A double tranchant
Je fixe Blaise sans relâche depuis qu'il a commencé à soigner le mercenaire. D'après le fou, il a visé exprès pour l'épargner, à condition que nous le trouvions à temps. Mon ami s'affaire à nettoyer la plaie et à la panser dès que l'afflux de sang se calme et je suis ses indications à la lettre pour procurer des soins à Charlène ; bien que sa blessure soit moins grave que celle de Riley, elle a retenu sa douleur avec des grimaces disgracieuses et s'est tortillée par terre, embarrassée d'exiger notre attention. Je m'y attelle avec précision tout en gardant un œil attentif sur l'homme. Moi, rancunier ? Non, du tout ! J'ai juste envie de lui exploser le crâne contre un mur pour ce qu'il a fait à l'équipe, c'est tout.
— Je vous avais dit que je les effraierai..., marmonne-t-il.
Dans le fond de sa chambre, assis sur son lit face à nous, le fou nous regarde sans piper mot et il aurait dû se taire jusqu'au bout. Je bondis et fonce sur lui en le pointant de mon doigt accusateur.
— Chut ! Vous n'avez clairement pas la permission de l'ouvrir ! Alors, rendez-nous service à tous et fermez-là !
Blaise comprend mon état d'esprit et ne tique pas à ma voix vibrante. Je regagne le chevet de Charlène en m'assurant que j'ai bien attaché le bandage autour de sa jambe, puis je passe à Levi. Il a réussi à stopper l'écoulement de son sang en serrant son poignet. Je procède de façon identique et m'applique à désinfecter sa longue plaie peu profonde. Il ne manquerait plus qu'il attrape le tétanos et nous aurions tout gagné. Le fou n'a pas apprécié mon ton et il se lève sans venir vers nous. Il bredouille à l'intention de mon ami :
— Je dois vraiment me confier à...lui ? Vous êtes sûrs ?
— Pour la dernière fois, Jasper mérite de localiser et d'entrer dans la tombe.
— Vous ne comprenez pas, souffle le fou. Je ne peux pas vous transmettre le code.
Au bout de nerf, je lui lance un regard foudroyant auquel il répond en déglutissant avec peine. Les mots sortent de ma bouche et j'ai l'impression de lui aboyer dessus, me transformant peu à peu en un chien féroce et haineux. Ne jamais s'attaquer à mon entourage, jamais, il s'agit d'une règle d'or, ou plutôt de diamant.
— Et pourquoi ?! Vous voulez que je vous dise ? Vous n'êtes qu'un lâche qui joue sur son utilité pour se tirer des moments difficiles ! Il se peut que la tombe soit vide et que le trésor vous appartienne déjà ! Dans le cas où vous ne mentez pas et que les objets funéraires du cardinal se trouvent encore dans sa tombe, comment osez-vous nous en priver ? Hum ? De quel droit monopoliser tout ce savoir ? Surtout que ça vous aiderait de tout avouer ! Non seulement vous vous délivreriez de ce fardeau, mais en plus nous nous entre-tuerions en vous laissant survivant de cette histoire. N'est-ce pas un bon deal pour vous ?
Je sens que Levi gigote entre mes mains et je lui jette une œillade pressée, mais me rends compte que je lui tords le poignet. Je le remets droit et m'excuse avec un rictus contrit. En terminant de le bander, je perçois le soupir frustré du fou et l'ignore superbement. Blaise se doute de ce que je suis en train de faire ; cet homme pense apparemment que mon ami devrait être le méritant et est désormais coincé entre accepter de me livrer le code ou nous condamner en fuyant, je lui mets la pression. Il trépigne et nous rejoint en se triturant les doigts. Il ne montre aucune conviction, à contrario d'un dilemme apparent.
— Vous ne comprenez pas, répète-t-il. Il y a un problème dans votre plan. Vous ne pouvez pas obtenir le code, car il tombera forcément aux mains des Gardiens. Ou bien, vous refuserez de leur donner et prendrez ma place. A moins que...vous travailliez vraiment pour eux et de ce fait, je préfère mourir sur-le-champ !
— Et tu prétends que je suis dramatique ? raillé-je à l'égard de Charlène.
Je me relève après avoir soigné Levi et Blaise réveille à coup de petites claques le mercenaire. Celui-ci sursaute en s'asseyant, mais pousse immédiatement un gémissement de douleur, une main sur le torse. Je m'avance vers le fou, une expression neutre et les mains dans les poches. Mon soudain détachement l'interpelle et il me scrute avec méfiance. Je me plante près de lui.
