⚘38. Le concours (2)

27 mai 2020


          LA TENSION GRIMPAIT AUTOUR DE MOI alors que nous nous pressions pour rejoindre nos places. Il faisait une chaleur épouvantable dans le parc des expositions de Saint-Florian, et même si j'avais apporté de quoi me rafraîchir, je savais tout de même que j'allais passer les pires instants de ma vie assise sur cette chaise.

Malo et Léopold avaient filé dans leurs secteurs respectifs, non sans me souhaiter bonne chance avant. Le brun ne tenait plus en place depuis que nous étions arrivés sur le parking et gigotait dans tous les sens. Il avait peur, je le savais, il était même terrorisé à l'idée de ne pas être assez bon et de devoir redoubler. J'avais pourtant passé de longues minutes à le rassurer, lui répétant que tout allait bien se passer et qu'il n'avait pas un si mauvais classement. Or Malo n'en avait fait qu'à sa tête et avait continué de se lamenter jusqu'à ce que je finisse par abandonner.

Léopold, de son côté, avait tenté de masquer son stress en épuisant son stock de blagues lourdes. Hélas, son cou couvert de plaques rouges et ses mains tremblantes ne trompaient personne : il avait beau avoir un classement formidable et carrément favorable, il n'en était que plus terrorisé. Et je pouvais bien le comprendre, c'était la seconde fois qu'il passait ce concours et la première fois, les choses n'avaient pas tourné en sa faveur et il avait échoué de peu. J'espérais au moins qu'il serait récompensé cette année parce que vraiment, il le méritait.

Comme je m'y étais attendue, il n'y avait aucune trace d'Alizé. Il y avait plus d'un mois de cela, la blonde m'avait confiée vouloir arrêter la PACES parce qu'elle ne se sentait tout simplement pas à sa place ici. Pourtant, elle avait continué d'aller en cours et avait même participé au concours blanc du mois d'avril. Il fallait croire qu'elle n'était pas prête à passer le véritable examen, même si cela n'était qu'un entraînement de plus. Heureusement pour elle, sa candidature en fac de psycho avait été retenue sur Parcoursup et c'était donc sereine qu'elle vagabondait vers ce qui la passionnait réellement.

J'étais très fière d'elle, parce que même au plus bas, elle avait réussi à rebondir et à voir le bon côté des choses. J'étais contente qu'elle ait enfin eu ce qu'elle souhaitait depuis le début et nous nous étions promises de rester en contact quoiqu'il arrive.

La tension monta d'un cran tandis que je disposais mes crayons, mes surligneurs et ma montre face à moi. J'avais mal au ventre, la sensation qu'un second cœur battait dans mon estomac et tous mes sens étaient en alerte. Le moindre son, le moindre geste suffisait à me faire grimacer tant j'étais à fleur de peau. La chaise de mon voisin de droite qui grinçait, la voisine de devant qui me demandait un stylo, ma jambe gauche qui tressautait sous la table, mon estomac tout retourné, ma gorge sèche, le sang qui battait au niveau de mes tempes. Toutes ces petites choses contribuaient à alimenter le stress qui bouillonnait dans mes veines.

Respire Clélie, pensai-je en prenant une grande inspiration, pinçant avec plus ou moins de force la peau située entre mon index et mon pouce — un point d'acupuncture censé soulager les angoisses. Tout va bien se passer, t'es une battante, t'as travaillé comme une dingue ces derniers mois alors y a aucune raison que ça ne marche pas, poursuivis-je en expirant lentement, jetant des œillades curieuses autour de moi.

La tête de Malo dépassait d'une rangée non loin de la mienne et sa simple présence suffit à réduire mes angoisses. Je me souvins de ce jour où j'avais craqué dans ses bras, en proie à une violente crise de panique. Il avait été là pour moi et m'avait rassurée jusqu'à ce que cela aille mieux, sans se plaindre un seul instant et sans me bousculer. Il avait une aura apaisante, mais contrairement à celle d'Anh, la sienne était plus sombre, moins solaire, plus lunaire.

Mon meilleur ami tourna la tête vers moi et m'adressa un large sourire que je m'empressai de lui rendre. La boule que j'avais dans la gorge se fit moins importante et la pression sur mes poumons se leva l'espace d'un instant. Je jetai un coup d'œil à ma montre et constatai avec effroi que la première épreuve — physique — n'allait pas tarder à commencer.

Les sujets furent distribués en un temps record et avant que je n'ai eu le temps de souffler et de comprendre ce qu'il m'arrivait, j'étais déjà debout devant ma copie, à attendre avec plus ou moins d'impatience de sceller mon sort.




18 juin 2020




          LA MAISON ÉTAIT VIDE, comme bien souvent en semaine. Le lycée avait beau avoir fini depuis une semaine, Maman n'était pourtant pas là et donnait des cours d'histoire au collège de Montdesbois. Quant à Papa, il était parti en Italie cette fois-ci pour suivre une équipe qui étudiait la mythique cité de Pompeii. Je ne l'avais pas revu depuis les vacances de février et il me manquait énormément, cependant, je me consolais en me répétant que la contrée de Jules César était bien plus près que celle de Cléopâtre et qu'au moins, il mangeait de bonnes pâtes tous les soirs.

— Admire le pro ! s'exclama Malo en prenant son élan.

Le brun se dirigeait au pas de course vers la piscine dans laquelle je barbotais et sauta dans l'eau en réalisant ce qui devait être le plus beau plat de toute sa vie. Il laissa échapper un cri en refaisant surface et une grimace s'installa sur son visage. Décidément, il devrait un peu plus s'entraîner s'il voulait impressionner les vacancières au bord du lac cet été.

