La nécessité de mentir
Je n'ai pas été franc avec vous et j'ai omis certains détails. Je vous ai dit que Nolan s'était littéralement incrusté chez moi et que je l'avais bien sûr accueilli, puis que je m'étais chargé de l'assister dans ses recherches. La vérité diffère quelque peu. En réalité, nous enquêtions depuis des semaines sur cette tombe et je prenais part à chacune de ses investigations, le suivant de partout où il se rendait. J'en sais davantage que je le prétends. Cependant, pour le bien de cette équipe et le bon fonctionnement de notre voyage, je dois à tout prix taire les informations dont je dispose.
Néanmoins, pour une meilleure compréhension de cette affaire, je vous expliquerai dans les paragraphes suivants ce qu'il s'est produit entre le jour où Nolan a débarqué chez moi et celui de son départ. Pardonnez-moi si je demeure évasif sur des points cruciaux ou que je mens encore. Je pourrais même ne pas terminer. En ce monde, voyez-vous, il y a ceux qui trompent les autres par plaisir ou malice et il y a ceux pour qui dissimuler la vérité devient vital. Je n'aime pas vraiment feindre, que ce soit à mes ennemis et à mes amis. Malheureusement, je suis forcé d'agir à l'encontre de mes principes. Ceci, je vous préviens tout de suite, vous n'en connaîtrez pas les raisons avant un moment. Il se pourrait d'ailleurs que ce soit la plus importante des informations.
Je me souviens encore, de façon très claire et limpide, cette soirée de décembre. La météo avait été clémente. Né en ce mois si froid, j'apprécie quand le soleil est dégagé, le soleil brille et les températures froides cassent la chaleur avec son vent glacial sans pour autant nous déranger. C'est peut-être mon temps préféré. Par conséquent, j'avais été d'une excellente humeur toute la journée. J'avais prévu de dîner dans un restaurant asiatique sans compagnie. Nolan vadrouillait quelque part en France, ou pas, je l'ignorais. Blaise faisait sa vie à Marseille. Mes autres contacts n'étaient pas disponibles pour sortir avec moi.
Résolu à tout de même me rendre présentable, je m'étais douché et je choisissais mes vêtements au moment où un martèlement quasi-incessant résonna dans tout mon appartement. Dépité par la détermination de l'intrus à m'avertir de sa présence, j'avais enfilé mon pantalon à toute vitesse et couru jusqu'à ma porte en me débattant avec un vieux pull à moitié troué. Je l'avais ouvert à la volée, prêt à engueuler la personne. Seulement, tous mes muscles se détendirent et un sourire remplaça mon agacement. Nolan se tenait devant moi, recroquevillé, une main sur le ventre.
— Salut, tu en as mis du temps pour ouvrir.
Sur ces mots, il rentra et m'aurait bousculé si je ne m'étais pas décalé. A cause de son empressement et de sa posture, je m'étais inquiété et avait cherché une blessure sur lui, ou quelque chose du genre. Nolan se jeta sur mon canapé et observa ma cuisine. Je suivis son regard et compris qu'il voulait de l'eau. Je lui en apportai et m'enquis :
— Tu es blessé ? J'ai ma trousse de secours si besoin. Tu as été suivi jusqu'ici ?
Ma frénésie l'amusait et ses lèvres s'étirèrent, tandis qu'il se redressait pour me montrer qu'il allait bien.
— Calme-toi, Jas'. J'ai juste monté les escaliers.
Mon visage défait semblait le divertir deux fois plus et je soupirai. Pourquoi n'avait-t-il pas pris l'ascenseur dans ce cas et comment un pilleur de tombes aussi agile que lui pouvait-il être mauvais à ce point en endurance ?
— Il fallait absolument que je te parle d'une découverte. Tu verras, je suis sûr que tu vas adorer !
— Nolan, soufflai-je. Je meurs de faim. Ne peux-tu pas me raconter au restaurant ou plus tard ?
