⚘24. Le fameux Monsieur Verneuil

7 janvier 2020


          LÉOPOLD NE TENAIT PLUS EN PLACE. On aurait dit un enfant qui venait d'apprendre qu'il partait à Disneyland. Depuis que nous avions pris place dans l'amphithéâtre, il n'avait cessé de lancer des coups d'œil en direction de sa montre, guettant l'arrivée imminente de Monsieur Verneuil, l'un des professeurs d'UE 7 — ou Sciences Humaines et Sociales et Santé Publique, plus ou moins de la philosophie.

— Mec, tu me fais flipper, commenta Malo en jouant avec son stylo.

— Je vais commencer à croire Jasmine quand elle disait que t'étais raide dingue de ce gars, ajoutai-je en ouvrant une page Word sur mon ordinateur.

Léo claqua sa langue contre son palais, nous intimant de nous taire. Pour autant, cela ne nous empêcha pas de continuer à l'embêter. Léo faisait partie de ce genre de personne qui tendait le bâton pour se faire battre. En outre, il faisait tout pour qu'on continue de l'ennuyer et de se moquer de lui — gentiment bien sûr, c'était tout de même notre ami.

— Arrêtez de vous foutre de ma gueule, vous deux. Vous allez moins faire les malins une fois absorbés par l'aura de Monsieur Verneuil.

— J'aimerais bien voir ça, répondit Malo en croisant mon regard, faisant renchérir Léo de plus belle.

Je les laissai se chamailler, les observant du coin de l'œil et sortis mon téléphone. Avec discrétion, j'ouvris la page de conversation avec Anh et relus son dernier message. "Au fait, j'ai un cadeau pour toi :)". Mon cœur battit un peu plus à la vue de ces mots et je ne pus m'empêcher de sourire. Il avait un cadeau pour moi, c'était tellement adorable. Je me demandais bien de quoi il s'agissait : venant d'Anh, cela pourrait être tout et n'importe quoi à la fois.

La soirée de la veille s'était achevée sans qu'on ne soit réellement parlés, lui et moi. Nous avions fait comme si de rien n'était, échangeant une bise au moment de se dire au revoir mais j'avais senti mes jambes se liquéfier. Était-ce cela que l'on ressentait lorsqu'on appréciait quelqu'un ? Cette impression de se dissoudre au moindre geste, au moindre regard ? C'était différent de lorsque je parlais à Achille, où seules mes entrailles se tordaient, là, je perdais tout simplement contrôle de moi.

J'étais comme un pantin, une marionnette entre les doigts d'Anh. Et tant qu'il tirait correctement les ficelles et ne me faisait aucun tort, je lui accordais toute ma confiance.

— Elle vient pas Alizé ? s'enquit Malo en constatant le siège vide à côté de moi.

— Normalement si, mais tu la connais : elle est toujours un peu en retard, avouai-je en plaçant mon sac sur la place libre pour que personne ne la prenne.

J'avais voulu envoyer un message à Alizé hier soir pour lui demander si tout allait bien. Or je m'étais dégonflée, ayant trop peur de la blesser — bien qu'il paraissait presque impossible de faire du mal à Alizé, une vraie je-m'en-foutiste. Je préférais lui demander de vive voix, attendre d'être chez elle et d'en avoir découvert un peu plus par moi-même. Je ne voulais pas la brusquer, parce que c'était mon amie et surtout parce qu'Alizé n'avait aucun filtre.

Si elle avait voulu nous parler, elle l'aurait fait, sans hésiter un seul instant.

— Oh mon dieu ! It's happening ! glapit subitement Léo en pointant du doigt les portes de l'amphi.

Un homme d'une quarantaine d'années, aux mèches rousses coupées en brosse et aux lunettes carrées venait de faire irruption dans la salle. Sa mallette en cuir au bout des doigts, vêtu d'un pantalon beige et d'une veste de costume bleue marine, il me donnait plus l'impression d'être un banquier plutôt qu'un professeur. Il remonta ses lunettes en approchant du bureau, posa ses affaires sur ce dernier et sortit le microphone du tiroir.

Alors c'était lui qu'Anh et Léo aimaient tant ? C'était étrange, il avait l'air si... Banal.

— Ouh... Mais je vois que les visages sont ternes, les yeux endormis. Vous avez un peu trop abusé sur le foie gras de Mamie et le Champomy, non ? lança Monsieur Verneuil en détaillant les centaines d'élèves assis face à lui.

