Le Triangle de diamant.

Contrairement à la fois où je suis tombé des ruines jusque dans la pièce souterraine du cardinal et après m'être fait assommer par la fillette, je ne me réveille pas avant un long moment, mais mon esprit n'est pas qu'une boule de néant, vide de sens et de pensées. Je rêve sans aucun cauchemar. Et quel rêve... Si j'étais un peu plus sensible que maintenant, j'aurais probablement versé une larme ou deux dans mon sommeil. Je me suis revu avec Nolan et Blaise, de façon très claire et limpide. Je vous parle de lui depuis le début et je vous ai évoqué à maintes reprises la force de notre amitié. Je vous ai également exposé en bref le déroulement de notre rencontre, mais je pense qu'il est temps de s'y attarder un peu.

A l'époque, sans Nolan, mon carnet d'adresses était grandement réduit. Je ne connaissais pas le forum privé des pilleurs de tombes et surtout je n'étais pas entré dans cette industrie avec mes deux pieds. Lou Bellegarde m'avait formé en trois ou quatre ans et avait fait de moi une personne importante dans le milieu. Je suivais ses conseils, pistes et tuyaux. En dehors de mon mentor, je ne fréquentais pas les autres. Je les fuyais. Je savais que ces gens-là étaient nocifs, agressifs et sans pitié. Je ne voulais pas me mêler définitivement à ce monde étrange et effrayant. Je tenais à cette possibilité de retour en arrière. J'avais rencontré par le passé Blaise Pasteur. 

Lors de deux aventures, nous avions volé des trésors sous le commandement de mon mentor. J'étais convaincu de deux choses à propos de ce crétin aux cheveux gras : premièrement, ses enfantillages et sa spontanéité contrastaient trop avec mon sens de l'organisation et de la précision pour que nous nous entendions et ensuite je présageais qu'il ne serait qu'un homme de passage dans ma vie, sans grande importance. D'ailleurs, il m'arrivait souvent d'oublier son nom. Il était le gars qui m'avait sauvé la mise au détour d'un piège mortel, un jour. Rien de plus, rien de moins.  

Un beau matin, j'avais rendu visite à ma tante, seule personne de ma famille à me considérer en être humain. Pour mes parents et tous les autres, profaner des tombes et gagner ma vie en rapportant des trésors anciens constitue un crime horrible et impardonnable, faisant de moi un individu abject et méprisable. J'outrepassais leur jugement, ne revenant pas sur ma décision. Tantine m'avait reçu chez elle sans rechigner. Je lui avais demandé des nouvelles de ma mère en particulier, mais elles n'étaient pas bonnes. Elle me haïssait de plus en plus et m'en voulait de ne pas expier mes péchés. Elle ne se remettait pas de mon départ et mentionnait mon prénom à tous les repas, m'injuriant et rappelant à tous que je n'étais qu'une sous-merde – elle exprimait son opinion avec évidemment moins de familiarité. 

Déprimé et dépité par leur entêtement à me renier de la famille, j'avais erré dans la ville toute la journée et m'étais arrêté devant une maison. J'avais pris une longue minute pour comprendre ce que je faisais là. En l'occurrence, mes pieds m'avaient conduit à la villa de Lou Bellegarde. Ma désillusion quant à mes parents ne cessait de grandir à cette époque et j'acceptais mal leur rejet ; mon mentor représentait alors mon unique échappatoire. Il me donnait toujours un but, quand je venais le voir. C'est pourquoi j'avais sonné à sa porte. Il buvait son café matinal à mon arrivée et je me postai devant lui, muni d'une détermination sans faille.

— J'ai déjà organisé l'équipe, m'informa-t-il sans me laisser parler. Tu ne peux pas participer.

— Quoi ? Mais..., Lou ! m'insurgeai-je. S'il te plaît, j'ai vraiment besoin de descendre dans une tombe ! J'en ai marre de tourner en rond dans mon appart'. Je t'en prie, il me faut une adresse, n'importe laquelle.

— Pas cette tombe-là ! trancha-t-il. 

— Argumente ! Énumère des raisons qui m'empêcheraient d'y aller et je méditerai moi-même sur mes aptitudes !

Il posa sèchement sa tasse et se retourna pour m'observer de haut en bas. Il me pointa de son fin et long doigt, en déclarant :

— J'ignore ce qui m'a poussé à t'entraîner et à te prendre sous mon aile, au premier abord. Je déteste les garçons dans ton genre. Impétueux, orgueilleux et pas assez conscient. Si je refuse, tu n'as pas à te rebeller. Tu obéis, c'est tout. La tombe que je convoite dépasse toutes mes espérances à différents niveaux. Son trésor attrayant, sa difficulté d'accès et sa riche histoire, elle est trop dangereuse pour toi. J'ai d'ores et déjà l'itinéraire en ma possession et nous partons demain à l'aube. Crois-moi, gamin, tu ne pourras pas tenir le choc. Rien que le voyage t'épuisera, alors imagine ton état à l'intérieur de la tombe ! Non, c'est hors de question !

— Soit ! Tu me verras en bas de chez toi, demain, à l'aube ! objectai-je. 

— Jasper de Villiers, espèce de sale gosse, écoute-moi ! Reviens ici !