Il hocha la tête négativement. Une lueur dans son regard m'avait interpellé, je m'en rappelle très distinctement. Il me fixait comme s'il savait pertinemment que je renoncerais à mon restaurant. Nolan sortit un bout de papier de sa poche arrière et le déposa sur la table basse avec fierté. Je ne saisis pas du tout et eus l'air très bête à jauger tour à tour les chiffres sur la feuille et mon meilleur ami. J'avais déduit après coup qu'il se moquait de moi et de ma mine dubitative. Mettant fin au suspense, il se justifia :
— Ma famille m'a avoué l'existence d'une tombe qu'ils rêvent de trouver et de piller. De ce qu'ils m'ont expliqué, elle renfermerait la vérité du monde et contiendrait des trésors inimaginables. Mon père a refusé de l'admettre, mais ma mère affirme qu'ils sont au point mort. Ils ne détiennent pas le moindre indice malgré des années de recherches.
Ma curiosité avait été piquée en une seconde et je le scrutai avec le désir brûlant de l'or dans les yeux. Nolan ricana de mon état intrigué.
— Je suppose que tu as réussi à dénicher une piste. Sinon tu ne serais pas là.
A nouveau, il secoua la tête et m'informa :
— En fait, j'ai commencé à fouiller sur le forum et il est vrai que cette fameuse tombe revient souvent dans les conversations, mais personne ne sait comment l'atteindre, ni même à qui elle appartient ou de quelle époque elle date. La légende certifie qu'elle est la plus dangereuse et mortelle de toute l'Europe, mais aucun pilleur vivant n'a confié quoi que ce soit sur ses pièges ou son trésor. Il semble que les rares à y réchapper s'enterrent avec le secret.
— Et donc ? insistai-je, impatient. Quel rapport avec ce numéro de téléphone ?
Son sourire avait largement grandi.
— Apparemment, mes quelques recherches sommaires ont attiré l'attention d'un individu disposant d'informations essentielles pour localiser la tombe. Il m'a appelé et m'a paru mystérieux, peureux et à l'affût. Il craint pour sa vie, si le monde découvrait quel secret il garde. Je te répète ses paroles. Selon lui, je suis un méritant et je n'ai pas vendu mon âme au diable, donc je suis digne de recevoir son témoignage. Il m'a invité chez lui dans deux jours pour me faire part de son indice. Il a assuré que je ne devais plus creuser, ni questionner quiconque pour notre survie à tous les deux. Pour finir, avant de raccrocher, il m'a fait promettre de ne jamais révéler son existence et évidemment son adresse.
Il se cala confortablement dans le canapé et joua avec les poils de mon coussin, pendant que je réfléchissais. Traînant parfois des heures sur notre forum privé, je me remémorais effectivement des mentions par ci par là d'une tombe aux milles et un pièges, à l'accès presque impossible, mais aux trésors extraordinaires. D'après Nolan, elle comporte davantage que de l'or. La vérité est par nature hors d'atteinte, puisqu'elle est subjective et propre à chacun. L'absolue véracité d'une chose ou d'une autre n'existe pas.
Si les légendes et rumeurs s'avèrent correctes, cette tombe posséderait des clefs ou des réponses concernant la vérité du monde. Quelle forme prendrait-elle ? Des peintures murales, des manuscrits ou un autre type de représentation ? Qui aurait pu l'intercepter et en attester jusque dans sa tombe ?
Nolan avait gagné. Non seulement je n'avais plus du tout faim, mais en plus j'étais tellement séduit par ce lieu qu'une envie débordante de le localiser m'agrippa les tripes. Et, à côté de moi, il souriait en se félicitant lui-même pour cette trouvaille.
— Si je récapitule, cet homme t'a clairement sous-entendu que ta vie serait en danger tant que tu rechercherais cette tombe et le premier truc que tu fais après son appel, c'est venir chez moi pour tout me dire... Honnêtement, j'ai de la peine pour tes parents ! Tu devais être un enfant turbulent et désobéissant ! N'est-ce pas ?
— Oui, exactement ! A ton avis, pourquoi est-ce qu'ils m'ont balancé dans une tombe dès mes quinze ans ? Je reste convaincu qu'ils ont tenté de se débarrasser de moi !
Je pouffai et Nolan chassa vivement cette raillerie pour revenir au sujet principal.
— Je t'ai tout dit pour qu'une personne soit au courant. Imagine que cet homme soit un fou furieux et qu'il essaie de me tuer. Quelqu'un doit savoir où j'ai été et qui m'aura fauché.
Son ton désinvolte m'irritait.
