⚘29. Le secret
━ 21 janvier 2020 ━
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LE PROFESSEUR D'ANATOMIE S'EN ÉTAIT DONNÉ À CŒUR JOIE AUJOURD'HUI. Il nous avait assommés d'informations sur le membre supérieur, tant et si bien que j'avais très vite décroché.
Pourtant, ce qu'il racontait était très intéressant. Les diverses fonctions des os, le fait de prêter attention à l'angle du col de l'humérus lorsque l'on manipulait une prothèse... Et même les insertions du muscle dentelé antérieur, avaient de quoi nous tenir en haleine. Néanmoins, son débit de parole rendait la prise de note et donc l'attention bien plus complexes que d'ordinaire.
— Il a dit quoi après "tubérosité radiale" ? m'enquis-je auprès de Malo.
J'espérais qu'il ait saisi le terme m'ayant échappé. Néanmoins, à en juger par la profonde confusion et l'embarras de mon meilleur ami, le brun non plus avait manqué un épisode. Je soupirai et me penchai du côté de Léopold. Le blond aux épis vagabonds n'attendit pas que je lui pose ma question et tourna de suite son polycopié vers moi. Je l'en remerciai d'un signe de tête et complétai la fin de ma phrase.
— Comme je disais, on retrouve au niveau de la tubérosité radiale la terminaison du muscle biceps brachial, en un tendon entouré d'une petite bourse synoviale pour le protéger, poursuivit le professeur d'anatomie en contre-bas de l'amphithéâtre. Vous voyez, c'est ici sur le schéma.
Je levai les yeux un instant de l'écran de mon ordinateur et observai la zone que nous présentait le professeur. Il s'agissait d'une sorte debsaillie située en haut du radius, sur le côté. Je penchai la tête, laissant échapper un petit "hum..." alors qu'Alizé palpait déjà son bras à la recherche de la zone énoncée.
La blonde avait repris des couleurs, à défaut d'avoir repris des joues et les rubans sous ses yeux s'estompaient de jours en jours. Néanmoins, on voyait bien qu'Alizé demeurait tout de même faible et que l'étincelle qui animait auparavant son regard saphir, s'était perdue sous son éternelle couche de fard à paupières vieux rose.
La blonde m'adressa un faible sourire lorsqu'elle se rendit compte que je l'observais, et je le lui rendis tout aussi spontanément.
À la pause, entre le cours d'anatomie sur les membres et celui d'UE 6 sur l'histoire du médicament, nous nous réunîmes une fois de plus devant les machines à café de la faculté. Et comme d'habitude, nous observâmes Léo prendre tout son temps pour choisir sa boisson, sous les regards agacés des autres amateurs de caféine.
— Je sais pas ce qu'il a mangé le prof au petit-déj', mais j'ai jamais écrit aussi vite de toute ma vie ! exagéra Malo en laissant son dos tomber contre le mur du couloir.
— Et encore, dis-toi que c'était tranquille aujourd'hui ! L'année dernière, y a des cours où je prenais même plus la peine de noter et où je me contentais de le regarder déblatérer sans jamais faire de pause, informa Léo en passant une main dans ses épis blonds. Je crois qu'il veut battre le record d'Eminem, t'sais celui dans "Rap God".
— Mon dieu ! J'espère pas ! me plaignis-je en esquissant une grimace.
— Qu'est-ce tu n'espères pas, Clélie ?
— Voir ta tête Jasmine, renchérit immédiatement Léo alors que la métisse venait de se joindre à nous.
Jasmine ignora royalement le blond ce qui eut le don de m'étonner : d'ordinaire, elle ne ratait jamais une occasion pour répondre à ses piques. Aussi quelque chose devait la tracasser, occuper son esprit pour qu'elle en vienne à oublier son passe-temps favori. Un rictus espiègle, presque machiavélique se dessina peu à peu au coin de ses lèvres charnues et ses iris cacaos étaient braquées dans ma direction.
J'avais une étrange mauvaise impression.
— Que le prof d'anat' se lance dans le rap et détrône Eminem, informa à ma place Alizé avant de souffler sur son café aux noisettes encore fumant.
