❁ Chapitre 1 - Une rupture douloureuse ❁

Dimanche 28 décembre, hiver

Point de vue d'Heidi :

Découvrir que mon copain me trompe fait partie des choses qui m'effraient au plus haut point dans une relation. Andreas le savait. Pourtant, il n'a pas hésité une seule seconde.

Le menton reposant dans la paume de ma main crispée, je ne me sens plus capable de rien.

Mon énergie semble avoir déserté chaque parcelle de mon corps sans demander son reste. Brutal et inattendu, ce choc a provoqué en moi un torrent d'émotions : la surprise, la tristesse, le dégoût mais aussi la colère. Depuis quelques jours maintenant, je ne parviens plus à trouver le sommeil.

Je ne suis plus que l'ombre de moi-même.

J'ai le sentiment de m'être métamorphosée en une coquille vide, errant au rythme des courants marins en plein cœur des plus impressionnantes profondeurs de l'océan : les abysses.

Cette sensation m'avait harponnée une seule et unique fois. Lorsque mon petit frère, Jonas, avait rendu son dernier souffle après de nombreuses années à combattre avec beaucoup de courage sa maladie. Elle avait finalement brandi son épée maudite avec fierté vers lui et lui avait asséné le coup fatal sans une once d'hésitation, sans remords. C'était terminé. Elle avait gagné.

Craignant d'être davantage happée par ces douloureuses pensées, je reporte mon attention sur Maman qui s'affaire en cuisine. Ses cheveux bruns viennent se loger au gré de ses mouvements contre le chemisier en soie couleur champagne qui dissimule ses épaules menues. Prévoyante, elle remonte ses manches retenues par des boutons en perles nacrées afin d'éviter de se tâcher. Le pantalon noir qu'elle porte épouse ses courbes élégantes et discrètes. Bien qu'elle ne relève pas du meilleur choix pour préparer un repas, sa tenue lui sied à merveille.

Sentant sans doute mon regard dans son dos, elle pivote dans ma direction. La mine inquiète, elle me scrute. Nos iris d'un bleu profond se croisent. Son front large se plisse au même titre que son nez en trompette. Signe qu'elle ne va pas tarder à s'exprimer, ses lèvres pourpres bien dessinées s'entrouvrent.

— Comment te sens-tu ma chérie ? s'enquiert-elle, d'une voix douce.

— Pas trop en forme, murmuré-je. Ça t'est déjà arrivé d'avoir l'impression de te tenir à côté de ton corps comme si tu n'en étais plus propriétaire ?

— De rares fois, oui. Mais ne te tracasse pas, tu vas réussir à te relever. Ce n'est qu'une question de temps. Les chiens ne font pas des chats. Tu es forte, Heidi.

Dubitative, je me contente de hocher la tête. J'aimerais tellement qu'elle ait raison...

Pour clore cette conversation qui me chamboule et afin d'apporter mon aide à Maman, je décide de mettre le couvert. Sans grande conviction, je me redresse du tabouret sur lequel j'étais assise, me lève et me traîne jusqu'au vaisselier en bois massif. Je reviens ensuite sur mes pas et dispose la montagne d'assiettes encombrantes ainsi que les fourchettes, les couteaux et les serviettes en tissu sur la table. De son côté, Maman emmène le saumon, les pommes de terre et sa délicieuse sauce à l'aneth* dont elle seule a le secret.

Dans la catégorie des estomacs sur pattes, Viggo et Aslak n'ont pas volé leur réputation. Ventre à terre, ils rappliquent aussitôt. Leurs griffes fraîchement coupées par le toiletteur crissent sur le parquet bien entretenu de la salle à manger. Amusée par la situation, je leur gratte l'arrière des oreilles lorsqu'ils arrivent à ma hauteur. De délicieux effluves ont dû cheminer jusqu'à leur flair imparable, je ne vois pas d'autres solutions.

— Ce n'est pas pour vous, leur expliqué-je. Vous allez avoir des croquettes au poulet, vous. Venez avec moi.

Suivie de près par notre charmant husky et notre adorable berger australien, je file à la réserve qui abrite leur nourriture de l'humidité et en déverse généreusement dans leurs gamelles respectives.

L'intonation des aboiements qu'ils m'adressent témoigne de leur sincère reconnaissance. Alors satisfaite, je les laisse se restaurer en paix et rejoins Maman à table.

