Le don de Dieu

Retournons au moment présent où Blaise, suspicieux pour une raison qu'il ignore, parcourt la grande pièce centrale avec intérêt. Il tripote tous les bibelots et en examine certains en faisant sa tête de critique ; c'est-à-dire qu'il agit comme un expert qui découvre qu'un bien est faux, ce qui amène le propriétaire à stresser. Une technique de bluff qui fonctionne parfois. J'indique à Milo par un clin d'œil discret de ne pas s'inquiéter. Je me rends compte que dissimuler des choses à mon ami se révélera plus compliqué que prévu. 

Il me connait tellement et puis je l'aide un peu avec mes expressions assez évidentes. Mes parents se sont toujours moqués de moi, quand j'étais petit et qu'ils ne m'avaient pas encore mis dehors. Que je sois heureux, triste ou que je mente, n'importe qui peut le dire, car mes réactions ne se font pas attendre. Cette caractéristique représente tout le fléau de ma vie. Je ne peux pas jouer au poker, ni à d'autres jeux d'ailleurs qui nécessitent une neutralité absolue. Dans cette industrie, il faut souvent manipuler – ou ainsi que nous l'appelons plus communément, il faut négocier. Je ne suis pas très doué, ce qui m'a conduit à me rapprocher de mes meilleurs amis qui se débrouillent bien mieux que moi.

Au départ de Nolan, je me suis préparé à affronter toutes ces personnes qui m'ont déjà rencontré et qui pourraient voir clair dans mon jeu. Cependant, Blaise est à un tout autre niveau. Je peux berner des connaissances ou de simples collègues, mais, lui, c'est différent. Il m'a un jour appelé de Marseille pour me demander si j'étais malade ; je l'étais. Il l'a compris à ma façon de répondre à ses textos. Je n'imaginais pas que mentir se dévoilerait aussi ardu. Heureusement, je sais que mon ami ne me posera pas de questions pour l'instant. Il part sûrement du principe que je ne lui dis rien, parce que je le dois et c'est le cas. 

— Qu'est-ce qui vous amène dans ma boutique, Messieurs ?

Milo se penche et distingue la silhouette aux courbes, ma foi, plates de Charlène.

— Oh, et Madame !

Je prends immédiatement la parole et tente d'esquiver le sujet de la disparition de Nolan. Sait-on jamais, il pourrait croire que j'ai évincé mon ami ou quelque chose du genre.

— Nous pensons que vous êtes en possession d'un indice qui se rapporterait à la tombe. 

— Ah, cette tombe-là... Je vous l'amène, asseyez-vous, mettez-vous à l'aise.

Milo arbore déjà une mine dubitative. Il s'interroge probablement sur le pourquoi j'utilise des détours dans mes phrases et cache certains détails à mes coéquipiers. L'absence de Nolan l'intrigue également, mais il ne dit rien et s'engouffre dans la petite pièce étroite. 

— Jeune homme, vous qui êtes grand, venez, j'ai besoin de vous !

Il s'adresse directement à moi. Peu subtil, Milo, vraiment peu subtil. Cela ne m'arrange pas et augmente par dix les soupçons de Blaise. Néanmoins, afin de ne pas paraître plus suspect aux yeux de mon ami, je le rejoins dans la pièce et il ferme de moitié la porte, prétextant que l'indice se trouve derrière. Les sourcils froncés, il me détaille de la tête aux pieds, patientant en silence pour que je m'exprime le premier. Puisque je sais ce qu'il veut, je l'informe :

— Nolan vous a assuré que j'étais digne de confiance et de ne répondre qu'à lui et moi. Ne vous inquiétez pas, je gère mon équipe ! 

— Où est-il ? J'aimerais lui parler. Il ne décroche plus à mes appels !

Je tique. Vous voyez, c'est maintenant que je maudis mes réactions authentiques et spontanées. Je me ressaisis tant bien que mal, déduisant qu'il n'a aucune idée de ce qui est arrivé à Nolan. 

