Les dédales vers la Vérité
Nous suivons tous Charlène, tels des pantins répondant à un ordre sans âme, ni réflexions. Vous commencez à me connaître, j'aime savoir ce que je fais et pourquoi je le fais. Ceci inclue également mes coéquipiers. Je presse le pas et avance aussi vite qu'elle ; on dirait que la jeune femme tente de me semer pour m'empêcher de l'interroger sur ses intentions, mais je tiens son allure et elle finit par abdiquer en ralentissant quelque peu. A son épaule, une radio ne cesse de grésiller et des voix réclament avec de plus en plus d'anxiété la confirmation que les Gardiens sont en vie. Ceci m'interpelle grandement.
— Pourquoi n'ont-ils pas encore encerclé la trappe ? Qu'attendent-ils ?
— Les Gardiens sont actuellement réunis dans la plus grande salle de contrôle de tous les bâtiments. Elle contient moins de matériel, mais peut accueillir plus de personnes. Les élus qui sont descendus tout à l'heure portaient tous des caméras et des micros pour qu'ils observent leur avancée. Cependant, toutes les communications ont été coupées. Pour le moment, ils essaient de ne pas s'inquiéter et pensent à un champ magnétique ou quelque chose qui aurait interrompu leur connexion. Ils devraient bientôt se douter que quelque chose a vraiment mal tourné et envoyer des éclaireurs.
— Tu nous aides ?
— Bien sûr. Je vous ai toujours aidés ! Comment espérais-tu retourner dans notre quartier-général sans être ligoté ? Pour l'instant, ils ne s'occupent pas de vous et mon grand-père les a convaincus de vous laisser la vie sauve. Il faut entrer dans la tombe avant qu'ils ne débarquent à leur tour.
— Donc, tu œuvres pour nous depuis le début ?
Charlène se stoppe nette et je manque de lui foncer dedans. Elle virevolte et m'adresse un regard foudroyant.
— Par combien de façons vas-tu me poser cette question ? Le jour où tu as demandé à mon grand-père de t'accompagner, il m'a confié la charge de vous éloigner au maximum des Gardiens et de vous fournir tout le nécessaire pour survivre, le temps qu'il vous dégote un moyen d'accomplir votre but sans y laisser la peau ! Franchement, ça m'agace qu'il mette autant d'effort dans cette équipe et il est évident que ce vieillard sénile te considère toujours comme son bien-aimé disciple. Alors, si Monsieur pouvait arrêter avec ces questions et se dépêcher de partir d'ici avant que les Gardiens nous tuent tous, ce serait très appréciable !
Je sonde la sincérité dans ses yeux, ce qui semble l'énerver, puisqu'elle comble soudainement l'espace entre nous, encadre mon visage et rapproche le sien pour que nos regards soient face à face. Aussitôt gêné par cette proximité, je lève les mains en l'air en signe d'abandon et elle me relâche, satisfaite, en reprenant sa route comme si de rien était. Levi pouffe à mon air choqué, tandis que Riley se fend la poire.
— Il ne faut pas avoir peur des femmes ! ricane le mercenaire.
Blaise me tapote l'épaule, encourageant. Je soupire et leur emboîte le pas en marmonnant des paroles vexées. Nous atteignons un couloir où Charlène tire vivement la poignée d'une porte coulissante nous offrant une maigre ouverture sur minuscule placard. A l'intérieur de celui-ci, je reconnais les trois caisses de Nolan et souris, puis en déduis que les Gardiens les ont volés et mon sourire s'envole dans la seconde. La jeune femme en sort d'abord un long boitier noir, ainsi qu'un petit coffret grisâtre. Ensuite, elle demande à Blaise d'en soulever une pour qu'elle fouille dans celle en-dessous. Elle en extirpe cinq masques à gaz dont nous devinons sans mal l'utilité.
