CHAPITRE 11 ◈ Le chemin de l'inconnu ✔
Théa recula brusquement à la vue des yeux de Lucifer. Un sourire narquois se dessinait sur son visage, tandis qu'il s'approchait de plus en plus de la jeune humaine. Je lisais dans ses yeux écarquillés un mélange d'effroi et d'épouvante qui ne pouvaient être effacé. Alors qu'elle s'apprêtait à prendre la fuite, le Diable attrapa son bras d'un geste si fugace qu'il laissa une griffure sur la peau de l'humaine. J'assistais à la scène sans rien dire, n'osant pas intervenir.
— Tu as peur ? demanda Lucifer avec un rictus sinistre, comme un prédateur devant sa proie.
Les yeux de Théa débordaient de terreur. Elle semblait fondre sur place devant cet être effrayant qui respirait la violence et la cruauté. Je reconnaissais mieux cette image du Diable qu'il affichait en Enfer lorsque ses sujets se révoltaient contre lui. Dans ces moments-là, il n'y avait parfois rien d'autre à faire que de se prosterner.
Pourtant, Théa se redressa. Ses jambes tremblaient et tout son corps n'indiquait qu'une envie irrépressible de fuir, mais elle se tenait là, debout, vaillante face au Roi de l'Enfer.
Elle s'approcha du visage de Lucifer et fixa ses pupilles luminescentes. J'avais presque envie de m'incliner devant son audace et sa bravoure, même tachées d'imprudence.
— Qu'est-ce que la peur quand notre esprit nous donne le courage de rester debout ? lâcha Théa avec un regard brûlant de détermination. Je veux changer ce monde, ce ne sont pas quelques tremblements qui vont me faire tomber.
— Intéressant..., murmura le Diable en fronçant les sourcils. Je n'avais encore jamais vu un humain me tenir tête. Tu m'impressionnes.
Théa esquissa un sourire fier et s'écarta de l'ange qui la regardait avec admiration. L'atmosphère semblait s'être détendue au moment où les yeux de Lucifer avaient repris une couleur plus sombre.
— Ce n'est pas si étonnant quand tu ne crois pas au Diable ! s'exclama l'humaine d'un air plus rassuré.
En entendant cela, Lucifer me lança un regard interloqué. Je grimaçai d'embarras face à son désarroi.
— Comment ça, tu ne crois pas au Diable ? s'enquit-il en arquant un sourcil.
— Danael ne te l'a pas dit ? Je suis athée.
— Mais... Mes yeux ! Tu viens d'en avoir la preuve, répondit-il déconcerté.
— J'ai eu un moment de doutes, mais après réflexion, c'est impossible. Tu ne peux pas être le Diable.
— Pourrais-je savoir ce qui te fait être si sûre de toi ?
Théa recoiffa sa chevelure rousse d'un air ennuyé avant de s'expliquer :
— C'est simple, commença-t-elle. Partons de la base que le Diable existe, qu'aurait-il à faire sur Terre alors qu'il a un monde à diriger ?
— Je ne sais pas. Peut-être désirait-il voir un de ses frères pour lui proposer un marché afin d'obtenir une arme capable d'envoyer n'importe quel être dans le Néant, y compris Dieu ?
— Évidemment, ironisa Théa en réprimant un sourire amusé. Mais sérieusement, quel est ton vrai nom ?
Lucifer secoua la tête d'un air frustré. À les voir discuter ainsi tous les deux, on n'aurait pas cru qu'ils venaient de se rencontrer il y a quelques heures seulement.
— Lucifer, alias le grand séraphin déchu qui a mené la rébellion contre Dieu ! Vos livres devraient en parler tout de même ! s'indigna mon frère.
À ces mots, Théa s'immobilisa. Elle regarda l'ange d'un air surpris, la bouche grande ouverte.
— Oh, je vois ! s'écria-t-elle. C'est un jeu de rôle, n'est-ce pas ? Dans ce cas, je peux jouer une démone super puissante ?