— Vous n'avez pas une idée ?
Il ne saisit pas le sens de ma question. Je développe :
— Premièrement, rassurez-vous, je déteste les Gardiens et j'aimerais beaucoup les faire couler, même si c'est impossible. Deuxièmement, nous détenons en effet un plan des plus bancals et d'ailleurs je ne sortirai pas de cette maison sans une stratégie pour éviter la mort ou la torture. Donc, vous n'avez pas une idée ? Ils vous ont détenu un certain temps et vous ont poursuivi durant des années. Par conséquent, vous devez les connaître par cœur, de leurs réactions à leurs tactiques de base. Comment les contourner ? Où se trouve la tombe ? Ce sont des informations nécessaires.
Le fou fronce aussitôt les sourcils et je me demande laquelle de mes phrases a suscité son intérêt en premier lieu.
— Vous n'avez pas deviné l'emplacement de la tombe ?
Il a pris un ton penaud, faisant de moi un crétin ignorant. Je me tourne vers les autres pour qu'ils se manifestent, mais nous n'avons tous aucune idée de sa localisation. Ainsi, par leur silence, je parais moins stupide. Le fou se renfrogne et affiche une moue perplexe.
— Je croyais que c'était évident.
Mon ennui transparaît de ma tête à mes pieds et il le remarque, se ressaisit et se racle la gorge.
— A votre avis, pourquoi ont-ils choisi cette vieille usine en ruine en guise de quartier-général ?
C'est à mon tour d'arborer de l'incrédulité. Je me souviens que la femme m'a expliqué les avantages de l'usine, notamment son espace grâce aux nombreux bâtiments et sa proximité avec Avignon. Je me rembrunis à la seconde où mon esprit entrevoit la vérité derrière cette flopée de mensonges et le fou confirme :
— La tombe se situe juste en dessous ! Vous ne pouvez pas échapper aux Gardiens, puisqu'il vous faut pénétrer sur leur territoire pour atteindre la tombe !
Riley se laisse chuter en arrière, déprimé et aspirant à retourner dans sa transe inconsciente ; les autres mesurent peu à peu la complexité de notre situation actuelle, tandis que Blaise ferme les yeux dans une sorte de prière muette. Quant à moi, je me plonge dans un mutisme compliqué. Je réfléchis énormément et je ne peux pas encore vous expliquer tout ce qui traverse mes pensées, puisque ce serait trop vous en dire pour l'instant. Néanmoins, une question m'accable et je demeure pantois à la réponse manquante. Mais, tout à coup, il m'apparaît clair que le fou possède encore une information capitale. Sans hésitation, je déclare avec une assurance qui sonne comme une interrogation pour lui :
— Il existe un moyen de passer à travers les mailles du filet.
— Comment vous...?
— Nolan, je sais que vous lui avez parlé de ce moyen ! Sinon il n'aurait pas été aussi confiant par rapport à cette aventure. Il ne nous aurait pas envoyé tout ce matériel et une première adresse, s'il n'était pas certain de réussir à la fin ! Ai-je tort ?
Je m'aperçois que j'ai mentionné le prénom de notre meilleur ami sans préambule et pivote vers Blaise.
— Il était là, affirmé-je. Il est venu ici.
Mon ami ne réplique rien et fait mine d'acquiescer, en glissant sa main dans sa poche. J'ai plus tard appris qu'il touche le bracelet avec mélancolie.
— Est-ce que je dois le menacer ou quelque chose du genre ? s'enquiert Riley, avachi par terre.
— Non, fais dodo ! ordonne Blaise.
Cette directive n'a pas l'air de déranger le mercenaire qui s'allonge correctement. Je ne pense pas qu'il s'endorme, mais il profite au moins de notre conversation pour se reposer. Malgré les médicaments, la sensation à son épaule n'est pas agréable et il fournit un immense effort pour ravaler la douleur. Le fou nous examine tour à tour, sûrement pour déterminer si nous sommes définitivement méritants ou capables de mener à bien cette mission. Cependant, une préoccupation le détourne de son questionnement.
— Que ferez-vous avec le trésor ? Au final, qui me prouve que vous n'avez pas les mêmes motivations que les Gardiens de la Vérité ?
— Vous le constaterez par vous-même dans un futur proche, certifié-je. Hors de question que je vous révèle ceci, ne demandez pas plus. En revanche, je peux vous jurer que mes motivations diffèrent totalement du soi-disant plan initial des Gardiens.
