Le miraculé

Blaise cesse sa comédie et redresse la tête, en soulevant une paupière. Il regarde la silhouette narquoise ressemblant comme deux gouttes d'eau à notre meilleur ami et retombe en arrière dans un soupir théâtral. Les autres n'en mènent pas large non plus ; à vrai dire, la stupéfaction les cloue sur place à un tel point qu'ils ont l'air de chiots effrayés, la queue entre les jambes, en train d'envisager des explications logiques à ce qu'ils voient. Je dirais que Charlène a abandonné sa crise de nerf et qu'elle se contente d'assister à cette scène surréaliste, en rêvant d'un pot de pop-corn. Ne parlons même pas de Levi qui est au bord des larmes, encore. Le pauvre petit ne s'est pas encore remis de ses émotions.

— Comment est-ce possible ? Il t'a tué !

La femme me pointe grossièrement du doigt et je lui réponds par un sourire arrogant.

— Je vous épargne quelques répétitions exclamatives exprimant votre état de surprise et de choc ! déclare Nolan sur un ton pompeux. Je suis vivant ! Je suis ressuscité ! En fin de compte..., je suis un miraculé ! Ne m'applaudissez pas ! Moi-même, j'ai du mal à comprendre ce phénomène ! L'autre jour, je discutais avec Johnny et nous nous déhanchions sur son rock'n'roll et hier, j'écoutais le récit passionnant de Marie Antoinette. Chouette femme, au passage. Très sympa, mais...eh bien je ne pouvais pas la regarder dans les yeux, ce qui perturbait un peu la conversation !

Soyez-en certain, ce discours tout à fait ridicule fait partie du plan de Nolan. S'il est arrivé à temps, il devait surveiller les Gardiens depuis un moment et savait quand il fallait intervenir. Son comportement indifférent et insolent me redonne la foi ; peu importe si cette aventure a tourné au désastre, que cette tombe soit en réalité fausse et que mes coéquipiers m'en voudront terriblement en apprenant la vérité, revoir mon meilleur ami sain et sauf suffit à me soulager. Les Gardiens baissent quelque peu leurs armes, dépités. Un murmure s'élève, prouvant qu'ils ne s'y attendaient pas. Quant à moi, je me prépare à ce qui risque de s'ensuivre. Blaise stoppe ses pitreries et rouvre les yeux, attentif aux moindres mouvements.

Oh my goodness ! J'ai compris ! s'exclame Riley. C'est... C'est votre pote !

Sa réaction passe totalement inaperçue ; Nolan lui adresse un clin d'œil joueur, tandis que les Gardiens commencent à s'impatienter. Il reprend :

— Quoi qu'il en soit, je regrette d'être revenu ici, parmi vous, car j'avais rendez-vous avec Hitler. J'avais prévu de lui casser la gueule ! Mais, autant m'occuper de tout ce désordre, puisque vous en êtes visiblement incapables !

Je remarque tout de suite que son regard dévie très légèrement vers la porte qui donne sur la chambre funéraire et j'en déduis son intention. Blaise aussi. Il se relève et se rapproche petit pas par petit pas de Charlène et Riley ; je l'imite en me déplaçant jusqu'à Levi. Je lui saisis le poignet, ce qui le fait sursauter, mais je lui fais signe de se taire, d'écouter et surtout je lui indique de m'obéir le moment venu. Pendant que nous nous mettons en place, Nolan continue à les distraire en racontant des bêtises. Les Gardiens n'osent même pas lui tirer dessus, persuadés de sa mort. Apparemment, lui et moi avons joué nos rôles à la perfection.

— Puisque vous êtes des personnes très aimables et altruistes, et pas du tout des assassins égoïstes, j'exigerai de vous que vous laissiez mes amis partir. Nous quittons cet endroit tous les six et nous ne nous rencontrons plus jamais. Qu'est-ce que vous en pensez ? 

Le visage de la femme s'assombrit et un rictus mauvais s'étend sur ses lèvres. Elle pivote vers les Gardiens, confiante.

— Qu'il vive ou qu'il meurt..., quelle est l'importance ? Je suis prête à parier qu'il sait tout ! Tuez ses petits copains.

Elle se retourne et fait claquer sa langue contre son palais sous l'attention calme et divertie de Nolan.

— Alors, Delacroix ? Tu as peur pour eux ? 

