CHAPITRE 19 - Le démon de l'oubli
Oui, quelques semaines de retard... I know... 😭 Bref, je suis en train de totalement réécrire les premiers chapitres de LTA, ainsi la partie en rapport avec le lycée sera complètement effacée d'ici quelques semaines/mois, surtout pour une question d'originalité. Ainsi, à la place on retrouvera Danael qui atterrit sur Terre et prendra un autre chemin pour rencontrer Théa, et le prologue deviendra le premier chapitre, tandis que la cosmogonie ne sera (peut-être) plus une partie bonus mais le nouveau prologue. 😉
Voilà, je vous souhaite une bonne lecture ! 😇
Abasourdi par la réponse de l'humain, je le dévisageai de mes yeux d'amarante :
— Un démon ? répétai-je d'un air dubitatif.
L'homme hocha la tête pour confirmer ses dires et caressa sa barbe fournie :
— Oui, un démon... Il t'a probablement attaqué car tu as touché la tombe de ma femme, mais il n'est normalement pas censé s'en prendre aux visiteurs... Je lui avais simplement demandé de veiller sur Psyché.
— J'ai frôlé la mort par sa faute, rétorquai-je froidement.
— Tu n'y es sûrement pas pour rien, gamin, dit-il en haussant les épaules.
Il continuait de me surnommer « gamin»... Et je ne pouvais même pas réagir à ce blasphème, car cela reviendrait à lui prouver par un comportement puéril qu'il avait raison. Quel affreux dilemme... Je passai ma main sur mon front en soupirant et relevai les yeux vers l'orchidoclaste :
— J'étais intrigué, répliquai-je. Dis-moi, humain, pourquoi y a-t-il deux fois la tombe de ta femme dans cette forêt ? L'enterrer une fois ne t'a pas suffi ?
— Nous pourrions parler d'autre chose, non ? répondit-il gêné.
— Tu cherches à fuir le sujet. Pourquoi ?
L'homme soupira, cédant face au tourbillon de questions qui s'acharnaient sur lui :
— Ça se voit dans tes yeux que tu es encore ignare de la vie. As-tu déjà perdu quelqu'un de cher, gamin ?
— Cela ne vous regarde pas, bredouillai-je.
— J'en conclus donc que oui. Aimerais-tu me raconter comment cette personne est décédée ?
Je grinçai les dents. Ce pauvre fou ne méritait même pas que je prononce le nom de celle qui m'avait appris ce que c'était qu'aimer ! Il me croyait ignare et puéril, mais j'étais des millions de fois plus âgé que lui et j'avais vécu la pire des tragédies. Mon âme était simplement brisée... J'attrapai une chaise et m'assis, déclarant d'un air songeur :
— Nous vivons tous un deuil au moins une fois dans notre vie. Humain comme inhumain, nous partageons la même souffrance lorsqu'il s'agit de perdre un être qui nous est cher. Le vrai bonheur n'existe pas, car la vie se charge de l'effacer quand vous ne faites même que l'effleurer.
— Tu me sembles bien sage d'un coup, jeune homme.
— Plus de gamin ? demandai-je souriant.
— Plus de gamin, répondit l'humain à son tour.
Un silence s'installa entre nous. Je frottai mes bras pour tenter de me réchauffer, il faisait de plus en plus froid. J'écoutai en parallèle les aiguilles de l'horloge qui résonnaient à travers la pièce, me rappelant que mon temps était toujours compté. Éros, quant à lui caressait sa barbe, les yeux dans le vide. Il prit soudainement la parole, coupant court à mes pensées :
— Elle est morte brûlée vive... J'ai perdu le compte des années, mais à l'époque nous vivions en ville. Nous n'avions pas une grande fortune, mais nous nagions malgré tout dans le bonheur car notre amour nous berçait de larmes de joie. Et il n'a suffi que d'un incendie pour que tous nos souvenirs ne deviennent que des cendres.
Il prit une profonde respiration et tourna son regard turquoise vers moi. Il reprit d'un air attristé :
— Je me souviens de ce moment dans les moindres détails... A l'époque, je travaillais comme ouvrier. J'aidais à construire un immeuble, un véritable gratte-ciel ! Je posais du ciment avec des collègues quand j'entendis mon téléphone sonner. J'ai regardé pendant quelques secondes l'écran : c'était la police. J'ai finalement décroché après un moment d'hésitation. Ils m'ont annoncé que l'appartement où j'habitais avait pris feu à cause d'un incident domestique chez mon voisin. J'ai alors demandé « Et ma femme ? Elle va bien ? » et l'homme au téléphone m'a simplement répondu « On a trouvé son corps. Brûlé. Monsieur, votre femme est morte, toutes mes condoléances ».
