⚘22. Les résultats

6 janvier 2020

          JE N'AVAIS JAMAIS EU AUTANT ENVIE DE RETOURNER À LA FAC DE MA VIE. Et pourtant, dieu savait que j'avais apprécié ce mois de vacances bien mérité. Toutefois, je commençais à m'ennuyer à Saint-Lac et même si j'avais vu Malo la plus grande partie du temps, mes autres amis — Léo, Alizé, Anh, Jasmine, Esther et même Achille — commençaient à me manquer.

— Merde... T'as pas huit euros à me dépanner, Malo ? murmurai-je en sortant du bureau de l'association des étudiants en pharmacie.

Malo fronça les sourcils et tapota nerveusement ses poches de blouson, à la recherche de son porte-monnaie. Je restai plantée devant lui pendant quelques instants, observant du coin de l'œil les étudiants qui allaient et venaient dans le couloir. Malo lâcha un faible "ah ah" et déposa quatre pièces de deux euros dans ma main. Je le remerciai d'une bise et m'empressai de retourner sur mes pas.

Qui disait nouveau semestre, disait nouvelle inscription au tutorat. Mais cette fois-ci, nous devions choisir notre UE de spécialité : soit médecine pour les étudiants souhaitant se tourner vers la médecine, la maïeutique, l'odontologie ou encore la kiné ; soit pharmacie pour ceux qui souhaitaient aller en pharmacie. Bon nombre d'étudiants maximisaient leurs chances d'être pris en s'inscrivant aux deux spécialités.

Mais personnellement, j'avais décidé de me tourner exclusivement vers la spé pharma : c'était l'unique métier que je voulais faire, et surtout le seul que je pouvais encore espérer avoir du premier coup.

Le vingt décembre dernier, alors que j'étais tranquillement en train de flâner chez moi, j'avais reçu un message de Malo m'indiquant que les résultats du concours étaient disponibles sur l'ENT. Rapidement, je m'étais empressée d'attraper l'ordinateur et de m'y connecter. J'avais eu la boule au ventre, mon cœur battait la chamade alors que j'avais cliqué sur le lien envoyé par la fac.

Je ne savais à quoi m'attendre, ayant complètement raté mon épreuve de physique et de biologie cellulaire. J'avais peur, j'angoissais à l'idée de voir mon rang, j'espérais de tout cœur avoir réussi à limiter la casse, que les maths m'aient sauvée malgré eux. Puis j'avais aperçu mon classement. Mon cœur avait raté un battement.

632/1345.

J'étais restée bouche-bée pendant de nombreuses minutes après, tentant de me faire une opinion sur ce chiffre, mais je n'y étais pas arrivée. La moitié, 632, ce n'était ni excellent ni terriblement mauvais. C'était la moitié, enfin presque : j'avais encore toutes mes chances d'y arriver, mais pour ce faire je devrais me battre si je voulais passer. Car même en finissant majeur de promo, les correcteurs faisant une moyenne des deux concours, je pourrais au mieux arriver 316.

Ce qui risquait de ne pas être de la tarte.

Malo avait longuement hésité avant de me dévoiler sa place. Je m'étais imaginée le pire : qu'il soit arrivé dans les trois cents derniers, qu'il ait totalement raté ses épreuves et soit contraint de quitter la fac. Néanmoins, en forçant un peu plus et en lui promettant que je ne le dirais à personne, je m'étais rendue compte que je m'étais trompée sur toute la ligne. Malo n'était pas arrivé dans les mille derniers.

Malo était arrivé 391/1345. Presque trois cent places devant moi.

J'avais été surprise de le voir remonter la pente aussi vite, sachant qu'il s'était complètement raté au concours blanc de la prépa. J'étais très contente pour lui, fière de sa progression même. Or une partie de moi ne pouvait s'empêcher de secrètement le jalouser. Il avait réussi là où j'avais échoué, il m'avait surpassée dans tous les domaines et si jamais il obtenait son année et moi non, je ne savait pas si je serais complètement heureuse pour lui.

Parce que c'était un concours et que même si nous étions amis, mon avenir comptait aussi beaucoup à mes yeux.

— On rentre ? demanda Malo lorsque je réapparus face à lui, une pile de polycopiés dans les bras.

J'hochai la tête et nous rebroussâmes chemin en direction du hall de la fac. Néanmoins, nous n'eûmes le temps d'esquisser un pas que Léopold surgit de nulle part, son habituel air fanfaron glissé sur son visage. Léo me sauta dans les bras, me serrant contre lui et entre mes rires, je lui indiquai qu'il m'étranglait. Puis notre ami doublant checka la main de Malo en glissant un petit "ça gaze ma caille ?" à la volée.

— Dis donc... T'aurais pas fait un petit séjour à la montagne toi ? le taquina Malo en pointant du doigt ses joues.

