⚘08. La colle du lundi soir

23 septembre 2019


          — JE PENSE PAS QUE T'AIES BESOIN DE TOUT ÇA...

— Moi je te dis que si.

— Bah non.

— Bah si. Puis de toute façon, c'est pas ton argent donc t'as rien à dire.

Ça, c'était la grande réponse de Malo à chaque fois qu'il se rendait compte que j'avais raison, mais qu'il était trop fier pour l'avouer.

Deux semaines s'étaient écoulées depuis notre rentrée en PACES et les choses commençaient peu à peu à se mettre en route. Malo allait toujours en cours le matin, rejoignant Léo et son infanterie de stabilos, tandis que je révisais toute seule à l'appartement. Nous nous retrouvions pour manger et travaillions ensemble jusqu'à ce que le brun parte à la prépa aux alentours de dix-huit heure. Je restais donc à nouveau seule une demi heure, avant de me rendre au tutorat et de revenir à vingt-et-une heure passée.

En ce lundi après-midi, Malo s'était mis en tête d'aller à la librairie se trouvant sur le chemin de la fac. Je n'avais pas très bien compris ce qui suscitait autant son intérêt : Malo n'aimait pas lire, ou alors il le faisait à contrecœur et retournait sur son portable dès ses parents avaient le dos tourné. Mais ça, c'était avant qu'il se précipite vers les livres d'anatomie, les Kamina comme on les appelait dans le milieu. 

— Malo, ça fait quand même deux cent cinquante euros de livres là, l'avertis-je alors qu'il serrait contre lui les cinq tomes aux couvertures onyx. Puis de toute façon, le plus important c'est le tome un. 

— Le plus important si tu veux faire pharma, mais moi j'ai pas envie de terminer épicier, contra Malo en se dirigeant vers la caisse. 

Je me mordis l'intérieur de la joue, ravalant la réplique cinglante que je m'apprêtais à sortir. Ce n'était même pas la peine de discuter avec Malo lorsqu'il avait une idée en tête car rien ne pouvait le faire changer d'avis — même pas la fameuse tarte au citron de son père. 

Alors je l'observai s'avancer vers le libraire, un homme d'un certain âge au dos voûté et aux lunettes glissant le long de son nez. Par réflexe, je remontai ma monture écaillée, à défaut de pouvoir le faire avec les siennes. Néanmoins, Malo s'arrêta à mi-chemin et pivota sur ses talons, l'air pensif. 

— C'est vrai que ça fait peut-être un peu beaucoup deux cent cinquante balles...

Non tu crois ? était ce que j'avais pensé à répondre, mais je me contentai simplement de rouler des yeux. 

Malo rebroussa donc chemin et reposa la plus grande majorité des Kamina, ne conservant que le tome 1 : Anatomie Générale et Membres

— T'sais, t'es même pas obligé de l'acheter. Je l'ai déjà moi donc si jamais t'en as besoin, tu n'as qu'à me le dire. Surtout que l'anatomie c'est pas avant le semestre prochain. 

Et c'était ainsi que nous étions sortis bredouilles de la librairie, sous le regard quelque peu déçu du gérant, dont la perspective d'encaisser plus de deux cents euros venait de s'envoler sous ses yeux. 

Le soleil tapait fort en cette fin septembre et malgré ma robe légère, je transpirais à grosses gouttes. Malo se servait de sa main comme d'un éventail, espérant rafraîchir un tant soit peu sa nuque, sans bien grand succès. Les rues étaient plutôt tranquilles autour de nous. À vrai dire, le calme environnant n'était perturbé que par le ronronnement des voitures et les rires de quelques adolescents n'ayant pas cours. 

— Attention ! avertit subitement une voix fluette et je me stoppai net. 

Contrairement à Malo qui poursuivit son chemin et reçut sur le sommet de son crâne l'équivalent d'une bouteille d'eau. 

— Ah !

Je relevai les yeux suite à l'interjection de mon meilleur ami et la première chose que mes iris rencontrèrent, fut un balcon en fer forgé envahi de géraniums d'un rouge vibrant. Une petite tête blonde se risqua à jeter une œillade en bas, une grimace déformant ses lèvres rosées. Ses courts cheveux étaient ramenés en un chignon au niveau de sa nuque et quelques mèches étaient collées à la commissure de ses lèvres. 

— J'avais prévenu..., risqua-t-elle sur le même ton et je remarquai l'arrosoir en plastique qu'elle tenait à la main. 

