Les prémices de la cruauté
Milo manque de s'effondrer en s'apercevant que, depuis tout ce temps, soit trente années, il aurait pu découvrir le nom de l'auteur. Faiblard, il titube en arrière et Riley le rattrape d'une poigne de fer avant qu'il ne trébuche et ne tombe. Il guide l'antiquaire jusqu'à une chaise, tandis que Levi, loin de s'intéresser au vieillard et à son état, s'est déjà penché sur le manuscrit et étudie avec la plus grande attention le reste de la tache. Il est très probable que ce soit le patronyme du cardinal. Je jauge tour à tour notre expert et le mercenaire qui me fait des signes bizarres.
Je peine à comprendre le message qu'il cherche à me faire passer. Même Charlène s'y met. Milo s'est recroquevillé, les mains entourant son crâne et marmonnant des paroles incohérentes. Je ne tarde pas à déchiffrer les gestes farfelus de Riley. Il essaie désespéramment de me désigner l'état du vieillard. Quand je m'approche, je l'entends en effet respirer de plus en plus fort. Le mercenaire me rejoint en attendant des instructions de ma part. En regardant l'antiquaire, je ne vois pas grand-chose à faire. J'ai du mal à m'imaginer ses pensées et ses regrets. Que ressentiriez-vous si, toute votre vie, vous aviez dissimulé un important manuscrit en vous posant des tonnes de questions à son propos ?
Ce que j'ai surtout des difficultés à déterminer et par conséquent ce qui m'empêche de cerner le vieillard, c'est le trop peu d'informations qu'il détient. Certes, il a fui pour se sauver et a caché sciemment le manuscrit. Mais, comment a-t-il fait pour ne pas obtenir le moindre indice sur l'auteur ou sur le contenu du document ? Je me questionne quelques secondes avant d'avoir une illumination. Cet homme n'est pas soulagé d'apprendre des détails sur le cardinal ou sur son trésor ; il est profondément apaisé de se débarrasser enfin de ce fardeau maintenant que nous prenons le relais et peut désormais se délivrer de ce poids. J'avoue que cette facette de lui vient tout juste de m'apparaître avec évidence, bien qu'il ne le masque pas.
— Le vieillard va clamser, chuchote sans grande discrétion Riley.
Je soupire et pousse le mercenaire pour passer. M'accroupissant face à Milo, j'empoigne délicatement ses mains et les ramène à mon niveau. Il se redresse assez pour river son regard ridé sur le mien.
— Il faudrait que tout le monde cesse de me mentir et me dise la vérité.
Je parle fort pour que Levi se sente concerné.
— Comment voulez-vous que je vous aide si vous me racontez des bobards ? Vous prétendez avoir bossé au Palais des Papes durant votre jeunesse et avoir fui trente ans. Admettons que vous aviez vingt ans à l'époque de votre découverte, vous n'en avez pas cinquante aujourd'hui. Est-ce que vous avez fui plus longtemps que vous le prétendez ou est-ce que vous étiez plus âgé au moment de votre départ ?
— Quelque chose clochait depuis le début, marmonne Blaise. Bien vu, Jasper !
Milo me renvoie une expression épuisée. Il ne répond pas, me laissant librement inventer la partie manquante de son discours. Je me prête au jeu et réfléchis. D'abord, le détail qui m'interpelle le plus réside en ses renseignements qu'il ne possède pas, comme s'il n'avait pas eu suffisamment de temps pour examiner le manuscrit ou qu'il n'avait pas pu. En trente ans, vous pouvez l'observer des centaines et des centaines de fois. En outre, un autre élément de son récit m'a fait tiquer à ma première visite et persiste à m'interloquer. A tâtons, je tente une explication et fixe les traits de son visage pour vérifier que je ne me trompe pas trop. L'équipe est tellement happée par mon hypothèse que plus personne ne fait attention à Levi.
— Au final, vous vous seriez fait attaquer une seule fois, mais vous ne ressemblez pas à une personne qui a fui et qui a pu recommencer une vie normale ailleurs. Est-ce que vous parlez espagnol, au moins ? Je parie que non. Vous devez avoir quatre-vingts ans, approximativement. Peut-être plus, d'ailleurs. Ma théorie, c'est que vous n'avez jamais travaillé au Palais des Papes et vous n'avez jamais découvert ce manuscrit. En réalité, vous venez à peine de le recevoir.