— Parce que je ne t'accompagne pas ?
Il haussa les épaules, renvoyant une expression nonchalante de désintérêt. Cette attitude donnait l'impression de me laisser le choix, sauf que nous étions tous les deux parfaitement conscients qu'il m'avait rendu cette petite visite tard le soir pour que je le rejoigne dans sa quête. Vous vous en doutez déjà, mais j'avais accepté avec une excitation à peine contrôlée. Nolan avait pris quelques minutes pour me relater avec précision toute sa discussion téléphonique avec l'informateur afin que je ne manque d'aucun détail.
Puisque cet homme habitait dans le sud de la France, nous nous étions avancés vers cette destination en gagnant Nice et la villa en bord de mer des Delacroix. Notre bref séjour là-bas constitue un souvenir assez mitigé dans ma mémoire, encore aujourd'hui. D'un côté, nous avions été reçus en grandes pompes par sa famille et j'avais dégusté une nouvelle fois les plats traditionnels de la région que sa mère prépare avec merveille et amour. J'apprécie énormément ses parents – notez qu'ils n'étaient pas venus à l'enterrement.
Leur tendresse pour leur fils n'égale aucune autre affection et ils considéraient que Nolan devait reposer à Nice. En revanche, puisqu'il était un adorateur de Paris et de ses extravagances, ils m'ont expressément réclamé que je m'occupe des funérailles à la capitale également. De toute façon, son corps avait disparu, donc pourquoi pas avoir deux tombes. En toute sincérité, je regrette cette décision, puisque j'ai dû payer de ma poche ce deuxième enterrement et je me retrouve fauché. Mais, au final, la volonté de mon ami a été respectée et c'est tout ce qui compte – bien que je pleure encore à ce jour mes euros partis en fumée dans le cercueil et les fleurs.
Reprenons à notre séjour niçois. Comme je vous le disais, ses parents m'ont toujours bien traité. De par leur nom, Nolan n'a pas connu de réels amis. Solitaire et envahi par les envieux, les fourbes et les hypocrites, il pillait les tombes avec sa famille la plupart du temps et détestait se joindre à une équipe d'inconnus qui lui léchait l'arrière-train pour des faveurs. Avec moi et mon franc-parler, il avait pu se relaxer et s'appuyer sur un véritable acolyte. Je lui avais présenté Blaise lors d'une descente qui nécessitait les talents du marseillais et voilà comment avait débuté cette amitié.
D'un autre côté, ce séjour à Nice ne s'était pas déroulé comme prévu. Techniquement, nous n'y étions pas allés pour des vacances en attendant l'heure de notre rendez-vous avec l'informateur. Non, bien au contraire, nous avions combiné une tactique pour arracher des renseignements à sa famille, ceux qu'ils ne lui avaient pas livrés la première fois. Nolan était persuadé que ses parents cachaient des éléments, surtout son père. Nous les avions pratiquement harcelés pour qu'ils crachent le morceau et ils avaient fini par s'énerver, interdisant à leur fils de poursuivre sur cette voie.
La nuit précédant notre départ, je m'étais réveillé en sursaut. La chambre d'ami se situait loin de celle de Nolan, mais à proximité de celle de ses parents et de la terrasse. Je m'étais aventuré en silence dans cette villa, parce qu'un bruit reconnaissable en hantait les couloirs. Des sanglots. En arrivant dehors, j'avais distingué les épaules voûtées de sa mère, en larmes. Elle m'avait vu et avait séché ses joues, trop tard. Notre discussion ce soir-là m'avait bouleversé et j'avais songé à ma propre génitrice. Où était-elle ? M'aimait-elle un peu ?
— Tu ne comprendrais pas, Jasper. Va te coucher et oublie ça.
— La mère de mon meilleur ami pleure toutes les larmes de son corps à deux heures du matin. Excusez-moi, mais je n'effacerai pas ces images de mon esprit. Mais, vous savez comment nous sommes après des années d'expérience dans cette industrie. A force de côtoyer les tombes, nous devenons aussi silencieux que les morts. Dites-moi ce qui vous tracasse, je ne le répéterai pas.
