⚘10. Les discussions sur la fenêtre
━ 24 septembre 2019 ━
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— JE FAIS QUOI ?
— Ouvre, de toute façon c'est une conversation de groupe, ajouta Malo, assis à même le tapis du salon.
— T'as fait quoi toi ? relançai-je en détournant le regard de mon écran.
— J'ai ouvert, qu'est-ce que tu crois ? C'est bon Clélie, faut passer à autre chose au bout d'un moment. Puis déjà qu'il t'invite, je trouve que c'est un sacré pas.
Je me pinçai les lèvres, Malo avait raison : psychoter et hésiter n'allaient en aucun cas résoudre ce problème qui n'en était pas vraiment un. Alors j'ouvris la conversation "ANNIVERSAIRE DE BARNABÉ 🎉", fermant tout de même les yeux par crainte du danger. Et lorsque j'ouvris une paupière, un flot de messages se dévoila sous mes yeux et la pression qui oppressait ma poitrine s'envola un peu.
Barnabé, un ami de Saint-Lac, organisait ses dix-huit ans dans deux semaines et espérait que l'on puisse se libérer pour venir les fêter. Delphine, Aloïs, Céleste et Élie, les membres de son groupe de musique, Les Alphapabêtes, avaient tous répondu présents, spéculant déjà sur l'incroyable soirée qu'ils allaient passer.
Je souris quelque peu en lisant les messages blasés de Céleste et ceux d'Élie, qui lui demandaient de ne pas gâcher l'ambiance alors que rien n'avait encore commencé, et glissai le doigt en direction de la liste des invités.
La plupart m'était inconnue mais je reconnus tout de même quelques prénoms, comme Ulysse, Olive ou encore Juliette. Sans grande surprise, Noé Snapp et Laure Perbet n'étaient pas invités, pour la simple et bonne raison que Barnabé souhaitait éviter que sa soirée d'anniversaire ne tourne au vinaigre.
— T'as vu, il a fait gaffe à pas inviter les éléments indésirables un et deux, ricana Malo en regardant par dessus mon épaule.
— Dommage, moi je voulais voir une baston, renchéris-je sur le même ton, imaginant la tête de Céleste si elle s'était retrouvée nez à nez avec Noé.
— Par contre, pour ce qui est d'une baston, je crois que je viens involontairement d'en créer une.
Je grimaçai, repensant aux événements de ce matin et au regard froid que Jasmine m'avait lancée après que Malo lui ait révélée qu'Achille était mon parrain. Moi qui étais plutôt du genre à éviter les problèmes, un jour où l'autre je finissais malgré moi par y être confrontée. D'autant plus que ce n'était pas comme si Achille me plaisait et que j'avais un crush sur lui — contrairement à Jasmine qui bavait presque sur son passage.
Si elle voulait, je lui laissais. J'avais bien d'autres soucis en ce moment pour m'engager dans une relation. Après tout, la PACES me prenait déjà au moins quatre-vingt-dix pour cent de mon temps.
— Faudrait que je parle à Jasmine, soufflai-je en verrouillant mon téléphone. C'est trop con, on commençait à bien s'entendre et toi tu lâches ça.
— Sorry Clélie, j'ai paniqué. Mais en vrai, je pense qu'elle a déjà oublié. Puis c'est pas comme si t'étais intéressée par lui, je me trompe ? questionna Malo et j'hochai négativement la tête.
— Je l'ai vu embrasser Lucie, une autre de ses filleules, quand on était au Santa Monica donc autant te dire que ça m'a un peu refroidie, plaisantai-je en me remémorant la scène.
— Bon, on n'a pas besoin d'en faire tout un plat alors. Maintenant, ça te dit une partie de Mario Kart ? Je me sens d'humeur à vous exploser Lakitu et toi, confia le brun en se levant et en prenant la direction de la télévision.
— Tu t'avances un peu trop là, Malo.
— En même temps, avancer c'est le but du jeu non ?