Je lui adressai un bref signe de main en tournant les talons et quittai sa maison sans plus de cérémonie. Il appela un nombre incalculable de fois mon nom et je l'entendis de dehors, mais je tins bon et l'ignorai superbement. Je me souviens être rentré dans mon appartement miteux en plein centre de Paris et avoir effectué les cent pas jusqu'au lendemain. J'avais préparé un sac à dos bien fourni avec tout le matériel que Lou m'avait prêté. Mon endurance aujourd'hui n'est pas très bonne, mais, à l'époque, elle était catastrophique. Je redoutais cette aventure, mais il fallait avouer que mourir sur le chemin ne me dérangerait pas. 

Oui, durant cette période floue de mon existence, je désirais ardemment la mort. Pas un jour ne s'écoulait sans que je ne pense à me couper les veines ou à me jeter d'un pont. Rassurez-vous, j'ai compris avec du temps que le malheur ne valait pas la peine de se tourmenter. Pour le combattre, il ne faut surtout pas s'évader de son emprise en se donnant la mort ; à contrario, il faut le narguer en vivant bien. Mais, je ne réfléchissais pas vraiment dans ma vingtaine. Mes parents m'avaient renié, je n'avais pas de véritables amis et mon quotidien ne ressemblait à rien, désordonné et décousu. J'étais un pantin sans âme. Nous sommes tous des héros dans nos histoires ; quelle connerie. Je n'étais pas un protagoniste, à cette époque. J'étais tout au plus le figurant tout au fond, celui que personne ne remarque sauf s'il se prend les pieds dans le tapis ou cause un accident.  

Dans cette optique, submergé par l'idée tentante de me perdre corps et âme dans cette aventure, je roulai chez Lou très tôt, le lendemain. En me garant, je remarquai trois éléments. D'abord, une trentaine d'individus de tout type et une dizaine de voitures étaient réunis autour de sa villa, et mon mentor trônait au milieu de tous ces gens en leur criant des directives. Deuxièmement, toutes ces personnes ne paraissaient pas très intéressées par ses ordres et bâillaient de fatigue. Je présumai donc qu'il ne s'agissait pas de ses hommes habituels ou de confiance, mais des inconnus et des spécialistes nécessaires au bon fonctionnement de l'équipe. 

Et enfin, je le vis. Lui. Cet homme en retrait, assis nonchalamment sur le capot de son véhicule de luxe et qui renvoyait une expression digne et condescendante, tel un noble guettant les gueux du bas peuple. Il ne me plut pas dès la première seconde. Son attitude était en tout point similaire à celle de mes parents, je reconnus leur dédain dans son regard à lui et j'eus l'impression de le détester sur-le-champ. Pour ne pas trop m'intéresser à un gars arrogant, je me détournai de lui et l'oubliai en le mettant dans un coin reculé de ma mémoire. Lou termina son discours et ils se dispersèrent tous en gagnant les véhicules. Je me précipitai sur celui de mon mentor, mais il cracha :

— Ne compte pas sur moi pour t'amener là-bas, sale morveux ! Je te l'ai dit hier ! 

Il s'adressait à moi sur ce ton pour me dissuader complètement. Lou démarra sans hésitation et me laissa tout seul. Néanmoins, j'aperçus au loin une lueur de chance et je la saisis. Blaise Pasteur. L'unique personne dans toute cette foule que je connaissais. Je sprintai jusqu'à lui, bousculant tous les autres sur mon passage et ils pestèrent en m'insultant sur dix générations. Avant qu'il ne puisse entrer dans la voiture, je bondis sur lui et attrapai son bras. Le pauvre, il se sentit agressé et me regarda avec de gros yeux, penaud. Essoufflé par ma brève course, je repris une respiration correcte et suppliai :

— Vous n'êtes que trois et votre voiture peut accueillir une quatrième personne. Prenez-moi avec vous, s'il vous plaît ! 

— Oh ! Tu es le gars qui...euh...ah oui ! Celui qui s'est emmêlé les pieds et qui a dévalé la falaise tête la première ! Ça va mieux ?

Quand je vous parlais d'un piège mortel dont il m'avait sauvé, je pensais en effet à mes propres pieds. J'étais à deux doigts de basculer dans le vide, mais il m'avait rattrapé à temps. Ses deux collègues se gaussèrent, mais je ne commentai pas et insistai :

— Aller, s'il vous plaît ! Je serai discret, promis, juré !

L'air contrit, il se gratta l'arrière de la nuque et je m'attendis à un refus de sa part. Je me dis qu'il ne voudrait pas de moi pour ne pas gêner ses collègues et pivotai vers eux prêt à défendre ma cause, mais ils évitèrent mon regard à leur tour. Blaise Pasteur m'expliqua :

— Le grand patron nous a fait signer des contrats stipulant que nous ne pouvions pas amener qui que ce soit d'autre sous peine d'être virés du projet. Nous trouvions cette ligne bizarre, puisqu'elle a été rajoutée à la dernière minute, au stylo. Je suppose que cette règle s'applique pour toi... Du coup..., sorry dude ! Peut-être à une prochaine occasion !

