⚘06. Le Santa Monica
━ 6 septembre 2019 ━
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LA MUSIQUE RÉSONNAIT À MES OREILLES, puissante et enivrante, s'alliant à la perfection avec l'atmosphère confinée du Santa Monica. La pénombre environnante était perturbée par les néons suspendus aux murs de briques, et les lasers situés au dessus du DJ, découpaient la salle à la manière d'un stroboscope. Les corps transpirants dégageaient un cocktail de parfums aux fragrances entêtantes et s'ébattant sur la piste de danse, leurs gorges déployées criaient les paroles des chansons qui ne cessaient de passer.
Des étudiants, visiblement saouls, s'étaient hissés sur les podiums placés au centre de la boîte de nuit, dansant sans la moindre gêne face au public alcoolisé. Des inconnus s'embrassaient dans chaque recoin, montrant à qui le souhaitait leurs amygdales rougies, empestant les shots de vodka ou encore de Get 27. Le sol collait sous mes pieds, des débris de verres crissaient à chacun de mes pas et l'humidité, étouffante et omniprésente, se déposait en grosses gouttes sur mes épaules et mes bras dénudés.
C'était bien la première fois que je mettais les pieds dans une discothèque, et bien que cela faisait à peine quelques minutes que nous étions entrés, je regrettais d'ores et déjà mon choix. La proximité avec les personnes autres que ma famille et mes amis n'était pas une chose dont je raffolais, encore moins lorsqu'il s'agissait de danseurs complètement abrutis par l'éthanol.
Parmi cette foule, j'avais l'impression d'étouffer, qu'il suffisait d'un pas de travers pour que je me retrouve emportée loin de Malo. Le sentiment que si je venais à trébucher, je me ferais tout simplement écraser.
Inspire Clélie, tout va bien se passer, pensai-je en enserrant machinalement mon poignet droit de ma main gauche. Tant que tu restes avec Malo, tout ira pour le mieux.
— C'est trop bien ! s'écria Malo en tapant dans la main de Léopold. T'es contente d'être ici, Clélie ?!
— Super ! répondis-je en affichant un sourire ravi, malgré l'étau se resserrant autour de mes entrailles.
Mieux valait que je lui cache mon inquiétude. Je ne voulais pas qu'il croit que je n'étais pas heureuse d'être ici, que j'avais été contrainte d'accepter cette sortie, même si c'était en partie vrai. Plutôt endosser un stupide sourire éclatant que de passer aux yeux de tous pour la rabat-joie de service.
— Vous avez pu venir ! Je suis trop contente !
Nous tournâmes les talons, cherchant la personne qui venait de s'adresser à nous et mes iris rencontrèrent celles de Jasmine, qui, accompagnée d'Anh et d'Esther, se précipitait dans notre direction. Jasmine glissa sur des bouts de verre éparpillés au sol, finissant sa course dans les bras de Malo — dont le sourire espiègle s'élargit au contact de la jeune métisse.
Il ne fallait pas être major de promo pour se rendre compte que l'amie de Léopold avait déjà bien bu et la manière dont elle riait — en se contorsionnant telle un pantin désarticulé —, me confirma qu'elle était loin d'être à son premier verre. Derrière elle, Anh tanguait sur place, entraîné malgré lui dans la danse endiablée d'un groupe de filles. Quant à Esther, elle se retenait du mieux qu'elle le pouvait à Léo, les yeux clairs brillants sous les néons violines.
— Vous aurez pas... vu un gars haut comme ça. Brun... et av... avec un nez de travers ? demanda avec hésitation Esther, cherchant ses mots en se massant les tempes. C'est un de mes... merde. C'est quoi le mot ? Ah oui... filleuls et... Et je lui dois un shot !
Toutefois, Esther n'attendit pas qu'on lui fournisse une réponse et quand je lui proposai mon aide, elle balaya maladroitement l'air du revers de la main en manquant de gifler Léopold. La rouquine chancela sur place et, se dégageant violemment du blond, elle courut en direction des podiums que j'avais aperçu plus tôt.
Sans gêne, elle poussa la fille qui occupait celui de droite et grimpa à sa place, agitant ses bras au rythme de la musique.
Je clignai plusieurs fois des paupières, cherchant à comprendre la logique derrière un tel comportement. Néanmoins, je me rappelai que cette dernière avait tendance à s'éclipser sous les effets de l'alcool et que l'esprit embrumé n'était plus capable de se contenir. Ce brusque changement d'humeur eut au moins le mérite de me conforter dans l'idée que je n'avais strictement rien à faire ici.