— Quand grand-père m'a parlé de ce gaz, j'ai prié pour qu'ils nous trouvent du matériel fiable, mais j'ai vu ceux-là et j'étais clairement aux anges ! Ils filtrent tout, pas que les substances toxiques. Delacroix nous a payés le top du top !
Bien évidemment.
— Passons à ceci.
Elle ouvre le petit coffret et me confie un objet hexagonale ressemblant à une technologie aliène. Honnêtement, si je ne suis pas sur les réseaux sociaux, c'est qu'il y a une raison. Les ustensiles électroniques et moi, c'est égal à une très mauvaise histoire d'amour. La pire combinaison qui soit ! Je n'y comprends rien. Alors, je demeure pantois devant ce truc bizarre. Charlène le remarque et me traite de vieux gars, ce que je ne contredis pas.
— Il s'agit d'une boussole ultra-performante. En tapant des coordonnées géographiques, elle n'indiquera pas le nord, mais notre destination. Puisque grand-père détient l'emplacement exact de la tombe, la boussole nous y conduira et en plus, elle se connecte à ça !
Cette fois, elle nous désigne le long boitier noir et révèle une montre sobre. Elle me la tend aussi et explique :
— Cette montre est équipée d'un géo-localisateur et d'un scanner. Il prend en compte la température et ce qui pourrait être dangereux, tous les murs et autres obstacles sur notre chemin en transmettant ces données à la boussole pour nous guider en toute sécurité jusqu'à la tombe. Les coréens ont développé ce bijou de technologie et il coûte une blinde ! Delacroix a parfaitement prévu le voyage !
Oui. J'enfile sans perdre une minute la montre et Charlène se charge de la configurer. Ses gestes sont rapides et efficaces, prouvant que le temps joue en notre défaveur et que la moindre pause pourrait nous être fatale. Elle fait de même avec la boussole et sursaute tout à coup en se souvenant d'un détail. La jeune femme court jusqu'au placard et glisse son bras derrière les trois caisses pour attraper cinq paires de lunettes attachées les unes aux autres par une ficelle. Elle les libère et nous les distribue.
— Grand-père soupçonne que le gaz pourrait endommager notre vision. Ces lunettes sont le plus hermétique possible, si vous les placez correctement.
Désormais parés du meilleur équipement qui existe sur le marché, nous nous dirigeons avec une détermination sans faille vers la trappe, munis de nos lampes. Les Gardiens s'agitent irrémédiablement et ils crient dans les radios, peu à peu l'idée de se rendre sur place germe dans leurs esprits. La patience n'est pas leur fort. En entendant leurs hésitations, Charlène entame une course au travers des couloirs métalliques. Assez vite, nous arrivons dans la pièce où se situe la trappe. Masqués et nos lunettes sur le nez, nous ne craignions pas le gaz, mais je prends tout de même une ample inspiration pour tester notre matériel. Je vis toujours et valide par extension que nous avons affaire à de la bonne qualité. La jeune femme nous prévient :
— J'ai réussi à diffuser une image figée d'une seconde après leur descente dans la tombe et ils n'ont pas encore vu le gaz, ni le bras qui dépasse. Vous me remercierez plus tard !
D'ailleurs, elle distingue le corps du Gardien et sa main crispée sur la première marche. Elle le pousse avec le bout de son pied et l'homme dégringole les escaliers sur quelques mètres.
— L'image disparaîtra dans une poignée de minutes. S'ils ne décident pas avant de venir voir, ils seront pleinement au courant à ce moment-là.
J'hoche de la tête et lorgne sur la boussole qui s'affole déjà en quête du chemin. Charlène se décale sans un mot, m'indiquant de passer en premier. J'allume ma lampe torche et m'avance vers la trappe. En jetant un bref coup d'œil, je les avertis de faire attention. Les cadavres jonchent les marches et de par la profondeur des escaliers, il ne vaut mieux pas chuter. Je m'élance dans le noir avec précaution, jaugeant à la fois le sol encombré et le décor qui change progressivement. Au début, pendant au moins une minute, nous sommes entourés par des parois métalliques qui s'effacent d'un coup et plus rien ne nous retient de part et d'autre.