Sur ce, il grimpa dans la voiture et Blaise Pasteur disparut au détour d'une rue, me négligeant sur le trottoir, enragé et déçu de la stratégie cruelle de mon mentor pour m'évincer. Il m'avait formé lui-même ! J'étais parfaitement capable de me défendre et de descendre avec lui dans toutes les tombes. Ce qu'il savait faire, je pouvais le faire aussi. S'il souhaitait tant m'éjecter de ce projet, cela signifiait qu'il n'était pas sûr de revenir vivant. Ceci me rendit d'autant plus anxieux et je commençai à respirer difficilement. Il me maintenait en vie depuis l'instant où nous nous étions rencontrés. Le faible que j'étais et suis toujours s'enfonça progressivement dans une crise d'angoisse, mais une voix dans mon dos m'interrompit de manière brutale.

— Eh, qu'est-ce que tu attends ? Viens ! Je n'ai pas toute ma journée !

Je fis volte-face et distinguai le mec de tout à l'heure. Je l'avais étiqueté le connard. En fronçant les sourcils, j'examinai les alentours d'un regard circulaire, mais tous les véhicules étaient partis et il me fixait droit dans les yeux. Malgré tout, je me pointai bêtement du doigt et il soupira sans me répondre. Cet homme regagna son véhicule, prit place sur le siège conducteur et patienta. Je mis quelques secondes à étudier la rue sans bouger la tête, mes yeux se déplaçaient de gauche à droite et une moue s'installa sur ma bouche sèche. Perplexe, je finis par obtempérer et trottiner vers lui. Incertain, je jetai mon sac à l'arrière et montai à côté de lui. Pas un mot ne sortit de nos gorges, au début. Au bout d'un quart d'heure de route à flairer mon embarras, il lâcha simplement :

— Je n'aime pas suivre toutes les règles. Je deviens très irrité, lorsque des personnes abusent de leur pouvoir pour empêcher quelqu'un de faire ce qu'il veut. La liberté des uns s'arrête où commence celle des autres. Bellegarde n'a pas le droit de t'interdire quoi que ce soit. 

— Tu n'as pas peur des conséquences ? Il te virera du projet.

Il pouffa et ne répliqua pas. Cela augmenta mon impression qu'il s'octroyait le grand rôle dans cette histoire et j'étais énervé. Moi aussi, j'adorerais prétendre au titre de protagoniste. Je me rembrunis et accusai avec plus de méchanceté dans le timbre que prévu :

— Tu agis comme si tu étais indispensable ! Lou n'hésitera pas à te foutre dehors.

Il sourit et me reluqua tranquillement via le rétroviseur.

— Je te connais. Tu es de Villiers, le nouveau petit chiot de Bellegarde qu'il trimbale partout. De toute évidence, toi, tu ne me connais pas. Sinon, tu ne remettrais pas en cause mon utilité pour le pillage de cette tombe. 

J'inspirai profondément pour me calmer et ne pas jurer. Le nouveau petit chiot ? Je ne relevai pas et décidai de passer à autre chose, mais une envie me démangeait de le contredire. J'étais son disciple, son élève, son successeur, mais certainement pas son animal de compagnie. Et puis, je voulais absolument le faire redescendre de son piédestal, mais, à nouveau, il me coupa dans mon élan en proclamant avec une sincérité perturbante :

— C'est mignon. Le fait que tu sois son...padawan ! Je trouve ça mignon. 

Je ne pipai mot de tout le trajet, à moitié en colère contre lui et à moitié reconnaissant. Opter pour le mutisme me préserva de la frustration et du malaise. Il me traitait de petit chien et par la suite de padawan en jugeant notre relation de mignonne. Je ne comprenais pas ce gars à ce moment-là et n'avais pas essayé de le cerner. Il roulait prudemment sans me regarder ou faire la conversation, un bras sur la portière de la voiture dans une posture d'aise. Il transpirait la confiance en soi, mais l'intégralité de son passé m'était inconnu. Avec les années, je conviens de l'avoir catégorisé trop vite et à tort.

Après des heures de route et trois arrêts sur des autoroutes, nous étions arrivés au point de rendez-vous et je m'étais rapidement extirpé de sa voiture sans le remercier. Bien que je fis des efforts pour ne pas être repéré, je croisai Lou en lui rentrant dedans et il se décomposa en me voyant. Pour ne pas qu'il m'engueule, je m'éloignai le plus possible de lui et me groupai avec des experts en plongé pour passer inaperçu. Blaise m'aperçut et m'adressa d'amples signes de main amicaux, mais je lui retournai un regard noir. Lorsque toute l'équipe se réunit en bas d'une montagne, nous débutâmes notre ascension. 

Mon mentor l'avait annoncé, mais je m'étonnais quand même du trajet pénible tout au long. Perdus dans les montagnes du Massif Central, nous avancions lentement à cause des interminables montées et descentes ardues, pleines de roches et de racines, de pentes glissantes et de cascades sur notre chemin qui nous trempaient. Je me rendis compte au bout d'une journée que le voyage ne s'était pas achevé. J'interrogeai un des plongeurs et il m'avertit que nous marcherions au moins pendant quatre jours. Or, je ne détenais des provisions que pour trois jours. A partir de là, j'avais économisé mon eau en priorité et la remplissais à chaque fois que je voyais les autres boire dans les ruisseaux. Épuisé, je m'écroulais par terre lors de toutes les pauses sous le regard lointain de Lou. 

