CHAPITRE 8 ◈ Les souvenirs voyageurs ✔

   Je tenais à remercier tous ceux et celles qui continuent encore à suivre les aventures de Danael et Théa, ainsi que toutes les personnes qui laissent des commentaires constructifs et encourageants. Je ne réponds pas à tous, mais sachez que je prends le temps de lire chacun de vos commentaires et que c'est grâce à votre aide et vos conseils qu'à chaque nouveau chapitre l'histoire évolue et continue. Encore merci, et je vous souhaite à tous une bonne lecture pour ce nouveau chapitre ! 

   J'avais entendu parler de ces nuits où l'on voyait se dessiner des formes dans notre esprit. Cela pouvait être des lieux, des silhouettes et même des voix. Tout paraissait si réel, alors que ce n'était qu'une illusion de plus, un mirage créé par notre âme.

   Pour la première fois de ma longue existence, je rêvais. C'était vague et imprécis, mais en même temps calme et apaisant. Les murs tout de blanc et la douce lumière que laissait passer la fenêtre illuminait la pièce d'une façon réconfortante. Devant moi, une femme d'une trentaine d'années était allongée dans un lit aux draps immaculés.

   Je tenais dans ma main – qui était étonnement petite – la paume de l'humaine. Cette dernière me regardait avec tant de bienveillance que mon cœur se resserra. Des mots sortirent alors de ma bouche sans que je ne puisse rien contrôler :

— Ne pars pas, je t'en supplie... J'ai encore besoin de toi ici, papa aussi... Ne nous quitte pas !

   Je fus surpris par ma voix aiguë et ma petite taille. Il semblait que j'étais dans le corps de quelqu'un d'autre et que j'assistai impuissant à la scène que cette fillette avait vécue. Je voyais à travers ses yeux, parlait à travers sa bouche et ressentait à travers son cœur.

— Mon heure est venue, murmura la moribonde. Tu es forte, sèche donc ces larmes et offre-moi un dernier sourire. Je ne veux pas te voir triste.

— Mais tu te trompes ! Je suis faible ! Si j'étais forte, je pourrais te sauver...

   Des larmes coulèrent le long de mon visage et vinrent s'échouer sur la joue de la femme agonisante. Je ne pouvais m'empêcher de pleurer ou de ressentir cette violente détresse. Un lien immuable semblait m'unir à l'humaine allongée sur son lit de mort. J'étais contraint de vivre la scène, subissant le deuil et le chagrin.

— Il faudrait avoir bien plus que le pouvoir d'un Dieu pour me sauver, répondit-elle d'une voix tremblante. Tu n'as pas à t'en vouloir, ma puce. Chaque être vivant finit par mourir, ainsi est faite la vie. C'est une loi universelle qui existe depuis la nuit des temps.

— Eh bien, je la changerai ! Je ferai une nouvelle loi où personne ne doit mourir !

   La moribonde esquissa un doux sourire en voyant la détermination sur mon visage.

— Théa... Ne tente pas l'impossible. Avant que je ne meure, promets-moi juste une chose...

   J'eus un sursaut en entendant ce nom. Étais-je... En train de vivre un souvenir de Théa, cette étrange humaine que j'avais rencontrée il y a quelques jours ? Pris de curiosité, je focalisai toute mon attention sur le rêve. Mais à nouveau, je pleurais comme une fontaine, essayant tant bien que mal de ravaler mes sanglots. La moribonde caressa ma joue pour apaiser mon esprit et essuya mes larmes.

— Méfie-toi de l'imaginaire... Jusqu'à ta mort, ne fais jamais confiance à ce qui te paraîtra irrationnel.

— Je te le promets ! m'exclamai-je d'une voix enrouée par les pleurs.

   La femme désigna du regard un petit objet en argent posé sur la table de chevet. Les trois boucles, l'aura maternelle et l'anneau écorché. Oui, c'était bien la même bague que Théa portait la dernière fois que je l'avais vue. Soudain, l'humaine m'agrippa le bras et plongea son regard dans le mien.

— Prends cette bague avec toi. Ne la quitte sous aucun prétexte.

