde de répit.
À notre tour, nous pénétrons dans mon appartement et enclenchons les trois verrous que j'ai posés il y a quelques jours. On n'est jamais trop prudents. Heureusement que je suis propriétaire. Je me serais mal vu rendre des comptes en plus si j'avais été locataire.
Comment aurais-je pu justifier ce choix sans que l'on me prenne pour un fou ?
— Mets-toi à l'aise, sœurette. Je vais sortir ce dont on a besoin pour préparer le dîner. Ce soir, on cuisine, claironné-je.
Un sourire aux lèvres, elle retire ses chaussures puis son manteau.
— J'ai hâte.
Point de vue d'Heidi :
Mardi 2 février, vingt-trois heures
Depuis le drame, je ne parviens pas à retourner dans le logement que nous partagions avec Brita.
C'est trop dur. Elle me manque chaque jour. Chaque heure. Chaque minute. Chaque seconde. Sa bonne humeur, son humour, ses farces et fantaisies, son regard droit et bienveillant, son sourire, le son de sa voix, son parfum délicat, ses câlins réconfortants. Tant de choses parties à tout jamais. À cause d'un monstre qui a décidé pour ma meilleure amie, qui a choisi de lui ôter la vie.
Malgré la couette et le plaid chauds, je frissonne. Je suis sûre que Brita le connaissait. Elle n'aurait pas hésité à fuir autrement. L'a-t-elle croisé dans la rue ? Au travail ? Dans une soirée où elle avait l'habitude d'aller ?
Car, oui, Brita était bel et bien une fêtarde née.
C'était sa façon à elle de se changer les idées, de se vider la tête, après le décès de son père tant aimé.
Elle ne pouvait plus compter sur sa maman qui, détruite elle aussi, avait coupé les ponts en raison d'une trop grande ressemblance avec son âme sœur. Dès qu'elle voyait sa fille, elle apercevait son grand amour derrière ses traits. D'après ce que Brita m'avait confié, sa mère avait sombré dans un cercle vertueux dont elle n'arrivait pas à se départir et avait alors développé une terrible addiction : l'alcool. Qui devait couver en elle et attendre patiemment son heure.
Qui s'était nourri de son chagrin et de son désespoir.
Lorsque je clos mes paupières, je me souviens. De Brita. De son odeur. De ses yeux pétillants. De son rire communicatif. De ses cheveux roses pastel au vent. Son air mutin. Ses rondeurs assumées. De son fort caractère. Sa sensibilité. Son écoute plus ou moins active suivant son humeur.
Le catamaran électrique glissait sur l'eau calme, tranquille et profonde, nous emmenant au centre du fjord d'Oslo en douceur.
Toutes deux sur le pont pour éviter la masse humaine qui se concentrait sur les sièges à l'intérieur, nous admirions chaque détail se présentant à nous : la faune, la flore, les paysages naturels et par extension, les quelques îles magnifiques ça-et-là.
— J'ai rencontré quelqu'un, m'annonça-t-elle soudain.
Amusée, je levais les yeux au ciel. Elle m'en avait déjà parlé il y a de cela trois jours.
Les embruns me fouettaient les joues malgré la quiétude de la mer. Les températures étant hautes pour la saison, j'en profitais pour emplir mes poumons d'un air on ne peut plus pur. Je me sentais bien.
— Laisse-moi deviner, il s'appelle Ivar ?
— Non ! Enfin, Heidi ! Je sortais avec Ivar il y a une semaine mais j'ai trouvé une autre personne. Il est incroyable. Je suis folle de lui.
Comme toujours, j'avais un wagon de retard. Détestant s'engager, Brita enchaînait les coups d'un soir. Les plus chanceux pouvaient sortir avec elle une douzaine de jours tout au plus. Puis, lassée, elle passait à autre chose, trouvait à nouveau chaussure à son pied avant de le quitter pour filer le parfait amour avec le suivant. Encore et encore.
— Il fait du tir à l'arc. Je te dis pas sa carrure ! Ses bras, ses épaules et son dos musclés ! Il est trop beau ! Et son prénom, c'est Egil. Tu me connais, j'ai aussitôt regardé la signification et j'ai a-do-ré ce que j'ai lu. Egil correspond à respect dans la culture nordique. Je suis sous le charme.
Des larmes menacent de surgir depuis la barrière de mes cils. Sa voix résonne encore en moi. J'ai tellement envie de la revoir, de la serrer une ultime fois dans mes bras, de lui dire que je vais faire tout mon possible pour comprendre ce qui a pu lui arriver, que tout ira bien et que je suis désolée de ne pas avoir été présente dans ces derniers moments. Désormais, elle ne pourra plus changer de copain comme de chemise. Son dernier en date était Einar.
Il n'a d'ailleurs pris aucune nouvelle. Il me déçoit.
Secouée par les sanglots, je me recroqueville et place une main devant ma bouche. Ce manque, il me tue à petit feu. Cette culpabilité me ronge jusqu'aux os.
Pardon, ma Brita. Je t'en prie, ne m'en veux pas.
Il est temps que j'enquête de mon côté. Je vais trouver celui qui t'a fait subir ça. Ce salaud ne va pas s'en tirer comme ça. Il finira à sa place. Derrière les barreaux. Ou dans un cercueil.
Tu seras vengée. Je t'en fais la promesse.
Mots de l'auteure :
Coucou tout le monde, j'espère que vous allez bien et que vous avez passé une bonne semaine ?
Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?
Bisous et à la semaine prochaine ♥️
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