— Eh bien... Triste histoire. Désolé.
— Tu ne me réconfortes pas..., murmura Éros de sa voix rauque.
— Ce n'est pas mon fort de réconforter les gens, rétorquai-je simplement.
— Raconte-moi alors comment la personne que tu as perdue est morte, répondit le quinquagénaire en récupérant l'éclat de vivacité dans ses yeux.
— Longue histoire...
— Andras devrait arriver dans quelques minutes, cela me laisse le temps de t'écouter.
Je soupirai et me levai, commençant à faire les cent pas dans la pièce. Le regard rivé sur le sol, je prononçai quelques mots sur le passé qui me hantait :
— Elle s'appelait Aileen. Humaine. Jeune. Merveilleuse. Mais emplie d'un désir de vengeance. Après des années de recherche, elle a finalement tué l'homme qu'elle recherchait, mais ce dernier l'a empoisonnée avant de mourir. Elle est morte suffoquant dans mes bras. La suite de l'histoire ne te plaira pas.
— L'histoire ne me plait déjà pas..., rétorqua Éros.
A contre-cœur, je détachai mon regard du sol. J'étais face à une fenêtre en verre simple. Je compris aussitôt pourquoi il faisait si froid.
— De la neige..., murmurai-je la voix cassée par l'émotion.
— Oui, il neige souvent dans cette région, au printemps comme en automne, c'est assez étrange.
J'ignorai sa réponse et quitta la cabane avec précipitation, suivi par Éros. Je me laissai tomber à genoux sur le sol et contemplai le spectacle ineffable qui se déroulait sous mes yeux. J'admirais la myriade de points blancs qui dansaient et virevoltaient dans les airs, portés par la caresse du vent. Ils se rapprochaient de moi tels des êtres menaçants pour finalement venir s'éteindre sur mon visage.
Ils continuaient de s'abattre sur le monde, pareils à une tempête ravageuse. Leur danse semblait si harmonieuse, guidée par un souffle glacial. L'un deux vint se réfugier dans mon cou, provoquant un frisson à travers tout mon corps. Parsemés de blanc, mes cheveux avaient alors récupéré leur couleur d'autan : celle de la colombe et non plus du corbeau.
Les flocons ne s'arrêtaient pas de danser, tantôt venant vers moi, tantôt repoussés par le vent. En quelques minutes, toutes les couleurs du monde avaient disparu pour ne laisser place qu'à un blanc immaculé et à un gris nuancé. Ébahi, je ne pus élever la voix face à ce tableau de candeur et de pureté. Éros s'approcha de moi et mit sa main sur mon épaule :
— C'est la première fois que tu en vois ? demanda-t-il surpris.
Je secouai la tête, le regard toujours rivé vers le paysage enneigé.
— Non, au Paradis il y a toutes sortes de paysages et de climats. Mais cela faisait quatre mille ans que je n'en avais pas vue..., murmurai-je ému. Dans les Limbes, je ne côtoyais toujours qu'une forêt infinie au sol brumeux, quant aux Enfers, ils n'abritaient que les flammes et les cendres d'un sinistre chaos.
— Attends... Tu as bien dit quatre mille ans ? Mais c'est impossible ! Quel âge as-tu ? s'exclama Éros étonné.
— Oh, diantre que je suis vieux ! ricanai-je. Plusieurs millions d'années, peut-être même des milliards. J'ai perdu le compte il y a fort longtemps.
— Tu serais un démon, comme Andras ?
— Ne sois pas ridicule ! Je suis un Séraphin, l'un des anges les plus puissants de ce monde ! Du moins je l'étais... Aujourd'hui, je deviens de plus en plus humain. Ce monde draine ma force céleste. D'ici quelques semaines, j'ignore même si je serai encore en vie.
— Et je dois te croire sur parole ?
J'haussai les épaules et partis dans la direction opposée à la cabane de l'ermite.
— Où vas-tu ? demanda-t-il aussitôt.
— Je m'en vais. Je ne peux pas prendre le risque de rester ici avec un démon aux alentours. Pas dans mon état, pas en étant un vulgaire humain.
Éros courra se placer en face de moi et écarta les bras, m'empêchant de continuer.
— Andras est inoffensif. Son amnésie l'a rendu moins... Dangereux.
— Un démon amnésique ? On aura tout vu, décidément ! ricanai-je d'un ton désinvolte.