Le quatrième jour, il nous semblait ne jamais atteindre la tombe et l'équipe posait régulièrement des questions à Lou qui dressait sa main pour les faire taire. Au final, je marchais au fond et tentais tant bien que mal de ne pas perdre le groupe. Je respirais plus fort qu'un bœuf à l'agonie et mes chaussures n'étaient pas adaptées, car elles avaient vieilli et étaient trop souples. Je ressentais chacune des roches sous la plante de mes pieds et aurais parié qu'elles étaient recouvertes d'ampoules. Contre toute attente, une personne me joignit à l'arrière. Le connard. Il fit exprès de ralentir son allure pour que je le rattrape. Bien sûr, je constatais son manège, mais n'entamais pas la discussion, ne préférant pas faire la connaissance de cet homme. Mais, il nous força tous les deux à coopérer.

— Bellegarde s'inquiète pour toi, c'est évident. Si tu ne te bouges pas un peu, il continuera de freiner notre avancée pour t'attendre et nous n'arriverons jamais à la tombe. 

Il insinuait que j'étais responsable de notre trajet long ? J'affichai un rictus mauvais et me concentrai sur les roches pour ne pas m'effondrer. Il souffla et m'attrapa la main en entrelaçant nos doigts. Immédiatement, je m'offensai et m'écriai :

— Putain, mais dégage ! 

Il gloussa, se moquant ouvertement de moi.

— Tu vois, tu aboies comme un petit chiot ! Arrête de faire ton difficile et appuies-toi sur moi. De cette façon, nous irons plus vite et Lou arrêtera de se stopper toutes les cinq minutes pour te chercher du regard !

J'étais sur le point de me détacher de lui et de me révolter contre son assurance, mais, en relevant les yeux, je rencontrai ceux de Lou qui se détourna vivement et fit mine de ne pas me scruter. A contrecœur, je dus confirmer les dires du connard et j'acquiesçai en serrant sa main. Il m'aida sérieusement sans m'embêter et son équilibre à toute épreuve me permit effectivement de vaincre tous les obstacles avec une facilité déconcertante. Il me servit de bâton de marche et me garda droit pour ne pas que je m'embronche et me blesse. J'en conclus que cet homme était un habitué des randonnées et du pillage, mais il avait l'air si jeune. Un détail m'apparut subitement : je ne savais pas vraiment à quoi il ressemblait, puisque j'avais passé mon temps à le contourner dans mon champ de vision.

Je profitai par conséquent de ces quelques heures de trajet supplémentaires pour étudier son profil à ma guise. Œillade par œillade, je réussis à reconstituer l'entièreté de son visage. En premier lieu, je notai sa pâleur et sa maigreur. Sur le coup, je crus voyager avec un vampire. Mais, après tout, les pilleurs de tombes préfèrent les ténèbres à la lumière. De plus, je pris en compte ses larges habits de randonnée qui cachaient sûrement sa musculature – je ne pouvais rien affirmer à ce sujet. Il devait avoir mon âge, mais ses traits gracieux le rajeunissaient. Ses yeux perçants s'exprimaient constamment avec une honnêteté sans faille. S'il avait quelque chose à dire, il ne tournait pas autour du pot, ce que j'appréciais chez lui, à vrai dire. Il était quelque peu grand par rapport à mes un mètre soixante-quinze, mais sans plus. Je vous avoue que je le jugeais magnifique à l'époque, et cela n'a pas changé. Sa beauté joua en sa défaveur, car je le jalousais.  

Il m'encouragea à toutes les étapes et ne lâcha pas ma main une seule seconde. Ce qui sonnait comme une volonté de me faire accélérer se révéla au fur et à mesure être de la bonté. Je le compris ultérieurement, mais cet homme m'aidait par pure gentillesse. Il avait décelé en moi un souffle nouveau que les autres dans cette industrie ne possédaient pas. Il partagea même une ration de nourriture bien plus goûteuse que les miennes et il gagna quasiment mon cœur avec mon estomac. 

A la nuit tombée, l'équipe s'était arrêtée et se reposait à l'entrée de la tombe. Les plongeurs avaient été envoyés en éclaireur, car il fallait à priori se mouiller pour traverser une sorte de passage secret. Je m'endormis, adossé à cet homme que je n'appelais plus le connard à ce stade. Toutefois, je faillis me réviser, lorsqu'il choisit de me réveiller en me balançant de l'eau de la cascade en pleine tête. Je m'étouffai et me redressai promptement, paré à corriger la raclure qui m'avait aspergée. Mais, je fis face à ce type qui s'esclaffait. Il désigna un point derrière moi et se justifia :

— Le grand patron veut te parler. 

Je virevoltai face à Lou Bellegarde et le dévisageai avec effarement. J'aurais dû le deviner, l'idée de l'eau dans la figure venait de lui. Il combla l'espace entre nous, tandis que mon nouvel allié s'écarta pour nous laisser de l'intimité. Aussitôt, mon mentor baissa le ton et susurra avec une ardeur saugrenue :

— Ne fais pas confiance à ce type. Il ne le mérite pas, s'il est pareil que le reste de sa famille.