Nous descendons prudemment en enjambant les corps et en maintenant notre équilibre. Blaise est très mauvais pour se stabiliser, et moi également. Je prends mon temps et fléchis bien les genoux pour ne pas risquer de tomber, abaissant mon centre de gravité. Au fur et à mesure, la distance entre nous et la terre tout autour s'élargit. Une chute maintenant ne serait pas mortelle, mais elle ne ferait définitivement pas du bien. Je ne vois quasiment rien de spécial, hormis des vers et des insectes qui détalent au son de nos pas. A cause du gaz, les Gardiens n'ont pas pu s'enfoncer très bas dans ces escaliers et nous pouvons marcher sans avoir à esquiver des cadavres au bout de quelques minutes.
Un murmure se répète dans mon esprit et me turlupine : je ne suis pas certain que la femme se trouvait parmi les morts. Je l'ai cherché du regard sans l'apercevoir. Elle était descendue sans masque, ni cagoule et j'aurais dû la repérer facilement. Mais, je raisonne en me rappelant que nul ne pourrait survivre au gaz sans équipement. Qui plus est, les nôtres et nos lunettes ne nous permettent pas une grande vision, ce qui nous pénalise d'autant plus. En tant que chef de file, je ressens en prime une pression dans le sens où je me dois d'anticiper d'éventuels pièges. Je regarde de partout, méticuleux.
Au bout d'une demi-douzaine de minutes, mon pied ne parvient plus à sentir les marches sous mes chaussures. Je vérifie la solidité de ce nouveau sol, constitué de roche. Quand tout le monde a terminé sa descente, nous contemplons notre environnement. Les ténèbres nous ont complètement envahies. Au-dessus de nos têtes, à des dizaines de mètres, la terre nous sépare de la surface et les parois sont formées à moitié de pierre, à moitié de poussière. Face à nous, d'innombrables dédales désirent que nous les empruntions pour nous perdre à tout jamais. Je tape sur la boussole et elle me pointe une direction, le troisième renforcement à partir de la gauche. Je m'apprête à parler à l'équipe, mais Levi hoquette et déblatère d'une traite :
— Je connais ce signe ! Et ce système de labyrinthe ! C'est une création de Poncelet Courvoisier !
Petit un, je n'ai pas saisi le moindre mot, faute à son débit et au masque. Petit deux, les autres non plus. Petit trois, à notre silence, Levi se renfrogne en croyant que son commentaire ne nous intéresse pas. Riley le retourne vers nous et lui montre sa bouche pour qu'il articule. Regagnant son sourire de monsieur-je-sais-tout, il recommence distinctement. Nous nous regroupons autour de lui pour mieux l'écouter.
— Là, sur chaque marche, vous voyez ce gribouillis ? Comme une signature ? Ce signe témoigne de l'architecture de Poncelet Courvoisier. Ne vous fiez pas à ce nom farfelu, parce que ce type était un génie ! Il a construit plusieurs palais et tombeaux, dont, à priori, celui du cardinal di Bartollo. Il aimait particulièrement les couloirs labyrinthiques pour désorienter les non-invités. J'ai déjà rencontré une de ses créations par le passé et je vous assure que, sans cette boussole, nous aurions dû déclarer forfait !
— Nolan a vraiment tout devancé, soufflé-je en remerciant mon ami du fond du cœur.
Levi opine vigoureusement du chef. Me basant sur les indications de la boussole, j'opte pour le troisième couloir tout en roche. Sa mince largeur nous oblige à avancer les uns derrière les autres et je m'arrête toujours à chaque intersection. Le géo-localisateur fonctionne à merveille et détecte toutes les parois, tous les différents chemins et s'actualise à chacun de nos choix. Il ne nous reste qu'à suivre à la lettre les directives, dans cette noirceur incommodante. Une légère et fine brise nous parvient, signifiant une autre sortie. Je me réjouis ; si les Gardiens sont présentement à nos trousses, cette deuxième ouverture nous sauvera la vie. Ou bien, nous condamnera... Par ailleurs, nous n'avons plus de nouvelles d'eux. La profondeur de ces dédales nous a totalement isolés et la radio de Charlène ne capte plus rien.
