CHAPITRE 23 ◈ Nos péchés
Nous avancions en silence dans le dédale souterrain. Personne n'avait osé prendre la parole depuis la mort d'Éros. Andras marchait à mes côtés, le cœur lourd. Je pouvais encore sentir la fureur qui émanait de lui et sa rage envers mon frère. Moi-même, je devais serrer les poings à en saigner pour m'empêcher de le frapper.
Le démon portait le corps inerte de Théa dans ses bras, toujours inconsciente après l'incident d'hier. Nous n'avions aucun moyen de comprendre ce qu'il lui arrivait. Aucun moyen de la réveiller. Elle semblait plongée dans un coma dénué de sens.
Les couloirs sombres me rappelaient les corridors de braises en Enfer. Étroits et oppressants, ils n'avaient jamais de fin. Certains démons se perdaient dans le labyrinthe infernal, sans aucun espoir de trouver un jour une échappatoire. Ici, c'était pareil. On marchait depuis si longtemps, nos pas étaient lourds, nos pieds épuisés et nos corps gelés. Pourtant, nous étions proches du but. Je pouvais la sentir. L'aura sulfureuse du démon qui nous sauverait était de plus en plus proche !
J'aurais bientôt les réponses aux questions que je me posais depuis que j'étais tombé du ciel, il y a plusieurs semaines. Mais malgré cet espoir dans ma poitrine, les tourments étaient toujours ancrés dans mon cœur.
Avec agilité, je me glissai à côté du Diable. Ses sourcils froncés et sa démarche pressée reflétaient une inquiétude en lui que j'avais du mal à déchiffrer. J'inspirai pour me calmer et rompis le silence sépulcral :
— Lucifer, explique-moi. Pourquoi l'as-tu tué ?
— Je t'ai déjà répondu.
— Non. Ce n'était pas la vérité.
Lucifer se figea brusquement. Un vent glacial traversa le couloir et je frémis au contact de l'air froid. J'expirai un souffle gelé de ma gorge. Le temps semblait s'être figé.
— Tu veux connaître la vérité ? s'écria-t-il en se retournant vers moi. Je l'ai brûlé vif pour mon propre plaisir, parce que ça m'a amusé de voir son corps fondre sous les flammes. Ses larmes et son sourire mélancolique juste avant de rendre l'âme, oh mon frère, c'était un pur spectacle !
Choqué de sa réponse, je ne dis rien pendant quelques secondes. Mes mains tremblèrent sous la rage qui rongeait mon corps.
— Tu n'es qu'un monstre vil et méprisable, sifflai-je finalement entre mes dents.
— J'aurais plutôt dit un monstre heureux ! ricana l'ange aux cheveux blonds.
Heureux ? Il venait de tuer mon ami ! Comment un meurtre pouvait-il combler de bonheur quelqu'un ? C'en était trop. Un sentiment fougueux s'empara de moi et je succombai à la colère. Enragé, je me jetai sur lui, mais il esquiva facilement mon poing.
— Tais-toi ! rugis-je furibond. Éros était un homme bon et tu l'as tué sans une once de pitié ou de respect à son égard ! Je devrais t'arracher ton cœur ici et maintenant !
Lucifer approcha son visage de mon oreille et susurra :
— J'ignorais que les fourmis pouvaient frapper les dieux.
— Assez..., murmurai-je. J'en ai assez...
Les parois des galeries souterraines commencèrent à trembler. Le Diable leva la tête et regarda d'un œil inquiet la terre s'échapper du plafond.
Une aura écarlate recouvra mon corps sous les yeux étonnés de mon frère. La fureur s'empara de mon âme et m'entourait de sa chaleur. Tout devenait si chaud, si brûlant. Chacun de mes organes et de mes muscles bouillonnaient de rage. Ma respiration devenait de plus en plus saccadée tandis que mon cœur accélérait. Je ne distinguais plus rien. Je sentais simplement la présence maléfique de Lucifer et la fureur qui grondait en moi.
Je levai brusquement la tête, et sans réfléchir, m'élançai vers mon frère. D'un geste vif et précis, j'enfonçai mes ongles dans la chair de son visage. Lucifer n'eut pas le temps de réagir et hurla de douleur. Sans attendre, je lui donnai un violent coup de pied au ventre. L'ange, blessé, s'écroula sur le sol en gémissant. Un rire diabolique s'échappa de ma gorge. Voilà que le Diable, si fier et arrogant, se tenait à mes pieds !
— Ne me sous-estime jamais, grondai-je d'une voix que je ne reconnaissais pas.
D'un regard hautain, je me moquais de l'être qui gisait au sol. Un sentiment familier grandissait en moi. Oui, c'était bien elle... Cette même rage que j'avais ressentie il y a des milliers d'années. Cette fureur qui m'avait jadis consumé.
— Danael..., gémit Lucifer. Calme-toi, ne laisse pas la colère ronger ton âme une seconde fois...