Je ne pus m'empêcher de laisser échapper un petit rire, surtout quand Malo se tourna vers moi, ses boucles sombres dégoulinant sur son visage pétrifié. Lui qui avait chaud, il devait s'estimer content d'avoir eu une douche gratuite. 

— T'inquiète pas, il avait qu'à faire gaffe !

Pour se venger, Malo s'ébroua tel un chiot, envoyant des gouttes sur mes verres de lunettes. C'est malin, va falloir que je les nettoie maintenant. 








— Pas trop stressée ? demanda Léo, son stylo à encre noire tournoyant entre ses doigts. 

— Ça va... Puis c'est qu'un entraînement au fond ? rétorquai-je en sortant mes affaires. 

En ce lundi soir commençait l'interminable série de colles du tutorat, des sortes d'épreuves blanches censées nous entraîner pour le véritable concours. Aujourd'hui, nous commencions en douceur avec l'UE 1 et l'UE 3.a) et je devais avouer que je me sentais plutôt confiante.

J'avais bien travailler mes polys d'atomistique et de génétique, et j'étais presque sûre que j'allais tout déchirer en électrocardiogramme. À vrai dire, il n'y avait qu'avec la thermodynamique que j'avais quelques soucis, mais je crois que c'était un peu pareil pour tout le monde. 

En bas du vaste amphithéâtre, les tuteurs et tutrices de ces matières étaient assis sur des chaises pour certains, distribuaient des copies pour d'autres. Anh nous adressa un signe de la main en nous apercevant, avant de reprendre sa conversation. Il y avait aussi Sasha — la marraine de Malo — qui, je l'avais appris à mes dépends, était tutrice d'UE 3.a). 

— Et toi ? T'es pas trop stressé ? réitérai-je en levant le nez vers Léo. 

Fidèle à lui-même, Léopold avait étalé ses stylos devant lui et avait même pris soin de sortir son bloc-notes. Son visage ne laissait transparaître aucune inquiétude mais j'avais commencé à réussir à le cerner durant ces deux dernières semaines, et j'en étais venue à la conclusion que Léo était toujours stressé. 

Il savait juste très bien le cacher. 

— Tranquille... C'est qu'un entraînement comme tu dis. 

Traduction possible : "si je finis pas major, je vais pleurer en position fœtale dans ma chambre". 

Je lui rendis son rictus et attrapai le sujet de physique qu'une deuxième année venait de me passer, la remerciant au passage. Plusieurs minutes s'écoulèrent pendant lesquelles nous nous racontâmes notre journée avec Léo. C'était en quelque sorte devenu notre petit rituel aux séances du tutorat : Léo me faisait part de ses dernières aventures et je lui balançais des dossiers sur Malo ou lui contais les bêtises de Van Gogh. 

Enfin, les étudiants en deuxième année demandèrent le silence et lancèrent le chronomètre sur l'écran situé derrière eux, symbolisant le début de l'épreuve. Le silence retomba parmi nous, laissant place aux grattages de stylos contre les grilles de QCM et aux bruits de feuilles que l'on tournait.

« Concernant le cœur :
A) Il est constitué de cellules musculaires, les cardionectrices.
B) Les cellules cardionectrices sont responsables de l'initiation de l'automatisme cardiaque.
C) La contraction cardiaque se nomme la systole.
D) La relaxation cardiaque se nomme la diastole.
E) L'influx nerveux démarre par le réseau de Purkinje. »

Facile, BCD, pensai-je en souriant sans m'en rendre compte. Sourire qui fâna dès que j'aperçus les premières questions de thermodynamique.

Je me pinçai les lèvres en sortant ma calculatrice, tentant de comprendre ce que l'on me demandait. J'avais beau m'être entraînée avec les QCM présents à la fin du cours, à chaque fois je mettais un temps fou à retrouver le résultat. C'était comme si ma calculatrice ne voulait pas coopérer, et ce, même si j'appliquais la bonne formule. Je devais être maudite, ce n'était pas possible autrement, et le pire c'est que cela ne datait pas d'hier : même au lycée j'avais toujours eu un problème avec les applications numériques.

Et cette fois-ci ne dérogea pas à la règle : aucune des réponses proposées ne correspondait à celle que j'avais trouvé.

Je soufflai discrètement, un peu agacée et risquai un coup d'œil en direction de la copie de Léopold. Toutefois, ce dernier gardait jalousement ses réponses pour lui, puisqu'il était presque couché sur la tablette, masquant sa feuille. Mon soupir se fit plus profond et je reportai mon attention sur mon propre sujet, analysant les réponses proposées.

