⚘26. Les rayons de soleil
━ 10 janvier 2020 ━
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LE SOLEIL RAYONNAIT AU TRAVERS DES VITRES DE LA BIBLIOTHÈQUE DE DROIT. Ses rayons, dorés et chaleureux, caressaient les pages de mon carnet de schémas et rendaient illisible l'écran de mon ordinateur.
Super.
Les yeux plissés, les lunettes remontant vers mon front, je tentais de relire mes notes de spécialité pharmacie. Nous avions eu cours ce matin, quatre heures pour être plus précise et j'avais su, dès que nous avions commencé le cours de galénique, que cette filière était faite pour moi.
J'aurais pu écouter notre professeur parler des différents types de comprimés, des caractéristiques des gélules ou encore de l'action des principes actifs pendant des heures. Je trouvais cela passionnant, de voir tout ce que l'on pouvait faire en assemblant quelques molécules les unes avec les autres. Tout paraissait plus clair dans ma tête, tout était soudainement beaucoup plus concret, contrairement à la chimie organique du premier semestre.
Bref, j'avais adoré.
Les cours de spé pharma et de spé médecine ne se déroulaient pas en même temps. Aussi, je m'étais rendue seule à la fac ce matin, délaissant Malo qui avait décidé de profiter de son temps libre pour dormir un peu. J'avais trouvé cela étrange d'être assise dans un amphithéâtre occupé par moins d'une centaine de personnes. J'avais été un peu perturbée par ce vide soudain, cet espace qui s'ouvrait à moi alors qu'en temps normal, c'était la course pour trouver une bonne place.
Néanmoins, je ne pouvais nier que cela m'avait fait du bien de ne pas courir d'un bout à l'autre, de m'asseoir posément sans personne autour. Mon esprit s'était en quelque sorte reposé pendant ces quatre heures de spé. Enfin, autant qu'un cours de PACES le permettait.
Quatorze heure venait à peine de sonner et alors que je travaillais dans mon coin à la BU, de l'autre côté du campus, Léo, Malo et Alizé prenaient le chemin de la faculté. Je ne les enviais pas vraiment d'avoir cours l'après-midi. Le matin, c'était généralement la période où j'étais la plus apte à étudier, à apprendre de nouvelles notions ou à me concentrer sur mes cours. L'après-midi cependant, la fatigue se frayait gentiment un passage entre mes polycopiés et au bout d'une heure de travail, j'étais presque obligée de recharger mes batteries avec une grande tasse de café.
Tout ce long discours pour dire que les cours l'après-midi, non merci.
Je soupirai, une main en visière au niveau des arcades sourcilières, évitant les assauts chatoyant de l'astre d'Apollon. Ce n'était guère aisé de travailler dans de telles conditions, face à la fenêtre donnant sur la fac de lettres. Or c'était la première fois depuis la rentrée qu'il faisait beau à Saint-Florian, aussi me sentais-je obligée d'en profiter — même si cela m'empêchait quelque peu de réviser.
— On bronze ?
Je sursautai, ne m'attendant guère à ce que quelqu'un vienne m'adresser la parole.
— Anh... J'ai failli avoir une crise cardiaque à cause de toi ! me révoltai-je en chuchotant, pinçant le bras du Vietnamien.
Anh s'amusa de la frayeur qu'il venait de me causer, une main posée à l'endroit où je venais de l'attaquer. Je le foudroyai du regard, sans vraiment y croire et observai mon ami s'installer sur la chaise à mes côtés. Des milliers de fourmis dansaient au creux de mon ventre, sans que je puisse faire quoique ce soit pour qu'elles cessent leur manège. De même, j'étais presque sûre que la chaleur qui se dégageait au niveau de mes joues n'était pas simplement dû aux rayons du soleil.
— Tu fais quoi ? s'enquit-il en pointant du doigt la page Word qu'affichait mon écran.
— Spé pharma. Et toi, rien j'imagine ? Après tout on change pas une équipe qui gagne... Aïe ! On pince pas les filles !
— Je croyais que tu trouvais ces normes sexistes débiles ? rit Anh en baissant la voix.
— Ouais. Mais tant que ça ne porte pas atteinte à mes pauvre bras sans défense.
Le brun se contenta de lever les yeux au ciel pour toute réponse, coupant court à ce débat. Je retournai à mes révisions, corrigeant les fautes de frappes et organisant mon cours avec soin, tandis qu'Anh observait les étudiants sortant de la fac de lettres. Il ne parlait pas, me laissant silencieusement travailler, jetant de temps à autre des regards par dessus mon épaule lorsque je râlais contre mon clavier. Puis soudain, il attrapa mon poignet et murmura :
— Viens profiter des rayons du soleil avec moi !
J'eus à peine le temps de contester et de ranger mes affaires qu'Anh m'entraînait à l'autre bout de la bibliothèque, en direction de la sortie. Nous slalomâmes entre les rayons de codes civiles, de revues de science politique ou de géopolitique, attirant l'attention des moins concentrés sur nous. J'aperçus du coin de l'œil Esther et Jasmine et haussai les épaules lorsque la rouquine pointa du doigt l'étrange comportement d'Anh.
Nos pas résonnèrent contre le carrelage bleuté du hall d'entrée, en une symphonie chaotique et précipitée. L'étreinte du deuxième année se resserra autour de mon poignet alors que nous devancions un groupe d'étudiants. J'évitai également de justesse une secrétaire et son café brûlant et Anh contourna le pot de fleurs s'étant dressé sur son chemin. Puis, une fois ce périple au travers de la fac de droit achevé, nous débouchâmes sur la vaste cour donnant sur le bâtiment de lettres, celle que je contemplais du coin de l'œil depuis mon arrivée.
