Les Gardiens de la Vérité

Dans les pires situations, où un funèbre destin nous tend les bras, je fais en général preuve d'un grand optimisme, sachez-le. Par conséquent, en présence de ces tueurs, bloqués dans de vieilles ruines qui ne nous protègent pas, je cherche le point positif, celui qui me fera voir les choses autrement... Bon, pour être honnête, je n'ai pas d'idées pour l'instant. Riley s'agace de ne pas repérer notre ennemi et il sort de plus en plus la tête de sa cachette, l'exposant aux balles. Levi s'enfonce derrière moi et son attitude démontre clairement son envie de se servir de moi en tant que bouclier. 

Un autre problème qui s'impose et qui devient plus grave au fil des minutes : les yeux de Blaise luisent d'une volonté pressante de creuser ce trou et de s'y engouffrer. Ceci m'embête pour deux principales raisons. D'abord, en agrandissant le passage, il serait à la vue de tous ces tueurs. Ensuite, et j'avoue que cette perspective me déplaît beaucoup, nous serions à la merci totale des Gardiens de la Vérité à l'intérieur de cet espace souterrain inconnu. S'ils y descendent avec nous, notre équipe se retrouvera coincée avec un seul tireur et aucun moyen de remonter. Malgré mes hochements de tête négatifs à mon ami, il persiste à fixer la terre retournée. 

— Chef, murmure Levi, je vote pour le choix de ton pote ! Ils sont peut-être en train de faire le tour, de nous cerner et pourront facilement nous abattre un à un. Rester ici n'est pas une option ! Et fuir dans la forêt encore moins. 

Je repense à l'esprit de la forêt et mes sourcils se froncent. Serait-il l'auteur de ce tir ? Depuis que la balle a failli me transpercer, nous percevons des bruissements dans les feuillages et des branches craquées, mais nous ne distinguons pas le moindre tueur armé. Cependant, je chasse cette idée. J'ai rassuré l'ermite, donc il n'est pas censé nous attaquer. Je lorgne sur la pierre fendue par le projectile. Après un décompte de un à trois durant lequel j'apaise les palpitations chaotiques de mon cœur, je me rue en plein milieu des ruines, arrache le morceau de plomb du renforcement et je retourne à ma place, près de Levi. 

Aussitôt, deux autres balles sont tirées et suivent mon chemin jusqu'à ma cachette. Je m'accroupis de nouveau et essuie les insultes de mes collègues, en particulier Blaise qui m'ensevelit sous les reproches. Je ne les écoute pas et examine le projectile. En tout point magnifique, de la technologie militaire si belle que je n'en ai jamais croisée. L'armement de nos ennemis doit être flambant neuf, ce qui prouve une fois de plus qu'ils recherchent cette tombe avec ardeur et qu'ils sont prêts à tout. 

Toutefois, quelque chose cloche. Pourquoi ne tirent-ils pas ? Je m'apprête à me relever pour déambuler dans les bordures externes des ruines, pensant qu'ils ne peuvent viser que le centre, mais une seconde théorie attire mon attention. Je me baisse à nouveau et me tourne vers Levi. Ni une, ni deux, j'attrape son blouson au niveau de ses épaules et je le propulse pile à l'endroit où je me tenais. Il trébuche et la surprise ralentit considérablement son temps de réaction. Au total, il passe cinq secondes à la vue de nos ennemis, soit deux secondes de plus que moi. Il revient sur-le-champ, en me foudroyant du regard.

— Putain de merde ! hurle-t-il, hors de lui. Si tu veux me tuer, porte tes couilles et fais-le toi-même !

Nous sommes tous abasourdis par son ton et son vocabulaire, je me retiens d'ailleurs de lui faire une réflexion moralisatrice. 

— Haut les cœurs, Levi ! Tu m'as permis de valider mon hypothèse, merci à toi pour ton aimable participation !

— Tu es vraiment...un connard ! couine-t-il, se remettant avec difficulté de ses émotions. Quelle hypothèse ? J'espère que ça valait la peine de risquer ma vie !

— Je t'ai lancé, toi, parce que tes réflexes sont très bons ! affirmé-je pour le rassurer. J'ai l'impression qu'ils en ont après moi. Comme par hasard, les trois balles qu'ils ont tirées m'étaient destinées. C'est moi leur cible. 