— Il n'est pas en mesure de vous répondre. 

Ce qui n'est pas réellement un mensonge. Milo soupire lourdement et laisse tomber. Il voue une grande confiance en Nolan qu'il estime être le plus méritant des pilleurs de tombes, alors il n'a pas envie de remettre en question son jugement en ce qui me concerne. A partir de là, je commence à prier tous les dieux de l'univers pour que personne dans l'équipe n'évoque mon ami et son départ. Autrement, je ne peux anticiper la réponse de l'antiquaire. J'attrape délicatement le cadre contenant le manuscrit et nous sortons de la pièce avec le moins de gêne possible. 

— Expliquez-nous le rapport entre ce manuscrit et la tombe que nous recherchons, exige Blaise en sondant le document. 

— Cette tombe-là, j'en ai entendu parler pour la première lorsque je travaillais au Palais des Papes...

Il raconte son histoire et je l'écoute en hochant la tête régulièrement. Ma fausse curiosité et mes quelques questions pour approfondir perturbent Milo, mais me confèrent une sorte d'alibi auprès des autres. Blaise semble abandonner ses suspicions en plongeant dans le récit du vieillard. Après tout, nous sommes similaires. Un bon mystère et un ancien manuscrit suffisent à nous séduire. Désormais, j'aspire à terminer ce que Nolan et moi avons débuté. Nous devons déterminer la date de ce manuscrit et la personne qui l'a écrit. 

— Voici Levi, présenté-je, c'est un expert en histoire. Par hasard, est-ce que tu lis l'italien ?

Mon jeune expert plisse le front et pouffe. Perplexe quant à son air moqueur, je croise les bras et il m'explique :

— J'ai déjà tout traduit là-dedans pendant que vous parliez !

Il pointe sa tempe. Définitivement, j'aime bien ce jeune ! Blaise et moi, tels les deux charognards à trésor que nous sommes, nous nous avançons en même temps vers la table et invitons, ou plutôt ordonnons, Levi à nous faire part de sa traduction. Il charrie nos visages impatients et nous questionne sur ce que nous souhaitons savoir exactement. Je réponds sur-le-champ que je veux être au courant de tout et il s'exécute sans broncher. D'abord, il retrousse ses manches trop longues pour lui et désigne le manuscrit dans sa globalité.

— La personne a écrit ceci en un italien ancien et très soutenu, ce qui précise la période et sa catégorie sociale. A ce stade-là de ma lecture, rien qu'au premier mot, je peux vous affirmer que ce texte date du Moyen-Age et que l'auteur provenait d'une famille riche, bien éduquée et érudite. En lisant les phrases d'introduction, c'est extrêmement intéressant et amusant le nombre d'informations qu'il nous livre.

Levi adore ça. Il jubile de découvrir et décortiquer ce texte avec nous. Pour sûr, il devait être un étudiant épuisant à l'université, toujours avide de savoir et aux questionnements incessants. Le genre de garçon qui te plaît au début, mais qui t'insupporte à la fin car il ne te laisse plus en placer une et finit par faire le cours. 

— L'auteur était un cardinal ! 

Il marque une pause pour recevoir des applaudissements et des félicitations, mais un silence de plomb secoue la pièce. Soupirant, Levi nous expose son fil de pensée qui l'a mené à cette conclusion.

— Dès les premières lignes, il mentionne un pontife hérétique. Il dit de son environnement qu'il l'a effrayé à un tel point qu'il n'a pu se résoudre à servir l'Eglise. Il s'est volontairement détourné du Seigneur. Pour le bien de sa foi, il a quitté le Collège des cardinaux et s'est retiré. Voilà comment il introduit ce que je suppose être son journal. Seulement, il rajoute que sa fuite de Rome est presque la fin de son histoire et que d'innombrables événements restent à conter. Ce manuscrit témoigne de tout ce qu'il a subi et subira encore tant que le mal ne sera pas éradiqué pour de bon. 