— C'est votre parole.
— La parole de Jasper vaut de l'or ! me défend Blaise.
— Suis-je la seule à me souvenir de sa déclaration à propos de Delacroix ? rétorque Charlène. Il l'a tué !
— Il ne l'a pas tué ! contredit véhément mon ami. Il a seulement évoqué sa responsabilité dans cette affaire, rien de plus !
Ne souris pas, Jasper, contiens ta joie. Très honnêtement, je me fiche du regard des autres sur moi, de leur haine, jalousie et des sinistres rumeurs qui planent ces dernières semaines. Mais, si je m'inquiète d'un avis, c'est bien celui de mon meilleur ami. Il a compris que je mentais, il s'est adapté à toutes mes cachotteries et en prime il persiste à soutenir dans toutes les accusations. Une voix dans ma tête me murmure souvent que ce comportement ne devrait pas être normal et qu'il est censé m'interroger, me pousser à lui donner des réponses. Si je n'avais pas déduit l'identité de l'espion, j'envisagerai peut-être de méditer autour de son attitude étrange – ce qui fait de moi un terrible acolyte, et je me promets de me rattraper après cette aventure.
Le fou pèse le pour et le contre, je le lis dans ses yeux. D'un côté, la réputation du Triangle de diamant nous précède. Puisque Blaise lui a juré que nous agissions selon les volontés de Nolan et que ce dernier ne démontrait pas de grande avidité, choisissant plutôt la préservation des trésors, il espère que nous ne détruirons pas la tombe et ce qu'elle contient, que nous ne nous approprierons pas les richesses et la notoriété. D'un autre côté, il ne nous connait pas et mon meilleur ami ne fait partie pas de notre équipe. Puisqu'il n'est pas avec nous, il remet en cause notre motif et nos actes. Toujours incertain et croulant sous la crainte de gâcher ces deux décennies à dissimuler les codes, il décide de faire confiance à notre parole.
— Il suffit de les distraire. Leur Département des Contrôles est systématiquement occupé par une vingtaine de Gardiens au minimum, dont plusieurs surveillent la trappe conduisant à des dédales souterrains, jusqu'à la tombe. Mais, ils s'attendront à un mouvement de votre part, en particulier à votre départ d'ici. Ils ne vous permettront pas de les piéger.
— Je me charge de ce détail ! garantis-je.
Le fou semble agacé par mon insistance, ne souhaitant plus autant notre mort.
— Ecoutez, de Villiers, vous ne comprenez définitivement pas !
— Et vous, vous ne me jugez pas apte à entrer dans cette fichue tombe ! grondé-je.
Je fais volte-face et me rapproche de la jeune blonde, les jambes étendues au sol. Son regard, auparavant rivé sur son bandage, se dresse sur moi en entendant le silence bizarre de la pièce. Elle prend conscience que nous l'observons tous, mais seuls mes yeux l'intriguent. Elle y entraperçoit tout un tas d'incertitudes. Je m'abaisse à son niveau en m'accroupissant et m'exprime très distinctement, ne lui octroyant aucune chance de nier :
— Pour avoir espionné notre équipe du début à ce jour, je t'autorise deux choix. Soit tu te ranges du bon côté et avec ton aide, nous pourrons les éloigner de la trappe. Soit tu continues à les servir et j'exigerai alors que tu quittes tout de suite cette maison.
Levi se désintéresse, supposant que je l'accuse à nouveau en vain. Pourtant, les traits de la jeune femme s'assombrissent et elle stupéfait les trois membres de notre équipe, inconscients au danger qu'elle représentait tout ce temps.
— Je reste avec vous, quoi qu'il m'en coûte.
Les trois braquent leurs yeux éberlués sur elle, pendant que j'opine du chef. J'étais convaincu de son rôle d'espionne, par contre je ne parvenais pas à déterminer son véritable but et surtout ce qu'elle voulait réellement. Je suppose qu'elle ne travaille plus pour les Gardiens et qu'elle les a trahis, autrement ils ne l'auraient pas emprisonnée avec nous et auraient fanfaronné de nous avoir dupés. Qui plus est, ils l'auraient sauvée aux Bois d'Effroi et l'auraient mieux traitée. Peu importe ce qu'il est advenu pour qu'une Bellegarde s'allie avec cette organisation, leur union a d'ores et déjà pris fin et compte l'utiliser au profit de notre mission suicide.
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