Jasmine fronça les sourcils un bref instant, n'étant guère sûre de la véracité des propos d'Alizé. Toutefois, cet état de confusion s'estompa bien vite quand son regard se posa à nouveau sur moi, et je priai le ciel pour que tout ceci ne soit que le résultat d'un enchaînement de coïncidences.
— Clélie ? Tu peux venir voir un truc s'il te plaît ? C'est pour la spé pharma, avança Jasmine en glissant son bras autour du mien.
— Mais t'es tutrice de spé médecine, non ? renchérit de but en blanc Malo.
Jasmine claqua sa langue contre son palais.
— Vous êtes d'où ? De la police ? Y a même plus moyen d'être discrète dans ce pays ! Alors Clélie, s'il te plaît, est-ce que tu peux me donner une serviette hygiénique, tu sais, PoUr MeS RèGleS ?
La métisse avait appuyé sur chacun des derniers mots, profitant du silence des garçons pour les fusiller tour à tour du regard. Il ne fallait pas être devin pour comprendre qu'elle les traitait mentalement d'idiots.
— Je... Crois que j'en ai dans mon sac. C'est dans l'amphi.
Après cela, j'entrepris d'accompagner Jasmine jusqu'à l'amphithéâtre. Néanmoins, la métisse en avait décidé autrement et à peine nous fûmes hors du champ de vision de nos autres camarades de PACES, que Jasmine me tira à l'angle d'un corridor, celui menant à la bibliothèque de médecine.
— Euh... Jasmine... Si je puis me permettre, c'est pas vraiment là qu'on a co..., débutai-je avant de me faire interrompre par mon amie.
— C'est vrai ce que vient de me dire Esther ?
Je reculai d'un pas, les sourcils froncés et la métisse resserra sa prise autour de mon bras. À quoi faisait-elle donc allusion ?
— De quoi ? De qui ? Qu'est-ce qu'elle t'a dit Esther ?
Jasmine leva les yeux au ciel, soupirant de désespoir face à mon manque total de coopération. Mais comment pouvais-je l'aider si j'ignorais ce à quoi elle faisait référence ? Je n'étais tout de même pas télépathe, je ne me faufilais pas au travers des pensées des personnes de mon entourage.
N'y tenant plus, Jasmine cessa de prendre des pincettes et déclara de but en blanc :
— C'est vrai qu'Anh et toi vous vous êtes embrassés à la BU la dernière fois ?
Mon sang ne fit qu'un tour, alors que mes craintes soudaines de voir ma vie privée exposée aux vues et aux sues des autres, germaient peu à peu dans un coin de mon esprit. Cet "accident" remontait à plus d'une semaine déjà, je pensais que le restant de la bande n'en avait pas eu vent. D'autant plus que personne n'y avait fait allusion les jours derniers, et pourtant, dieu savait combien de fois j'avais mangé en compagnie de mes amis ces temps-ci.
— Moi ? Anh ?
Le rouge risquait de me monter aux joues d'un instant à l'autre. J'avais toujours eu du mal à paraître naturelle quand on m'interrogeait à propos de quelque chose que j'essayais de cacher, d'instants dont je n'avais pas envie de parler. Je n'avais pas honte de mes actes, pas honte d'avoir embrassé Anh, mais j'aurais aimé pouvoir garder cela pour moi. J'aurais aimé pouvoir décider de plein gré d'en informer les autres ou pas.
— Oui, toi et Anh. Bordel c'est pas compliqué, Clélie ! Tu l'as embrassé oui ou merde ?
— Oui... C'est bon, t'es contente ?
Ravie par cette nouvelle, Jasmine se jeta dans mes bras et m'enlança avec euphorie. Elle gloussait aussi fort qu'une armada de dindons, sautillant sur place telle un enfant à qui on venait de céder un énième caprice. Moi, je serrais les dents, un sourire beaucoup trop large pour être franc étirant mes lèvres. Je ne savais plus où me mettre, j'ignorais parfaitement comment réagir parce que de ma vie, personne ne s'était réjouie de ma situation sentimentale avec autant de frénésie.
Même pas Céleste, avec qui pourtant j'étais très amie. Et encore moins Malo, mais lui, il avait toujours été un peu dépassé par toutes ces histoires et j'avais fini par cesser de les lui conter.