— Certes, mais, lui, il m'a amené jusqu'ici ! 

— Certes, me singea-t-il, mais, lui, il est parfaitement conscient des dangers de cette tombe et il t'a amené sans se demander si tu en ressortirais vivant. C'est trop tard pour te dissuader, mais tu as intérêt à ne pas mourir ! Compris ? Je n'arrangerai pas tes funérailles, je te préviens ! 

Par ces mots, il me tendait une perche pour que je rentre à la ville.

— Oui, oui, si tu le dis ! Ne rapporte même pas mon corps, je m'en contrefiche.  

Mécontent, il claqua sa langue contre son palais et s'éclipsa en jouant des coudes pour rejoindre l'entrée de la tombe. Sans la moindre considération pour son avertissement, mes yeux se braquèrent sur cet homme avec curiosité. Quelle famille ? Pourquoi était-il indigne de ma confiance ? Était-ce une personne nuisible ? J'armai de ma franchise identique à la sienne, grimpai les trois rochers qui nous séparaient et questionnai sans détour :

— Tu es qui, au juste ? Lou ne t'aime pas trop de ce que j'ai saisi.

— Par nature, je n'aime pas Bellegarde non plus.

Qu'étais-je censé en penser ? Il ne compléta pas son propos, parce que du mouvement attira notre attention. Toute l'équipe se releva, quand Lou leur commanda de se remettre en marche. Il nous indiqua en peu de mots que nous devrons plonger à quatre mètres de profondeur, franchir un mètre de distance pour remonter à la surface de l'autre côté. Soit, un parcours largement faisable de son point de vue. Vous vous rappelez de mon endurance limitée ? Eh bien, elle provient de mon souffle chaotique. Je ne peux pas rester trente secondes sans respirer. Abattu, je me plantai dans le sol un moment et il s'enquit :

— Cette plongé te dérange tant que ça ? T'en fais une de ces têtes, mec !

— Je vais mourir. 

— Mais non ! Qu'est-ce que tu racontes ? Bon, dépêche-toi !

Il m'empoigna cette fois le poignet et m'aida à monter les mètres restants. Les membres de cette équipe plongèrent promptement et la file diminua à une allure délirante. Moi, je me figeai sur le côté et m'éventai en zieutant sur le nombre de personnes avant mon tour. J'insistai pour être le dernier. Mon allié se jeta à l'eau et nagea élégamment en disparaissant de ma vue. Solitaire, sur mon rocher, je m'imaginais chez moi, sur mon canapé. Je me mis à prier les dieux, en lesquels je ne croyais pas, et sautai dans l'étang. Dès le début, j'eus du mal à me placer à la verticale pour me rendre plus bas. Chaque seconde fut un supplice pour moi. 

Je touchai pratiquement le passage sous la roche, seulement mes poumons cassèrent ma joie. Je peinai à respirer et ressentis le besoin urgent d'inspirer. Néanmoins, je commis ma première erreur de ce voyage. Je m'obligeai à entrer dans l'accès restreint et ne parvenant plus à nager, je me tirai à la force de mes bras aux parois tout en battant des pieds. Mais, le mètre s'éternisa, parce que je n'avançais pas. Je perdis connaissance. Un faible. Voilà ce que j'étais ! Heureusement que je me suis un minimum endurci depuis. Bref, mes paupières se fermaient de plus en plus, lorsqu'une main s'agrippa à mon sac à dos et me hissa à la surface. Instantanément, je pris la plus grosse bouffée d'air et me remis de cette horrible expérience. 

— Tu n'es pas mort !

Je reconnus la voix du, anciennement, connard. 

— Merci...pour ça et pour m'avoir amené ici.

— Tu me remercieras à l'instant où nous serons repartis de là vivant. Tu as raté beaucoup de choses sous l'eau. 

A ces paroles, j'ancrai mes pieds dans le sol rocheux et mon torse sortit en partie de l'étang. Avec stupéfaction, je constatai l'impensable : une demi-douzaine de personnes se trouvait dans l'eau à côté de nous, mais tous les autres membres de l'équipe n'étaient plus là, y compris Lou.

— Ils sont partis sans nous ? demandai-je.

Il me fit un signe de menton vers un des experts en géographie qui balbutia :

— Je vous jure qu'un truc les a enlevés ! Ils étaient là et pouf ils n'étaient plus là ! Je n'ai rien pigé à ce que j'ai vu ! On aurait dit des ombres !

— Vous me croyez maintenant ! aboya mon allié. Je vous avais expressément conseillé de ne pas venir ici ! Vous n'écoutez jamais ! 

— Oh, la ferme, Delacroix ! Pourquoi as-tu accepté le projet si tu étais à ce point persuadé de notre incapacité à réussir ? 

— Dans le seul but d'assister à votre échec de mes propres yeux !