Connaissant mon goût incontestable du silence lorsque je (re)découvre mon repas préféré et m'en délecte, Maman laisse volontiers mes papilles s'éveiller au contact du poisson fondant contre mon palais. Seul le cliquetis sec et métallique des couverts dans les assiettes vient troubler la quiétude du moment présent. La nourriture disparaît petit à petit, jusqu'à ne laisser plus aucune miette. Le déjeuner est maintenant terminé. Maman est un vrai cordon bleu. Je me suis régalée. Je me sens si chanceuse de l'avoir à mes côtés.

— Heidi, peut-être pourrions-nous sortir Viggo et Aslak ? suggère-t-elle. Je ne suis pas contre une promenade digestive.

— C'est une excellente idée. Être en extérieur me permettra en plus de me changer les idées mais on va devoir bien se couvrir. Il ne doit pas faire chaud.

— Tu as raison, mon ange. J'ai regardé le thermomètre ce matin. Il indique - 8 °C.

— Les températures hivernales ne nous quittent plus on dirait... Je vais remplir le lave-vaisselle en vitesse, je n'en ai pas pour longtemps et puis on pourra y aller.

Joignant le geste à la parole, je bondis sur mes pieds tout en souplesse et emporte les plats ainsi que les couverts jusqu'à l'évier en inox lisse et satiné. De façon succincte, je les rince avant de les disposer dans l'imposant appareil électroménager haut de gamme. Puis, une fois la tâche réalisée, je rejoins Maman dans le hall. Déjà revêtue de son manteau beige en cachemire, elle enfile ses bottes cavalières noires.

De mon côté, je prends place face au placard ouvert et réfléchis. J'en ressors une veste en fausse-fourrure quelques instants plus tard et une paire de UGGS crème. Après avoir passé une écharpe prune autour de mon cou, je m'emmitoufle dans mon vêtement doux et moelleux et me chausse. Tandis que Maman passe le harnais autour du corps musclé de Viggo puis autour de celui d'Aslak, je mets mes gants. Afin d'éviter des crevasses ou des irritations entre les coussinets, elle applique sur leurs pattes une crème de protection efficace. Je prends ensuite le relais et attache les laisses. Nous voilà fin prêts.

Remarquant que j'ai les mains prises, Maman ouvre la double porte vitrée qui mène à l'extérieur, m'incite à passer en premier et referme derrière nous. Aslak et Viggo commencent à tirer sur leur laisse. Ils ont compris ce qui les attend. Gagnés par l'impatience, ils nous entraînent sur le sentier qu'ils affectionnent depuis la nuit des temps.

Ornés de leur plus belle parure, de majestueux sapins se dressent devant nous. D'étincelantes et délicates gouttelettes gelées perlent au bout de leurs aiguilles. Des rayons de soleil viennent avec timidité caresser ma peau et la réchauffent d'une douce et réconfortante chaleur. L'air vivifiant de cette saison me donne envie d'emplir mes poumons d'un oxygène pur. Portée par le vent, l'odeur puissante des résineux chatouille mes narines. Les chants mélodieux des oiseaux dans les arbres apaisent mon cœur meurtri. De sa blancheur presque aveuglante, la neige, immaculée et sublime, m'attire inexorablement. Je l'entends crisser sous chacun de mes pas et l'enlève dès que je peux lorsqu'elle se bloque entre les coussinets d'Aslak et Viggo. Le froid polaire n'a plus raison de moi. Le ciel bleu me donne envie de m'éterniser dehors. Je me sens bien.

Plus nous nous enfonçons dans la forêt d'arbres rapprochés, plus le chemin que nous empruntons s'assombrit et devient menaçant. Ce contraste brutal ne nous rassure pas. Nous poursuivons notre épopée une poignée de minutes qui me paraissent interminables avant de décider de faire demi-tour. Sur la défensive, nous jetons des coups d'œil furtifs en direction des branchages. La clarté en ligne de mire, nous quittons le bois prestement et reprenons notre respiration.

Pour notre plus grand soulagement, le trajet du retour se déroule sans encombres. Les murs roses et les ardoises anthracites de l'immense demeure de Papa et Maman m'apparaissent au loin. Il en est de même pour les hautes fenêtres, la fontaine qui trône au milieu de la cour de gravier et les deux escaliers symétriques dont les rampes en fer forgé conduisent au porche.