Je penchai la tête, avec un sourire terrifiant et des yeux vides de vie :
— Voyons, quelqu'un doit bien te punir pour tes actions.
L'ange déchu se releva et essuya le sang qui coulait sur son visage en grimaçant de douleur.
— Tu ne peux pas punir les autres pour leurs choix ! s'écria-t-il. Le marteau de la justice n'appartient à personne !
— Tu as tort ! Ce droit m'appartient ! Tu ne comprends pas toute la confusion qui m'a envahi après mon péché. Toute la solitude que j'ai dû enduré pendant trois mille ans. Toute le désespoir qui me dévorait en Enfer !
Lucifer s'avança en boitant, la main sur son œil pour atténuer l'hémorragie.
— Tu te trompes... Tous les jours, je savais ce que tu ressentais. L'empathie et la compassion sont en moi depuis ma naissance ! Et j'ai beau les ignorer, les recouvrir avec un visage impassible et faire croire aux autres que je ne ressens rien, j'ai un cœur, des émotions et une âme.
Ridicule. Mon frère, un cœur ? Des émotions ? Je n'étais pas naïf à ce point ! Pour qui me prenait-il ?
— Comment suis-je censé te croire après tous ces mensonges ? vociférai-je tandis que l'aura écarlate grandissait, dévorant la terre et l'air qui m'entourait.
Lucifer prit mon visage entre ses paumes meurtries et plongea son regard dans mes yeux :
— Ai-je l'air de mentir, là, mon frère ?
Ses prunelles dilatées et ses sourcils levés d'un air peiné semblaient bien réels. L'ange n'avait pas l'air de me manipuler, mais c'était si difficile à croire. Pourtant, mon intuition me disait que je pouvais lui faire confiance. Juste cette fois, mon frère était sincère.
Je secouai la tête et tombai à genoux dans les bras de l'ange. Épuisé, l'aura écarlate qui recouvrait mon corps s'évapora. Je fermai les yeux et enfuis mon visage derrière son cou pour cacher mes larmes.
— Ne fais plus jamais ça, murmurai-je en sanglotant. Ne me mens plus. Ne tue plus ceux à qui je tiens. Nous sommes des frères, pas des adversaires...
Lucifer resta silencieux et baissai le regard, comme s'il ressentait de la honte.
— Pardonne-moi... Ces ténèbres me rongent constamment, je ne peux pas lutter... Ta colère te pousse à blesser et torturer, mon orgueil me pousse à dominer, quitte à manipuler et même tuer.
Je relâchai mon étreinte et m'écartai de lui, un sourire innocent dessiné sur mon visage.
— Quel jolie paire de bras cassés nous faisons ! m'exclamai-je en me forçant à rire.
Lucifer sourit à son tour. Cela faisait si longtemps que je ne l'avais pas vu avec un air si apaisé et sincère.
Soudain, la réalité me frappa. Son œil droit perdait beaucoup de sang et il ne pouvait plus rouvrir sa paupière. Enragé, j'avais lacéré son visage sans réaliser à quel point sa blessure était grave.
— Je suis désolé pour ton œil, tu peux le soigner ? m'enquis-je inquiet.
L'ange passa sa main sur son visage, mais fronça aussitôt les sourcils d'un air confus.
— Il semble que ce soit impossible. Mes pouvoirs n'ont aucun effet, grimaça-t-il.
Je savais que les coups portés par un séraphin étaient difficile à soigner, mais je n'imaginais pas que même dépourvus de mes pouvoirs, je pouvais blesser un ange de cette façon. Je m'excusai une nouvelle fois avant de retourner voir Andras. Ce dernier, abasourdi par la scène qui venait de se dérouler sous ses yeux, nous regardait le bec grand ouvert.
— Maître, allez-vous bien ? s'inquiéta-t-il aussitôt.
J'hochai la tête d'un regard vide et demanda à porter le corps de Théa. Son visage paisible semblait si lumineux même dans les ténèbres. Un léger sourire se dessina sur mes lèvres tandis que je caressai ses cheveux. Mais je relevai aussitôt la tête, surpris.
Quelqu'un approchait. L'écho du bruit rapide et léger ne m'était pas familier. Je me mis sur mes gardes, prêt à réagir au moindre danger.
Une jeune femme apparut alors dans la pénombre. Le teint basané, les cheveux blancs et soyeux et de grands yeux dorés dénués de pupille. Je n'avais jamais vu un démon avec de tels iris. Enfin, deux cornes aiguisées étaient incrustés sur son crâne et pointaient vers le ciel. Une aura impressionnante émanait d'elle. Je pouvais sentir qu'elle était puissante et qu'il lui suffisait d'un simple geste pour me tuer.
Elle nous observa et esquissa un sourire narquois, presque monstrueux, qui contrastait totalement avec son apparence.
— Bonjour, commença-t-elle d'une voix éthérique. Je suis Lilith.
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