En effet, le visage de Léopold paraissait scindé en deux. D'un côté, son menton et ses joues tiraient vers les tons caramels, d'un autre le contour de ses yeux et son front étaient restés aussi blancs qu'ils l'étaient avant qu'on ne le quitte. Il était quasiment impossible de rater la large trace qu'avaient laissé ses lunettes de ski, à moins d'être aveugle ou de ne pas être réveillé.

— Les Vallons Blancs, très sympa comme station de ski. Je recommande à fond, avoua Léopold sur le ton de la plaisanterie. Vous vous êtes inscrits ?

— À l'instant, informai-je en serrant un peu plus mes feuilles contre moi.

Léopold murmura un "bien joué" et se mit à échanger quelques mots avec Malo. Je voyais bien qu'il contournait le sujet du concours, préférant raconter ses aventures à la neige plutôt que de mentionner le jour des résultats.

— On a mangé dans une auberge, je vous jure le serveur on aurait dit Hodor de Game of Thrones, déblatéra Léo avec photo à l'appui.

Il était vrai qu'avec sa barbe grise mal entretenue, ses sourcils broussailleux, sa polaire vert citron surmontée d'un gilet sans manche à carreaux, l'homme qu'avait vu notre ami avait un air de ressemblance avec le fidèle compagnon de Bran Stark.

Néanmoins, je voyais bien que Léopold essayait simplement de détourner notre attention. Du moins, j'en aurais mis ma main à couper.

— Et le concours ? Ça a donné quoi ? finis-je par demander, n'en pouvant plus de cette question qui me brûlait les lèvres.

Une ombre passa devant le visage de Léo et un rictus nerveux apparut sur son minois de lutin. Malo fronça les sourcils dans ma direction, l'air de dire "pourquoi tu le coupes comme ça ?", mais j'ignorai royalement mon meilleur ami. Tout ce que je voulais savoir à présent, c'était la place du doublant. Je voulais savoir s'il avait mieux réussi que nous — ce qui était fort certain —, et à quelle distance se trouvait-il par rapport à moi. Était-il si loin ? Ou était-il proche ? Je voulais savoir, je voulais me situer, voir si je m'étais vraiment loupée ou si ma place n'était pas si terrible que cela.

Ça frôlait presque l'obsession à ce stade-là.

— Tranquille.

— C'est-à-dire ?

Qu'est-ce que signifiait tranquille pour lui ? Je voulais savoir, vraiment savoir.

— Bah tranquille quoi, renchérit le blond en pouffant nerveusement. T'sais on n'est pas obligés de parler de ça non plus.

— Arrête de faire le modeste, mec. T'es arrivé combien ?

Malo avait fini par se ranger de mon côté, sa curiosité attisée par l'étrange comportement de Léopold. Le brun avait croisé les bras contre son torse et penchait sa tête sur le côté, ses boucles mordorées tombant devant ses yeux ronds. Léopold se balançait d'un pied sur l'autre, se raclant discrètement la gorge et murmura quelque chose.

— Qu'est-ce que t'as dit ? m'enquis-je en fronçant les sourcils.

Léo soupira.

— Vingt. Je suis arrivé vingtième, ça vous va maintenant ?

Un étranglement se perdit au fond de ma gorge alors que je fixais Léo d'un air eberlué. Avais-je seulement bien entendu ? Vingtième. Waouh. Je n'en revenais pas. C'était bien. Que dis-je c'était excellent, même plus qu'excellent. Vingtième. Si j'avais voulu faire médecine, j'aurais été prête à vendre mon âme au diable pour échanger mon classement avec le sien. Et visiblement, Malo était du même avis que moi à en juger par l'admiration qui scintillait dans ses iris jade.

Vingtième. Je comprenais mieux pourquoi il avait préféré se taire et ne pas pavaner devant nous.

— Et vous ? interrogea finalement le blond une fois notre stupeur passée.

— 632, lançai-je avec prudence.

Je me sentais un peu nulle par rapport à lui. Mais après tout, je me rappelai qu'il avait eu plus de temps que nous pour tout apprendre, étant donné qu'il s'agissait de sa deuxième année de PACES.

— 391, ajouta Malo. Presque le numerus !

Léopold nous félicita pour nos notes et nous conseilla de ne pas nous relâcher au second semestre et de tenir jusqu'au bout.

— Avec un peu de boulot, beaucoup de concentration et des petites pauses de temps en temps, y a pas de raisons que ça se passe mal.

Facile à dire quand on était arrivé vingtième. Moins facile quand on était six cent trente-deuxième. Non, je ne suis pas jalouse, c'est faux.

— Oh bah vous êtes là ? Cool...

