⚘09. La BU de droit

24 septembre 2019





          POUR LA PREMIÈRE FOIS DEPUIS BIEN LONGTEMPS, il faisait froid à Saint-Florian. Le brouillard épais tapissait les parterres de fleurs et la pelouse, située devant la faculté de droit, était parsemée de mille perles de rosée.

Convaincre Malo de se rendre à la bibliothèque n'avait pas été une mince affaire, le jeune homme ne souhaitant guère rater le moindre cours de ce semestre. Toutefois, j'avais réussi à le faire changer d'avis, lui rappelant qu'il pouvait toujours regarder la vidéo d'UE 2 sur son ordinateur, en début d'après-midi. La grimace de mon meilleur ami avait fini par disparaître au bout de quelques minutes, et j'étais fière de ne pas avoir cédé à ses petits yeux de chien battu.

Une Ford écarlate déboula de nulle part, le moteur vrombissant peu normalement et nous cessâmes de discuter. Le véhicule emprunta dangereusement le rond-point installé devant le bâtiment, sous la grimace de Malo, avant de s'engager dans le parking. Quelques instants plus tard, Léo, Jasmine, Anh et Esther firent leur apparition, plus ou moins chamboulés.

— C'est la dernière fois que je monte avec toi, Jaz, avertit Anh en se tenant le ventre. Même les mototaxis d'Hanoï me donnent pas autant envie de vomir...

— Rohh fais pas ta chochotte ! Léo et Esther vont très bien, eux.

Léo et Esther échangèrent un regard muet, les lèvres pincées, aussi terrifiés qu'Anh. Je retins un petit rire, n'osant vexer Jasmine et nous nous fîmes tous la bise.

— On y va, les gars ? lança Léo en empruntant le chemin de gravillons menant à l'entrée.

Nous hochâmes la tête comme un seul homme et le suivîmes à l'intérieur. La BU de droit se trouvait un peu en retrait du restant de la faculté, juste après le hall et près des machines à café. C'était une vaste salle remplie de tables et de livres soigneusement rangés, où travaillaient silencieusement une centaine d'étudiants. Il y avait deux escaliers de par et d'autre du rez-de-chaussée, dont les marches grinçantes faisaient frissonner un garçon tapant sur son ordinateur.

Je fus étonnée de découvrir qu'autant de PACES avaient trouvé refuge en ces lieux : ce n'était pas comme s'il n'y avait pas de bibliothèque à la fac de médecine. 

— Pourquoi y a autant de PACES ? chuchotai-je à l'attention d'Esther qui marchait à mes côtés. 

La rouquine salua de la main un petit groupe de travail avant de me répondre du bout des lèvres :

— La BU de médecine c'est un peu un terrain miné pour vous, si tu vois ce que je veux dire. Le moindre faux pas, le moindre stylo qui tombe ou chaise qui racle contre la moquette et vous êtes morts. 

Waouh. C'était vraiment rassurant tout ça.

Anh dégota une table au premier étage, un peu à l'écart des autres et nous nous y installâmes, veillant à ne pas faire de bruit. Je sortis mon polycopié sur la membrane plasmique, mes surligneurs pastels — c'était important de le préciser — et me mis au travail.

Je surlignais des deux mains, mes iris noisettes balayant les lignes écrites en taille douze et les schémas en noir et blanc. Je devais plisser les yeux pour bien identifier les légendes et soupirai lorsque ma main dérapa et laissa une trace de rose sur le coin de ma page actuelle. Léo sourit en voyant mon air désemparé, tandis que Malo, beaucoup trop concentré, me faisait l'effet d'un robot. 

Jasmine, Anh et Esther se révélaient être plus bavards que je ne l'aurais cru, ce qui expliquait peut-être pourquoi ils n'allaient pas à la BU de médecine. Esther avait arraché une feuille de son bloc-note et de son plus beau stylo violine, elle établissait une sorte de liste. Jasmine, ses boucles brunes retenues par un foulard vert d'eau, se mordait l'intérieur de la joue, l'air pensif. Quant à Anh, le jeune homme consultait son téléphone, faisant défiler des pages et des pages sous ses yeux sombres. 

— Ça bosse dur aujourd'hui, commenta Léo en observant ses amis de deuxième année. 

— On prépare notre liste pour le week-end d'intégration, expliqua Esther et je jetai un coup d'œil à ce qu'elle venait d'écrire. 

« Tente, sac de couchage, vêtements de rechange, Téquila », figuraient en tête de liste. 

— C'est quand ? demandai-je à voix basse, délaissant totalement mon cours — de toute façon, je m'en fichais un peu des jonctions serrées et communicantes. 

— Vendredi prochain, d'ailleurs y aura pas tutorat ce soir-là, informa Anh en relevant l'espace d'un instant les yeux de son smartphone. Rajoute « Uno » et « Jungle Speed » aussi, Es'. 

Esther s'exécuta, ses éternelles tresses flamboyantes caressant ses épaules. Elle avait une jolie écriture, petite et sans la moindre imperfection, qui contrastait fortement avec la mienne, trop ronde et grosse à mon goût. La deuxième année poursuivit sa tâche, rajoutant tout ce qui lui passait par la tête et ce que Jasmine et Anh lui disaient de mettre. 

Pendant ce temps, je retournai à mes révisions, les coudes appuyés contre la table et la tête calée entre mes mains. Je n'aimais pas vraiment cette matière, la biologie cellulaire, parce qu'il fallait vraiment tout apprendre par coeur sous peine d'avoir une mauvaise surprise. Hélas, je ne pouvais décemment pas faire d'impasse sur cette dernière, étant coefficient 8 au concours de pharmacie. Alors j'apprenais, avec plus ou moins d'envie, les fonctions et les composants de la membrane plasmique. 