Cette idée déplaît à priori à Charlène, puisqu'elle pouffe en se moquant clairement de ce qu'elle croit être des inventions de ma part. Je me tourne vers elle et lui souris avec certitude. Elle s'enfonce sur le meuble où elle s'est perchée et s'adosse au mur, curieuse de la suite. Riley, je vois dans ses yeux que nous nous exprimons un peu trop vite sur un sujet qu'il ne maîtrise pas du tout, ce qui l'oblige à plisser souvent le front et se gratter l'arcade sourcière avec un air penaud.
Je distingue du coin de l'œil que Blaise acquiesce à chacune de mes phrases. Mon jugement est terrible en ce qui concerne les personnes que je ne connais pas encore, mais, lorsque je les ai côtoyées un tout petit peu, pas assez pour me laisser berner, impossible pour moi de passer à côté des détails essentiels. Tout comme Levi tout à l'heure qui n'a pas mentionné les taches, je ressens le chagrin et le mal-être de Milo. Notre expert a stoppé son analyse et écoute avec attention. Je marque une pause pour que l'antiquaire termine les explications, mais son corps tremble et je n'attends pas beaucoup de lui actuellement.
— Néanmoins, tout n'est pas faux dans votre discours. Vous faites vraiment partie de cette industrie, mais vous n'avez pas eu besoin d'écumer notre forum et nos réputations pour trouver un méritant. Vous connaissiez Nolan de nom et vous n'avez pas hésité à le contacter dès que vous avez reçu ce manuscrit.
J'évite de préciser que Nolan et moi sommes venus lui rendre visite auparavant et poursuis :
— Pour diverses raisons, en fait, notamment votre désir de vengeance dévorant et l'urgence de livrer le manuscrit à quelqu'un d'autre pour ne pas rencontrer le même sort que votre fils.
Milo relève soudainement la tête, les yeux humides. Ma déduction rend tous les autres perplexes, en particulier Blaise. D'habitude, il suit mes hypothèses facilement ou pense de manière similaire. Là, il ne comprend pas tout.
— Comment ça son fils ? Quel rapport ? demande mon ami.
— Une personne a bel et bien découvert le manuscrit au Palais des Papes trente ans en arrière, s'est fait attaquer et a fui, mais il s'agissait de son fils. Les personnes qui veulent cette tombe recherchaient le manuscrit qui, je suppose, avait été retrouvé récemment lors de fouilles archéologiques. Ils ne se sont pas contentés de l'affronter ici, en France. Ils l'ont traqué et l'ont forcé à disparaître. Votre fils savait qu'ils le coinceraient un jour et il avait pris des précautions. A sa mort, ce manuscrit devait vous être envoyé en secret. Cependant, j'ai l'impression que, pour ces personnes, les secrets ne leur résistent pas et votre fils vous a conseillé d'agir rapidement, avant qu'ils s'en prennent à vous.
Un ange passe entre nous. Le silence s'abat sur la maison provençale, uniquement entrecoupé par les sanglots de Milo et les respirations pantoises de l'équipe. Je serre plus fort ses mains et lui tapote le dos un moment. En me levant, je pointe un coin de la pièce principale où a été abaissé un cadre contenant une lettre au timbre spécial. J'en ai déduit en entrant ici pour la deuxième fois que l'antiquaire ne voulait pas montrer le visage imprimé sur la photographie pour ne pas révéler l'existence de cet individu, son fils. Bien sûr, ses affabulations peuvent ne pas coller avec ma version de l'histoire, mais il ne la dément et nous dévoile pour de bon sa vulnérabilité.
Blaise se dirige naturellement vers le coin que je désigne et soulève le cadre qui affiche le visage souriant d'un homme bien plus jeune que Charlène et Levi. Il saisit la lettre, l'ouvre et la lit dans sa tête, puis mon ami opine du chef, confirmant ma théorie. La blondinette ne supporte apparemment pas les larmes du vieillard, bondit de son perchoir et vient le consoler en caressant doucement son dos. Riley se racle la gorge, gêné.