— Quel lien entre ce début de journal et la tombe ? intervient Milo.

— J'y viens ! En fait, il résume très rapidement sa situation et il conclut cette page du journal en jurant de protéger ses secrets accumulés au travers du temps et de détruire le Malin par tous les moyens. Pour ce faire, il a commandé la construction d'un tombeau caché dans lequel il enterrera la vérité du monde avec son corps. Une personne pieuse et inaltérée par les actes maléfiques du Diable découvrira dans sa tombe tout ce qu'il a préservé de son vivant sur des livres d'or et autres supports. Je vous lis la dernière phrase mot à mot. L'art, aussi pur et éthéré soit-il, portera le fardeau des hommes et les libérera de leurs péchés

Un pesant mutisme s'abat sur nous. Nous méditons tous sur le sens de ces mots. J'établis plusieurs constatations. Premièrement, cet homme a côtoyé les plus hautes sphères sociales de l'époque en faisant partie du clergé à la position la plus estimée, hormis celle du pape bien sûr. Deuxièmement, il est parti de Rome par crainte. Il s'est aperçu de quelque chose là-bas ; un complot, un mensonge terrible ou peut-être a-t-il surpris le pontife en plein acte délictueux, une manigance illicite, et s'est retiré de ce monde par déception. 

Troisièmement, je me souviens ce que Levi m'a enseigné ce matin dans la voiture. Lorsque la papauté s'est déportée à Avignon pour s'éloigner notamment des guerres en Italie, un seul pontife gardait le pouvoir. Toutefois, puisqu'il n'est pas retourné dans son pays, un deuxième pape a été élu et cette période s'appelle le Grand Schisme d'Occident. Deux chefs de l'Eglise en même temps. Quel bordel. Il y en a même eu un troisième créé par le concile de Pise, pour l'anecdote. 

A la suite d'un siège à Avignon, le dernier antipape s'exile en Aragon et sa fuite clôt la présence de la papauté en France. Levi n'a pas prolongé ses explications ce matin, prétextant que je serais embrouillé par les années suivantes. Donc, je n'en sais pas plus. Ce cardinal, qui a tant souffert de désillusion sous le commandement du chef de l'Eglise, qui était-il et quel pontife l'a dégoûté à ce point ? Était-ce avant ou après le Grand Schisme d'Occident ? Je n'ai pas besoin d'interroger notre expert, car je ressens son envie de compléter son discours. Il martèle le bois de la table en se taisant pour nous permettre quelques minutes de réflexion. Dernièrement, où a-t-il appris à déchiffrer un italien ancien et soutenu ?

— Comment es-tu parvenu à tout traduire ? 

— Je suis ton expert ! réplique-t-il, de façon logique.

— Oui, mais tu n'as pas lu un italien courant et moderne !

Il hausse les épaules.

— Tu ne pourrais pas mesurer le nombre d'heures que j'ai passé à étudier chaque article, chaque document, chaque archive en quête du moindre renseignement que j'aurais loupé. A ton avis, pourquoi j'ai obtenu la meilleure note de toute ma promotion ? Demande-moi ce que tu veux sur cette période ! De la langue à la politique ou encore les traditions, je peux te répondre sur tous les sujets !

Petit con, je peste dans mon esprit. Je l'admire autant que je peine à ne pas le frapper. Quand il s'emballe un peu trop, il ne renvoie plus une passion de l'histoire, mais une arrogance criarde. Mettant à l'épreuve sa détermination, je m'enquiers du plus important :

— Qui est l'auteur du manuscrit ?

Levi se redresse et sourit de toutes ses dents. 

— Petit con ! Dépêche-toi de répondre !