— J'avais raison, susurra-t-elle à la lune. Tu es vraiment un bon garçon. Déjà à l'époque de votre rencontre, je m'étais sentie soulagée de voir mon fils sourire en évoquant un ami, un autre pilleur. C'était comme si mon boulot de mère s'arrêtait, ou du moins se mettait en pause. Maintenant qu'il comptait pour quelqu'un et sur quelqu'un, qu'il s'éloignait de nous et prenait son envol, j'étais en mesure de relâcher la pression. Désormais, je peux sans hésitation valider mon jugement. Tu as changé la vie de Nolan. Merci, Jasper.
— C'est réciproque ! avais-je gloussé.
— Tu conviendras que ce métier n'est pas fait pour n'importe qui. En tant que mère, je haïssais que la famille Delacroix décide de le présenter aux tombes à un si jeune âge. Si ça ne tenait qu'à moi, je l'aurais épargné jusqu'à sa majorité et il aurait suivi sa propre voie. Qu'il soit un pilleur ou non, je lui aurais laissé du temps pour qu'il pèse le pour et le contre. Je ne suis pas parvenue à m'opposer à son père. Ne te méprends pas. Bien sûr, mon époux chérit notre fils autant que moi, mais sa branche familiale est piégée dans l'engrenage fatal du pillage de tombes. Ils ne remarquent plus le mal que cette industrie produit sur les gens. Je ne supporterais pas que Nolan soit blessé à cause de nous, ou pire.
En connaissant tous les événements des derniers mois et la disparition soudaine de Nolan, cette conversation m'assène cent coups de poignards dans l'estomac à chaque fois que j'y repense. Je n'en ai pas reparlé avec elle, mais j'espère au fond de moi qu'elle ne désespère pas et ne dépérit pas de chagrin. Son pire cauchemar s'est réalisé et elle l'a subi, impuissante. Cette nuit-là, elle m'avait dévoilé beaucoup de ses secrets et de ses fardeaux, notamment celui qui se rapportait à la tombe mortelle.
— Lorsque mon mari a mentionné cette foutue tombe devant lui, je n'ai pas anticipé son avidité de savoir. Je l'ai mis en garde, pourtant ! J'ai bien insisté sur les dangers et les rumeurs extrêmement alarmantes, mais...je crois que ça l'a encore plus poussé à la chercher. Oh, Jasper, s'il te plaît, est-ce que tu pourrais le stopper ? Tous ceux qui ont fouinés sont morts dans des circonstances suspectes et ceux qui sont parvenus à l'explorer ont passés le reste de leur vie à fuir ou à se faire torturer. Je t'en supplie, empêche-le !
Son regard par la suite m'avait brisé le cœur. Elle avait lu dans mes yeux toute ma détermination et mon désir de localiser la tombe. La pauvre femme avait fondu en larmes à nouveau et je l'avais consolée en lui chuchotant des paroles réconfortantes. Les remords la rongeaient à l'époque et doivent probablement la détruire aujourd'hui. Une fois apaisée, je lui avais saisi les mains avec douceur, je m'étais penché et avait murmuré, le ciel étoilé comme témoin :
— Nolan a été désigné. Une personne l'a contacté en lui faisant suffisamment confiance pour lui offrir son secret. Je ne peux pas vous promettre de le sauver de ses envies, puisque je porte les mêmes qui lui. Par contre, je vous jure qu'il renoncera à cette tombe, si cet informateur est un imposteur.
— Mais si vous obtenez votre piste, vous persisterez.
— C'est la chance de sa vie, avais-je rétorqué.
— Protège-le, Jasper. Protège-le jusqu'au bout.
J'avais acquiescé avec assurance. M'en veut-elle pour avoir brisé ma promesse ? Je me pose cette question depuis son enterrement. Je ne l'avais pas quitté de la nuit et nous avions prétexté un lever tôt pour ne pas éveiller les suspicions de la famille. Sa dignité de femme refusait que Nolan sache pour ses troubles. Nous avions quitté la ville, contrariés de ne rien avoir pu tirer d'eux. Mon meilleur ami avait repéré une lueur étrange dans mon regard. En le contemplant, je revoyais sa mère et ses larmes. Cette tombe la terrorisait uniquement à cause des rumeurs et je m'interrogeais de plus en plus. Devrais-je le dissuader de prolonger cette aventure ? Bien d'autres souterrains nous attendaient, en France et dans le monde.