Contrairement à nous autres, il ne compatit pas réellement avec Milo. Son embarras est sûrement produit par son incapacité à s'apitoyer sur le sort de ce pauvre père. Dans mon dos, je perçois un quasi-imperceptible chuchotement de notre expert. Je me désintéresse du vieillard qui est entre de bonnes mains et je gagne la table ovale devant laquelle Levi se trouve toujours. Je l'interroge de façon muette sur son avancée. Le jeunot se ressaisit, mettant de côté l'émotion de l'instant pour indiquer la seconde partie de la tâche.
— J'ai plus ou moins décrypté le nom de famille de Donatello.
— Plus ou moins ? répété-je avec inquiétude.
— Oui, eh bien, il existe une chance pour que je puisse confondre certaines lettres. C'est vraiment difficile à lire. Le cardinal s'appellerait Donatello di Bartollo.
J'hoche lentement de la tête. Cette information nous rapproche de la tombe du cardinal et je devrais m'en réjouir, mais, pour être honnête, je bloque totalement devant cette situation. Mon esprit turbine pour que je puisse donner ma prochaine directive. Toutefois, ce nom ne m'aide pas le moins du monde. Dubitatif, je chasse mes pensées négatives. Je veux sauter les étapes et arriver directement au trésor, mais il faut absolument que je me détende et que je médite en étant reposé. Je calme donc ma frustration et retourne auprès de l'antiquaire.
— Nous partons. Merci beaucoup Milo de nous avoir choisis. Je vous promets de faire mon possible pour honorer la mort de votre fils, que ce soit en trouvant ce maudit trésor ou en le vengeant de ses tueurs... Vous... Vous devriez vous préparer à fuir vous aussi. Ils comprendront bien assez tôt où ce manuscrit s'est envolé.
Milo explose d'un rire gras et amer.
— Où pensez-vous qu'un vieillard tel que moi aura la force de se traîner ? C'est gentil, Jasper de Villiers, mais je préfère rester ici. Tant pis si j'en paie les conséquences. Cette maison est...très belle. C'est un très bel endroit pour s'en aller.
Contre toute attente, le côté solennel de ce moment est complètement brisé par les reniflements grossiers de Riley. Nous faisons tous volte-face pour le scruter d'yeux ahuris. Il pleure. Blaise saute sur l'occasion pour se moquer de lui en gloussant. La mine indifférente du mercenaire n'est qu'une vulgaire façade.
— Vous savez ce qui est le pire dans tout ça ? susurre Milo. J'ai toujours cru que mon fils n'était qu'un sale gosse irresponsable qui avait démissionné de son job et je lui en ai voulu ces trente dernières années. J'ai exploré toutes les possibilités d'un départ dans un autre pays sans m'avertir ou sa mort quelque part, je l'ai même détesté.
Charlène nous prouve un caractère doux et empathique, en réconfortant le vieil homme et en le questionnant sur son fils pour qu'il puisse peu à peu relâcher la pression et se confier à quelqu'un. Le soleil se couche sur Avignon et au bout de plusieurs minutes à scruter Levi en pleine contemplation du manuscrit, je désigne la porte à la jeune femme. Elle intercepte tout de suite mon message et achève progressivement sa conversation avec Milo. Alors que Riley passe la tête en dehors de la maison pour contrôler l'environnement, Levi zieute une dernière fois sur le manuscrit, se renfrogne à l'idée de le brûler, mais accepte sans rechigner de partir. Blaise sort en même temps et la blondinette le salue chaleureusement.
Je suis le dernier dans la maison. Milo puise dans ses restes d'énergie pour se mettre sur pied et me remercier pour ma réponse presque immédiate. Il me demande de transmettre sa gratitude à Nolan. Je lui épargne la vérité à ce sujet. Au passage, je devine pourquoi il n'est pas au courant pour la disparition de mon ami qui pourtant a secoué toute notre industrie : l'angoisse et la tristesse le hantaient trop pour qu'il songe à autre chose. Je le prends dans mes bras, seul acte que je suis en mesure de lui offrir. Avec un dernier regard pour ce vieillard condamné à mort, je gagne la cour et la traverse sous l'attention particulière des membres de mon équipe.
— Qu'est-ce que je n'aime pas ces vieux ! rouspète Charlène, en trottinant derrière moi.
Je me stoppe net et la dévisage. Elle se justifie :
— Quoi ? Oh, pardon ! Tu pensais peut-être que j'étais une gentille petite qui apaise l'âme des vieux mecs tristes ? J'avais hâte tout le long de cet après-midi qu'on se casse d'ici ! En plus, il nous a menti, ce qui m'a franchement agacée ! Mais, j'espérais qu'il nous donne une autre piste !