Mon meilleur ami ricane sans lui rendre son regard insistant et se détache enfin de la paroi rocheuse. Immédiatement, tous les Gardiens braquent leurs armes sur lui, mais il s'en fiche et avance avec une lenteur effrontée en croisant les mains à la manière d'une posture de moine solennelle. Il s'arrête juste devant elle et la toise de haut en bas, la reluquant sans gêne. La femme ne réplique pas et soutient son mutisme. Toutefois, Nolan éclate de rire ; entre nous, il ne trouve rien de drôle à cette situation, mais il la provoque dans le but de lui faire perdre toute notion de raison. Plus il l'énerve, moins vite elle réagira. En fait, il s'agit d'une technique que je ne connaissais pas et pour laquelle j'avais émis certains doutes, mais je vous assure qu'elle fonctionne dans une majorité de cas, en particulier sur les esprits faibles et susceptibles. 

— Qu'y a-t-il d'amusant chez moi ? grince-t-elle.

— Oh, rien, rien, ne vous inquiétez pas, gente dame ! 

Et le revoilà à envoyer ses sourires charmeurs. Je roule des yeux en soufflant mon désespoir. Personne n'a jamais enseigné à ce type que séduire une femme ennemie n'aboutit pas à grand-chose, il essaie tout de même. Qui ne tente rien n'a rien, clamerait-il. Nolan n'en reste pas là et poursuit :

— Je n'en reviens pas qu'une femme pareille m'ait causé tant de torts ces dernières semaines, c'est tout !

— Tu étais mort ! aboie-t-elle. Comment aurais-je pu...?

— Vous m'avez grandement enquiquiné, au contraire ! le coupe-t-il. Toujours là où j'étais, toujours en avance et toujours sur mes traces. Les Gardiens de la Vérité ne vous sied pas vraiment, je vous ai renommé les Omniprésents Casse-pieds ! Vous devriez officialiser ce nouveau titre, mais je tiens à en recevoir le mérite !

Agacée par ce manège, la femme commande à un des Gardiens, via un geste rempli de colère, de me viser. Je ne tressaille pas, ni ne bouge et persiste à lui vouer ma totale confiance. Levi, en revanche, hésite à s'écarter afin d'éviter une balle perdue, mais je le maintiens fermement coller à moi, devinant que Nolan ne tardera pas à agir. D'ailleurs, j'intercepte une micro-œillade, si brève que je crois l'inventer. J'ai bien compris ce que nous étions censés faire et je pousse donc l'expert de mon chemin, afin de sprinter à tout moment jusqu'à la porte de la chambre funéraire sans lui rentrer dedans. 

— Nous n'avons guère eu l'occasion de converser en face à face, susurre-t-elle, mais es-tu conscient de jouer à un jeu très dangereux ? Es-tu au courant que des membres de ta famille travaillent pour nous ou ont besoin de nous pour subsister ? Tu crois que les Gardiens de la Vérité ont créé une organisation pour le plaisir et dans le respect des règles ? Nous nous sommes tellement étendus au fil des ans que nous touchons à tous les domaines de cette industrie, que ce soit dans le pillage ou sur le marché noir. Nous contrôlons une bonne partie des grandes familles, dont la tienne. Si je le souhaite, je peux réclamer au leader d'anéantir les Delacroix et il acceptera sur-le-champ. Les pilleurs de tombes, tels qu'ils existaient deux décennies auparavant, sont finis ! Tu as enquêté sur nous, je présume. As-tu compté le nombre de tombes que nous avons localisées et dans lesquelles nous avons posé notre bannière ? Des dizaines et des dizaines ! Tout le monde nous esquive et se plie à nos volontés pour ne pas se retrouver dans notre viseur. Pourquoi ne pas suivre leur exemple, Nolan Delacroix ? 

Loin d'être impressionné par son discours, Nolan pouffe.

— En fait, je me suis beaucoup interrogé sur votre motif, voyez-vous ! Vous vous acharnez sur la tombe du cardinal, bien qu'il ne soit en somme pas un personnage très essentiel dans notre histoire et j'ai admiré de meilleurs trésors ! Pourquoi ? Pourquoi s'entêter ?

Why ?!

Nous nous tournons en simultané au cri de Riley que nous ignorons tous, sauf Nolan qui rebondit dessus dans un anglais approximatif.