Coupable de mon silence, je n'ai jamais aspiré à le restreindre, dominé par un besoin similaire de piller le tombeau. Je préparais mes discours pour qu'il ne donne pas le trésor aux autorités et que nous en profitions pour une fois. Je piaillais souvent dans ses oreilles, suggérant de garder l'or pour nous. Cela le faisait rire. Nolan soupçonnait que je le retiendrais coûte que coûte de céder notre découverte et il insinuait en retour qu'une tombe pareille devait être étudiée par les archéologues et par les historiens, m'amenant à penser que je passerais à côté du plus gros butin de ma carrière. Je m'en fâchais et marmonnais des insultes qui le rendaient hilare. En d'autres termes, j'ai pleinement participé à ce qui est advenu ensuite.
— Est-ce que nous envisageons un plan de retrait au cas où ? avais-je questionné, à Avignon.
— Hum..., je propose de courir ! Ça fonctionne toujours !
Près de la cité des Papes, nous étions arrivés à la maison de notre informateur. Petite, coquette, provençale comme pas possible et chaleureuse. Exposée au soleil, elle ressemblait à un havre de paix, un oasis au milieu de ce désert de lavandes. Le grillage en vieux fer était ouvert et nous étions entrés en appelant le propriétaire, aux aguets. Nolan avait été plus intelligent que moi, comme d'habitude ; muni d'un couteau portatif qu'il masquait sous son manteau d'hiver, il ne redoutait pas une entourloupe, sûr de lui. Un homme âgé était apparu et avait longuement détaillé mon meilleur ami. En comparant avec une photographie, il se décrispa et le salua gaiement avant de se tourner vers moi, avec dédain.
— Qui est-ce ? Nous étions d'accord sur votre venue, vous et vous seul.
— Il s'agit de mon meilleur coéquipier. De toute manière, nous pillerons la tombe ensemble. Autant qu'il assiste au procédé, cela m'évitera de tout lui résumer plus tard !
— Vous risquez nos vies à tous les deux ! peste le vieillard. Je ne vous ai pas contacté avec une prudence méticuleuse pour que vous gâchiez tout !
Nolan m'estimait beaucoup et se sentit personnellement attaqué.
— Jasper de Villiers travaille avec moi depuis des années ! Il ne risque pas de me trahir.
Tout d'un coup, le vieil homme afficha de la surprise, puis une neutralité étonnante.
— Je connais ce nom. Bon..., alors je l'autorise à entrer ! Tâchez à l'avenir d'honorer vos engagements. Vous aviez promis de ne rien dire.
Nolan et moi avons du mal à remplir nos promesses.
— Qu'avez-vous à nous montrer ? interrogea Nolan.
Le vieil homme nous guida à l'intérieur et referma sèchement les battants de l'entrée, en glissant un regard méfiant dehors. Il trottina dans une pièce sombre, pendant que Nolan et moi vérifions notre environnement. Tout semblait en ordre. Il revint avec un cadre dans lequel un ancien manuscrit était maintenu sous verre. Il nous exposa sa fameuse information. En l'écoutant déblatérer aussi vite, j'avais dû me concentrer au maximum pour suivre. A priori, il bossait au Palais des Papes dans sa jeunesse en tant que réceptionniste à l'accueil et il aidait de temps en temps à ranger la réserve.
Un jour, il avait tout nettoyé et avait buté dans un meuble bancal qui s'était écroulé. Affolé, il avait tenté par tous les moyens de le remettre droit, mais avait aperçu ce morceau de papier effrité par les décennies. Sa famille faisait partie de notre industrie et quand il avait distingué les mots or et tombe en italien, il avait blêmi et s'était confronté à un dilemme. L'emporter avec lui pour le soumettre à l'œil d'un expert ou ne plus y toucher. Dans un but naïf de prouver ses talents, il l'avait volé et avait démissionné quelques semaines plus tard.