Si vous n'aviez pas encore compris pourquoi Blaise et moi sommes de grands amis, en voici l'image parfaite. Il m'a ôté les mots de la bouche ! Pendant que Levi se divertit en nous faisant poireauter, Charlène lève les yeux au ciel et saute sur un meuble pour s'y asseoir, s'attirant le regard foudroyant de l'antiquaire. Elle décale les bibelots pour ne pas les abîmer et affiche un rictus soi-disant innocent pour le calmer. Riley, quant à lui, ne prête pas attention à ce dont nous discutons depuis le début. Il s'en moque bien, préférant surveiller l'extérieur par les fenêtres sales. 

— Il existe dans l'histoire un pape en particulier, correspondant à cette période, qui aurait plongé dans des activités satanistes. Accusé d'être un hérétique et traité en tant que tel, il est considéré comme l'un des pires papes ! Boniface VIII ! En fait, je pense qu'il a été l'un des papes les plus haïs ! Sa réputation horrible l'a conduit à être contesté à de multiples reprises, y compris par le roi français de l'époque qui l'a fait prisonnier et l'a humilié lors d'un célèbre attentat d'Anagni. Pour raccourcir l'histoire, il a réussi à s'enfuir et à regagner Rome grâce aux habitants d'Anagni, mais il est décédé quelques jours plus tard. 

— Quand a-t-il vécu par rapport à la papauté à Avignon ?

— Le premier pape à Avignon était le successeur de son successeur à lui. 

— Comment peux-tu certifier que notre cardinal évoque bel et bien ce pape-là ? 

Mes précautions l'égaient, parce qu'il peut mieux montrer son talent. Levi ne rechigne pas à éclaircir son raisonnement. Il fait léviter son doigt au-dessus d'un mot.

— Sa fuite. Durant mes recherches, je suis tombé sur un personnage mystérieux et quasi-introuvable. J'ai voyagé dans de nombreuses archives, mais aucune ne disposait d'informations sur cet individu. Je suis certain de trois éléments à son sujet. Il a réellement existé, puisqu'un historien moins connu de cette époque a écrit une dizaine de lignes à propos d'un cardinal qui aurait fui Rome. Ensuite, il a assisté le Pape Boniface VIII. Le livre en question de cet historien relate justement son pontificat à lui. Et pour finir, il a été effacé de l'histoire. 

D'un côté, j'ai toujours du mal à croire en leur parole et je doute par conséquent de la véracité de ses affirmations. Vous me trouverez peut-être stupide ou paranoïaque, mais je n'aime pas que tous ces détails arrivent d'un coup. Il faut dire que j'étais prêt à des jours et des jours de recherche, de questions et d'incertitudes. Il se pourrait au contraire qu'accepter Levi dans l'équipe soit ma meilleure décision jusqu'à présent. D'un autre, son regard me rassure. Il se réjouit trop de ce moment pour me mentir ou inventer des absurdités. S'il a lu un livre où ce personnage énigmatique apparaît, ce doit être vrai. 

Contre toute attente, Charlène m'empêche de poursuivre mon investigation. Je ne l'avais pas remarqué, mais ses yeux se sont illuminés d'une lueur nouvelle. Je reconnais cette attitude hypocrite et intéressée qu'adoptait son grand-père. Lou tournait systématiquement la tête pendant les enquêtes et ne se mêlait à la discussion qu'en étant sûr de détenir des clefs pour comprendre la situation. Elle bondit et atterrit souplement sur le sol carrelé, se postant à droite de Levi. Ce dernier recule par réflexe. Les jolies filles l'effraient, pauvre garçon !

— Juste parce que tes recherches se sont soldées par un échec, tu présumes que cet homme a disparu de l'histoire. Quel genre de jugement est-ce ?

Tactique classique pour acquérir des renseignements, la provocation.

— Un cardinal dont nul ne parle ? Selon toi, qu'aurait-il bien pu arriver ? 

— Peut-être que cet historien affabulait !

Levi se renfrogne automatiquement. Je me retiens d'éclater de rire et lance une œillade à Blaise. Lui aussi s'extasie face à cet échange. A côté de nous, Milo bouge la tête à chaque fois que l'un d'eux ouvre la bouche, pendu à leurs lèvres. 