Et pour simple réponse je lui lançai un coussin, dont la course s'acheva en plein sur mon chat.
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La ville, c'était beau la nuit avec toutes ces lumières qui chatoyaient le long des avenues, éclairant les passants errant dans les rues désertes. Quelques voitures glissaient le long de l'asphalte sombre, ne s'arrêtant que lorsque les feux rouges pointaient le bout de leur nez, les fenêtres ouvertes, la musique à fond.
Il était vingt-trois heure et pourtant, Saint-Florian n'avait pas sommeil. Comme nous.
Nous étions assis sur le rebord de la fenêtre de Malo, face à face. Malo fumait une cigarette en essayant de deviner les chansons qui résonnaient dans la rue, sans jamais trouver la bonne réponse. De temps en temps, mon meilleur ami me passait son bâtonnet incandescent et je tirais une taffe timide, ayant encore un peu peur de retomber dans ce cercle vicieux.
Van Gogh somnolait sur l'oreiller de Malo, imperturbable comme à son habitude, s'appliquant à couvrir de poils roux la literie du jeune homme. Malo allait encore râler après lui, maudissant ce "fichu chat" et l'accusant de lui refiler des puces, pour par la suite le prendre dans ses bras et le couvrir de baisers dès que j'aurai le dos tourné.
— Ah ! Lionel Richie, "Say you, say me". Je sens que y en a un qui va conclure ce soir, commenta Malo en recrachant des volutes de fumée par la fenêtre ouverte.
— Tu me fatigues, soupirai-je en souriant tout de même. C'est pas parce que les gens écoutent Lionel Richie qu'il va forcément se passer un truc entre eux. Regarde, si je mettais cette chanson, il se passerait rien entre nous.
Malo esquissa un sourire en coin en écrasant sa cigarette dans son cendrier improvisé, la brise nocturne soulevant ses boucles ébènes.
— Ça, c'est ce que tu crois, Clélie.
— T'es bête, ris-je en le repoussant contre le cadre de la fenêtre et Malo laissa échapper quelques éclats de rire lui aussi.
Un petit silence s'installa entre nous, comme à chaque fois que nous nous tenions à la fenêtre et j'en profitai pour retourner à la contemplation de la rue. Au loin, un groupe d'étudiants organisait une course de caddies, riant fort et criant aux autres de se pousser. Ils avaient l'air de bien s'amuser même si ça me paraissait assez dangereux.
— Tu retournes à la BU demain ? demanda finalement Malo, suivant toujours du regard le groupe de jeunes.
— Je sais pas trop... J'avais un peu de mal à me concentrer avec tout ce bruit...
— Moi j'ai bien aimé, ça changeait de l'appart.
L'étonnement s'empara de mon minois et je contemplai Malo pendant quelques instants, les lèvres entrouvertes, prise de court. Je me serais attendue à tout sauf à ce que mon meilleur ami venait de confesser. Malo était très studieux quand il le voulait, c'était sans doute l'un de ses plus grands talents cachés, aussi détestait-il quand quelqu'un venait le déranger lorsqu'il travaillait. Même moi, je devais frapper à la porte de sa chambre avant d'entrer, même si c'était pour lui poser une question de cours.
— Et les cours ? Tu vas continuer à les regarder l'après-midi ? m'enquis-je en penchant la tête sur le côté, la lueur des lampadaires éclairant la moitié de mon visage.
Malo haussa les épaules.
— Tu peux y aller si tu veux, lui proposai-je. Je viendrai avec toi.
— Mais ça va pas t'empêcher de travailler ? Genre, t'aimes bien parler en temps normal et tout...
— Je peux toujours essayer en chuchotant ou en remuant juste les lèvres, tu sais. Puis, faut avouer que ça me fait du bien de passer du temps avec d'autres gens, ça me change les idées et je me sens moins seule.