Anh me conduisit jusqu'à un banc solitaire, près d'un chemin pavé et je me détachai de son étreinte, lasse de jouer au patin malmené.
— T'sais que tu me fais un peu peur avec tes idées qui sortent de nulle part, commentai-je en croisant les jambes, les mains enfoncées dans les poches de mon manteau.
Le temps avait beau être agréable et le ciel aussi bleu que celui de Saint-Lac en plein été, les températures demeuraient tout de même de saison.
— Tu te souviens quand je t'ai dit que j'avais un cadeau pour toi ? déclara Anh en ignorant totalement ma remarque.
Mes joues jalousèrent la teinte des coquelicots : comment aurais-je pu oublier une telle confession ? À vrai dire, j'y avais pensé de nombreuses fois tout le long de cette semaine, me demandant bien ce qu'Anh avait déniché ou s'il s'était simplement moqué de moi.
— Oui ?
Anh hocha la tête avant de plonger la paume dans la poche de son manteau. Un minuscule noeud se liait progressivement au niveau de ma gorge et j'avais mal au ventre rien que de penser à ce que le jeune homme s'apprêtait à me donner. J'avais hâte mais en même temps, je redoutais le sentiment de gêne qui allait inéluctablement s'insinuer en moi au moment où je tiendrais son présent entre mes mains. Ce même moment de profonde confusion qui se glisse en nous lorsque quelqu'un nous chante "joyeux anniversaire" et que nous ne pouvons que sourire, complètement paralysés par la situation.
— Ferme les yeux, ordonna Anh d'une voix flanchante.
Je m'exécutai, un sourire au bord des lèvres : visiblement, je n'étais guère la seule à redouter cet instant.
— Donne moi ta main, s'il te plaît.
J'extirpai une de mes mains de mes poches et la tendis prudemment vers mon ami. Un filet d'air effleura le bout de mes phalanges et je frissonnai légèrement. Puis un petit objet s'échoua dans le creux de ma paume. Je soupesai le cadeau d'Ahn pendant un instant, les sourcils froncés, me demandant bien de quoi il s'agissait. La forme ne m'était pas étrangère, néanmoins, je n'aurais su dire avec précision à quoi cela correspondait.
— Malo m'a dit un jour que t'avais l'impression d'être comme une coquille sans perle, un peu comme une enveloppe vide qui se sent pas particulièrement spéciale.
— Hum..., laissai-je échapper en gardant les yeux fermés, maudissant Malo et sa langue trop pendue.
— Pendant mes vacances au Vietnam, je suis allé sur l'île de Phu Quoc et c'était vraiment génial. Je pense que c'est un endroit qui t'aurait plu. Puis avant de m'en aller, je suis tombé sur ça et je me suis dit que ça t'irait bien.
Un énième murmure étouffé se perdit dans ma gorge mais cette fois-ci, je me risquai à ouvrir un œil. Mes iris se posèrent sur l'objet qui reposait au creux de ma main et je hoquetai de surprise. Un bracelet en cordelette. Mais pas n'importe lequel.
Un bracelet en cordelette serti d'une perle. Une véritable perle.
— Je... J'espère que... C'était pas trop gnangnan comme discours... Enfin... Voilà quoi... Je... T'aimes bien ?
Je ne savais quoi dire. Je ne savais quoi faire, quoi répondre tant j'étais subjuguée par la beauté et la simplicité de ce bijou. Une perle ! Une véritable perle de culture reposait dans le creux de ma main ! Je n'arrivais pas à y croire, était-ce un rêve dans lequel j'étais plongée ? Allais-je brusquement me réveiller en plein milieu de ma chambre, avec Van Gogh à mes pieds ?
C'était tout simplement magnifique comme cadeau. Ces reflets nacrés envoûtants, cette délicatesse olympienne, ne pouvaient décemment pas se satisfaire d'un vulgaire merci. Non, il fallait quelque chose à leur hauteur, à la hauteur de ce cadeau aussi insoupçonné que merveilleux. Cependant, j'avais beau chercher, me creuser les méninges au risque de devenir aliénée, je ne parvenais à trouver les termes justes pour qualifier la vague d'émotions qui déferlait en moi.
— C'est... Et bien... Comment dire...?
— Tu me fais peur là..., commenta-t-il nerveusement.
— C'est... Merci. Merci beaucoup, Anh. Vraiment.
Je n'avais pas réussi à trouver les mots justes, mais je crois qu'Anh s'en moquait un peu. Tout ce qui comptait pour lui, c'était le sourire timide que j'esquissais, les iris ambrées posées sur la perle nacrée.
Parfois, il n'y avait pas besoin de grand discours pour montrer à quel point les choses nous touchaient. Il suffisait de simples gestes, de mimiques imperceptibles mais emplies de bonté pour prouver aux autres ce que l'on ressentait.
— Tu... Tu peux me l'accrocher, s'il te plaît ? demandai-je finalement en relevant ma manche, dégageant mon poignet.
Anh hocha la tête et saisit délicatement la cordelette brune. Quelques plaintes s'échappèrent alors qu'il essayait de maintenir le fermoir ouvert, m'arrachant un ou deux éclats de rire. Un petit bout de langue dépassait de ses lèvres, témoin de sa profonde concentration, ce qui, je devais l'avouer, le rendait encore plus touchant.
Une perle. Une vrai perle. Je n'en revenais toujours pas.
— Tadaaaa ! Alors ? Je suis pas le pro des "attacheurs de bijoux" ? se vanta Anh en bombant fièrement le torse.
Néanmoins, il n'eut guère le temps de pavaner bien longtemps. Puisqu'à peine eut-il achevé de parler, que je posai mes mains sur ses joues.
Et l'embrassai.
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