⚘21. Le concours (1)
━ 4 décembre 2019 ━
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— JE CROIS QUE JE VAIS VOMIR.
— On est deux.
Depuis que nous nous étions réveillés ce matin, à 5h45, ni Malo ni moi n'étions en grande forme. En outre, après de longs mois de travail acharné et de remises en question, le jour tant attendu était enfin arrivé. Et c'était donc le ventre tout retourné et les mains tremblantes que nous nous tenions face au parc des expositions de Saint-Florian.
Une foule de PACES était agglutinée devant les portes de verre du bâtiment, tentant de décompresser chacun à leur façon. Certains fumaient avec ténacité, leurs volutes de fumée toxique se mêlant au brouillard de cette mâtinée de décembre. D'autres encore enchaînaient les blagues et usaient à outrance de leur sarcasme, tentant de dissimuler la peur enfouie au creux de leur estomac.
Malo et moi, nous n'étions dans aucun de ces cas. À vrai dire, nous étions tellement tétanisés par l'appréhension et l'angoisse, qu'à part nous exprimer d'une voix monocorde, nous ne pouvions rien faire d'autre.
J'avais peur, mille fois plus que pour le concours blanc — auquel j'avais fini 445/911 —. Mes entrailles se tordaient, se nouaient toujours plus dans mon ventre et j'avais mal à la gorge.
— Alors ? On a peur les gars ? nous taquina soudainement une voix.
Léopold venait tout juste d'arriver, de larges rubans violines mettant en valeur ses iris grises. Ses mèches cendrées se dressaient en épis sur le sommet de son crâne et sur sa joue rougie par le froid, on pouvait encore distinguer les contours de son oreiller. Léo sautillait presque sur place, son sac à dos sur les épaules, ses vêtements imprégnés d'une odeur de café froid. Quelques vaisseaux sanguins avaient explosé au coin interne de son œil et sa paupière droite tressautait. Néanmoins, mise à part ces quelques détails, notre ami doublant paraissait en pleine forme.
— Parle pas de ça, grommela Malo dans sa barbe inexistante. Ça fait trois jours que je dors que quatre heures par nuit.
— Ah chaud, mec. Tu veux une banane ? Ma mère est diététicienne et elle dit toujours que c'est bien d'en manger pour avoir de l'énergie.
Malo fronça les sourcils en apercevant le fruit légèrement écrasé, mais accepta tout de même la proposition de notre ami.
Alizé se pointa peu de temps après que Malo ait terminé son fruit, emmitouflée dans un large manteau en fausse fourure. Son nez rougi par le froid disparaissait dans l'écharpe à motifs jacquards nouée autour de son cou, et elle grelottait de froid. Alizé nous salua d'un signe de la main et tapa dans la main que lui tendait Léo.
— Fait un froid de canard dans ce pays, commenta la blonde en resserrant son manteau autour d'elle.
— T'inquiète, il fait moins froid à l'intérieur du bâtiment.
Alizé murmura un faible "y a intérêt" et disparut un peu plus sous toutes ses couches de vêtements.
— Vous êtes dans quelle zone ? relança Léo en se frottant les yeux.
— Quinze, répondis-je en me retenant de bailler. Et trente-quatre pour Malo. Et vous ?
— Vingt-trois, renseigna Alizé de sa voix fluette.
— Cinquante-quatre, acheva Léo en grimaçant. Ça craint, on est pas du tout dans les mêmes sections, se plaignit le blond.
J'approuvai d'un soupir, alors que Malo sortait son téléphone. Un faible sourire s'esquissa sur son visage exténué et il nous montra l'écran de son smartphone.
— Anh a envoyé un message sur notre groupe Messenger. Il nous souhaite bonne "merde" pour aujourd'hui. Oh ! Jasmine est en train d'écrire !
Mes joues avaient rosi à la mention de notre ami et j'avais enfoui mon nez dans mon écharpe, tout comme Alizé. Personne n'était au courant du baiser — ou plutôt des baisers — que nous avions échangé deux semaines plus tôt. Et même Malo, qui pourtant était mon meilleur ami, ignorait tout de ce qu'il s'était passé. Ce n'était pas tant qu'Anh et moi avions honte qu'on nous surprenne ensemble, mais nous n'avions pas jugé utile de prévenir nos amis.
Nous ne sortions pas ensemble. On était juste un peu à fleur de peau ce soir-là, ce qui expliquait peut-être pourquoi on s'était laissés aller.
— Les portes sont ouvertes ! glapit tout à coup Alizé en indiquant du bout de l'index l'entrée.