Le temps s'écoulait plus rapidement à la BU ou peut-être avais-je cette impression car j'étais entourée et n'étais plus seule dans notre appartement, avec pour seule présence Van Gogh qui crachait ses boules de poils sur le tapis du salon. Et même si j'avais un peu plus de mal à me concentrer avec toutes les personnes qui montaient et descendaient l'escalier, je devais avouer qu'Anh avait quand même bien fait de me proposer de venir avec eux. 

— Pause café ? lança subitement Jasmine alors que la montre de Malo affichait onze heure et quart. 

— J'ai cru que t'allais jamais proposer, rétorqua Anh qui avait finalement ouvert ses cours.

Les machines à café de la bibliothèque se trouvaient dans un petit couloir sombre, simplement illuminé par les larges vitres du hall. Contrairement à celles de la fac de médecine, il n'y avait pas de queue et nous pûmes commander sans nous gêner. Je m'approchai de la borne, ma carte étudiante en main et pris un cappuccino — pour changer tient. La machine ronronna paisiblement alors que le breuvage fumant atterrissait dans mon gobelet rose et je m'en emparai. 

Un rapide tour sur mes talons et je me retrouvai nez à nez avec Achille, mon parrain. Le deuxième année attendait à la machine voisine que son café soit prêt, ses lunettes remontées sur le sommet de son crâne, perdues au milieu du nuage de ses cheveux. Il tourna la tête et me sourit, plus par réflexe que parce qu'il m'avait reconnue. Alors je lui avais à mon tour rendu son sourire, puis j'avais rejoint mes amis. 

— T'en as mis du temps, Clélie. C'est vrai que c'est dur de choisir entre tout ce que la machine propose, surtout quand on finit toujours par prendre la même chose, ricana Malo et je lui donnai une tape sur le sommet du crâne. 

Achille passa devant notre petit groupe d'un pas assuré, son aura d'insouciance flottant autour de sa personne. Ses iris céruléennes ne s'arrêtèrent pas pour un sou sur nous et je me demandai si je n'avais pas rêvé tout à l'heure quand il avait souri. Il avait remis ses lunettes rondes et sirotait son expresso sans ciller, malgré la fumée qui se formait sur ses verres. 

Jasmine donna un coup de coude à Esther et la jeune femme au teint mat chuchota quelques mots à l'oreille de sa voisine. Anh fronça les sourcils, bientôt accompagné de Léopold qui se retourna, cherchant ce qui pouvait perturber ainsi ses amies. Malo quant à lui était occupé à souffler sur son café caramel, espérant vainement que ce dernier refroidisse. 

— Y a un problème, les filles ? s'enquit finalement Anh en penchant la tête sur le côté, sa mèche masquant ses orbes en amande. 

— Non non, y a rien, pouffa Jasmine, le rouge montant à ses pommettes, jetant une œillade discrète vers Esther. 

— À part si t'as contracté une fièvre subite, y a que la vue d'un beau gosse qui peut te rendre comme ça, Jaz, soupira Léo en levant ses yeux grisonnants au ciel. Crache le morceau, c'est qui ? 

— Le mec de kiné avec les cheveux blancs et les lunettes, répondit Esther et Jasmine cacha son visage dans ses mains, honteuse. 

— Ah ouais... Le skateur en carton qui se prend pour un dieu grec ? supposa Anh et je perçus le cynisme dans sa voix. 

— Il se prend pas pour un dieu grec, Anh ! C'en est un ! explosa finalement Jasmine, à deux doigts de l'hyperventilation. 

Je soupirai à mon tour, plus ou moins agacée par tout le cinéma de Jasmine. Il était vrai qu'Achille était beau — même carrément beau — mais de là à être au bord du malaise et à le comparer à un dieu grec... Je trouvais qu'elle exagérait un peu sur ce coup-là : on aurait dit une de ces adolescentes dans les séries clichées que mes amies aimaient tant regarder. 

Puis de toute façon, Achille ne paraissait nullement intéressé par la brune, sinon il se serait arrêté et lui aurait sourie. Comme il m'avait sourie. 

— Vous parlez d'Achille là ? s'incrusta Malo après avoir terminé sa boisson. C'est le parrain de Clélie et apparemment il est sympa. 

Je fusillai Malo du regard : il n'aurait pas pu se taire pour une fois ? À tous les coups, Jasmine allait m'harceler pour que je lui arrange un coup avec mon parrain. De manière générale, c'était toujours moi que l'on appelait dans ce genre de situation et je gardais un très mauvais souvenir de la dernière fois où je m'étais prise pour Cupidon. Aussi, il était hors de question que je lui prête main forte sur ce coup-là, surtout pas avec lui. 

Néanmoins, alors que je m'attendais à ce que Jasmine me saute dessus, le visage de l'étudiante en médecine se renfrogna quelque peu et sa gaieté se dissipa. Ce brusque changement de comportement n'échappa à personne, même pas à Malo qui, la main devant sa bouche, paraissait réaliser la bêtise qu'il avait commis. 

Jasmine força tout de même un sourire avant de reprendre la parole et je me mordis la langue :

— C'est super ça, t'en as de la chance Clélie.

Quelque chose me disait qu'il avait de l'eau dans le gaz. Et comme si cela ne suffisait pas, mon téléphone sonna : une notification Snapchat

« Delphino 🐬 vous a ajouté au groupe ANNIVERSAIRE DE BARNABÉ 🎉 ».



Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top