Son ton déplut à celui qui l'avait rabroué et la tension explosa entre eux. Ils se rapprochèrent et puisque ce Delacroix me tenait fermement le bras, je le suivis pour ne pas qu'il me déboîte l'épaule. Je dus changer de priorité. Dans un premier temps, il me fallait les empêcher de s'entretuer, puisque j'étais très proche des deux ; dans un second, je devais en apprendre davantage afin de sauver mon mentor du mal qui l'avait attiré dans ses filets. J'improvisai avec ce que j'avais sous la main : Blaise Pasteur. Le marseillais faisait partie de notre petit groupe et je saisis cette occasion pour distraire leur énervement en déviant totalement le sujet.

— Blaise, mon pote ! Je te présente...euh...lui ! C'est mon autre pote ! 

Le marseillais ravala son rire moqueur à ma pathétique tentative, mais prolongea ma tactique pitoyable en ricanant. Il marcha à travers l'étang et tendit sa main à Delacroix. Celui-ci se désintéressa du coq belliqueux d'en-face et la serra, mais, brusquement, Blaise nous fit tous sursauter.

— Pause ! Delacroix, comme le Delacroix de la famille Delacroix ? Toi, le pas-doué, tu es pote avec l'héritier des Delacroix ? Eh bien, eh bien, je ne l'aurais pas cru, si tu me l'avais dit ! 

— Eh ! Je suis doué ! Et je suis le protégé des Bellegarde ! Ce qui est mille fois mieux !

— Ah ah ! Parce que tu penses que les Bellegarde rivalisent avec les Delacroix ? 

— Mais, je ne sais même pas qui sont les Delacroix ! m'exclamai-je en me tournant vers mon allié. C'est quoi ? Vous êtes qui ? J'aimerais une réponse. 

Il se contenta de me repousser et de se diriger vers le passage sous l'eau. Quatre personnes s'opposèrent simultanément à son départ, certifiant que nous mourrions tous s'il nous quittait. Moi, j'étais toujours en train de me creuser la tête pour déterminer l'importance de ce patronyme. Delacroix ? Pour sûr, je ne les connaissais pas du tout. Je m'étais plus tard renseigné auprès de Lou et il m'avait admis qu'il n'appréciait pas cette famille. Il n'en parlait pas et ne m'avait rien expliqué sur eux volontairement. Dans un flou total, je m'éveillai de ma torpeur et me débattis contre l'eau pour m'accrocher à sa veste, entravant son chemin de retour. Il me toisa sans un mot.

— Lou a été enlevé par une ombre ou je-ne-sais-quoi et tu es notre atout majeur, selon eux ! Alors, tu restes et tu nous prêtes main-forte !

Delacroix me considéra en silence, sous les yeux écarquillés des autres. Son patronyme devait vraiment peser dans cette industrie pour qu'ils le reconnaissent tous son pouvoir et son autorité. Dubitatif, je me préparai à un refus catégorique, mais il se colla pratiquement à moi et chuchota à mon oreille :

— Ton maître est peut-être mort et tu t'exposeras au même danger, si tu vas là-bas. Tu veux tenter le coup ? 

Je me raclai la gorge avec aigreur et marmonnai :

— Dis-le que tu as peur, ça nous fera gagner du temps !

Son sourire s'étendit d'autant plus et il se distança subitement, en me jaugeant d'une mine égayée. Sans la moindre déclaration, Delacroix marcha jusqu'à la surface rocheuse et l'escalada, répandant de l'eau tout autour de lui. L'expert en géographie retint son souffle, mais aucune ombre ne vint kidnapper notre atout. Les autres demeurèrent réticents à pénétrer une bonne fois pour toutes dans la tombe et je leur suggérai de partir pour ne pas être des fardeaux. Je tentai d'imiter mon allié, mais mes bras fébriles m'autorisèrent uniquement à rouler à la manière d'une baleine échouée sur sa banquise. Mais, je me débrouillai seul et parvins à me mettre debout. 

Il m'immobilisa une seconde et exigea que je le talonne de près en respectant toutes ses instructions. J'opinai du chef et Blaise se décida à nous suivre, s'autoproclamant nécessaire pour notre survie à tous les trois. Les autres ne s'aventurèrent pas plus loin et retournèrent de l'autre côté. Bande de lâches, songeai-je. Vous vous en doutez, mais cet événement fut le début de cette amitié indéfectible. Des années après, Blaise nous avait surnommés le Triangle de diamant, puisqu'il était un des matériaux les plus résistants et solides au monde. J'avais approuvé, alors que Nolan avait adoré et l'utilisait systématiquement pour nous nommer. 

Je ne vous décrirai pas tout ce qui s'est produit dans cette tombe, car cela importe peu et a duré une éternité. Sachez que nous avions manqué de mourir de faim, puisque nous avions marché à l'aveuglette dans le noir et le froid pendant huit jours et que nous avions réalisé le chemin inverse sans aucune provision, hormis les volatiles, insectes et baies que nous dénichions. A l'intérieur de la cavité rocheuse, rien ne nous offrait des nutriments et nos ventres grondaient encore et encore. En outre, nos lampes torche n'avaient plus fonctionné à cause des piles et nous avions continué malgré la noirceur. Aucune trace de mon mentor et des autres. D'ailleurs, Blaise avait élaboré une théorie intéressante.