Cela ne pouvait clairement pas être la proposition A : il y avait un problème dans l'unité de mesure. Hélas, toutes les autres demeuraient possibles et j'eus envie de m'arracher les cheveux. Aussi, après avoir perdu plusieurs secondes de mon précieux temps, je décidai de cocher une réponse au hasard. De toute façon, on ne perdait pas de point si c'était faux, donc autant répondre à tout.

— C'est fini ! Posez vos stylos ! annonça l'un des tuteurs lorsque l'heure octroyée à l'épreuve s'acheva. 

Je rebouchai mon stylo avec une moue perplexe. J'avais réussi à finir dans les temps, pour autant je ne garantissais pas que mes réponses soient toutes correctes : disons que j'espérais juste avoir limité la casse. Même Léo paraissait douter de lui, ce qui me rassura un peu. 

— La thermo m'a achevée, commentai-je en faisant passer ma grille de QCM en bout de rangée. 

— J'avoue que c'était assez chaud, rétorqua-t-il en rejetant une mèche en arrière.

Nous ne parlâmes pas plus que cela, nous contentant d'observer les alentours en attendant patiemment l'arrivée de la correction et du sujet d'UE 1. Ces derniers pointèrent le bout de leur nez lorsque je nettoyais mes verres de lunettes et je remerciai Léopold de me les avoir donnés. 

Puis tout recommença à nouveau, le chronomètre — une heure et demie cette fois —, les grattages de stylo, les soupirs de lassitude mêlés aux ventres qui gargouillaient. Cette colle me parut plus simple, peut-être parce qu'il n'y avait pas beaucoup de calculs et je terminai même en avance, ce qui ne fut pas sans m'inquiéter. 

Alors je relus avec attention mes réponses, attendant que Léopold lève le nez de sa grille pour que nous puissions sortir. Ce n'était pas tant que je redoutais de quitter l'amphithéâtre seule, loin de là même, mais je préférais l'attendre, l'observant du coin de l'œil, pour être sûre de ne pas être partie trop tôt. 

Au bout d'un moment, j'en eus vraiment marre de demeurer statique devant ma copie et par chance, le chronomètre sonna au même instant, mettant fin à ce supplice. Ma nuque me tirait et je la massai d'une main distraite, rangeant mes affaires de l'autre. Léo avait le sourire aux lèvres maintenant et je ne pus m'empêcher de l'imiter : son sourire avait vraiment le don d'être contagieux. 

— On se tire d'ici ? lança le doublant en se levant. 

— Carrément !

Il était vingt-et-une heure passée, je mourais de faim et j'étais presque sûre que Malo ne m'avait pas préparée à manger — mais avec ses talents culinaires inexistants, j'étais au moins certaine d'éviter l'intoxication.

Il y avait du monde dans les escaliers de l'amphithéâtre mais nous parvînmes à nous frayer un passage, au prix de quelques coups de coude et récupérâmes la correction à la volée. 

— Alors les PACES ? Comment ça s'est passé ? intervint quelqu'un dans notre dos, au moment où nous passions les portes. 

C'était Anh. Pour changer. 

— Mec l'UE 3.a) ça m'a donné des sueurs, plaisanta Léopold, sa feuille de correction encore à la main. 

— Normal, c'était de l'UE 3.a) : c'est la matière de Satan ça, avoua Anh en accélérant le pas jusqu'à arriver à notre hauteur. Et sinon, l'UE 1 ? T'en as pensé quoi, Clélie ? 

— En vrai, je pense avoir bien réussi dans l'ensemble, juste j'ai un peu paniqué quand j'ai vu que j'avais terminé au bout de quarante-cinq minutes.

— C'est vrai que y a de quoi, acheva nerveusement Anh.

Le parking de la faculté était encore éclairé et déjà les premiers véhicules se dirigeaient vers la sortie. Le vent frais s'engouffrait dans mes cheveux et je frissonnai, resserant ma veste en jeans contre moi. Il me restait un quart d'heure de marche avant de rentrer à l'appart : ce n'était pas beaucoup, mais c'était quand même déjà bien assez selon moi. 

Léopold — qui habitait de l'autre côté du campus —, nous souhaita une bonne soirée et je me retrouvai seule en compagnie d'Anh. Le jeune asiatique avait enfoncé les mains dans les poches de son jeans, le froid ne semblant pas le déranger malgré son polo à manche courte. Il tourna la tête vers moi et mes iris ambrées croisèrent les siennes.