Néanmoins, je n'étais pas sûre que ce genre de réaction me plaisait tant que cela.
— J'en reviens pas ! Mon petit Anh, qui embrasse une fille ! Waouh ! Finalement sa cause n'était pas si désespérée que ce que je croyais ! s'enthousiasma Jasmine en brisant notre étreinte.
La métisse applaudissait brièvement, trop contente pour contenir sa joie. Quelques regards dérivèrent dans notre direction, dont des froncements de sourcils et des soupirs d'agacement : j'avais presque oublié que nous étions près de la BU, aussi connu comme le temple du silence de la faculté de médecine et de pharmacie. Pour autant, Jasmine ne se calmait pas et je fus contrainte de m'emparer de ses poignets, la forçant à cesser tout mouvement.
Le sourire de la deuxième année fâna quelque peu, mais pas assez pour disparaître complètement de son minois basané.
— Je... Par contre si tu pouvais garder ça pour toi... Ce serait vraiment cool, l'informai-je d'une voix calme mais ferme. Lui et moi, on n'est pas ensemble d'accord et je ne veux pas que les autres pensent qu'on l'est.
— Mais pourquoi ? Quand deux personnes se plaisent ça paraît logique qu'elles se mettent ensemble, non ?
— Je...
La vérité était que j'avais un petit souci avec toutes ces histoires d'engagement.
Je me sentais trop immature, j'avais trop de choses à vivre, trop de contraintes cette année pour me lancer corps et âme dans une relation. Moi, je voulais profiter de la vie parce que j'étais jeune, parce que les grandes paroles, les "je t'aime" c'était encore beaucoup trop abstrait pour moi. Je ne voulais pas qu'on me retienne et bien que j'adorais Anh, qu'il me plaisait et que mes pensées avaient de nombreuses fois caressé l'idée d'être sa copine, je ne me voyais pas franchir le pas.
Après tout, c'était bien ce que les post-adolescents faisaient, non ? Ils s'amusaient des plaisirs de la vie sans réellement céder à la tentation.
— Je veux pas que ça aille trop vite. Pas que ça finisse comme avec toi et Achille, avouai-je en mordillant les peaux mortes autour de mes ongles.
À la mention du prénom de son ancien copain — qui l'avait trompée avec Lucie, une de ses filleules —, le visage en cœur de Jasmine s'était renfrogné. Un certain ressentiment anima ses orbes onyx et la jeune femme passa une main dans ses boucles chocolats, dérangeant le foulard menthe qui les retenait en arrière. Je savais que je n'aurais pas dû remettre sur le tapis cette histoire. Toutefois, pour que Jasmine comprenne, j'étais bien obligée d'user d'exemples concrets et ce dernier m'avait paru des plus appropriés.
Même si je savais pertinnement que ce n'était du genre d'Anh d'agir de la sorte.
— Mais d'ailleurs... Comment tu sais ça ? C'est Anh qui te l'a dit ?
— Non. C'est une tombe pour ça ce morveux, crois pas qu'il viendrait nous partager les infos croustillantes, renchérit Jasmine en levant les yeux au ciel. C'est Esther qui vous a vus, par la fenêtre de la BU.
Je laissai échapper un faible "ah d'accord" suite à la prompte explication de la métisse. Je me rappelais du regard étonné que m'avait lancée Esther lorsque nous étions passés près de sa table, juste avant de quitter la bibliothèque. Néanmoins, je ne l'aurais pas cru aussi intriguée par notre comportement pour aller jusqu'à nous espionner. Comme quoi, on en apprenait tous les jours sur les personnes qui nous entouraient.
— Enfin bon. Tout ça pour dire qu'Anh c'est un bon gars et vraiment, t'as fait le bon choix. C'est mon meilleur ami depuis qu'on est au collège et je crois que c'est le garçon le plus gentil que je connaisse. Alors prends soin de lui.
Elle marqua une pause.
— Par contre, si t'as pas vraiment envie d'être avec lui en tant que petite-amie, c'est tout à ton honneur. Mais je pense que tu devrais lui dire, parce qu'Anh il a tendance à vite se faire de faux espoirs.
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