⚘33. La Saint-Valentin
━ 12 février 2020 ━
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— T'AS COMMENCÉ À RÉVISER L'ANAT' G POUR LA COLLE DE LUNDI ?
Alizé, affalée sur son lit et entourée de schémas de vertèbres, releva la tête dans ma direction. Ses mèches dorées retombaient de manière chaotique autour de son visage fatigué, lui donnant l'air de tout juste débarquer. Alizé s'étira, baillant avec peu de grâce avant de répondre :
— Mouais.
Je feignis un sourire et retournai à ma biodiversité animale. Comme bien souvent, je m'étais de nouveau retrouvée chez Alizé à réviser. C'était devenu une sorte de rituel à force, quelque chose que l'on faisait machinalement dès qu'on sentait la motivation faillir. Non pas que la blonde et moi étions du genre à nous encourager l'une et l'autre, mais rien que sa présence me poussait à me concentrer.
D'autant plus qu'elle me laissait chuchoter en paix.
— T'as fait comment pour retenir les os du carpe ? Parce que là y en a beaucoup trop, reprit la blondinette en soupirant.
Je me pinçai les lèvres, me redressant. Le pouf d'Alizé avait beau être confortable, il ne valait tout de même pas ma chaise de bureau.
— Je me suis créée un moyen mnémotechnique, répondis-je en fouillant dans ma mémoire à la recherche du dit mnémo.
— Vas-y dis.
— "Sale taupe attachée". Scaphoïde, lunatum, triquetrum, pisiforme, trapèze, trapézoïde, capitatum et hamatum.
Alizé laissa échapper une onomatopée et s'empressa de trouver un stylo pour noter la phrase. Je lui répétai jusqu'à ce qu'elle ait saisi tous les termes et elle me remercia d'un large sourire : peut-être le premier sourire solaire depuis le début du semestre.
Alizé n'avait jamais rien dit, Alizé avait toujours fait comme si de rien n'était depuis la rentrée. Elle ne nous avait jamais parlés de cette perte soudaine de poids, de la raison de ses traits tirés et de ses cernes marquées. Et nous, nous n'avions osé nous en mêler, nous contentant de l'observer de loin en priant pour qu'il ne lui arrive rien de grave. Alizé n'avait pas de filtre, Alizé ne craignait pas le regard des autres aussi si elle choisissait délibérément de taire ce qui lui arrivait, c'était qu'elle devait avoir une bonne raison pour le faire.
— Je t'ai pas dit..., débutai-je en levant les yeux de mon paragraphe sur le paludisme.
Alizé ne leva guère les yeux de son schéma mais m'invita tout de même à poursuivre d'un geste du menton. J'inspirai un bon coup et me lançai :
— Anh m'a invitée à fêter la Saint-Valentin chez lui.
Je m'étais attendue à une réaction, un regard étonné, un "ohhhh" étouffé ou encore à ce que la blonde se jette dans mes bras et m'entraîne dans une danse de la joie. Néanmoins, Alizé se contenta de répondre d'un ton posé :
— Cool.
Je penchai la tête sur le côté, m'apprêtant à répéter :
— T'as entendu ce que je viens dire ?
— Oui, Anh t'as invité à fêter la Saint-Valentin. Qu'est-ce que tu veux que je dise de plus ? C'est pas comme si c'était un scoop non plus, ajouta la blonde en se redressant finalement.
Un sourire taquin se dessinait à la commissure de ses lèvres et je ne pus m'empêcher de baisser la tête, sentant mes joues rougir. Alors elle savait, voilà pourquoi elle ne s'était pas emportée, pourquoi elle n'avait pas divagué et ne s'était pas mise à dessiner des milliers de cœurs sur mes bras. Alizé avait déjà eu vent de cette histoire, ne restait plus qu'à savoir par qui elle avait appris tout ceci.
— C'est qui qui te l'a dit ? ne pus-je m'empêcher de demander, rabattant une mèche derrière mon oreille.
Ce à quoi Alizé rétorqua, se levant de son lit :
— Un magicien ne révèle pas ses secrets.
J'aurais pu rire suite à sa remarque si le minois d'Alizé n'avait pas pâli aussi vite. Une ombre passa devant ses iris azur alors que je me remis sur pied, l'air soucieux. Alizé tituba légèrement, ventilant mollement son visage de sa main droite et je me précipitai vers elle. Elle était blanche comme un linge et son regard était hagard.
— Alizé ? Alizé, ça va ? m'inquiètai-je en passant un bras autour de sa taille, la soutenant du mieux que je le pouvais.
— Fais chaud là, non ? marmonna la blonde en s'aggripant au mur blanc.