Quelques élèves rirent timidement suite à la remarque de Monsieur Verneuil et je ne pus m'empêcher de sourire : peut-être que je l'avais jugé un peu trop vite finalement. Il avait l'air marrant. Léopold soupira et coinça son menton dans sa paume, l'air rêveur. On aurait dit une groupie en pleine extase face à son chanteur préféré.

— Plus sérieusement, j'espère que vous avez passé de bonnes vacances, que vous avez eu le dernier CD de Jul à Noël ou encore une jolie écharpe de Tata Sylvie, poursuivit-il avec une grimace. Aujourd'hui, on oublie le concours, on ne va en aucun cas parler de vos classements : de toute façon, ce qui est fait est fait et ça ne sert à rien de se morfondre sur le passé. Non, on va plutôt parler de ce fabuleux UE qu'est l'UE 7, et si jamais j'ai le temps, peut-être que nous commencerons le cours sur l'histoire de l'assistance hospitalière.

Au même moment, les portes s'ouvrirent et une silhouette se découpa dans l'angle de la salle. Perdue dans un manteau large, ses cheveux dorés attachés en un chignon négligé et son sac pendant nonchalamment au bout de son bras, Alizé n'avait guère l'air réveillé. En outre, elle adressa un coucou de la main à Monsieur Verneuil, au lieu du traditionnel "bonjour". Néanmoins, cela n'eut guère l'air de gêner le professeur, puisqu'il lui rendit son geste, un petit sourire ironique au bout des lèvres, se moquant gentiment d'elle.

Alizé ne prêta pas attention à la réaction de Monsieur Verneuil, préférant grimper les escaliers jusqu'à nous et s'assit sur le siège à mes côtés. Elle soupira, se frottant les paupières d'une main molle et sortit ses affaires doucement. De profil, ses joues paraissaient davantage creusées et les rubans violacés sous ses yeux bleus d'autant plus marqués. Je fus également choquée par la maigreur de ses poignets, qui, bien qu'ils n'aient jamais été forts, étaient tout de même plus larges auparavant.

Un mauvais pressentiment parcourut mon être mais je demeurai silencieuse. Après tout, pour le moment, ce que je croyais ne se résumait qu'à de simples suppositions. Il me fallait encore un peu de temps avant d'être sûre de ce que j'avançais.

Après s'être fait interrompre par trois autres retardataires, dont l'un avait manqué de renverser son thermos de café au sol, Monsieur Verneuil avait repris ses explications. Le quarantenaire déambulait face à la première rangée d'étudiants, récitant le programme de ce semestre d'un air théâtral, en esquissant de lents mouvements des bras.

Les enjeux de la matière furent vus dans les moindres détails, de même que les sujets abordés.

Monsieur Verneuil n'oubliait guère de glisser quelques blagues entre deux phrases, se moquant de nos têtes ou encore des attitudes des jeunes de nos âges. Néanmoins, le ton employé rendait ses boutades plaisantes et peu blessantes. C'était très agréable de l'écouter nous parler des diverses intelligences, des différentes façons d'aborder ce second semestre ou de travailler. Avec lui, on n'avait pas l'impression d'assister à un cours, mais plutôt d'écouter un ami.

— Rappelez-vous bien les clés du succès : bien dormir, bien travailler et surtout bien manger ! Et pour les garçons, bien manger ne rime pas avec kebab ou hamburger tous les soirs, n'est-ce pas ? Ne me regardez pas avec des yeux étonnés, je sais parfaitement comment vous fonctionnez, assura Monsieur Verneuil en remontant ses lunettes. Ah et les filles ! Les boutons d'acné n'ont jamais tué personne. De toute façon, ce n'est pas en PACES que vous trouverez votre Don Juan.

Je m'étais tournée vers Malo à la mention du bon sommeil et mon meilleur ami avait hoché la tête, l'air de dire "je gère". Et il était vrai qu'il gérait : depuis le mois de novembre dernier, les crises d'insomnie de Malo s'étaient espacées, jusqu'à quasiment disparaître au début du mois de janvier. Mon meilleur ami avait moins de mal à s'endormir et je ne l'entendais plus regarder Netflix à quatre heure du matin. Toutefois, je préférais garder un œil sur lui : une rechute alors qu'il avait si bien commencé l'année était à tout prix à éviter.

Même si dans le cas présent, cela pourrait m'aider à grappiller une place dans le classement.