En effet, les lourdes portes du parc des expos venaient de s'ouvrir et déjà, une centaine d'étudiants se ruait dans leur direction. J'attrapai le bras d'Alizé ainsi que celui de Malo — auquel Léo s'était attaché — et nous nous faufilâmes entre les ados de notre âge. Je virai à droite, je virai à gauche, j'enjambai quelques sacs posés à terre et m'excusai une bonne dizaine de fois.
Derrière moi, Alizé grelottait de plus belle, se retenant d'éternuer sur les passants et reniflant bruyamment. Il n'y avait plus aucune trace des garçons, aussi me stoppai-je net, jetant un coup d'œil aux alentours. Je les aperçus finalement : ils étaient près de la porte opposée et s'apprêtaient à pénétrer à l'intérieur du bâtiment. J'échangeai un regard entendu avec Malo et forçai le passage jusqu'à rentrer dans la salle.
Une fois dans le hall, j'accélérai un peu plus le pas. Des jeunes couraient presque en direction des escaliers menant au parc, souhaitant être au bon emplacement une fois que les surveillants commenceront l'appel. Ils se bousculaient mais demeuraient silencieux, tétanisés par le stress et la peur de ce qui les attendait. Avec Alizé, nous empruntâmes les marches à vive allure, nous faufilant entre les étudiants plus lents, et atteignîmes enfin la salle.
Waouh.
Sous mes yeux ébahis s'étendaient plus de mille trois cents chaises et tables, toutes espacées d'au moins un mètre l'une de l'autre. Des gradins encerclaient la salle circulaire et déjà, des surveillants et autres professeurs réquisitionnés, s'appliquaient à disposer des feuilles de brouillons colorées. Je me sentais miniscule face à tout ce spectacle, comme une enfant perdue dans un endroit qu'elle ne connaissait pas. Tout me paraissait si grand, si imposant : j'en avais les jambes qui tremblaient. Heureusement, l'adrénaline qui cheminait le long de mes veines m'empêchait de tomber.
— Ça me rappelle le bac. Mais en mille fois pire, frissonna Alizé, ses iris cernées de rose balayant la salle du regard.
J'approuvai d'un hochement de tête et soupirai. J'avais mal au ventre rien que de penser à cet endroit, mes entrailles se tordaient dès que je croisais le regard d'un autre étudiant et mon cœur tambourinait dans ma poitrine. Mais aussi paradoxal que cela puissait l'être, je me sentais malgré moi invincible. Comme lorsque je sautais du plus haut plongeoir du lac de Montdesbois, ou encore lorqu'avec Malo, nous dévalions les collines de Saint-Lac sur nos vélos.
Au début, ça faisait un peu peur. Mais à la fin, on en redemandait encore.
Des feuilles criblées de numéros étaient placardées un peu partout, sur les murs ou encore des panneaux sommaires. La zone quinze se trouvait à l'autre bout du parc des expositions, à quelques mètres seulement des gradins et des tables du jury. Une boule s'était formée dans ma gorge alors que je m'étais séparée d'Alizé. Elle m'avait envoyée toutes ses bonnes ondes et moi tout mon courage : avec nos deux forces combinées, peut-être parviendrons-nous à vaincre l'épreuve se présentant à nous ?
Je me retrouvai donc à errer le long de la zone délimitée, jetant de furtives oeillades en direction des chaises et tables parfaitement alignées. La zone un apparut sous mes yeux et je m'y arrêtai, m'assurant d'être assez près de l'entrée dès que le surveillant commencerait à faire l'appel. Hélas, j'étais guère la seule à avoir eu cette idée : une soixantaine de jeunes, aux visages blafards et aux paupières lourdes se tenait déjà près des barrière, attendant avec appréhension l'ouverture.
Mon téléphone vibra dans ma poche de manteau et je m'en emparai. Il s'agissait d'un message d'Achille.
Bonne chance pour l'UE 3.a) !
Tu vas tout déchirer je crois en toi x)
Un sourire timide s'esquissa sur mes lèvres gercées lorsque j'eus achevé ma courte lecture. Le temps avait eu raison du malaise que je ressentais vis-à-vis de mon parrain et désormais, nous nous reparlions comme avant, à l'exception près que je ne le voyais plus aussi souvent.
Je vais essayer de faire ce que je peux, mais je ne te promets pas de miracle mdrr
Avais-je répondu juste avant de passer en mode avion.
Tout s'accéléra lorsque le professeur de physique, Monsieur Duval, poussa l'une des barrières délimitant la zone de composition. Le quinquagénaire tenait une liste froissée dans une de ses mains, brandissait un surligneur jaune fluorescent de l'autre. À ses côtés, deux autres personnes que je ne connaissais pas coulaient un regard intrigué sur nous, sans faire preuve de grandes émotions.