— Mais... Tu y tenais tellement...

— Tu en auras plus besoin que moi, désormais. Théa... Une dernière chose... Je suis fière de toi et qu'importe où j'irai, je ne cesserai jamais de t'aimer.

   Un éclair de panique traversa mon cœur. Affolé, je me précipitai vers le visage de l'humaine :

— Non ! Tu n'iras nulle part... Je t'en supplie, ne m'abandonne pas !

   Mais j'eus pour unique réponse un silence sépulcral. La mort avait emporté cette âme. Désespéré, je secouai en vain le bras de la femme pour tenter de la réveiller. Je hurlai mon désespoir à m'en arracher la voix :

— Maman... Maman, réponds-moi ! MAMAN !

   Un troupeau de médecins afflua dans la pièce pour essayer de réanimer la défunte. Quelques-uns se démenèrent pour me faire sortir, mais borné, je m'obstinais à rester aux côtés de l'humaine, incapable de lui faire mes adieux.

   Mes émotions n'arrêtaient plus de déferler et mon cœur se resserrait alors même que je ne connaissais pas vraiment cette femme. J'enfouis mon visage dans ses bras et déposai mes larmes sur son cadavre. Je sentais mon âme se déchirer et ne parvenais plus à réfléchir, toutes ces pensées me brutalisaient et me tourmentaient.

   Ces émotions ne m'appartenaient pas, mais elles étaient si fortes et si pures ! Toutes ces sensations, même néfastes, me régalaient !

   Soudain, un médecin dont je ne pus distinguer le visage s'approcha de moi pour calmer mes pleurs. Il tenta de me réconforter, et tel un père, me prit dans ses bras, une sensation que je n'avais encore jamais connue.

   La lumière du plafond devint alors de plus en plus éclatante jusqu'à m'aveugler totalement. Quand je rouvris les yeux, tous les personnages de mon rêve avaient disparu et j'étais celui sur le lit de mort. Je relevai péniblement la tête, mais mon cœur battait vigoureusement contre ma cage thoracique et la pièce semblait tourner de façon écœurante.

   Encore sous le choc de mon rêve, j'avais du mal à réfléchir correctement. Je frottai mes yeux et découvris deux silhouettes floues au fond de la salle. L'une portait une blouse blanche, tandis que l'autre était simplement vêtue d'une tunique et d'un pantalon bleu nuit. Autour d'eux, c'était le blanc total. Une grande fenêtre faisait danser les ombres sur les murs immaculés de la pièce et je trouvai un malin plaisir à observer d'étranges formes se former.

   Des lumières vives étaient incrustées dans le plafond blanc. Je me lassai rapidement de cette couleur beaucoup trop fade à mon goût et regardai à côté de moi. Une étrange colonne de métal reliée à une de mes veines contenait une poche d'un liquide translucide. Je réalisai rapidement que la pièce ressemblait de plus en plus à celle de mon rêve. Les meubles n'avaient pas bougé d'un centimètre et les draps qui m'enveloppaient avaient gardé la même couleur – à ma plus grande surprise.

   Il était possible que les souvenirs de Théa aient fusionné avec la pièce à cause de son traumatisme. Les émotions qu'elle avait ressenties ce jour-là furent si fortes qu'elles semblaient désormais hanter cet endroit. Jamais je n'aurais cru cela possible.

   Soudain, je distinguai des échos, les voix lointaines et indistinctes des deux silhouettes. Celle de gauche semblait être un homme et écrivait dans un bloc-notes. Soudain, les humains se tournèrent vers moi et réalisèrent que je m'étais réveillé.

— Où... Où suis-je ? Quel est cet endroit ? marmonnai-je d'une voix pâteuse.

   J'essayai de me relever, mais une douleur transperça mon dos. Une bouffée de souvenirs frappa alors mon esprit et je revis la scène d'hier. Je voulais montrer mes ailes à Théa... et j'avais lamentablement échoué. Il me manquait trop de ressources, je pouvais à peine bouger mes lèvres. Jamais je n'aurais pensé que faire apparaître mes ailes me demanderait autant d'effort...