— Je l'ai trouvé gisant dans une mare de sang au cœur de la forêt des années plus tôt. Il n'avait plus de jambes, plus de bras, et tout son corps était brûlé au troisième degré. Je le croyais mort jusqu'à ce que je visse ses paupières s'agiter. J'ai compris qu'il demandait de l'aide, mais il ne pouvait pas prononcer le moindre mot. Je me suis alors occupé de lui, et un an plus tard, ses jambes et ses bras avaient repoussé et sa peau ne montrait plus aucun signe de brûlure. Il avait miraculeusement guéri...
— Les démons peuvent guérir de n'importe quelle blessure, dis-je en essayant en vain de dépasser l'humain qui me bloquait toujours. Le seul moyen de les arrêter, c'est de les désintégrer ou, si tu es un chien des Enfers à trois têtes, de dévorer leur âme. Dis-moi, Éros, n'as-tu pas eu peur en voyant ce démon ?
— Quand je l'ai aperçu la première fois, j'ai vu un homme qui avait besoin d'être sauvé, pas un démon. Et j'ai eu raison de suivre mon instinct, Andras est différent, il a une conscience, un cœur !
— Un cœur..., répétai-je en ricanant. Que sais-tu réellement des démons ?
— Ce sont des êtres mauvais, pernicieux, ils n'hésitent pas à servir le Mal et obéissent au Malin, répondit Eros en caressant machinalement sa barbe.
— Ce sont les humains qui ont passé trop de temps en Enfer. Il a ensuite suffi d'une petite étincelle de Lucifer pour détruire la maigre part d'humanité qu'il leur restait. Immédiatement, ils se sont transformés en toutes sortes de monstres hideux et cruels qui ont fait acte d'allégeance au Diable. Voilà ce que sont les démons.
— Mais Andras est différent !
— A quel point est-il amnésique ? demandai-je perplexe.
— Il a tout oublié. Absolument tout. J'ai dû lui réapprendre à marcher, à manger, et il apprend actuellement à parler.
Il avait soi-disant tout oublié mais il était pourtant parvenu à faire appel à la cryokinésie, un pouvoir complexe même sous son aspect le plus banal, pour me blesser... Je secouai la tête, il était pour l'instant inutile d'en parler à Éros.
— S'il a tout oublié, il ne devrait alors plus se souvenir de son passé en Enfer et des tortures qu'il a subies pendant trop longtemps, répondis-je. Son esprit démoniaque devrait donc être scellé par son amnésie.
— Ce qui signifie...?
— Ce qui signifie que s'il venait à récupérer ses souvenirs, il redeviendrait un démon cruel et impitoyable, soupirai-je.
— Mais comment pourrait-il les récupérer ? Ça ne peut pas arriver, si ?
— Ça dépend de ce qui a causé son amnésie.
Sur le point de me répondre, je fis signe à Éros de se taire. Quelqu'un approchait... Je fermai les yeux pour écouter les bruits de pas dans la neige qui devenaient de plus en plus lourds et forts. Puis soudain, plus rien. Il s'était arrêté. J'ouvris les paupières, et ce que je vis me sidéra.
Une silhouette encapuchonnée me faisait face, tenant la poignée d'un chariot à bois dans sa main droite. Il retira sa capuche pour me permettre de voir son visage. Sa tête n'était pas humaine, mais animale. Il s'agissait d'un hibou, ou plus précisément d'un chat-huant.
— Andras..., murmurai-je.
C'est alors que je compris. Je me rappelai les temps que j'avais passé en Enfer, pendant 1000 ans. J'avais tant eu besoin de bouger, d'oublier les millénaires que j'avais traversés dans les Limbes, cette prison maudite... J'ai combattu tous les démons que j'ai pu, mais nul ne pouvait égaler ma puissance. Et puis un jour, il y eu ce jeune démon fougueux arborant le fier visage d'un chat-huant et chevauchant un loup au pelage de jais... Il avait osé me défier, je lui ai alors fait goûter à la puissance écrasante d'un Séraphin.
Malgré ses pouvoirs considérables, il ne fut qu'une victime parmi d'autres, subissant ma terrible colère. Mes flammes dévastatrices ont carbonisé tout son corps et ont détruit une partie de son âme, et même après qu'il fut à terre, je ne voulais pas le libérer. Je lui ai arraché ses bras, puis ses jambes, le rendant à tout jamais prisonnier de son corps devenu infirme et inutile. C'était du moins ce que je croyais... Lucifer avait dû le récupérer et jeter son corps sur Terre comme un vulgaire déchet, comme tant d'autres démons ayant fait preuve de faiblesse.
Mais finalement, le voilà ! Face à moi, entier et totalement guéri, avec une amnésie comme unique cicatrice. Le démon lâcha son chariot à bois et avança lentement vers moi, puis murmura un nom qu'il aurait dû oublier :
— Da... na... el.
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