— S'il y a quelque chose que je défendrai même dans ma tombe, c'est l'existence de cet homme ! J'ai comparé les descriptions de l'historien avec tous les cardinaux de cette période et d'autres, mais aucun ne colle avec ses caractéristiques. Par ailleurs, ceci est déjà advenu auparavant ! Des princes ont été rayés des archives pour des petites bêtises !  

— Dans ce cas, arrête de nous faire perdre du temps et transmets-nous toutes tes précieuses informations, si tu ne te fiches pas de nous ! 

Il doit se répéter intérieurement de ne pas taper une femme , parce qu'il maintient tout juste son tempérament.

— Un fils d'avocat et avocat lui-même du Cardinal Nicolas Boccasini qui est devenu le Pape Benoît XI, au passage. Ce poste lui a ouvert les portes du Collège des cardinaux !

— Tu as creusé cette piste ? Au lieu de chercher un cardinal, est-ce que tu as fouillé pour trouver l'avocat de Boccosini ?

Levi souffle de frustration et grogne :

— Boccasini ! Et oui, évidemment que j'ai exploité toutes les pistes ! J'ai effectivement déniché une vieille archive qui fait référence à un Maître au service de Boccasini. Cette archive retrace une péripétie qui a obligée Boccasini à user de la loi pour régler une affaire. A nouveau, comme par hasard...!

A ces trois mots, Levi s'écrie avec un ton exagéré.

— Aucune trace de cette affaire ! Je vous le confirme, cet homme sans nom existe et quoi qu'il ait vu durant ses années auprès du pontife, ça l'a forcé à partir et à formuler l'indicible via l'art. Qui plus est, son secret a tellement terrorisé l'Eglise qu'elle l'a complètement supprimé.  

Charlène est satisfaite et le laisse tranquille, gagnant derechef son perchoir. Levi boude encore, mais il reprend contenance et pivote promptement dans ma direction, souhaitant une validation de ma part. Très honnêtement, il pourrait me raconter le plus gros des bobards, j'hocherais de la tête, impuissant à cause de mon ignorance. Blaise et moi acquiesçons simultanément, tandis que l'antiquaire se courbe pour mieux observer le manuscrit qu'il a protégé trente ans. A son air mélancolique, il ressent sûrement un mélange de soulagement pour enfin en apprendre davantage et d'embarras en comprenant que le voile de mystères ne risque pas de se lever de sitôt. 

Je réfléchis en récapitulant les éclaircissements de Levi. Nous courons après la tombe d'un cardinal en fuite et porteur de la vérité du monde. Si je dois deviner ce qu'il s'est produit sept cent ans plus tôt, je pencherais pour une infidélité envers la foi divine. Il aurait décelé une trahison si terrible commise par son pontife qu'il n'aurait plus toléré de vivre à ses côtés et ce dernier aurait tout mis en oeuvre pour effacer son existence afin de préserver son secret. Il se pourrait que ce soit si grave que plusieurs personnes soient impliquées et que l'Eglise ait été contrainte de réagir aussitôt. 

Deux problématiques demeurent. En premier lieu, cela m'étonne que cet homme soit parvenu à laisser des traces. Comment ce manuscrit est-il entré au Palais des Papes des siècles après sa mort ? L'art me surprend aussi. Pourquoi choisir des sculptures, des livres et autres œuvres pour témoigner de la vérité du monde, surtout si le but est d'avertir les générations futures ? Rédiger un long et précis récit dans un manuscrit unique aurait été plus facile à conserver et à transmettre. 

En repensant aux phrases de son journal, il m'apparaît que ce cardinal détestait plus que tout le Malin et toutes ses représentations. Pour lui, l'art compte beaucoup. A en juger par sa manière d'en parler, il  l'associe au Bien. En optant pour des œuvres, cet homme a cru sauver son inestimable savoir par le biais de ce moyen pur. Fascinant et un brin inutile, avouons-le. En conclusion, nous sommes en droit de contester les véritables motivations des individus qui nous pourchassent : désirent-ils connaître cette fameuse vérité du monde ou sont-ils attirés uniquement par les trésors ? 