— Charlène ? Ton grand-père, je l'adore. Mais, toi...
Je souffle et laisse ma phrase en suspens.
— Moi quoi ? Qu'est-ce qu'il y a, Jasper ? Tu t'es attaché à cet homme ? Ne me fais pas ton cinéma ! Tu pourrais l'amener avec nous pour tenter de lui sauver la vie, mais tu l'abandonnes volontairement pour ne pas qu'il nous ralentisse !
Brusquement, je virevolte, lui agrippe le bras et la traîne à l'écart. Je ne souhaite pas que Milo nous entende. Vaguement, je sens l'odeur du brûler. Le manuscrit n'existe d'ores et déjà plus. Je lance un regard menaçant à Charlène pour qu'elle se taise et nous grimpons dans les voitures, direction notre hôtel. Blaise ne fait aucun commentaire, mais il sait à quel point l'accusation de la blondinette me contrarie. Notre équipe est en pleine ligne de mire de ces personnes et au vue de leur méthode, ils n'hésiteront pas à nous éliminer à la seconde où ils le décideront. Je ne peux pas le permettre. L'antiquaire doit se débrouiller à partir de maintenant.
Pile à cette pensée, une intuition me hurle de glisser un œil vers le rétroviseur. Nous nous sommes éloignés de la maison, mais je parviens distinctement à la voir. Sa lueur est différente de tantôt. Le soleil couchant l'éclaire de ses rayons dorés, mais cette lumière aveuglante grandit de plus en plus. Instantanément, les remords peignent mon visage abattu, alors que j'admire les flammes s'élever dans une danse machiavélique et une fumée étouffante serpenter jusqu'à la voûte céleste. Les autres s'en aperçoivent une poignée de secondes plus tard.
Blaise est attiré par le brutal arrêt de la voiture derrière nous et il l'imite, se contorsionnant pour capter le regard de Riley, qui conduisait. Ce dernier est sorti du véhicule et guette tour à tour la maison en flammes et ma réaction. Mon ami pousse vivement la portière et court jusqu'au mercenaire. Ils se toisent l'air défait, ne s'attendant pas à ce que Milo périsse dès notre départ. Cette fois, ces personnes cruelles ont dépassé le stade simple de l'observation et du test. Ils rajoutent à cela la provocation. Ils nous rappellent à cette occasion qu'ils nous surveillent de près et qu'ils agiront à la moindre erreur de notre part.
— Chef, qu'est-ce qu'on fait ? On appelle les secours ?
Levi parait anxieux. Je ne me détourne pas, mais sa voix tremblotante témoigne de sa peur. Nonchalamment, je baisse la vitre de la voiture et crie aux autres :
— Dépêchez-vous, rentrons à l'hôtel ! Blaise, Riley, remontez dans les voitures !
Mon ami s'exécute sans rechigner, bien heureux de nous distancer de nos ennemis. Riley, plus réticent, a été embauché pour protéger et la perte aussi soudaine de Milo doit le perturber. Néanmoins, il obéit et nous redémarrons. Levi n'a pas remis sa ceinture de sécurité et ses mains se sont accrochées aux sièges avant. Il veut une réponse.
— L'antiquaire est mort. Pourquoi s'ennuyer à appeler les secours ?
Levi se souvient sûrement de mes paroles tantôt dans la cour, sous-entendant que sa vie pourrait être remplacée aisément. Mon indifférence n'arrange pas sa perception de moi. Il se rassoit correctement et s'évertue à m'ignorer pour les heures suivantes. Je ne perçois plus le son de sa voix jusqu'au lendemain. Blaise sourit tristement. Il ne doute pas une seconde de mes motivations pour prononcer de tels mots vides. Notre voyage ne fait que débuter et ces personnes se sont montrées violentes, imprévisibles et implacables à plusieurs reprises. Il me faut par conséquent adopter un comportement tout autant féroce, sage et prudent. La compassion n'a pas sa place dans ma vie pour les jours à venir.