— Quel talent ! T'as le dos aussi rouge que le visage d'Esther quand elle est bourrée !

— Fais pas la maligne Clélie ! Moi au moins j'expérimente au lieu de rêver de mon prince charmant sur ma bouée licorne ! râla le brun en s'ébrouant, envoyant des perles d'eau chlorée partout autour de lui.

Je fermai les yeux avec force, espérant épargner mes pauvres lentilles de contact, sans grand succès. Après cela, Malo se laissa choir sur un matelas gonflable et frissonna lorsque les premiers rayons de soleil se posèrent sur son dos.

— Si ça t'intéresse tant que ça, sache qu'Anh vient passer quelques jours à Saint-Lac cet été. Je suis sûre qu'il sera ravi de te montrer comment on fait un vrai salto.

— Anh ? Faire un salto ? La seule chose qu'il a réussi à faire sans mettre sa vie en danger, c'est de te faire tomber amoureuse de lui, et encore, je pense pas qu'il soit sorti indemne de toutes ces conneries, se moqua-t-il.

Pour toute réponse, je lui envoyai de l'eau en plein visage. Cet acte de rébellion n'eut guère l'air de plaire à mon meilleur ami puisqu'il descendit de son matelas, et s'empressa de me faire chuter de ma bouée. Je luttai de toutes mes forces, m'agrippant au plastique comme si ma vie en dépendait mais hélas, le brun avait plus d'un tour dans son sac et je me retrouvai bien vite désarçonnée.

— Alors ? On fait moins la maligne, Clélie ?

— La ferme, Malo.

Après cette courte bataille, nous nous étions séchés et avions migré en direction de la cuisine. Maman avait acheté des glaces spécialement pour nous — oui, pour elle, nous avions encore dix ans — et nous discutions désormais chacun un cornet dans la main, installés sur les chaises de bar du comptoir. Il faisait un peu plus frais à l'intérieur de la maison, même si la chaleur parvenait toujours à traverser la baie-vitrée et ce, malgré les volets fermés. Van Gogh n'en pouvait plus et gisait sur le carrelage du salon, à deux doigts de faire un malaise.

— C'est aujourd'hui, lâcha brutalement Malo en fixant l'écran de son téléphone.

De la glace au caramel avait coulé sur sa main mais il s'en moquait éperdument. Le brun était entré dans une sorte de transe et plus rien autour de lui ne semblait exister. Je déglutis bruyamment et sortis mon téléphone de ma poche de short. Au même moment, un message de Léo apparut sur l'écran : "Alors ??????" disait-il.

Les doigts tremblant, la gorge sèche, je me rendis sur l'ENT de l'université de Saint-Florian. J'avais cinq nouveaux mails, et l'un d'eux attira plus particulièrement mon attention : "classement définitif filière pharmacie". Mon cœur rata un battement alors que je cliquais sur le lien et abandonnant Malo l'espace d'un instant pour vérifier mon numéro étudiant, je croisai les doigts pour que le destin ait eu pitié de moi.

Il y avait une semaine de cela, nous avions reçu le classement provisoire de chaque filière, avant qu'il n'y ait eu les abandons de certains, les désistements des autres etc... J'avais failli pleurer en constatant que j'étais sur la liste d'attente pour la pharmacie — 169 pour 74 places — et depuis, je dormais très très mal la nuit. Pour que je puisse être prise, il fallait qu'une centaine de personnes avant moi se désistent et même si cette filière n'était pas la plus voulue, cela me paraissait tout de même très compliqué.

Mais j'y croyais encore. Je refusais de penser que tout ce que j'avais fait à présent résulterait en un échec cuisant. Je ne voulais pas recommencer ma PACES, je ne m'en sentais pas la force et rien que d'y penser, j'avais envie de pleurer et de hurler.

Malo était dans le même cas que moi, sur liste d'attente — ou liste complémentaire comme ils l'appelaient. Il était arrivé trop loin pour espérer être pris en médecine, aussi lorsqu'on lui avait demandé de choisir la filière qu'il souhaitait prendre en priorité, il avait fini par la délaisser au profit de la kinésithérapie, l'autre filière pour laquelle il avait candidaté et dans laquelle il était plutôt bien placé.

Malo non plus n'avait pas envie de recommencer une année de souffrance et je crois qu'au final, il s'était rendu compte que médecin, ce n'était pas vraiment fait pour lui.

Moi, contrairement à lui, je n'avais postulé que pour la pharmacie. Aussi si mon classement d'aujourd'hui n'était pas suffisant pour me faire entrer, je serais obligée de recommencer une année.

— Quarante-troisième en kiné, s'émerveilla Malo, des larmes de joie perlant au coin de ses yeux.

Je n'eus même pas la force de le féliciter, du moins, tant que je n'étais pas consciente de mes propres résultats. Les numéros d'étudiants défilaient sous mes yeux alors que je déroulais le classement de pharmacie. Puis soudain, l'un d'entre eux attira mon attention et j'explosai.

Sans plus attendre, je quittai l'application Google et les yeux embués, je composai un numéro que je connaissais par cœur. On sonna une fois, puis deux et à la troisième fois, la personne à l'autre bout du fil décrocha.

— Allô, Papa ? Tu... Tu te rappelles de ce que tu m'as dit y a quelques mois de ça ? Oui... Et bien... Je crois qu'en fin de compte, Monsieur Morin aura sa boîte de Smecta.











FIN

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