Nous nous retournâmes comme un seul homme, alertés par la voix de cette nouvelle venue. Qui n'était autre qu'Alizé, notre petite Luna Lovegood locale. Fidèle à ses habitudes, Alizé avait ressorti son manteau en fourrure ainsi que son écharpe en crochet. Et malgré toutes ces couches, elle tremblait comme une feuille balayée par le vent. Il ne faisait pas si froid que cela quand même : en outre, un grand soleil planait sur Saint-Florian aujourd'hui.

— Vous avez passé de bonnes vacances ? s'inquiéta Alizé après nous avoir salué d'un signe de la main.

— On a fêté le nouvel an au bord du lac de notre village avec Clélie, conta Malo en décroisant ses bras, les laissant retomber le long de son corps. Et même qu'elle est tombée dedans.

— Tu m'as poussée ! C'est pas la même chose !

— Et moi j'ai vu Hodor à la neige ! compléta Léo en montrant sa photo à la blonde.

Alizé poussa un petit "oh trop bien" en admirant l'écran fêlé de notre ami, et gronda faiblement Malo pour son geste du premier de l'an. Cependant, elle n'embraya pas sur ses propres vacances, préférant examiner les alentours, ses mains recroquevillées dans les manches de son manteau.

Quelque chose clochait avec Alizé. Elle qui d'ordinaire débordait de vie et ne s'arrêtait pas de jacasser, ne disait rien aujourd'hui, préférant écouter, observer. Elle avait les traits tirés, le visage fatigué et sous ses orbes saphir, d'ordinaire si pétillant, il y avait un simple trait de khôl effacé et des chutes de mascara. De même, ses joues auparavant rondes s'étaient creusées, accentuant ses pommettes hautes, lui donnant un tout autre visage.

— Finalement, j'ai fait mieux que ce que je croyais, déclara la blonde en ramenant son regard sur nous. Je suis arrivée 857. C'est un exploit, presque.

Elle avait prononcé ces mots d'une voix monocorde, à faire frissonner les plus peureux. Alizé n'était pas comme d'habitude, elle semblait dépitée, éteinte. Ses sourires solaires avaient laissé place au regard mélancolique de la Lune et bien que cela lui donnait un certain charme, ce n'était pas la Alizé que je connaissais.

Les garçons n'émirent aucun commentaire, se contentant de consulter son portable pour Léo ou de regarder le distributeur de nourriture pour Malo. Finalement, ce fut le blond qui rompit le silence — comme bien souvent.

— Jasmine et Anh vont au Da Vinci ce soir, informa-t-il. Ils demandent si on veut venir. Vous êtes chauds ?

— C'est quoi le Da Vinci ? le coupai-je.

— Un café-théâtre dans le centre-ville de Saint-Florian, y a souvent des amateurs de stand-up qui y passent ou même des petits groupes de musique du coin. Ce soir, c'est un groupe de jazz, je crois.

J'échangeai un regard avec Malo. Demain, les cours reprenaient et à défaut de me rendre au tutorat — qui ne recommençait pas avant fin janvier —, j'étais bien obligée d'y aller.

— On rentrera pas trop tard, c'est promis, assura Léo en interceptant notre jeu de regard. Je vous rappelle que moi aussi je vais en cours demain, et clairement, je peux pas attaquer la journée avec que trois heures de sommeil.

— On vient, trancha Malo après cela.

— Moi non merci. Je suis fatiguée, s'excusa Alizé en esquissant un faible sourire. Peut-être une prochaine fois ?

Léo murmura que c'était dommage et Alizé haussa les épaules. Moi, je fronçai les sourcils une énième fois.

Alizé était peut-être fatiguée. Mais j'étais sûre qu'il n'y avait pas que ça qui la tracassait.






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Oh la la, vous ne pouvez pas savoir à quel point ça me fait plaisir de reprendre cette histoire après presque un mois de pause. Clélie, Malo et tous les autres m'avaient atrocement manquée et relire ces mots alors que je suis désormais en deuxième année, ça me rend encore plus fière de tout ce chemin parcouru !

On reprend doucement le rythme avec un chapitre plutôt posé qui prépare tout doucement les intrigues du second semestre. J'espère sincèrement qu'il vous aura plu et qu'il aura attisé votre curiosité quant à l'étrange comportement d'Alizé...

Des avis sur le classement de Clélie ? Celui de Malo, de Léo ou encore d'Alizé ? Vous vous attendiez à cela ou pas ?

Merci encore d'être là à chaque publication, d'accorder de votre temps pour lire mes chapitres, voter et commenter. Vous êtes vraiment précieux et je ne pourrai jamais assez vous remercier pour tout ce que vous m'apportez.

Je vous dis donc à lundi prochain pour le chapitre vingt-trois !

Bonne journée / soirée à vous !

capu ton cygne

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