Après les deux heures d'UE 7, nous avions eu droit à un cours d'anatomie. J'avais trouvé ça très intéressant, beaucoup plus que tout ce que j'avais pu voir au semestre dernier. J'avais enfin l'impression d'apprendre quelque chose de concret, quelque chose à mon échelle plus exactement : en effet, c'était beaucoup plus facile d'observer le mouvement de ses articulations qu'une cellule en pleine nécrose.

Malo paraissait du même avis que moi. En outre, mon meilleur ami n'avait cessé de dessiner des schémas de manubrium, de côtes ou encore de processus xiphoïde. Léopold avait passé son temps à gribouiller sur son polycopié de l'année dernière, surlignant, entourant les termes importants. Et Alizé n'avait pas arrêté de chercher et de palper les os mentionnés par le professeur.

L'anatomie, c'était presque ludique comme matière. Un peu comme un jeu où on devait mettre chaque forme dans la bonne case. Sauf qu'à la place des cubes en bois et du plateau, on avait des organes et un squelette.

— RU plus BU ? demanda Malo alors que nous arpentions tous les quatre le hall d'entrée de la fac de médecine.

— Bien entendu ! On change pas une équipe qui gagne ! rétorqua Léo en réalisant un high five raté avec le brun. Clélie, Alizé ?

Alizé resserra son manteau contre son torse, le nez enfoui dans son éternelle écharpe. Des papillons et des mitochondries esquissés au stylo bleu parsemaient sa main gauche.

— Sans moi, mais c'est gentil de proposer, avoua Alizé en souriant au blond.

— Travailler en groupe c'est vraiment pas pour moi les gars. Je crois que finalement je bosse mieux quand je suis toute seule, désolée, ajoutai-je en esquissant une grimace, remontant mes lunettes.

Une moue triste se glissa sur le visage ovale du doublant et il papillonna des cils, espérant me faire changer d'avis. Néanmoins, Léo en vint à la conclusion que ses efforts étaient vains et après nous avoir demandées une ultime fois si nous ne voulions vraiment pas venir, les deux garçons s'en étaient allés.

Ne restait plus qu'Alizé et moi. Ainsi que la centaine d'autres étudiants qui évoluaient dans le hall.

— Au fait... Je voulais te demander..., commençai-je en serrant les doigts autour de la anse de mon sac.

— Clélie ! Eh Clélie !

Je fronçai les sourcils, étonnée. Qui d'autre que mes amis pouvait connaître mon prénom parmi le restant des PACES ?

— Si tu crois pouvoir échapper à ton parrain aussi facilement, tu te trompes.

Achille.

— Mince, faut que je revois mes techniques de fuite alors.

Achille ricana suite à ma remarque et nous salua toutes les deux. Enfin, me fit la bise et se contenta d'un hochement de tête en direction d'Alizé. Achille et Alizé n'avaient jamais accroché, allez savoir pourquoi.

— Alors tes vacances ? Ça s'est bien passé ? J'espère que tu t'es bien éclatée et que t'en as profité avant d'attaquer ce nouveau semestre !

— Tu sais, y a pas grand chose à faire par chez moi l'hiver, c'est plus l'été que c'est animé, avec le lac et tout. Mais sinon, oui. Je me suis bien amusée, affirmai-je en me balançant nerveusement d'un pied sur l'autre.

Même si mon cœur penchait pour Anh, je ne pouvais l'empêcher d'osciller également pour Achille. C'était comme un ressort que l'on tirait d'un côté et qui rebondissait de l'autre. Quand j'étais avec Anh, je devenais toute rouge et mon cœur s'emballait. Alors qu'une fois devant Achille, mes entrailles se tordaient et j'avais de la difficulté à m'exprimer.

"Ce n'est pas en PACES que vous trouverez votre Don Juan" avait dit Monsieur Verneuil. Est-ce que les deuxièmes années étaient comptés dans le lot ?

— Et ton concours ? Mis à part ton classement, ça s'est passé comment tes épreuves ?

— J'ai faim, Clélie. Je te laisse, informa tout à coup Alizé, déjà prête à s'en aller.

J'aurais souhaité la retenir, lui demander de m'attendre ou écourter ma discussion avec Achille pour la raccompagner et lui parler. Néanmoins, la blonde en avait décidé autrement et avant que je ne puisse faire quoique ce soit, sa silhouette fluette fuyait déjà.

Je me pinçai les lèvres, me disant que ce ne serait pas cette fois que je saurai ce qui se trame avec Alizé, et reportai mon attention sur Achille.

— Bah les épreuves écoute...

Et je m'étais mise à tout lui raconter.

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