— Et si les ombres dont le gars parlait étaient tout autour de nous ? Et si nous nous enfoncions plus loin dans leur repère et qu'elles attendaient notre mort pour nous dévorer ? Qu'est-ce que tu en dis, l'héritier ? 

— Non, c'est impossible ! argua Delacroix. Au fait, moi, c'est Nolan, pas l'héritier ! Il m'apparaît désormais logique que nous parcourons un labyrinthe de long en large. Ces dédales ne finissent pas et nous sommes revenus sur nos pas sans cesse. J'emprunte toujours un chemin différent dès que nous arrivons à l'intersection où nous sommes coincés, mais impossible de ne pas y retourner. Cette boucle commence sérieusement à m'exaspérer.

— Tu ne pouvais pas le mentionner plus tôt ? maugréa Blaise. 

J'étais d'accord avec le marseillais. Delacroix ne déléguait aucune tâche et s'occupait de tout, incluant le choix de nos directions. Il ne nous confiait rien. 

— Vous êtes au courant maintenant, mais ça ne nous aiguille pas davantage ! fit-il remarquer. 

— Moi oui, assurai-je. J'ai une idée. Tout à l'heure, j'ai voulu m'appuyer sur la paroi rocheuse, mais j'ai perdu l'équilibre. 

— Parce que tu n'es pas doué, lança Blaise.

— Non ! Je suis sûr et certain que cet endroit ne comportait pas de paroi et j'aurais dû tomber si Nolan ne m'avait pas rattrapé. Vous vous souvenez ? Blaise, tu as touché la zone où j'étais censé m'appuyer et tu as senti de la roche. J'en viens donc à la conclusion suivante. Ces galeries influencent d'une façon ou d'une autre sur notre perception, sur nos sens. 

Blaise railla et chassa cette hypothèse, mais Nolan le stoppa sèchement et développa mon idée. 

 — Il n'est pas rare que les tombes soient entourées de champs magnétiques anormaux et inégaux. Jasper a raison ! Nos sens sont altérés par une force externe.

Grâce à cela, nous étions parvenus à nous défaire de cette influence en nous faisant confiance. Nous nous étions écoutés et avions travaillé en équipe en partageant tous nos ressentis. Ceci a largement participé à forger notre Triangle de diamant. Pour raccourcir cette longue histoire, nous étions sortis de cette boucle qui nous piégeait depuis plusieurs jours déjà et avions atteint une cavité. A tâtons, nous avions découvert des sacs à dos dans lesquels nous avions fouillé pour nous munir de nouvelles lampes. En illuminant l'endroit, nous avions retrouvé nos camarades. La plupart avait succombé à leurs blessures. Certains gisaient dans leur sang, en agonisant.

Nous n'avions pas compris quel mal les avait frappés à cet instant, mais je m'étais précipité vers mon mentor en quête de son pouls. Comme prévu, un Bellegarde est increvable. A mon plus grand soulagement, nous avions soigné ses blessures avec des moyens sommaires le temps de le rapatrier à la ville. Tous les autres ne valaient pas la peine que nous gaspillions notre énergie pour eux, condamnés à mort. Nolan s'était cependant obstiné à clore pour toujours leur vie, en les délivrant de leur souffrance. Je l'avais regardé tuer tous ces gens par bienveillance et j'avais excusé son acte. Parfois, il se forçait à commettre des crimes pour le bien commun, j'avais vécu cette situation dès notre première rencontre.  

Vous devinez le reste de l'histoire. Nous avions effectué le chemin de retour en récupérant un maximum de provisions qui nous nourrirent un jour. Nous ne croisâmes pas d'ombres et Lou nous raconta par la suite qu'il avait affronté des nuages d'insectes nécrophages. Ils s'attaquaient aux mortels pour leur ôter leur essence vitale et mangeaient peu à peu leurs cadavres. En déboulant dans la ville, les passants prirent peur en voyant notre dégaine de morts-vivants. J'ai honte en y repensant, mais je m'étais évanoui avant de pouvoir confier mon mentor à un hôpital. Mes deux amis s'en étaient chargés et nous avions également séjourné dans une chambre blanche monotone à cause d'une sévère anémie. 

Nous ne nous étions pas quittés les jours qui avaient suivis, car Blaise avait harcelé des heures et des heures Nolan pour qu'il nous paie un verre. Il avait accepté à reculons, mais avait posé sa condition. Soit à Nice, soit pas du tout. Sans surprise, j'avais atterri malgré moi dans la ville natale de mon futur meilleur ami. Le bref séjour à l'hôpital ne m'avait pas requinqué et une nuit de beuverie me mit hors-jeu. A mon réveil, j'étais dans une chambre immense et inconnue. J'escaladai un nombre impressionnant d'escaliers en colimaçon et traversai des couloirs infinis en marbre pour enfin percevoir des voix. Je tendis l'oreille derrière deux battants en bois de chêne.

 — Je suis tellement heureuse pour toi, Nolan ! s'enjoua une voix étrangère.

— Maman, doucement ! Je les connais à peine.

— Oui, mais tu n'as jamais ramené qui que ce soit à la maison !

