L'aventure de toute une vie

Mes yeux glissent naturellement sur Blaise. Bien que je sois soulagé qu'il m'accompagne dans ce nouveau projet, la peur de le perdre m'agrippe le cœur. Lorsque des pilleurs de tombes s'allient et qu'ils forment avec le temps un groupe d'amis, il est évident que cette appréhension grandit au fur et à mesure. En route vers les dangers, vous ressentirez systématiquement l'effet de cent coups de poing à l'estomac et vous prierez avant de partir pour qu'ils reviennent sains et saufs, que vous soyez croyants ou non. J'éprouve actuellement cette sensation désagréable, doublée par une sorte de culpabilité puisque je suis celui qui a choisi d'y aller et triplée par la renommée angoissante de cette tombe. 

Toutefois, je ne peux y méditer plus longtemps, car Blaise se stoppe net, se fige et affiche une expression éberluée. Je l'imite par réflexe et suis son regard. Nous avons atteint sa voiture et devant celle-ci se trouvent trois lourdes et grosses caisses en métal, ainsi que cinq sacs à dos pleins et gonflés, semblant prêts à exploser. Quand le fournisseur a-t-il eu le temps d'effectuer cette livraison ? Il était avec nous durant toute la conversation et s'est enfui juste après. Perplexe, j'en conclus qu'il a ses méthodes. 

Je remercie ce Pierre-Louis intérieurement et bondis en simultanée avec Blaise sur les caisses, ce qui nous intrigue le plus. Il en ouvre deux et je m'intéresse à la dernière. Nous nous immobilisons un instant, bouche bée, accroupis par terre. Quiconque passerait dans le quartier supposerait que nous venons de trouver le Graal. Techniquement, ce ne serait pas faux. Sous nos yeux stupéfaits, nous contemplons le crème de la crème en matière d'équipement. D'une technologie avancée et sûrement très coûteuse à des ustensiles de qualité, le fournisseur ne nous a pas mentis. Je distingue aussi une liasse de feuilles sous un drône, probablement des instructions de Nolan. Nous les lirons plus tard.

Imaginez la plus délicieuse des pâtées pour chat, l'animal y résisterait-il et ne serait-il pas émerveillé par ce sublime met ? Pour nous, c'est la même chose. S'il s'agissait de nourriture, je saliverais. Qui plus est, mon esprit maniaque est apaisé par ce rangement exceptionnel. Tout est compartimenté et empilé de façon à ne rien briser en chemin. Je suis à la fois épaté et effrayé. Combien tout ceci a dû coûter ? Je songe à Nolan et à son compte en banque vide. Je comprends mieux. Blaise ne s'en remet pas non plus.

— Bon sang, Jasper, je t'accompagne où tu veux avec ce matériel-là ! C'est tellement magnifique que mes pupilles fondent ! 

Je pouffe à son ton théâtral.

— Nolan nous a vraiment laissés des surprises formidables ! Qu'est-ce que j'aime ce gars ! 

Il soupire en réalisant la portée de ses mots et me lance une œillade en biais. Blaise se dépêche d'enchaîner pour ne pas gâcher l'ambiance, j'apprécie l'effort :

— Honnêtement, je peux mourir dans cette fichue tombe ! Je suis sérieux ! En fait, j'ai envie de mourir là-bas. Comme ça, je mourrais avec l'équipement digne des rois des pilleurs ! Tu sais quoi, Jasper ? Tue-moi une fois que nous serons arrivés et enterre-moi tout de suite !

Je ricane en secouant la tête. Ce type reste égal à lui-même, autrement dit c'est un crétin. Néanmoins, ce serait en effet agréable de mourir pour des pilleurs dans la plus dangereuse tombe d'Europe et avec un pareil matériel. Nos cadavres resplendiraient parmi tous les autres. Tandis que je pense à cette aventure qui commence plutôt bien, je tressaille violemment et le frisson perdure dans ma nuque, de la même façon que si vous étiez observés véhément par quelqu'un. Je réprime l'urgence de me retourner et me redresse calmement. Je tapote l'épaule de Blaise et déclare :

— Chargeons l'équipement dans la voiture et partons vite. Agis normalement.

Il saisit immédiatement que quelque chose cloche et obéit. Je m'efforce de maintenir un visage plus ou moins neutre, mais mes traits sont tirés et mes sourcils se froncent. Blaise attrape la première caisse et fait une blague sur ses pets, dont je vous épargnerai. Il me tend une perche pour que je me déride et sa plaisanterie nulle me permet de sourire à nouveau. Nous terminons à la hâte de remplir le coffre et l'arrière de la voiture, puis nous y grimpons et il démarre tranquillement, sans se presser tout comme il le ferait d'habitude.  

— Tu l'as repéré ? me demande-t-il. Où est-il ? 

