CHAPITRE 2 ◈ Tombé du ciel ✔

   Voici Amathìs, autrement dit le monde de ceux qui ignoraient la Vérité et qui préféraient nommer cette planète la « Terre ». Cela faisait quatre mille ans que je ne m'y étais pas rendu. J'ai toujours pensé que je ne retrouverais jamais l'atmosphère de cet astre mystérieux. Et pourtant me voilà, parcourant le ciel et observant son évolution.

   Je survolais ce monde d'un œil nostalgique. L'ancienne Terre s'était effacée pour ne laisser derrière elle que les rides d'un masque fallacieux. Les continents s'étaient déplacés, donnant alors lieu à de nouvelles formes plus loufoques les unes que les autres. Je constatai avec amertume que même la cité d'Atlantis avait disparu, emportée par les flots d'une mer impitoyable.

   Soudain, je ratai un battement d'ailes. Cela ne m'arrivait jamais. Pourquoi ici ? Pourquoi maintenant ? Je manquai à nouveau un autre battement, me faisant perdre l'équilibre. J'essayai tant bien que mal de retrouver ma stabilité, mais impossible ! J'étais en train de perdre le contrôle ! Que se passait-il ? Pourquoi diable ne pouvais-je plus les contrôler ? Subitement, mes ailes disparurent de mon dos sans crier gare, avec pour seuls témoins quelques plumes fuligineuses qui s'effacèrent dans le vide.

   Je commençai alors à chuter sans pouvoir m'arrêter. Paniqué, je tentai désespérément d'utiliser mes pouvoirs pour me sortir de cette situation critique, mais aucune lueur ne jaillit de mon corps. Je ne pouvais rien faire ! J'étais totalement impuissant ! Je n'eus nul autre choix que de regarder en bas pour constater avec horreur le rapprochement effroyable du sol. Je plissai les yeux et calculai le temps qu'il me restait avant de m'écraser sur Terre. Trente-quatre secondes... Non ! Trente-deux !

   À cette vitesse, mes chances de survie étaient très limitées – pour ne pas dire inexistantes. Pris de terreur, je serrai les dents et enfonçai mes ongles dans ma chair. Ma respiration saccadée se mêlait au sifflement du vent dans mes oreilles. Tout était... Tout était si effrayant ! Je n'avais pas ressenti la peur depuis des siècles, mais aujourd'hui je voulais tout sauf connaître les affres de la mort !

   L'horreur s'immisçait en moi et plantait ses griffes dans mes organes. Impitoyable, elle dévorait mon corps de ses crocs aiguisés. Plus déchirante que jamais, elle m'obligeait à l'affronter, à la contempler, à soutenir sa perversité et son sadisme.

   Les échos de mon cœur affolé se propageaient jusqu'aux tréfonds de mon âme et enchaînaient mon esprit avec le refrain infamant de mon angoisse. J'avais honte, honte de cette terreur qui me rongeait ! Honte de la peur qui lacérait mes entrailles et écorchait mon cœur glacial ! Et pourtant, je traversais les nuages à une vitesse vertigineuse. Je ne pouvais pas m'arrêter. Il n'y avait rien à faire ! J'étais simple spectateur de ma chute.

   C'était avec un effroi sans pareil que je voyais les contrées terrestres se rapprocher. Ces champs, ces prairies et ces bois qui avant s'étendaient sagement jusqu'aux tapis urbains, paraissaient désormais constitués d'épées tranchantes prêtes à déchiqueter mon corps de toutes parts.

   Mais le vent fouettait et déformait mon visage avec une telle force que je fus obligé de fermer les yeux pour qu'ils ne s'échappent pas de leurs orbites. Même mon armure déjà usée par les millénaires ne pouvait plus supporter de telles conditions et commençait à se disloquer. La friction de mon corps avec l'air enflamma tout mon être, engendrant une épaisse trainée de feu derrière moi. Je voulais hurler de douleur, extérioriser toute cette souffrance que les flammes créaient en moi ! Mais le vent parvenait même à étouffer le son de ma voix.

   Plus que quelques mètres me séparaient désormais du sol. L'angoisse me fit mordre les lèvres et contracter tout mon corps au point d'en trembler. Mon cœur battait si fort dans ma poitrine que je le croyais sur le point d'exploser ! Je ne pouvais pas mourir ainsi, pas si seul... Mais après tout, c'était ce que je méritais pour avoir transgressé les lois de Dieu. Je serrai les paupières et acceptai mon sort avec amertume.