— Bien le bonjour à tous, débuta Monsieur Duval de son timbre nasillard. Je vais vous demander de sortir vos cartes d'identité ainsi que votre calculatrice.
Sans plus attendre, j'attrapai mon porte-monnaie et ma calculette, tout comme les autres PACES autour de moi. Le prof de physique ne perdit pas plus d'un instant avant de s'atteler à sa tâche, écorchant avec une grâce sans nom les prénoms des dix premiers candidats, tandis que les deux autres surveillants contrôlaient de leurs yeux de lynx, les cartes d'identité qui passaient sous leurs nez.
— Cécile... Pardon. Clélie Carlier.
Je me faufilai au travers d'un groupe d'amis, brandissant mes affaires comme s'il s'agissait des armes à ma disposition pour ce rude combat — ce qui était un peu le cas. Je montrai ma carte d'identité à une trentenaire au carré plongeant blond et pénétrai enfin dans la zone un. Ne restait désormais plus qu'à trouver ma place.
J'arpentai de long en large l'aire numéro quinze, déchiffrant avec plus ou moins d'efficacité les prénoms inscrits sur les petites étiquettes. Finalement, je dénichai ma table au bout de quelques minutes et m'y installai, m'empressant de déposer mes affaires. J'alignai mes stylos sur le coin de la table, ainsi que mes surligneurs, ma carte d'identité et même ma bouteille d'eau.
— Je vous rappelle que les portables doivent être mis dans les sacs, qui doivent eux-mêmes être déposés en haut des gradins. Les vestes, manteaux, sweat-shirt avec des poches, écharpes ne sont pas autorisés dans la zone d'examen, de même que les bouteilles d'eau non transparentes et les calculatrices non conformes.
Ces paroles résonnaient en boucle dans tout le bâtiment, alimentant le climat anxiogène qui y régnait. Des gens courraient en tous sens, allant et venant entre leur table et leur sac, s'asseyant pour finalement se rendre compte qu'ils avaient oublié leurs stylos ou qu'ils n'avaient pas posé leur manteau. Ils slalomaient entre les chaises, manquaient de se percuter, la tête dans les nuages, la boule au ventre. Il y en avait qui tremblaient des pieds à la tête, d'autres qui avaient les larmes aux yeux ou qui arboraient un air de fierté sur leur minois tiré.
Je pris une profonde inspiration, détournant le regard de toutes ces personnes et de leurs maux. Je n'avais pas besoin que l'on me stresse davantage. J'avais déjà la gorge sèche, les mains tremblantes et la méchante impression d'avoir tout oublié. Je ne voulais plus qu'une seule chose, que tout ce cirque commence pour enfin penser à autre chose.
Le professeur chargé d'effectuer les annonces convia ses collègues à distribuer les sujets. Il nous indiqua de nous lever et dans un bruit monstre de chaises que l'on repousse, qui se répercuta contre les murs en béton du parc des expositions, nous nous exécutâmes. Les surveillants passèrent entre les rangs, déposant face à nous le sujet tant redouté de physique, et la tension monta encore d'un cran.
Mon cœur battait fort dans ma poitrine, plus fort encore que lorsqu'Anh et moi nous nous étions embrassés. J'avais peur. J'avais hâte. Je stressais. Je paniquais.
Soudain, le paroxysme fut atteint.
— Bien. Il est huit heure, vous avez jusqu'à neuf heure. Bonne chance à tous.
Et puis les bruits de chaises furent la dernière chose que l'on entendit.
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Et voilà, c'est la fin de la première partie de cette histoire. Ne reste plus qu'à souhaiter bonne chance à toute cette petite bande !
J'espère que ce chapitre vous aura plu ! N'hésitez pas à me laisser votre avis en commentaire ou à cliquer sur la petite étoile si le cœur vous en dit !
J'espère sincèrement avoir réussi à retranscrire l'ambiance un peu particulière du concours et vous avoir plongé.e.s dans cet univers de stress ahah.
Comment avez-vous trouvé cette première partie ?
Quel est votre personnage préféré pour le moment ?
Le chapitre qui vous a le plus marqué.e.s ? Celui que vous avez le plus aimé ?
Je tenais à vous dire que la seconde partie de LTDM sera publiée le lundi 14 septembre 2020, après une pause de quelques jours ! Et je vous rappelle aussi que ma nouvelle histoire, Das schöne Leben avec le fameux Noé en personnage principal, arrive le 12 septembre 2020 ! Autant dire que la fin d'année risque d'être rythmée en publications !
En attendant, je vous souhaite une bonne journée / soirée !
capu ton cygne ✶
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