Je cherche la personne qui nous épiait au travers des rétroviseurs, mais ne discerne rien de tout. Pas la moindre ombre. J'hoche négativement de la tête et Blaise conduit en direction de l'appartement en sifflotant une mélodie désordonnée. Je déteste que l'on m'espionne, en particulier quand notre fournisseur sous-entend que des adversaires mystérieux vont nous mettre des bâtons dans les roues. 

— Oh ! s'exclame Blaise. Et les voilà ! Je ne les vois pas de manière distincte. Ils portent des casquettes et des masques en tissu. 

Ils n'apparaissent pas dans mon rétroviseur. J'hésite à pivoter, mais ne veux pas qu'ils sachent que nous avons détecté leur présence. Alors, je me répète encore et encore de ne pas regarder. Blaise n'accélère pas et zieute du coin de l'œil pour vérifier que l'ombre de leur voiture ne s'envole pas tout à coup. Il roule jusqu'à une avenue à deux voies, mais bifurque dans une minuscule allée. Au lieu de conduire tout droit, il emprunte trois ruelles qui nous ramènent au point de départ. Nos poursuivants tombent dans le panneau et continuent en nous passant devant sans nous remarquer. 

— Intelligent, commenté-je, mais inutile. S'ils étaient au courant pour le fournisseur, ils nous connaissent déjà. Ou ils ne vont pas tarder à nous connaître ! 

— Ton appartement n'est plus sûr ? Nous devrions peut-être dormir à l'hôtel ce soir ou chez un ami à toi ?

— Hum, non, il ne vaut mieux pas. Je me suis fauché pour l'enterrement de Nolan et tu n'as plus un sou ! Et je n'entraînerai personne d'autre dans cette histoire. Ils ne faisaient que nous suivre. Présumons que ces individus sont encore en phase d'observation. Rentrons à l'appart' et vivons comme s'ils n'existaient pas. Tant qu'ils ne sont pas menacés, ils ne devraient pas intervenir. 

— Il faut se dépêcher de monter une équipe ! acquiesce Blaise. Cinq sacs à dos. Tu crois qu'il ne nous manque que trois acolytes ? Pour cette tombe-là ? 

J'hausse les épaules.

— Tu as pu expérimenter par le passé que la vigilance s'amoindrit en rapport aux nombres de participants. Plus il y a de personnes, moins tu peux tous les surveiller et les aider en cas de besoin. Mais, j'admets que cinq est trop peu de mon point de vue. Contentons-nous de suivre les indications de Nolan.

— C'est fou ce que tu lui voues une confiance aveugle ! Tu sauterais d'un pont s'il l'exigeait ! Non, tu le fais déjà ! Avec cette tombe, tu te jettes complètement du pont pour lui ! 

— Qui te dit que je ne désire pas les trésors de cette tombe ? rétorqué-je avec un rictus carnassier.

Il éclate d'un rire faux.

— Parce que tu te comportes comme si tu avais une dette à lui payer ! 

J'ignore totalement sa remarque et profite de notre arrivée à la propriété pour le distraire en lui ordonnant de garder la voiture. Nos adversaires pourraient avoir la brillante idée de voler notre équipement, ce que je ferai à leur place. Il obtempère sans rechigner, pendant que j'empoigne les cinq sacs à deux mains et les traîne difficilement jusqu'à mon appartement. Je réitère l'action avec une des caisses et nous nous partageons les deux autres. Je ferme la porte et souffle ma frustration. Nous ne détenons pas d'itinéraires concrets, ni d'équipes, mais les ennuis nous guettent déjà.

— Tu m'avais promis de boire un verre après le rendez-vous ! rechigne Blaise.

— Nous devions d'abord mettre à l'abri le matériel. Même s'ils ne se risqueront pas à nous le dérober ici. 

— Ils l'auraient volé dans la rue tout à l'heure, confirme-t-il.

J'opine du chef. Dans la deuxième caisse, je prends la liasse de documents et marche vers ma porte pour aller boire ce verre. Blaise, à priori très heureux, me bouscule et fonce droit sur l'ascenseur en l'appelant frénétiquement. Quel ivrogne. Nous ne nous éloignons pas trop de l'appartement et nous installons sur un toit parisien en commandant de l'alcool pour lui et un soda pour moi. Je préfère être intégralement sobre durant le travail. 

— A ton avis, que contiennent ces papiers ? 

Je ne réponds pas et enlève l'élastique qui les retenait ensemble. Aussitôt, j'identifie l'écriture de Nolan et mes yeux brillent d'une lueur nouvelle. Blaise l'aperçoit et devine qui est l'auteur de ces instructions. Je les pose au milieu de nous deux sur la table. Cette liasse est constituée de trois feuilles parsemées de phrases aléatoires que nous découvrons petit à petit pour ne rien manquer et tient son épaisseur de deux photographies d'un paysage campagnard – celui qui nous importe, je présume.