Je ne répondis guère et la forçai à s'asseoir de nouveau. Si mon intuition était bonne, Alizé venait tout juste de subir une chute de tension : rien de grave mais c'était toujours désagréable. Tout ce qu'il lui fallait, c'était un encas sucré et un peu d'eau. Alors je me chargeai de trouver tout ceci, fouillant dans les placards à la recherche d'un morceau de sucre. Hélas tout ce que je trouvai fut un paquet entamé de cookies : ça devrait faire l'affaire.
Je remplis également un verre d'eau du robinet et tendis tout ceci à mon amie, veillant à m'asseoir à ses côtés.
— Merci, murmura Alizé en croquant dans son gâteau.
Je ne répondis rien, laissant tomber ma tête contre l'épaule de la blonde. Même si elle ne disait rien, Alizé avait besoin de nous. C'était certain. Et on sera là, du moins, moi je serai à ses côtés pour veiller sur elle.
Ce fragile fragment de soleil.
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━ 14 février 2020 ━
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LA DERNIÈRE FOIS QUE JE M'ÉTAIS APPRÊTÉE DE LA SORTE devait remonter au jour de l'an, voire même à Noël. Je n'avais jamais été friande de maquillage, me contentant juste d'un peu de mascara et de blush histoire de ne guère ressembler à un zombie. Mais ce soir-là, j'avais pris les devants : j'avais mis du rouge à lèvre carmin, celui que ma mère m'avait offert pour mes dix-huit ans, l'été dernier.
— Qui êtes-vous et qu'avez vous fait à ma meilleure amie ?! s'exclama Malo en pénétrant dans la salle de bain.
Le brun avait posé une main contre son front, son flanc reposant contre le chambranle de la porte. Je pouffai face à son comportement de diva et claquai mes lèvres l'une contre l'autre. Je lissai par la suite les pans de ma robe noire, celle à manche longue et col en V, toute simple. Comme moi.
— T'es bête Malo.
— Excuse-moi mais la dernière fois que tu t'es maquillée comme ça c'était à la boum de Céleste en quatrième. Alors permets moi d'être choqué.
Je levai les yeux au ciel et resserrai ma queue de cheval basse. Malo s'avança, entoura mes épaules de son bras fin avant de claquer un baiser bruyant près de mon oreille. Je grimaçai pour la forme, bien qu'au fond j'appréciais plus que tout ces actes de tendresse que nous avions l'un envers l'autre. Être avec Malo, c'était comme avoir un frère : on se chamaillait souvent mais on pouvait toujours compter sur lui en cas de soucis.
— C'est à quelle heure que tu dois aller chez Anh ?
— 19h30. Mais je vais pas arriver trop en avance non plus, tu sais, pour pas faire la fille désespérée.
Malo acquiesça d'un hochement de tête. Puis il me poussa du miroir d'un coup de hanche, s'approchant de ce dernier avec pour objectif d'exploser les boutons qui avaient germé sur son front. Je grimaçai alors qu'il triturait nerveusement sa peau et sortis de la salle d'eau.
L'heure de mon rendez-vous avec Anh approcha bien vite et bientôt, je me retrouvai à sonner chez lui. Il habitait dans une résidence située en contrebas de la nôtre, sans patio et avec des escaliers ternes et interminables. J'avais vérifié de nombreuses fois avant de m'annoncer, priant pour ne pas m'être trompée d'appartement. Toutefois, je reconnus la voix de l'étudiant en médecine lorsqu'il se pressa près de la porte.
La clé tourna, Anh pesta et je ris nerveusement dans mon écharpe. Mes jambes tremblaient et mes mains, bien que glacées, étaient moites comme en plein été. Et comme si cela ne suffisait guère, un noeud s'était noué au niveau de mon estomac. Je resserrai les doigts autour du Tupperware vert pomme que je tenais contre moi et inspirai calmement. Clélie, il ne s'agit que d'Anh, tu peux le faire.
— Hello...
— Hum... Salut... Công chúa.
Nous restâmes silencieux pendant quelques secondes, évitant à tout prix de croiser le regard de l'autre. J'avais des flashbacks de ce jour où nous nous étions embrassés, peu avant le concours. Or cette fois-ci, les rôles étaient inversés : c'était moi sur le pas de la porte et non Anh. Le brun se frotta distraitement la nuque, tirant bientôt le col de sa chemise en coulant une œillade intriguée en direction de la boîte en plastique que je tenais. J'en profitai pour saisir ma chance et brisai le silence peu confortable s'étant installé entre nous.
— Je savais pas si je devais t'acheter un cadeau ou pas. Du coup je me suis dit que ça serait sympa de faire des pancakes. J'espère que t'aimes ? ajoutai-je en me pinçant les lèvres, tendant — peut-être un peu trop violemment — le Tupperware à Anh.
Le brun demeura stupéfait l'espace d'un instant, fixant le couvercle vert pomme d'un air absent. Néanmoins, un rictus s'esquissa au coin de ses lèvres et il s'empara doucement de la boîte. Nos doigts s'effleurèrent et je ne pus m'empêcher de frissonner.