Lucifer se tourna vers moi dans l'espoir que je lui apporte un peu d'aide pour retrouver sa dignité de Diable. Je soupirai et décidai de m'interposer dans leur conversation :
— Théa, il est vraiment le Diable. Pense à ses yeux.
— Il porte des lentilles, tout comme toi, répondit-elle en haussant les épaules.
J'étais ahuri par sa réponse. Comment pouvait-elle encore ne pas y croire après avoir vu les yeux bleus de mon frère briller comme deux phares dans la nuit ? Je regardai ce dernier qui était tout aussi surpris que moi par la réaction de Théa.
Ce n'était vraiment pas normal. Cette humaine aurait dû être terrifiée, devenir folle ! Serait-ce à cause de son ange gardien absent ? Non, probablement pas. J'avais l'étrange impression qu'il y avait quelque chose en elle qui l'empêchait de nous croire, de toujours trouver une explication rationnelle à ce qu'elle voyait. Je repensai au souvenir de sa mère que j'avais vécu à l'hôpital.
« Méfie-toi de l'imaginaire... Jusqu'à ta mort, ne fais jamais confiance à ce qui te paraîtra irrationnel », lui avait-elle dit. Mais pourquoi enfermer son enfant dans un mensonge ? Pourquoi la privé du plaisir d'imaginer l'impossible ? C'était une part de son humanité qui s'envolait !
Mais comment une simple humaine pouvait-elle aveugler ainsi sa fille ? À moins que... Je jetai un coup d'œil furtif à Lucifer qui observait le ciel d'un air pensif. Pouvait-il avoir lancé un sort à Théa ?
Je me glissai derrière lui et l'attrapai par le bras. Aussitôt, il se retourna, surpris :
— Quelque chose ne va pas, mon frère ?
— Viens avec moi, je dois te parler, répondis-je sèchement.
Il fronça les sourcils, mais ne répondit pas et se laissa guider dans la forêt. Théa essaya de nous suivre, mais je lui demandai poliment de nous attendre.
Une fois cachés dans les bois, j'attrapai mon frère par son t-shirt et commençai à le menacer.
— Qu'as-tu donc fait, sale vipère ?
Refusant d'être traité de la sorte, il tordit mon bras pour m'obliger à le relâcher. Je grognai de douleur, avant de desserrer mes doigts et de céder à sa volonté.
— Ne sois pas si impulsif, répondit-il avec nonchalance. De quoi parles-tu ?
— Elle aurait dû être terrifiée ! Dis-moi, tu devais t'occuper des humains pour que Théa puisse venir avec nous l'esprit tranquille, qu'as-tu fait précisément ?
— J'ai simplement supprimé les souvenirs de tout son entourage. Maintenant, ils ne se souviendront plus jamais d'elle.
— Tu as fait quoi ? m'écriai-je violemment. Tu te rends compte que si elle venait à l'apprendre, Théa nous haïrait aussitôt et adieu notre guide ! Je t'avais dit de seulement modifier leurs souvenirs !
— Cela aurait été trop long, prétexta Lucifer. Et puis comme je te l'ai dit, ça n'a même pas fonctionné sur elle et son père.
Je me rappelais ce détail. Toute cette histoire était vraiment étrange. Soudain, une idée me vint à l'esprit :
— Tu penses qu'elle pourrait être un ange infiltré ? suggérai-je à voix basse par peur d'affronter la réalité.
— Cela expliquerait l'absence de son ange gardien et bien d'autres choses.
Je baissai le regard vers le sol de feuilles mortes. Je ne voulais pas que Théa soit un ange. Avec elle, je ressentais plus d'émotions que jamais. Je me sentais vivant.
— Je peux la tester, proposa Lucifer. Si Père l'a bien envoyée pour t'empêcher de récupérer tes pouvoirs, il faut découvrir son identité au plus vite.
Je relevai la tête et répondis d'une voix ferme :
— Non. Elle ne peut pas être un ange.