   Mon regard glissa sur une silhouette qui s'approchait de moi. Je distinguais mieux son visage dont les traits fins semblaient être ceux d'une femme.

— Vous devriez vous reposer, déclara-t-elle. On vous a trouvé évanoui dans un parc, mais vous ne vous réveilliez pas. Vous êtes dans le coma depuis trois jours. De plus, votre diagnostic est très étrange, vous semblez souffrir de plusieurs maladies graves qui n'ont pourtant aucun lien entre elles. Avec tout ce que vous avez dans votre corps, vous devriez déjà être mort, Monsieur.

— Non... Vos machines ne sont pas capables de comprendre, articulai-je difficilement. Je ne suis pas malade, juste mourant.

— Écoutez, nous allons étudier votre cas avec les plus grandes précautions. Avez-vous une pièce d'identité ?

— Non..., lâchai-je simplement en évitant le plus possible de bouger les lèvres.

— Pouvez-vous au moins nous dire votre nom ?

— Danael...

— Merci. Je reviendrai vers vous plus tard. Pour l'instant, reposez-vous, Mr. Danael. Vous en avez besoin.

   J'esquissai un sourire niais à l'entente de cette appellation si humaine. Épuisé, je reposai ma tête sur l'oreiller moelleux et gémis un râle rauque. Les deux silhouettes se dirigèrent vers la sortie et quittèrent la pièce en silence. Mais à peine eurent-elles fermé la porte qu'on toqua à la fenêtre. Je tournai les yeux et découvris un corbeau qui frappait contre le verre. Celui-ci donnait des coups de plus en plus fort jusqu'à ce que la vitre éclate dans un épouvantable fracas de verre, recouvrant le sol de pointes acérées.

   J'assistais à la scène, totalement impuissant. L'oiseau vola devant mon lit et commença à grandir, encore et encore. En quelques secondes, les formes du corbeau changèrent pour laisser apparaître celles d'un homme nu. Sa tignasse blonde et ses yeux glacials ne me trompaient pas. C'était bien lui.

— Lucifer... Que fais-tu là ? maugréai-je en constatant l'ampleur des dégâts.

   L'ange attrapa des vêtements propres pliés sur une chaise et les transforma en une blouse blanche de médecin. Il ajouta un badge d'identification avant d'enfiler le tout. Cela lui donnait une étrange allure, qui n'effaçait pas son charisme pour autant.

— Je t'avais prévenu, mon frère, répondit-il avec dédain. Tes ressources éthériques représentent ton ultime rempart contre le Néant.

— Je pensais l'avoir compris, marmonnai-je. Sais-tu où je suis ?

— Les humains t'ont apparemment transporté dans un hôpital, c'est là qu'ils aident les malades et les blessés.

— Je vois... Mais tu n'es pas venu ici pour parler des hommes, je suppose. Dis-moi ce que tu veux, répondis-je sèchement.

— Décidément, impossible de te duper, soupira le Diable. Je suis là pour te proposer un pacte.

   Je secouai immédiatement la tête, fatigué de ces idioties. Il savait bien que je refuserais !

— Je ne te demande pas de rejoindre les Enfers, expliqua Lucifer. Tu ne le feras jamais. Je te propose de t'aider à retrouver tes pouvoirs, si en échange tu m'aides avec un problème... Disons assez délicat.

— Quel problème ? demandai-je suspicieux d'un mauvais tour.

— J'ai besoin de récupérer le sang d'un ange.

   Je fronçai les sourcils. Cela ne lui ressemblait pas. Un ange lambda était facile à tuer, mais Lucifer ne m'aurait jamais demandé de l'aide pour une tâche si facile. Quelque chose ne collait pas.

— Quel ange ?

— Métatron, lâcha-t-il hésitant.

   Mon cœur rata un battement. Métatron ? Non... Il devait plaisanter ! Cet Ange était le bras droit de Dieu, on le surnommait même le Roi des Anges ! Son pouvoir dépassait de loin celui de tous les autres séraphins, qui étaient parmi les êtres les plus puissants de l'Univers. Nul ne pouvait égaler la force colossale de ce monstre.