Nous atteignons l'hôtel sans aucun drame. Charlène s'éclipse dans la chambre qu'elle s'est réservée et les deux autres hommes, c'est-à-dire Riley et Levi, foncent sur les lits pour se changer, se doucher et se relaxer après cette journée pénible. Blaise et moi choisissons plutôt de boire un coup à la terrasse jouxtant le restaurant. Nous nous positionnons tout au bout pour ne pas être dérangés, ni interrompus par nos collègues au cas où ils nous rejoindraient. S'ils arrivent, nous les repérerons sur-le-champ. Comme l'autre jour, mon ami commande un verre d'alcool en prétextant le besoin de décompresser et je réclame un soda. Le sucre est ma drogue personnelle, celle qui rend tout plus clair dans mon esprit.
— Alors ? Ton compte rendu ?
Autrefois, Blaise exigeait l'avis de Nolan et ensuite le mien, puisqu'il accorde une plus grande importance au jugement du numéro un. Nous entendre parler des éventualités et énoncer nos futurs problèmes l'aide à faire le point.
— Ces personnes... Je suis mitigé. D'un côté, j'affirme qu'ils nous épient de loin et qu'ils patientent pour nous faucher plus tard, et je crois en cela. Mais, d'un autre, ça sonne horriblement faux. Pourquoi est-ce qu'ils ne nous tuent pas ? Ils ont parfaitement conscience de notre avancée, de notre position et de nos alliés. Ils nous ont volontairement autorisés à détruire le manuscrit.
— Ta conclusion ?
— Ils ont assassiné le fils de Milo avant qu'il n'envoie le manuscrit à son père. Ce sont eux qui ont rédigé la lettre.
— Dans quel intérêt ?
Il n'y a qu'une seule hypothèse.
— Ils ont voulu notre présence. Ils nous épargnent, parce qu'ils n'ont pas prévu de nous tuer maintenant. Quel sort ils nous réservent et ce qu'ils souhaitent de nous, ça, je n'en ai aucune idée !
Je tombe dans le silence pour laisser Blaise suggérer des pistes, mais il hausse les épaules et boit son verre en fredonnant une mélodie de variété française. N'importe qui nous prendrait pour des clients de l'hôtel en vacances, en train de profiter de cette fin de journée aux températures clémentes. Je suis content que mon ami ne reparle pas de ses questionnements ; je suis persuadé qu'il juge toujours mon attitude loufoque comparée à ma routine habituelle. Il pourrait délaisser ces hésitations au fil des jours en supposant que la disparition de Nolan m'a grandement impacté, ce qui est très vrai.
— Que faisons-nous ? m'enquiers-je. Nous ne possédons pas d'indices concluants qui pourraient nous mener à la tombe.
— Le nom de ce cardinal nous aiguillera si nous dénichons la faille. Effacer un être humain de l'histoire n'est pas chose facile. Pareil que pour ce fameux historien mentionné par notre expert, il doit bien y avoir des écrits relatant la vie de cet homme, au minimum des archives.
— Charlène nous sera peut-être utile là-dessus ! Les Bellegarde ont cent fois plus de contacts que nous. Je monte à sa chambre. Ne cuve pas trop et que je ne vienne pas te récupérer ivre mort au bar !
— Oui, Monsieur de Villiers, comme vous voudrez !
Je pouffe à son ton théâtral et marche tranquillement vers la chambre de la blondinette. Je déteste le fait que nous soyons isolés dans cet hôtel, mais me rassure en me rappelant que nos adversaires ne nous attaquent pas. Pas encore. Je toque et elle m'ouvre vivement.
— J'ai besoin de toi pour trouver une trace du cardinal ! déclaré-je, allant droit au but.
Elle se décale et m'invite à entrer dans sa chambre.
— Justement, j'étais sur le point de partir à ta recherche ! J'ai appelé une ancienne connaissance de mon grand-père qui bosse dans un centre d'études sur la généalogie, ou un truc dans le genre ! Bref, il a retracé les vies de tous les di Bartollo, en commençant par ceux qui sont morts au quatorzième siècle. Il nous a dégotés plein d'archives ! Enfin, quand je dis plein, je veux surtout dire une très vieille archive qui a consigné le nom de notre cardinal et l'emplacement de ses terres. Et tu sais quoi ? D'après cette archive, il se serait installé pendant quelques années dans le Luberon. Sa maison, j'ai effectué une brève recherche sur internet, serait encore trouvable à ce jour !