— Jasper était complètement bourré ! Que voulais-tu que je fasse ? Ne te méprends pas, je ne compte pas faire ami-ami avec eux. Ils m'ont suffisamment agacé. Pourquoi m'avez-vous envoyé là-bas ? Je ne travaillerai plus jamais avec les Bellegarde !

— Ton père a insisté pour que tu les accompagnes. Même si Lou ne nous apprécie pas, ton père espère que nos relations s'amélioreront. Toutes mes excuses, mais il pourrait te confier d'autres missions de ce genre.

— Quelle plaie, soupira-t-il. 

— Tu l'as appelé Jasper ? Jasper de Villiers, le protégé des Bellegarde ? Je me posais beaucoup de questions sur lui. Il est relativement nouveau dans l'industrie, mais il bosse pour un des meilleurs. Je ne pensais pas que Lou consentirait à ce qu'il soit dans votre équipe. Vu l'horrible réputation de cette tombe, je me faisais un sang d'encre pour toi ! Je ne comprends plus les choix de Lou ! Viens-là, mon chéri !

J'entendis un grognement et m'abaissai afin de les épier par l'entrebâillement des portes. Sa mère enlaçait Nolan. En se séparant, il hasarda d'une petite voix :

— Il se pourrait que Jasper m'ait agréablement surpris. J'ai...bien aimé son franc-parler, sa détermination et ce désespoir qui le rend mignon !

— Tu trouves tout mignon ! rétorqua sa mère.

— C'est possible, rit-il. En résumer, ne te fais pas d'idées, car...

Je ne le laissai pas terminer et voilà probablement ce qui nous propulsa tous les trois dans cette aventure vieille d'une dizaine d'années. Je fièrement débarquai dans leur salon, le torse bombé et le regard tout aussi arrogant que le sien. Poli et courtois, j'avais salué sa mère sans animosité. Par contre, je m'étais penché au-dessus de lui. Nolan s'était adossé à son canapé, mais j'avais fait en sorte que nos nez se touchent presque. A l'époque, je croyais que ma prestance l'intimiderait. Puis, je m'étais rappelé que je n'en détenais pas. Blaise arriva à son tour et se pétrifia à notre position sordide. Sans prendre de pincettes, je m'imposai :

— T'es-tu rendu compte d'à quel point tu te montrais horripilant ? C'est bien beau d'accuser les autres, mais tu n'es pas mieux ! Tes grands airs de noble et tes remarques sarcastiques m'insupportent au possible ! Ensuite, ne t'avise pas d'insulter d'une quelconque façon Lou Bellegarde et sa famille. Et pour finir, je n'étais pas désespéré ! 

Le visage de Nolan s'assombrit, l'air se chargea en électricité et il me défia avec hargne, ne tolérant pas qu'une personne lui réponde. Mais, il se détendit en une expiration vibrante et arbora un rictus sardonique :

— Pas désespéré, hein ? Tu m'as littéralement supplié pour que je sauve ton maître.

— Je ne suis pas un chien, bordel ! 

— Ah bon ? Pourquoi tu rappliques toujours quand il t'appelle ? Tu n'étais même pas conscient qu'il te manipulait !

Mes sourcils se froncèrent à cet odieux reproche. Il se rapprocha sans gêne de moi encore plus et persifla des paroles qui se gravèrent dans mon esprit pour toujours.

— T'interdire de te joindre à lui, te menacer et te répéter que tu n'avais rien à faire là... Pour te protéger, il aurait pu t'éjecter cent fois de ce projet, mais il ne l'a pas fait ! Il te voulait dans cette équipe pour que tu puisses t'éduquer et apprendre, sauf qu'il n'imaginait pas que les ombres l'attaqueraient à la première seconde. Tu incarnes tout du bon petit chiot. Le jour où tu prouveras le contraire, je ne t'appellerai plus ainsi ! Et ce jour-là... Qui sait ? Nous deviendrons peut-être amis !

Ce connard imbu de lui-même, aux mimiques dramatiques la majorité du temps et aux mots acérés, m'ouvrit les yeux sur les intentions de mon mentor. Ceci marqua le déclin de ma relation avec Lou. Au fil des mois suivants, j'avais détecté cette aura manipulatrice et j'avais pris mon envol. Il le souhaitait aussi. Il n'aspirait pas à me retenir et à me brider. Il voulait uniquement garder un œil sur moi au cas où, pendant que je plongerai tête la première dans cette industrie. Le Triangle de diamant était né dans l'arrogance, la fierté et un désespoir que j'avais admis. 

Après l'assaut des Gardiens aux Bois d'Effroi et les effets immédiats de cette seringue, j'ai rêvé de tout cela et j'ai éprouvé l'espace de quelques minutes un bonheur incommensurable face à ces souvenirs. Avec du recul, ils m'amusent et peuvent me redonner espoir dans les plus sombres journées. Mes années aux côtés de Nolan et de Blaise n'ont pas de prix. J'ai tant sacrifié pour cette existence de pilleur de tombes sans certitude de persister dans cette voie et je n'avais pas présagé cette précieuse trouvaille – l'amitié surpasse tout et vaut tout, croyez-moi. Pour la joie de rester plus longtemps avec eux, j'aimerais ne pas me réveiller et retourner à l'affreuse réalité, où un de mes meilleurs amis manque à l'appel. 

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