On aurait dit de l'obsidienne pure. Elles m'intimidaient un peu, aussi détournai-je le regard. 

— Tu veux toujours pas que je te raccompagne chez toi ? relança Anh, un sourire en coin installé sur ses lèvres charnues. 

— Tu forces là, je vais commencer par croire que t'es un serial killer et que tu veux m'ajouter à ton tableau de chasse, répliquai-je en levant les yeux au ciel. 

Cette remarque eut le mérite d'arracher un rire à Anh et je ne pus m'empêcher de sourire en l'entendant. C'était gentil de sa part, mais je n'étais pas une petite princesse en perdition : je pouvais très bien me débrouiller toute seule sans avoir besoin de la protection d'un garçon. 

— T'sais, j'ai besoin de personne pour rentrer, je suis une grande fille. Mais je peux comprendre que t'aies la trouille de marcher tout seul.

— Merde, t'as percé mon secret à jour.

Nous continuâmes de marcher pendant quelques mètres en silence, ne sachant quoi nous dire.

Il était plutôt gentil en réalité, dans le genre "gros forceur attachant" et je devais avouer que même si je ne lui parlais pas plus que cela — quelques "bonjour" au tutorat et une rapide conversation les rares fois où Malo et moi allions manger au RU —, c'était cool d'être en sa compagnie. Anh dégageait une aura de positivité qui vous faisait tout de suite vous sentir bien, contrairement au halo d'Achille qui vous retournait le cerveau. 

D'ailleurs en parlant de mon parrain, je ne l'avais pas recroisé depuis la soirée au Santa Monica, mais il fallait dire que je n'avais pas non plus cherché à entrer en contact avec lui. J'étais même presque sûre qu'il avait oublié mon existence, ou au moins mon prénom. 

— Tu devrais venir à la BU de droit un de ces quatre, me conseilla Anh lorsque nous fûmes arrivés au feu rouge près du CHU. Y a Jasmine, Esther et Léo avec moi. Puis tu peux aussi demander à Malo s'il veut venir, ce serait cool qu'on passe plus de temps tous les six. En plus, on pourra vous aider si jamais vous avez du mal avec une notion, t'sais. 

Le feu passa au vert au moment où Anh cessa de parler et je m'engageai sur le passage piéton, l'asiatique sur les talons. 

Je réfléchis à la proposition d'Anh : c'est vrai que ce serait plus pratique d'avoir des deuxième année avec nous pour nous orienter dans nos révisions. Toutefois, je n'étais pas vraiment certaine de pouvoir travailler avec d'autres personnes autour de moi, d'autant plus que j'avais besoin de parler pour apprendre correctement, chose assez ardue dans une bibliothèque où le silence était de rigueur. 

Mais peut-être que je pourrais essayer au moins une fois ? Puis si ça ne me plaît pas, je n'aurai qu'à retourner à mon ancienne méthode de travail.

— C'est d'accord, je viendrai à la BU demain, conclus-je en m'arrêtant une fois sur le trottoir d'en face. 

— Oh trop cool ! s'enthousiasma le brun en souriant, ses pupilles disparaissant presque sous l'éclairage des lampadaires. Demain neuf heure, ça te va ? 

— Parfait ! 

Le sourire d'Anh s'élargit un peu plus et je l'accompagnai, ignorant les crampes qui commençaient à se faire ressentir au niveau de mes joues. 

Anh, il était comme Léo. Lui aussi avait un sourire contagieux. 









━ ⚘ ━

Hey !
J'espère que vous allez bien !
Félicitations à ceux qui ont eu le brevet, le bac, leur année de fac, etc... C'était assez tendu ces derniers temps mais l'important c'est que tous ces exams soient derrière nous !

Chapitre un peu plus long que d'habitude, mais je pense qu'il se passe assez de choses pour qu'il ne soit pas ennuyant (du moins je l'espère). On a un petit aperçu du dernier personnage principal en début de chapitre, en plus de rentrer encore un peu plus dans l'univers du tutorat, des colles, de la thermo etc...

J'espère en tout cas que ce chapitre vous aura plu ! Et je vous dis à jeudi pour le chapitre neuf, celui sur la fameuse BU !

Bonne journée / soirée !

capu ton cygne






















P.S. : j'ai eu ma PACES eheh,
direction la pharma maintenant !

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