La deuxième problématique concerne Levi. Il me ment et cette fois-ci j'en suis convaincu. Lentement, je contourne la large table ovale et attrape le bout de sa veste en le traînant derrière moi. Stupéfait, il me suit en regardant les autres avec les yeux écarquillés. Charlène s'apprête à m'arrêter en tendant le bras vers moi, mais je l'en empêche et glisse un regard vers Blaise pour qu'il les occupe. Il me fait signe qu'il se charge de tout. Riley se plaque presque contre la fenêtre pour continuer de veiller sur notre sécurité, même quand nous sortons en fermant la porte. Je me place dos au mercenaire dans le cas où il serait capable de lire sur les lèvres.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? 

Je le toise, muet. La tension grandit en lui, mais Levi reste penaud.

— Tu n'aurais pas quelque chose à me dire ? Pour t'éviter quelques peines, je suis déjà au courant de ce que tu n'as pas dévoilé aux autres, mais je t'ai amené dehors pour que tu m'expliques pourquoi tu as gardé ça pour toi. Est-ce que tu as conscience que je ne t'autoriserais pas à quitter cette équipe ?

Levi inspire durement et murmure à la manière d'un enfant grondé :

— Tu as deviné la raison, alors pourquoi est-ce que tu demandes ?

— Pour t'octroyer une chance d'être sincère et de ne pas fauter.

— Fauter ? pouffe-t-il, amèrement. Tu me tueras si je pars ? 

Mon silence l'alarme et il fait quelques pas en arrière. Je me rapproche et braque mon regard résolu dans le sien troublé. Bien évidemment, je ne le tuerai pas, mais il n'en a aucune idée. Je chuchote et chacune des syllabes lui tire un frisson.

— Mon meilleur ami est mort à la recherche de cette tombe. Personne ne me ralentira. Est-ce bien clair ?

Sa tête remue en un mouvement frénétique. Je m'écarte pour qu'il puisse respirer et patiente sagement. Il n'hésite pas et retourne à l'intérieur. Immédiatement, il pose son index sur la tache à moitié effacée sur le manuscrit. Les autres s'interrogent sur son comportement soudain et étrange, alors que Blaise me sourit, ravi de mes méthodes de persuasion. Levi réclame une loupe à Milo qui se hâte d'en récupérer une dans sa réserve. L'expert examine avec attention le papier. 

En haut à gauche, j'avais repéré à ma première visite chez l'antiquaire ce qui ressemble à un gribouillis. Je sais que Levi l'a vu à notre arrivée, puisqu'il le fixait ardemment pendant que l'antiquaire racontait l'histoire de ce manuscrit. Ses yeux ont brillé de joie en discernant des lettres vagues. Nolan et moi pensions que cette tache pourrait être le nom de l'auteur et nous avions convenu que je devrais vérifier cette théorie en revenant ici aujourd'hui. Notre expert, obsédé par ce cardinal inconnu, a tenté de nous le cacher pour s'accaparer l'information et faire tout seul cette découverte. En définitif, c'est vraiment un petit con !

— Qu'est-ce qui se passe ? 

Charlène n'aime apparemment pas être mise de côté.

— Chut, laisse faire notre expert !

Elle me tire la langue, mais je me détourne et me concentre sur Levi. Il se redresse et déclare tout sourire :

— Même avec une loupe, la lisibilité n'est pas top ! Mais, en prenant en compte les prénoms italiens de l'époque, j'ai trouvé comment s'appelle notre cardinal ! 

Nous sommes tous focalisés sur Levi, en particulier Milo qui meurt d'envie d'en savoir davantage.

 — Il s'appelle Donatello ! Ça signifie don de dieu !

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