Mes vêtements extérieurs rangés et mes chaussures retirées, je prépare une baignoire d'eau tiède à l'attention de nos chiens afin d'éliminer d'éventuels cailloux et résidus de glace logés au niveau de leurs pattes. Une fois celles-ci propres et séchées, je les laisse alors gambader comme bon leur semble dans la maison. Pour ma part, je retourne dans la cuisine. Les températures fraîches m'ont donné envie d'un chocolat chaud réconfortant et d'un succulent gâteau.

Disposés en rang d'oignon sur le plan de travail, les différents ingrédients disparaissent un à un au fur et à mesure que je m'active. Les minutes défilent, la préparation devient onctueuse. Il ne reste plus qu'une étape. Avec retenue, je laisse couler le mélange dans le plat en pyrex que je viens de beurrer. Puis, je le dispose dans le four préchauffé.

J'espère que Papa et Maman aimeront ma surprise !

En attendant la cuisson idéale, je ne me repose pas sur mes lauriers et concocte la boisson amère et exquise de mes rêves. De la crème chantilly à la texture crémeuse et gourmande finit par flotter sur le lait chocolaté brûlant. D'élégantes volutes de fumée s'élèvent de mon mug.

Telle une tornade, Papa débarque dans la pièce. Il se sert un verre de vin rouge et ressort aussitôt.

La porte de son bureau claque.

J'ai eu à peine le temps d'apercevoir ses éternelles lèvres pincées, son regard dur et ses cheveux grisonnants coupés courts.

Le cœur lourd, je soupire. Fidèle à lui-même, il ne se préoccupe pas de moi. Comme d'habitude, il ne me témoigne aucun soutien. Comme toujours, il joue aux abonnés absents.

Pourquoi persister à croire que son comportement changera un jour ? Telle est la question...

Dépitée, je retourne sans grande conviction vers le four. J'ouvre le tiroir des couverts avec lenteur, me saisis d'un couteau et plante la lame dans le gâteau afin de vérifier sa cuisson. Satisfaite, j'en ressors ma petite merveille à l'aide de maniques et respire la délicieuse odeur qui s'en échappe.

Maman s'est elle aussi retranchée dans son bureau pour continuer l'écriture de son roman depuis la fin de notre balade. La voilà qui arrive d'ailleurs pour prendre sans doute une pause.

Avec tendresse, elle enroule ses bras autour de moi et dépose un bisou sur ma joue.

— Tu as vu ton père ?

— En coup de vent.

— Il n'a pas demandé de tes nouvelles ?

— Non, pour changer.

La colère déforme les traits fins de son visage. L'air furibond, elle s'efforce de prendre sur elle. Connaissant son tempérament de feu, c'est peine perdue.

— Maman, ce n'est rien. tenté-je de la raisonner. Ça n'a aucune espèce d'importance.

Mon effort échoue lamentablement. D'une démarche décidée, elle se dirige vers la bouilloire.

— Je vais en toucher deux mots à ton père. Pour qui il se prend celui-là ?

— S'il te plaît, n'interviens pas. Je suis sûre qu'il ne s'est pas rendu compte de ma présence.

La moue chagrine, elle cède.

— Bon, très bien, je ne dirai rien. Tu as ma parole.

Tandis que je souffle, satisfaite, Maman pince du bout des doigts la ficelle de son sachet de thé et verse l'eau bouillante dans sa tasse. La vibration de mon téléphone m'indiquant que j'ai reçu une notification me laisse peu de répit.

Piquée par la curiosité, je le sors de la poche de mon jean et lis ce qui s'affiche sur l'écran.

« Heidi, tu ne t'en tireras pas comme ça. C'est trop facile. Notre histoire n'est pas terminée, je n'ai pas dit mon dernier mot. Tu es à moi. »

Chamboulée, je décide d'ignorer son message et le bloque pour qu'il ne me recontacte pas.

Andreas, c'est fini entre nous. Que tu le veuilles ou non.


* saumon, pommes de terre et une délicieuse sauce à l'aneth : spécialité suédoise « lax med färskpotatis och dillsås »


Mots de l'auteure : Voici la fin de ce premier chapitre. Qu'en avez-vous pensé ? On commence doucement mais sûrement avec l'introduction de quelques personnages ! 

Vous sont-ils sympathiques ? Vous agacent-ils ? Dites-moi tout ! 

Je vous dis à la semaine prochaine pour un chapitre avec davantage d'action ! ♥️ 


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