Malo hocha la tête, un petit rictus s'était établi sur ses lèvres fines. Mes paupières se faisaient lourdes et je sentais la fatigue me gagner peu à peu. Je baillai, couvrant ma bouche de mes deux mains, les larmes aux yeux. Quand j'étais petite, je détestais bailler devant les autres parce qu'à chaque fois, on me demandait si je pleurais alors que ce n'était nullement le cas.
— "Ramenez la coupe à la maison", Vegedream, s'enthousiasma Malo.
Deux de juste, il se surpassait cette nuit.
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━ 25 septembre 2019 ━
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— TU FAIS QUOI ? s'intéressa Anh en jetant un coup d'œil par dessus mon épaule.
— Adhérence cellulaire, soupirai-je en relisant pour la énième fois la partie concernant les molécules d'adhérence.
J'étais à deux doigts de péter un câble, de balancer mes affaires par terre et de hurler.
Cela pouvait peut-être sembler excessif comme réaction, et moi-même je ne comprenais pas très bien ce qui se passait. C'était comme si mon cerveau était déconnecté de mes yeux, comme si mes globes oculaires glissaient sur le papier sans pour autant que mon encéphale enregistre les informations qu'on lui présentait. J'avais l'impression qu'un blocage s'était créé, qu'une sorte de filtre empêchait les diverses interactions des immunoglobulines de franchir cette barrière.
Une heure s'était presque écoulée et pourtant, je n'avançais à rien et me perdais sans cesse dans mon cours de biologie cellulaire. J'avais essayé de murmurer, espérant que tout rentrerait plus aisément, mais soit je me trompais sur un mot et devait tout recommencer, soit j'oubliais la phrase que je devais dire dès que je pensais à autre chose. Dans tous les cas, je n'y arrivais pas et ça me rendait dingue.
— Tu devrais utiliser des moyens mnémotechniques, conseilla l'asiatique avec douceur. Là par exemple, pour retenir le noms des molécules d'adhérence, je me disais : "l'immune carotte sélectionne ses intérêts".
Je retins un rire et me tournai vers le deuxième année, les sourcils froncés, partagée entre la confusion et le rire.
— Mais ça veut rien dire ce que tu viens de dire.
— Bah si, genre : "immune" pour immunoglobulines, "carotte" pour cadhérines, "sélectionne" pour sélectines et "intérêts" pour intégrines. Tu vois que ça veut dire quelque chose.
Je me pinçai les lèvres, réfléchissant au moyen mnémotechnique d'Anh. Je ne lui voyais pas vraiment d'utilité, d'autant plus que je trouvais les noms des molécules plutôt simples à retenir. Néanmoins, pour ne pas le blesser — et au cas où j'en aurais un jour besoin — je notai la phrase de mon nouvel ami dans la marge.
— Finalement, t'es un bon tuteur.
— Parce que j'en étais pas un avant ? relança Anh une main posée sur son torse, l'air faussement vexé.
— Chut vous deux, y en a qui bossent.
C'était Jasmine. Anh leva les yeux au ciel, retenant un sourire mais se tut et je l'imitai, retournant à mes molécules d'adhérence.
Je n'avais pas parlé avec Jasmine. En outre, je m'étais rendue compte que je n'avais nullement à m'excuser d'être la filleule du garçon sur qui elle avait le béguin, d'autant plus que je n'avais pas pour objectif de le draguer. Puis de toute façon, Jasmine avait fait comme si de rien n'était ce matin lorsque nous nous étions saluées : elle m'avait même prise dans ses bras, l'air vraiment contente de me voir et je devais avouer que j'avais été quelque peu surprise.
Mais je n'avais rien dit, parce que je ne voulais pas créer des ennuis.
— Hésite pas si t'as besoin d'autres phrases trop cool pour retenir tes cours, je suis le pro pour ça, murmura Anh au creux de mon oreille.
Je pouvais presque entendre son sourire. C'était tout doux, comme des gazouillis d'oiseau.
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