Yes ! Why ? J'aime bien ce gars ! glisse-t-il au mercenaire, puis il se concentre derechef sur la femme. J'ai une hypothèse à ce sujet. L'orgueil ! Vous vous êtes bâtis cet empire de peur et d'hyperpuissance dans l'industrie du pillage en vous basant sur un postulat de départ, qui était la promesse d'excaver la tombe la plus mortelle d'Europe afin de prouver vos aptitudes. Mais, en réalité, cette tombe n'est pas fatale du tout ! La preuve, j'y suis descendu et remonté sans une égratignure ! Une véritable promenade de santé ! Or, vous avez répandu la rumeur largement exagérée de sa fatalité pour éliminer la concurrence et vous avez assassiné un à un tous ceux qui s'y aventuraient, en vous servant aussi des pistes de chacun. Non seulement vous avez gaspillé votre temps, vos ressources et vos efforts, mais en plus votre réputation s'effondrerait. Si je décide de révéler maintenant vos mensonges et vos agissements, ce sera terminé des Gardiens de la Vérité. Toute l'industrie s'en prendrait à vous et votre crédibilité tomberait à zéro.

— Ils ont infiltré trop de familles et leur ont mis des laisses ! contredit Charlène. Ils ne chuteraient pas si facilement. 

Le sourire de Nolan s'agrandit à nouveau.

— Bon point ! Et puis, tu sais de quoi tu parles ! J'avoue que je ne m'attendais pas aux Bellegarde, mais bon... Au final, je ne les portais pas dans mon cœur ! Sa famille, ma famille..., peu importe qui vous pensez maîtriser ou ceux que vous gardez sous votre poigne de fer... Soit vous en appelez à votre chance et vous nous éliminez tous aujourd'hui, soit vous réfléchissez deux minutes et vous vous rendez compte du pétrin dans lequel vous vous êtes enfoncés. Par ailleurs, je précise que je n'ai pas bossé tout seul. Ils dévoileront tout si je ne réapparais plus... Ne jamais découvrir où se trouve le trésor, vous pouvez y survivre et passer à autre chose. Mais, subir la haine enragée de tous les pilleurs, y compris les vôtres à qui vous avez menti, est-ce que vous vous remettrez de ça ?

Tremblotante de frustration, une main en l'air sur le point de s'abaisser et par extension d'ordonner ma mise à mort, la femme le foudroie en respirant lourdement. Nolan fait mine de me jeter un regard amusé, mais je capte le message et raffermis ma prise sur Levi. Ce dernier s'apprête à me questionner, mais je lui fais un signe discret du doigt en direction de la chambre funéraire. Notre ami fixe droit dans les yeux la Gardienne, les deux poings serrés dans les poches de son pantalon noir et contre toute attente, il glousse. Elle fronce les sourcils, ayant un mauvais pressentiment. En effet, elle a raison. Tout à coup, il balance sa tête en arrière pour l'abattre avec violence contre son front – plus communément appelé un coup de boule aussi majestueux que celui de Zidane. 

Dans la seconde suivante, il sort ses poings de ses poches et lance une substance granuleuse autour de lui qui s'éparpille sur le sol. Une balle est aussitôt tirée et file vers moi ; je me projette sur le côté, entraînant Levi. Le projectile me manque, mais la détonation déclenche une réaction subite de cette fine poussière grisâtre et il s'en dégage une fumée épaisse qui recouvre peu à peu tout l'espace de la salle. Où Nolan dégote-t-il tous ces trucs ? Bien évidemment, je n'ai pas le loisir de méditer sur cette question et je tire l'expert vers la chambre funéraire, suivi de près par Blaise et les deux autres membres de notre équipe. Nous nous engouffrons dans cette pièce dans laquelle la brume épaisse commence à se répandre. 

 — Vite, par ici ! 

Je piste la provenance de cette voix et aperçois Nolan à l'autre bout. Il a poussé une vieille planche en bois et a exposé un piètre et long tunnel étriqué. Je lâche Levi et me décale pour qu'il y entre le premier. Blaise se stoppe également, Charlène et Riley n'hésitent pas et se jettent là-dedans, ne désirant pas le moins du monde demeurer entre les mains des Gardiens. Inconsciemment, je ressens un nouveau souffle de vie me submerger. En trois semaines de séparation et d'incertitudes, le Triangle de diamant se retrouve quasiment nez à nez. Mes bras entourent leurs épaules pendant une ridicule seconde, mais cela nous insuffle une joie immense. 

— Je t'ai manqué ? murmure Nolan.

— Non, du tout ! ironise Blaise. Entre les cauchemars et ses sautes d'humeurs, il devenait ingérable !

Je me retiens de l'insulter ; il me rit au visage avant de traverser le tunnel. Nolan me tapote le dos et j'emboîte le pas de notre ami. J'espère pour lui et pour nous tous qu'il sera en mesure de nous guider jusqu'à une sortie et que nous pourrons fuir, sinon nous sommes cuits après toutes ces provocations. Malgré la tension accumulée durant le voyage, les cannibales et les blessures, je ne me sens pas en danger. Voici le superpouvoir du numéro un. 

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