— Tu deviens fou ! Réussir à le toucher relèverait déjà du miracle ! m'écriai-je ahuri.

   J'essayai de me relever pour faire face à mon frère, mais la douleur me frappa à nouveau, m'obligeant à rester couché. Nous parlions de récupérer le sang de Métatron, alors que j'étais plus faible que jamais. Tout ceci était d'une absurdité ridicule.

   Lucifer s'approcha de mon lit et agrippa ma main pour me secouer. Je fus frappé par son air enthousiaste et la lueur d'espoir sur son visage.

— Je ne suis pas fou ! s'exclama-t-il en souriant. Je sais bien que ni moi ni toi ne pouvons le tuer. C'est pourquoi nous le combattrons ensemble. Deux séraphins contre le Premier ange. On devrait au moins pouvoir l'écorcher !

— Mais je n'ai plus mes pouvoirs ! Et même, que vas-tu faire pour les Enfers ? Tu ne vas tout de même pas les abandonner !

   L'ange leva un doigt pour me faire taire et expliqua, toujours d'une voix confiante :

— Tu récupéreras tes pouvoirs avant de partir pour le Paradis. Quant aux Enfers, j'ai confié pendant quelque temps mon cher trône à Belzébuth. Il est parfois impulsif, cette mouche sait gérer les affaire. Alors, tu es partant ?

— Je ne te fais plus confiance, Lucifer. Comment savoir que tu ne me mens pas ?

— Car j'ai besoin de toi, répondit-il avec une moue peinée.

— Sais-tu au moins comment me rendre mes pouvoirs sans me lier à l'Enfer ?

   Je savais que mon frère pouvait m'insuffler un peu de particules éthériques, mais ce n'était pas une solution à long terme, car cela l'épuiserait trop. Lucifer croisa les bras et soupira :

— Oui, il y a deux moyens. Tu peux soit demander la grâce de Père, ce qui soyons honnête, et très peu probable, soit...

   Le Diable fronça les sourcils et massa ses tempes. Il semblait confus. L'ange leva les yeux vers moi et me regarda, inquiet :

— Je... Je ne sais plus. J'ai oublié, Danael.

— Tu en es sûr ? demandai-je en plissant les yeux.

   Les anges ne pouvaient rien oublier. Même les souvenirs les plus lointains continuaient de hanter nos âmes sous forme de brume. Le Diable grimaça, signe que lui non plus ne comprenait pas ce qu'il se passait.

— Je connais un démon qui pourrait nous aider. Malheureusement, il vit caché depuis des siècles. Il utilise une sorte de barrière magique pour qu'on ne le retrouve pas.

— Pourquoi m'en parler si on ne peut pas le trouver ?

— On pourrait, mais il nous faudrait l'intuition d'un humain.

   Les humains possédaient ce sixième sens qui leur permettait de faire le bon choix même dans les dilemmes les plus durs. Un humain qui connaissait la vérité sur le monde éthérique voyait même son intuition être amplifiée. Cela pourrait être une bonne idée. Je pourrais demander à Jack qui m'avait aidé lors de mon arrivée sur Terre, mais son ange gardien m'avait déjà chassé une fois...

   Soudain, la porte de la chambre s'ouvrit et un infirmier entra brusquement. Il écarquilla les yeux en découvrant les débris de la fenêtre. Lucifer esquissa un sourire malicieux et s'approcha de l'homme, qui tenait dans sa main un étrange appareil.

— Pardonnez-moi de vous interrompre, Docteur... Satan ? dit l'humain en plissant les yeux sur le badge de mon frère. Votre patient a un appel.

   L'homme me tendit un téléphone blanc avant de repartir, toujours abasourdi. Je fronçai les sourcils. Qui pouvait donc m'appeler ? Je portai l'appareil à mon oreille et regardai Lucifer d'un œil inquiet.

— Bonjour, commençai-je hésitant.

   Aucune réponse. J'entendis seulement les échos d'un bruit de verre brisé, rapidement suivi de cris et de pleurs. 

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