Contre toute attente, ces couloirs qui paraissaient si interminables s'agrandissent au fil de nos pas et deviennent une seule et même salle, colossale et impressionnante. Complètement vide, le moindre bruit se traduit en une dizaine d'échos. Je braque ma lampe devant nous afin de trouver un prochain dédale ou une porte. J'ai l'impression de distinguer des reliefs plus loin, mais la faible luminosité ne m'autorise pas à les analyser. J'amorce un mouvement pour traverser et rejoindre l'autre bout de cette pièce, lorsqu'une détonation résonne et s'ensuit un sifflement qui passe juste à côté de mon oreille.
J'identifie instantanément le fracas d'une balle tirée et me fige, aux aguets. Détail aussi intriguant qu'effrayant, le projectile provenait de cette pièce, et non de derrière nous. Par conséquent, le tireur n'est pas un Gardien qui nous a poursuivis ici, mais un individu déjà présent dans la salle. Nous nous replions vers les dédales tout en gesticulant avec nos lampes à la recherche de cette personne invisible. Hormis un juron de Charlène, aucun mot n'est prononcé, mais cela suffit pour que notre assaillant se soustraie à l'ombre où il s'était caché, en fronçant les sourcils.
— C'est vous ? De vraies sangsues, ma parole !
Je plisse les yeux à cette voix et me concentre pour discerner la silhouette élancée et svelte qui se terrait dans un coin sombre. La femme. Après avoir rallumé sa lampe, elle s'assure que notre équipe est bien au complet et elle soupire, les yeux rivés sur le revolver de Riley qui le range lentement. Je me mets entre les deux pour attirer son attention.
— Je pourrais en dire autant ! m'écrié-je. Vous êtes increvable, ma parole ! Comment avez-vous survécu au gaz toxique ?
— Sérieusement ? En mettant la main sur ma bouche ! réplique-t-elle sur le ton de l'évidence.
Une pensée me traverse l'esprit et je l'interroge sur-le-champ, tant qu'elle ne nous menace pas avec ses balles.
— Pourquoi nous tirer dessus alors que nous aurions pu être des Gardiens ?
— Vous ne l'avez pas encore rencontrée ?
Son timbre vibrant me fait tiquer.
— Quoi ? Qu'est-ce que nous sommes censés rencontrer ?
Elle baisse son arme et se rapproche nous. Le simple fait qu'elle n'agisse pas à l'encontre de notre équipe me renseigne sur sa situation. Quoi qu'elle ait expérimenté durant cette poignée de minutes dans les souterrains, cela l'a perturbé. Elle susurre, telle une fillette terrorisée par le monstre sur son lit :
— Je ne sais pas trop. Mais, cette chose est dangereuse ! Elle m'a piégée ici. J'ai voulu remonter, mais elle m'a bloquée dans cette salle.
C'est pile à cet instant que nous l'entendons et, croyez-moi, mon sang s'est glacé. Rien de connu dans ce monde ne produit ce son-là. La femme redresse tout de suite son revolver, prête à tirer ; Riley empoigne également son arme, pendant que je me focalise sur l'origine de ce braillement bestial. Une peur viscérale me noue l'estomac, une émotion instinctive que je n'avais pas éprouvée auparavant me cloue sur place. L'être humain déteste et redoute l'inconnu. Confronté à celui-ci, il fuit. Mais, que faire si la possibilité de prendre ses jambes à son cou nous est interdite ? Une sueur froide et un frisson à l'échine, je suis tétanisé.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top