   Le moment de l'impact était venu. Je sentis ma chair s'écraser avec une violence monstrueuse sur le sol, broyant tous mes os et mes organes. J'hésitai quelques secondes avant d'ouvrir les paupières et d'exhaler en cris indistincts l'atroce douleur qui me brûlait. Tout mon corps me faisait terriblement souffrir ! Je pivotai mon regard vers mon bras gauche et vis avec horreur la mer de chair déchiquetée. La moelle osseuse se mélangeait aux muscles écrasés et aux lambeaux ensanglantés pour former une bouillie immonde.

   Écœuré, je détournai le regard, mais l'odeur âcre du sang me poursuivit en dépit de ma volonté d'échapper à ce spectacle répugnant. J'essayai de tousser pour évacuer les tourbillons de poussières et de fumée qui me brûlaient les yeux et irritaient ma gorge, mais je n'étais même plus certain que j'eusse encore les muscles nécessaires.

   Au seuil de la mort, je pouvais malgré tout discerner au travers du bourdonnement de mes oreilles le grondement d'une explosion dont les ondes se poursuivirent sur des dizaines de kilomètres. Éreinté par ma chute, mais vivant, je me laissai tomber dans les méandres d'un profond sommeil sans rêve.

*****

   Ce furent les grattements effrénés d'un vautour sur mon corps meurtri qui me réveillèrent. Je me redressai en grimaçant de douleur et chassai le rapace d'un geste amorphe. Les dégâts autour de moi étaient dévastateurs. Un immense cratère de plusieurs kilomètres de diamètre s'était creusé en raison de l'onde de choc qui avait tout ravagé sur son passage.

   J'examinai avec une extrême précaution l'état de mon corps. J'ignorais combien de temps s'était écoulé, mais ma chair avait pu entamer une bonne partie de la régénération. Mes bras déchiquetés avaient repoussé, et même s'ils étaient encore fragiles et décharnés, j'étais heureux de les retrouver.

   Tremblant, je commençai à faire un pas, puis un autre, écrasant la bouillie de chair et d'os qui tapissait la terre brûlée. Mais étant encore convalescent, mes mouvements chaotiques m'empêchèrent d'aller bien loin. Mes organes étaient toujours en cours de guérison et je ne pus faire que quelques pas maladroits avant de trébucher et de m'effondrer sur le sol. La souffrance était toujours présente et je ne pouvais l'ignorer. Mon corps tout entier était dévoré par une douleur cuisante, impitoyable. Chaque parcelle de ma peau était brûlée, scarifiée par les flammes célestes. Je n'avais qu'une envie : hurler de douleur !

   Mais quelque chose me bloquait la gorge et je ne pus qu'émettre un lamentable râle. Chaque inspiration était douloureuse et me faisait l'effet d'un clou qui transperçait ma gorge. Néanmoins, je reconnus au travers de ce supplice le fameux goût métallique du sang dans ma bouche. Je toussai à m'en fendre l'âme pendant plusieurs minutes. Cette impression que l'on me déchiquetait la trachée était infernale. Au bord de la suffocation, je vomis finalement un caillot de sang épais comme un caillou. J'en profitai aussitôt pour évacuer les litres de poussières qui me gênaient pour respirer.

   Épuisé par cet effort, je n'avais même plus la force de retenir les larmes de souffrance qui coulaient sur mes joues. Mais malgré tout, je relevai le menton avec ténacité et regardai à l'horizon, refusant de trépasser parmi les humains. Je ne pouvais pas mourir ici. Hors de question.

   Je parvins à discerner une silhouette floue qui semblait me fixer depuis le bord du cratère. Voyant en cette ombre lointaine la lueur d'un espoir, je rampai pour la rejoindre. Je frottai mes bras et mes jambes brûlés contre la terre rêche en endurant l'atroce souffrance de mes blessures. J'avançais ainsi pendant plusieurs minutes, gémissant de douleur à chacun de mes gestes. Mais mon corps avait atteint ses limites. Incapable d'aller plus loin, je tendis faiblement la main vers la silhouette qui paraissait hors d'atteinte et geignis quelques mots pour implorer à l'aide.

   De plus en plus, je sentais mes forces m'abandonner pour me livrer à un état de torpeur. Mes muscles s'engourdissaient et mon cœur ralentissait. Mes paupières lourdes comme le plomb m'empêchaient de garder les yeux ouverts. Un frisson froid me traversa finalement et remplit ma chair de cet aveu funèbre.

   Mon supplice semblait enfin toucher à sa fin, tel un radeau qui m'emmenait loin de toute cette violente agonie. Je me délectais de ce repos qui apaisait tant mes souffrances en priant pour que cet instant dure éternellement. Lentement, mes paupières se fermèrent et me noyèrent dans cette léthargie divine. Je me laissai emporter par les ténèbres glaciales et rassurantes de l'inconscience. 

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