— J'ai quitté la ville un moment et mis de côté ce manuscrit dans l'éventualité où les gérants du Palais des Papes se rendraient compte de sa disparition. Finalement, j'ai retrouvé un boulot et je ne me suis plus souvenu de ce papier, submergé par le travail. Plusieurs mois se sont écoulés avant que je m'en rappelle. J'ai immédiatement contacté une connaissance italienne. Je le parle plutôt bien, mais j'avais de grosses lacunes à l'époque. Cette connaissance n'a pas réussi à tout traduire, mais ce manuscrit appartiendrait à un homme ayant vécu au quatorzième siècle, sûrement à la période des papes à Avignon. Il soutient être en possession de la vérité du monde et avoir fait don de ce savoir à qui trouverait ses livres d'or, ses sculptures et autres supports qui, vous le savez, représentent une somme astronomique de nos jours.
— Vous êtes parti à la recherche de cette tombe ?
Il ne me répondit pas sur-le-champ, le regret se peignant sur son visage ridé.
— Non. Lorsque j'en ai parlé autour de moi afin de glaner des informations, j'ai ressenti le danger à des kilomètres et je ne me suis pas trompé. Des personnes s'en sont pris à moi et ont saccagé ma maison. Je me suis enfui au Pérou dans le coin le plus paumé et j'y suis resté trente ans. Ce manuscrit a détruit toute ma vie, mais...pour la mémoire de ma famille, pour le trésor qui patiente et pour ma conscience, je veux que cette tombe soit découverte ! J'ai longtemps observé la nouvelle génération de pilleurs et j'en ai conclu que vous, Nolan Delacroix, êtes un méritant. Vous ne courez pas après l'or et vous préservez autant que vous le pouvez l'histoire. Vous êtes un homme bon qui, je le crois, ne me tuera pas et cherchera la tombe pour sa préciosité historique, et non pour son trésor.
Ce vieil homme avait totalement cerné Nolan. Je m'étais retenu de commenter à quel point ce comportement m'énervait, car il m'aurait jeté hors de sa maison. Pourquoi être pilleur de tombes si tu ne pilles pas de tombes ? J'avais repoussé cette réflexion. Mon meilleur ami s'était d'ores et déjà penché sur le document. Il ne connaissait pas un brin d'italien, son inspection se termina vite. Il s'était redressé et avait déclaré sur un ton solennel :
— Quel que soit le secret de cette tombe et sa vérité, je la sauverais. Je vous remercie, Milo l'antiquaire. Merci infiniment.
Nolan médita aussitôt à la suite des événements. Il fabriquait une stratégie, alors que nous n'étions pas encore partis. Subitement, il s'exclama :
— Si quelqu'un vous contacte en mon nom, ne répondez pas et fuyez à nouveau ! Ne parlez qu'à Jasper ou à moi, si vous avez la preuve que c'est bien nous. Ma famille a formulé à de nombreuses reprises leur crainte à propos de cette tombe, ainsi que sa faculté a tué les gens avant même qu'ils ne l'atteignent.
Le vieil homme avait éclaté d'un rire gras et amer.
— Ce n'est pas la tombe qui tue, mais ceux qui désirent y arriver les premiers !
Milo l'antiquaire n'avait plus prononcé le moindre mot, l'air mélancolique. Les souvenirs de son attaque des années auparavant le tourmentaient sans relâche. Il avait perdu toute sa vie à préserver ce manuscrit et à fuir les personnes qui recherchent activement la tombe. Il la déteste autant qu'il souhaite en connaître les mystères. Cet homme ne permettra pas à la mort de l'attraper dans ses bras ; il ne mourra pas sans avoir des réponses. En faisant le tour de notre génération de pilleurs, ce vieillard en avait déduit que Nolan accomplirait cette mission à sa place.
Mon meilleur ami n'avait pas réfléchi deux fois. En serrant la main de cet homme, ce fut tout un espoir qui naquit en lui. Son unique motivation à cet instant était de localiser cette tombe maudite et de rapporter les réponses au vieillard. Ce jour-là, les mots déchirants de sa mère résonnaient encore en moi. Je constatais le désir dévorer le regard de Nolan et je ne savais pas comment le prendre. Était-ce une bonne nouvelle ou la pire de toutes ? Mon cœur se broie en y songeant. Si j'avais su que cette conversation marquerait le début d'une obsession coriace et viscérale, je lui aurais cassé les deux jambes à Paris pour que nous ne descendions pas dans le sud. J'ai échoué à l'écarter des dangers et j'en paie le prix aujourd'hui.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top