La première feuille, courte et qui a été déchirée de moitié, explique les bases de notre aventure ; c'est-à-dire que Nolan a rassemblé quelques renseignements fondamentaux. D'abord, il affirme que cette tombe est réellement la plus dangereuse d'Europe, car d'innombrables pilleurs sont morts sans avoir mis le pied là-bas. Selon les légendes créées au fil des siècles, elle renfermerait les secrets du monde, la vérité sur l'univers et elle serait capable de tuer tous ceux qui s'approchent d'elle avec de mauvaises intentions. Blaise frémit et j'avoue que la donnée suivante me donne la chair de poule : des milliers de français ont perdu leur vie en quête de ce trésor. 

 — Je n'imagine pas le nombre de morts dans le monde rien que pour cette tombe maudite ! jure Blaise.

— Des millions, au moins. Les rumeurs sont cruelles. Il se pourrait que cette tombe ne possède pas de trésor, mais les histoires obligent le cœur cupide des hommes à mourir pour l'obtenir.

— Ne parle pas en t'excluant ! 

— Je ne m'exclus pas du tout. Je suis aussi avare que le restant de l'humanité, sinon je ne pillerais pas des tombes pour métier ! 

Nous nous penchons sur le deuxième papier. Ce dernier nous informe sur l'utilité de chaque équipement. Sans me contrôler, je m'esclaffe et tire Blaise dans mon hilarité. Nolan doutait de notre compréhension d'un matériel sophistiqué car nous n'utilisons que de l'occasion la plupart du temps, je trouve cela amusant et un brin offensant. Le pire, c'est que nous suivrons à la lettre les explications. Nous nous calmons peu à peu et consultons la troisième feuille. Seulement quelques mots y sont inscrits, similaire à une note qu'il aurait écrite à la va-vite avant de disparaître. Elle concerne le genre de coéquipiers à amener avec nous dans cette aventure.

Il mentionne tout en haut, soit le plus crucial pour lui, un soutien financier. Il a payé l'équipement, mais les dépenses ne cesseront de se succéder, je le sens. Pour une telle tombe, nous devrons bouger, voyager, et peut-être rester plusieurs jours au même endroit dans l'hypothèse où nous ne dégotons pas suffisamment de pistes afin de poursuivre. Tout cela nécessite beaucoup d'argent. Ensuite, Nolan insiste sur un expert en histoire. Il avait effectué une partie des recherches en amont et  avait déterminé le siècle et la zone géographique de la tombe.

La Provence du quatorzième siècle. Nolan nous a transmis une adresse de départ. Je la reconnais immédiatement, mais ne pipe mot et omets ce détail à Blaise. Pour finir, il suggère le coup de main d'un mercenaire. A vrai dire, j'en aurais contacté un, avec ou sans son conseil. Puisque nos adversaires se sont d'ores et déjà lancés à notre traque, je compte bien riposter. De par ces documents, je me rends compte que mon meilleur ami était submergé dans cette affaire et qu'il avait fait des avancées considérables. Nous disposons d'une bonne partie des clefs pour comprendre et tenter des premiers pas vers la tombe. 

— Termine ton verre et rentrons, réclamé-je à Blaise.

Il note mon impatience et s'exécute docilement. Blaise devine qu'une idée me traverse l'esprit et que je dois m'en débarrasser pour penser à autre chose. Nous regagnons l'appartement et je fonce dans mon bureau, où je me rue sur l'ordinateur. 

— Qu'est-ce que tu fabriques là-dedans ? Déballons le matériel, je veux toucher ces merveilles !

Je lui fais signe de quitter la pièce, mais mon geste le rend curieux et Blaise me rejoint. Je suis en train d'écrire un message sur le forum privé des pilleurs. 

— A la vue de tous ?! s'écrie-t-il. Tu offres notre peau sur un plateau d'argent à ceux qui nous suivaient.

C'est un appel à candidatures. Je sollicite la venue prompte à mon appartement d'une personne à la gâchette facile et d'un expert en histoire de la Provence au quatorzième siècle. Il nous faut également un soutien financier, mais j'ai déjà attitré quelqu'un à cette place, en espérant qu'il accepte. Nous lui rendrons une petite visite demain.

— Dans ton répertoire de noms, connais-tu un mercenaire impitoyable apte à nous défendre envers et contre tout, ainsi qu'un expert dans ce domaine-là ? répliqué-je.

Blaise grimace. La réponse est non. Il aspire à se cacher et à éviter ces personnes malveillantes. Pour ma part, je souhaite qu'ils voient, qu'ils constatent, qu'ils subissent. Voilà pourquoi j'appuie sans une once d'hésitation sur la touche entrée du clavier et poste mon message disponible sur tous les ordinateurs appartenant à un pilleur de tombes. Je vous attends les bras ouverts.

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