Premièrement, elle ment ; son discours ne contient pas la moindre once de vérité et sa gestuelle inhabituellement mouvementée désigne une inaptitude pour la duperie. Deuxièmement, je me questionne sur la provenance de cette information. A-t-elle contacté son grand-père ? Mais, sa malhonnêteté m'étonne. Au final, si elle nous conduit réellement à une maison ayant appartenu à notre cardinal, je ne comprends pas pourquoi elle cacherait la source de ce renseignement. Dans le cas où nous tomberions dans un piège, là, tout serait plus logique. Innocemment, je joue à son jeu.
— Super ! Sauf que tu oublies un tout petit détail. Il vaudrait mieux pour nous tous que tu ne répandes pas nos informations aux quatre coins de la France !
— Ne t'inquiète pas, j'ai déjà envoyé des personnes se charger de cette connaissance.
— Se charger ? Tu l'as fait tuer ?
— Eh bien, oui, évidemment ! Sinon nos pistes risqueraient de fuiter !
Malgré mes incertitudes quant à sa source, elle s'est adressée à moi normalement, avec son ton fluet et les mains immobiles. Pour le coup, elle ne ment pas sur cela. Sans pouvoir me maîtriser, je serre les poings et mon visage s'assombrit aussitôt. Je n'ai pas commenté sa froideur en parlant de l'antiquaire, mais cette initiative fait craquer mon self-control.
— C'est quoi le problème ? Tu es toi-même d'accord sur la nécessité de ne pas éparpiller nos informations. Se charger de lui est une obligation ! Aujourd'hui, l'ennemi nous colle aux basques, mais nous pourrions le semer à condition d'avoir dix pas d'avance, ce qui requiert de la précision, de la précaution et une efficacité à toute épreuve ! Exactement ce que je viens de te donner !
— Je ne fonctionne pas de cette manière, grondé-je. Et mon équipe non plus. Ne refais pas jamais ça. Particulièrement sans mon accord !
Je pivote et me dirige vers la porte, mais Charlène me retient.
— Parce que c'est toi notre meneur ? On n'est pas sorti de l'auberge ! Entre ton gros chagrin à cause de Delacroix et ton âge, tu devrais déléguer certaines tâches. C'est un conseil. Je te signale aussi que tu n'es pas la personne qui alimente cette équipe. Je m'occupe de ça. Si je pars, l'aventure s'arrête là.
Je ne ravale pas ma stupéfaction. En plus de me menacer sans détour, ce que je pourrais possiblement pardonner, elle cherche à me déstabiliser en amenant Nolan dans la conversation. Elle aspire à me mettre en colère, ainsi soit-il. Je comble l'espace entre nous, attrape violemment son bras et la propulse sans ménagement contre le mur. Elle gémit au choc et se tient le dos de douleur. Lou ne s'est jamais montré inflexible et impitoyable de la sorte. Qui a troublé l'éducation de cette gamine pour qu'elle fasse preuve de cette déraison à son jeune âge ?
— Deux personnes ont perdu leur vie ! L'une d'elle par ta faute ! Ça ne te suffit pas ?
— Tu crois que leurs morts m'importent ? Le vieux était pratiquement sénile et ma source...je m'en moque !
Je n'avais pas présagé de telles couleurs. Je la lâche et maintiens mes traits menaçants en partant en trombe de sa chambre. Avant de fermer la porte, je discerne son sourire victorieux. Cette gamine divulgue son véritable visage au premier jour. Il faudra vraiment que je discute avec Lou. Qu'est-ce qui a pu mal tourner pour qu'elle soit cette garce-là ? Techniquement, les pilleurs de tombes se transforment au fur et à mesure de leurs expériences et des trésors amassés par vanité et avidité. Les jeunes ne connaissent pas ces sentiments à l'aube de leur carrière, à moins qu'ils soient pourris de l'intérieur.
Je garderais un œil sur Charlène. Finalement, Riley est certainement le plus loyal pour l'instant. Levi m'a menti plus tôt dans la journée et serait prêt à le refaire afin de découvrir la vérité du monde et s'accaparer toute la gloire. La blondinette serait parfaitement en mesure de nous évincer, Blaise et moi, puisqu'elle porte toute cette équipe avec son argent. En chemin vers ma chambre d'hôtel, je rêve des temps où Nolan nous conduisait dans les meilleures tombes et qu'il nous laissait résoudre quelques mystères pour partager la satisfaction. Je l'ai déjà dit, mais...il me manque. Toujours plus.
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