— Des pancakes de la Saint-Valentin, c'est super ça. Merci, Clélie !
— Je t'en prie.
L'appartement d'Anh était un peu comme je l'avais imaginé, mais en moins dérangé et en plus grand. La tapisserie jaune pâle avait été arrachée à quelques endroits — probablement la faute de ruban adhésif — et sur la moquette grise, on pouvait déceler des taches de café, surtout au niveau de l'évier. Il y avait un canapé-lit au fond de la pièce, sur lequel des coussins crèmes avaient soigneusement été déposés et des bols remplis de gâteaux apéritifs avaient été disposés sur la table de la cuisine, à côté d'une bouteille de vin bon marché.
— Waouh... T'as fait les choses bien, commentai-je en détaillant l'appartement du regard.
— Et encore, de base je voulais acheter des pétales de rose en tissus et des bougies mais je me suis dit que ça ferait un peu trop cliché. Par contre, j'ai trouvé ce film gnangnan à regarder, c'était dans les affaires de ma sœur et je me suis dit que c'était bien dans le thème de la soirée.
Anh récupéra une pochette de DVD qui traînait près de sa télévision et me la tendit. Je réprimai un rire lorsque mes iris tombèrent sur le titre et posai une main sur le bras du deuxième année.
— Dirty Dancing, mon dieu... Tu sais que y a deux ans, j'étais dans un bar karaoké avec Malo et un groupe de touristes s'est mis à chanter "Time of my life". J'ai jamais autant ri de ma vie ! confiai-je en serrant le CD contre moi.
Anh grimaça.
— Désolé Công chúa, mais pour le bien de tous, je crois que vaut mieux éviter que je chante !
Je pouffai. Oui, et moi aussi.
La soirée battait son plein, du moins, autant qu'en rendez-vous en tête à tête pouvait être festif. Anh avait manqué de s'ouvrir le doigt en tentant d'ouvrir la bouteille de rouge et j'avais renversé mon verre d'eau sur ma robe — heureusement qu'il ne s'agissait que de ça. Désormais, nous étions installés sur le canapé et regardions avec plus ou moins d'attention le film choisi par Anh, Dirty Dancing. Le brun n'arrêtait pas avec ses remarques sarcastiques et ses piètres imitations des acteurs, déclenchant de nombreux fou-rires.
— Moi je me demande quand même comment les gens peuvent regarder ça sans penser aux clichés. Genre, c'est tellement flagrant que ça en devient risible, exposa Anh en se frottant les yeux.
— Parce que ça les fait rêver, ça leur fait chaud au cœur et leur fait croire en l'amour.
— Mouais. Mais c'est quand même niais.
— Fais pas genre tu détestes les trucs mielleux, dois-je te rappeler le discours que tu m'as sortie en m'offrant ce bracelet ? renchéris-je en indiquant le-dit bracelet.
Les iris obsidiennes d'Anh se posèrent sur la perle nacrée et un rictus contri s'immisça sur ses lèvres.
— C'est pas pareil. Là c'est pour de vrai.
— Parce qu'on a le droit d'être niais dans la vraie vie mais pas dans les films ? C'est ça ta philosophie, Monsieur Anh ? me moquai-je et il leva les yeux au ciel, désespéré.
— Tu cherches la petite bête, Clélie. Là c'est la vraie vie, c'est pas pour de faux.
— Attends, t'es en train de me dire que l'idylle de Bébé et de Johnny c'est du vent ? Tu viens de briser tous mes rêves là. Je vais tellement être dévastée que je vais pas avoir ma PACES à cause de toi.
Anh leva les yeux au ciel et je l'observai d'un œil amusé. Il soupira avant de s'avancer vers moi, réduisant la distance entre nous d'eux. Mon cœur battait la chamade dans ma poitrine, martelant ma pauvre cage thoracique et je me surpris à me mordre la lèvre. Je n'avais jamais pris le temps de détailler le visage d'Anh, d'épouser ses traits anguleux du regard, la ravissante courbure de ses yeux en amande, ses lèvres charnues et légèrement rosées.
J'aurais pu être jalouse de ce teint olive et lisse, de ces longs cils sombres ou encore de ces pommettes hautes, mais j'étais bien trop contente de les avoir rien que pour moi ce soir. J'aurais pu les admirer toute la soirée, effleurer ces joues de mes phalanges écorchés à force de tourner les pages de mes polycopiés. Néanmoins à la place de cela, je me penchai pleinement vers lui et déposai un baiser sur ses lèvres. Elles avaient encore un goût sucré : probablement à cause des pancakes que nous venions de terminer.
— Clélie..., susurra Anh en posant une main sur ma taille.
— Tais-toi..., lui intimai-je.
Et c'était ce qu'il avait fait, avant de m'accorder un autre baiser.
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