J'avais répondu ainsi, mais la vérité était que je craignais d'être obligé de la tuer si Lucifer prouvait qu'elle n'était pas humaine. Je ne voulais pas en prendre le risque. Et puis en regardant Théa, je n'avais même pas l'impression d'y voir une de mes sœurs, mais juste une adolescente accablée par la vie.
— Tant pis, lâcha Lucifer en haussant les épaules. Si elle nous trahit, tu en assumeras la responsabilité.
À moitié rassuré, j'acquiesçai avant de partir rejoindre Théa qui nous attendait. Nous la trouvâmes assise sur les feuilles mortes à regarder dans le vide. Lorsque je l'interpellai, elle sursauta de stupeur. Elle se releva aussitôt et nous dévisagea avec méfiance :
— Vous avez fini de discuter ?
Je lançai un regard furtif à Lucifer, qui comme à son habitude, n'affichait aucune émotion qui pourrait le trahir. Je soupirai et espérai que je n'avais pas fait une erreur.
— Oui, répondis-je en restant vague. Nous sommes prêts à partir.
Théa hocha la tête, mais elle semblait hésiter à nous rejoindre. J'étais moi-même perdu. Hésitait-elle parce qu'elle avait peur de nous, deux séraphins déchus, ou bien parce qu'à ses yeux nous étions deux inconnus avec qui elle s'apprêtait à voyager ? Elle pouvait tout aussi bien s'inquiéter pour son père qui avait osé la frapper. Je posai alors ma main sur son épaule et lui adressai un sourire bienveillant :
— Tout ira bien, Théa.
Elle esquissa à son tour un sourire forcé avant d'essuyer ses yeux humides. Je plongeai mon regard pourpre dans ses perles ambrées et ressentis une étrange connexion entre nous, comme si nous nous connaissions depuis toujours. Je secouai la tête pour chasser cette sensation. Je ne devais pas m'attacher aux humains, cela ne m'attirait toujours que des malheurs.
En voyant l'air triste dans mes yeux, Théa me demanda si tout allait bien. J'aurais tant aimé lui répondre que non, que le simple fait de la regarder me plongeait dans mon passé et me faisait revivre mon péché. Mais je ne pouvais pas.
— Je vais bien, répondis-je sèchement pour ériger un mur de glace entre elle et moi.
Surprise par mon ton froid, elle fronça les sourcils pour essayer de comprendre ce qui n'allait pas avec mon changement de comportement. En la voyant faire, je n'eus d'autre choix que de me tourner vers Lucifer et de changer de sujet :
— Allons-y. Nous devrions avancer le plus possible avant la tombée de la nuit.
— Jeune fille, nous te suivons, s'exclama l'ange.
Face à notre sérieux, Théa nous regarda d'un air confus et totalement perdu :
— Mais quelle est notre destination ?
Lucifer me regarda avec embarras. Nous ne pouvions pas lui dire que nous devions nous rendre dans l'antre d'un démon, elle risquerait de revenir sur sa décision de nous accompagner...
— Quelqu'un peut me guérir d'un mal qui me ronge et seule toi peux nous y conduire, expliquai-je. Je te l'ai dit la première fois, ton intuition nous montrera le chemin.
— Mais j'ai aussi besoin d'une carte ou au moins d'une boussole si vous voulez que je vous guide !
À ma grande surprise et avant même que je n'eus le temps de réagir, Lucifer se glissa derrière elle. Il plaça son visage près de son cou et désigna une direction au loin.
— L'intuition des humains est unique. Si tu as le choix entre deux chemins, prends celui que te conseille la voix dans ton esprit.
Pendant quelques secondes, Théa grimaça en entendant les explications étranges de mon frère. Mais elle hocha finalement la tête et fit un pas en avant. Lucifer retira alors sa main d'un air satisfait et s'écarta pour me rejoindre. L'humaine regardait devant elle, observant chaque détail de la forêt. Les feuilles qui s'envolaient grâce au vent, l'herbe qui se mouvait gracieusement et les arbres immobiles qui gardaient les bois. Elle s'avança prudemment vers l'entrée de la forêt, puis se tourna vers nous, un large sourire de liberté sur ses lèvres.
— Suivez-moi.
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