Les yeux tempétueux de Levi me laissent présager qu'il hésite entre croire en ma théorie ou me jeter en pâture aux balles. Finalement, il abandonne sa rancœur et finit par acquiescer. J'ai parlé assez fort pour que les autres m'entendent et je demande l'avis de Blaise en une œillade muette. 

— Il n'y a qu'un moyen de le vérifier ! dit-il avec une théâtralité irritante.

Tout à coup, il se redresse et se place au centre des ruines, bras écartés. Je roule des yeux, empoigne un gros caillou et le jette près de lui. Le bruit le fait sursauter et crier, il regagne sa cachette en regardant autour de lui. Quand Blaise se rend compte que je l'ai seulement effrayé, il marmonne plusieurs jurons. Bien que j'aspirais à ce qu'il se remette à l'abri, son acte suicidaire confirme à moitié mon hypothèse. Pour la certifier une bonne fois pour toute, je fonce droit sur Charlène, ce qui me fait traverser les ruines. Derechef, les balles fusent et j'ai à peine le temps de m'avachir à côté d'elle. Je bénie ma vitesse, car j'aurais pu dire adieu à mon pied gauche aujourd'hui.

— Moi, je suggère qu'on le livre à ces gens et on continue sans lui ! s'écrie Charlène. Tant pis, il n'avait qu'à pas les énerver ! 

— Ah non ! Sûrement pas, jeune fille ! s'oppose Riley.

— Je ne suis pas jeune et je ne suis pas une fille ! 

— Tu es un gnome, peut-être ? 

— Je suis une femme, sombre crétin !

— Merci de me défendre, murmuré-je au mercenaire.

— C'est surtout son argent qu'il défend ! argumente Charlène. C'est avec toi qu'il a signé un contrat ! 

Sans aucune loyauté, Riley opine du chef avec un air désolé. Je décide d'ignorer complètement cet échange et pivote vers Blaise qui se situe à moins d'un mètre. Un fin mur de pierre nous sépare. Nul besoin d'observer sa réaction, je sais qu'il se pose d'innombrables questions en commençant par ce qui me lie personnellement à ces gens. J'envisage de lui avouer quelques bribes, mais je ne pourrais pas faire face aux autres si je leur mens ou omets certains détails. C'est pourquoi je me racle la gorge et admets à mi-voix pour que nos ennemis n'entendent pas :

— J'ai déjà rencontré ces individus par le passé avec Nolan. Ils nous ont pourchassés dans une tombe qu'ils pensaient être celle que nous recherchons maintenant. En comprenant qu'ils s'étaient trompés, ils ont menacé de nous tuer, mais nous nous sommes échappés. 

Techniquement, mon discours est très vrai. Je ne leur raconte pas le contexte, en revanche. 

— Et ? s'enquiert Blaise. Dans quelles circonstances vous êtes-vous enfuis ? 

Il connait les méthodes parfois radicales de Nolan.

— Explosion. Quelques-uns ont péri là-bas. Je présume qu'ils m'en tiennent encore rigueur. Par contre, ne vous méprenez pas. Ils me visent en priorité, parce qu'ils sont en colère, mais ils courent autant que nous après la tombe. Ils ne vous tueront pas, ou pas tous. Ils se contenteront de vous traquer jusqu'à ce que vous localisiez la tombe et par la suite ils se débarrasseront de vous. 

— Génial, maugrée Riley. Nous aurions dû rajouter une clause sur le contrat qui transfère la responsabilité à vos amis en cas de mort. 

— Je te rappelle que je t'ai justement engagé pour que tu empêches ça ! Si je meurs, c'est que tu ne mérites pas ton pognon ! 

Le mercenaire médite là-dessus et m'accorde ce point. Je soupire à son commentaire, mais me réconforte en me disant que j'ai trouvé l'aspect positif dans cette histoire. Ils ne s'en prennent pas aux autres, car ils ne sont pas certains de l'emplacement de la tombe. Tant qu'ils n'obtiendront pas une preuve d'être au bon endroit, ils leur laisseront la vie sauve. Dans cette nouvelle optique, je fomente à la va-vite une stratégie. Levi a raison ; malgré ma réticence à pénétrer dans ce trou inconnu, nous devons avancer coûte que coûte. 

— Blaise, Charlène et Levi, allongez-vous le plus possible et creusez davantage. 

Je m'approche en rampant de Riley.

— Est-ce que tu as une autre arme ? 

Il dégaine un deuxième revolver, identique au premier. Tandis que nous nous chargeons de leur sécurité en analysant chaque recoin de la forêt, les trois autres se dépêchent de ressortir leur pelle et de creuser avec vigueur. Je prends soin de ne pas dévoiler mon visage. De temps en temps, une balle est projetée, mais n'atterrit pas du tout à ma position. Ils tirent pour nous forcer à partir et pour cette raison, il ne faut pas traîner ici. Seraient-ils capables de s'aventurer plus près pour avoir ma peau ? Je ne sais pas, mais mieux vaut ne pas tenter le diable. Après tout, Nolan a causé pas mal de dégât en Lozère et il n'est plus là pour qu'ils se vengent. 

— Nous avons presque fini ! informe Levi.

Je me tourne pour observer leur avancée, mais mon visage pâlit brusquement. La terre autour d'eux semble se ramollir et s'affaisser sous leurs poids. J'amorce un mouvement pour les prévenir, mais je n'arrive pas à formuler le moindre mot. Le sol se dérobe. Les trois sont les premiers à chuter et je les suis très vite. Mon corps tombe en avant sans que je ne puisse me rattraper à quoi que ce soit. Je ferme les yeux par réflexe et utilise mes bras pour couvrir ma tête afin de me protéger. Seulement, je ne parviens pas à éviter ni la poutre de bois que je fracasse au passage ni le large bureau en ferraille contre lequel je me heurte et m'écrase.

Toujours les paupières closes, je discerne un son suspect provenant d'au-dessus moi. Par instinct, je roule juste à temps pour esquiver les autres morceaux de bois pointus de la poutre de s'effondrer sur moi. Un bref calme s'ensuit. Etalé au sol, sur le ventre, poussiéreux et terreux, mon flanc droit me fait souffrir à cause du choc avec le bureau, je ne peux plus bouger mon genou gauche et j'ai la sensation qu'un de mes avant-bras a été fracturé. Je demeure ainsi pendant longtemps, sans me mouvoir, sans énergie et avec une douleur parcourant tout mon corps. 

— Euh...vous êtes vivants ? Pour ma défense, Jasper, tu n'as pas précisé que je devais aussi me méfier d'éboulements... Eh oh ? 

De toutes mes forces restantes, je glisse sur le dos et toussote, crachant la terre que j'ai gobée dans la chute.

— A partir de maintenant, tu te méfies de tout ! 

— Hum, il me faudra peut-être une augmentation dans ce cas !

Sa plaisanterie a évidemment pour but que je réplique et lui affirme que je vais bien. Mais, un désir dévorant m'assaille et m'ordonne de m'endormir tout de suite. Je me tais et profite du silence. Le bourdonnement dans mes oreilles cesse petit à petit et les ténèbres qui m'entourent me plaisent. 

— Je descends ? questionne Riley. Jasper ? Eh, Jasper ? Blaise ? Putain, ne me dis pas qu'ils sont tous morts ! Bon, j'arrive, tenez bon, hein !

Apparemment, il fouille dans son sac à la recherche de quelque chose pour venir à nous. Je ne m'inquiète pas de ce nous, je ne m'angoisse pas non plus de mon état et me complais dans le silence. La douleur diminue petit à petit et je m'aperçois que je sens moins mon corps. Progressivement, tous mes muscles se détendent et une lourdeur s'installe sur mes paupières, les maintenant closes. Soudainement, un geignement m'interpelle, mais pas assez pour que je reprenne mes esprits. Une lumière flashe devant mes yeux. Est-ce le fameux tunnel blanc ? Pourtant, il s'agit d'un halo plutôt jaunâtre. Ah, c'est une lampe torche. 

— Jasper, tu dois vraiment te relever. Peut-être que nos adversaires ne tireront pas sur les autres, mais s'ils débarquent là-haut, tu es totalement à découvert. Jasper ? Merde, pitié, faites qu'il ne soit pas sur le point de crever ! Je ne connais pas grand-chose en soin, Jasper. J'ai besoin de vous tous, là. 

Il marque une pause et hésite.

— Je vais attendre que vous vous réveilliez. Désolé, Jasper, mais il faut que je te traîne quelque part à l'abri. 

Sur ce, deux bras m'empoignent sous les aisselles et me tirent sans un brin de douceur sur un sol terreux et plein de cailloux rugueux de l'éboulement. J'entends des gémissements s'élever tout autour de moi. Sauf que, bientôt, je ne perçois plus un son. En fait, je ne perçois plus rien.  

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