Il n'était même pas minuit et pourtant, j'en avais déjà vu assez.
— On va chercher à boire avec Léo et Jasmine, tu veux quoi Clélie ?! s'enquit mon meilleur ami, une main posée sur mon épaule.
Je me pinçai les lèvres : était-ce réellement une bonne idée de boire, au risque d'avoir la gueule de bois demain matin, voire pire, de finir la soirée aux toilettes ? Je me tâtais, pesant le pour et le contre dans un coin de mon esprit.
D'un côté, si je ne buvais pas, je pourrais m'occuper correctement de Malo s'il lui arrivait quelque chose et travailler ne me poserait sans doute aucun problème demain matin. Or d'un autre, je ne me sentais pas d'assurer toute cette nuit sans un peu d'alcool dans le sang.
Après tout, ce n'était pas avec un verre que j'allais perdre la raison. En dix-huit ans d'existence, je pouvais à peine compter sur une seule main le nombre de fois où j'avais été saoule, c'était tout dire. Et si on ajoutait à cela le facteur boîte de nuit, c'était quasiment certain que j'allais finir la soirée sur les deux pieds. Ce serait mal me connaître que de penser que j'allais me mettre mal au milieu d'une centaine d'inconnus.
— Prends moi un mojito ! criai-je par dessus la musique, mes mains en porte-voix et Malo hocha la tête avant de disparaître.
— Tu danses ? murmura Anh à mon oreille lorsqu'il fut débarrassé des filles qui le collaient.
J'haussai les épaules d'un air nonchalant, cette boule toujours au creux de l'estomac, mais acceptai tout de même sa proposition. J'étais là pour m'amuser, et même si j'avais souvent tendance à l'oublier, j'avais bien le droit de me laisser aller un peu. Alors nous attendîmes que le prochain morceau démarre pour nous élancer sur la piste. Anh s'était emparé de mon poignet et m'entraînait dans son sillage. Nous zigzaguâmes entre les danseurs maladroits et les expérimentés, dépassâmes Esther toujours perchée sur son estrade et ne nous arrêtâmes qu'une fois près des platines du DJ.
Mes mouvements étaient plutôt timides, peu assurés. Danser était normalement une activité dont je raffolais, même si j'avais souvent l'impression de faire n'importe quoi. Cependant, face à Anh, je ne me sentais pas tout à fait à l'aise. Les joues rougies par la chaleur environnante, je me déplaçais timidement d'un pied sur l'autre, agitant les bras simplement lorsque ces mouvements étaient nécessaires.
Bon sang, mais que faisait Malo ? Si j'étais là, c'était pour être avec lui et pas pour le voir partir à l'autre bout de la boîte et me laisser toute seule.
Je serrai les dents, ruminant dans mon coin alors que les enceintes crachaient avec ardeur "El Taxi" de Pitbull. Anh, malgré son état, se rendit compte que quelque chose n'allait pas et dans un élan de bonté, l'Asiatique s'appliqua à me remonter le moral, quitte à se ridiculiser totalement.
— Allez ! Fais la macarena avec moi ! insista le jeune homme en esquissant des gestes maladroits, manquant de renverser le verre posé près des platines du DJ.
— Mais c'est pas la macarena qui passe ! pouffai-je en souriant de toutes mes dents.
— Et alors ?! On s'en fout, non ?! riposta Anh de sa voix cassée.
Oui, on s'en foutait.
Un sourire ravi se dessina sur les lippes d'Anh lorsque je le rejoignis dans sa danse, veillant à bien crier "Hey Macarena" avant de sauter pour changer de direction. Des rires jaillissaient de nos lèvres et les personnes autours de nous nous jetèrent des œillades perplexes. Or comme l'avait si bien dit Anh, on s'en foutait. Et c'était donc avec une joie nouvelle que j'avais poursuivi ma danse, riant aux côtés d'Anh à m'en donner mal aux zygomatiques.
Malo, Léo et Jasmine nous interrompirent lorsque les baffles entamèrent un morceau de Sean Paul. Malo, les sourcils froncés, se concentrait pour ne pas renverser son verre et le mien sur le sol de la discothèque, tâche peu aisée lorsqu'on ne cessait de se faire bousculer. Il me tendit mon mojito une fois arrivé à ma hauteur et je le remerciai d'un baiser sur la joue.
Sans plus attendre, je portai la paille sombre à mes lèvres, humant les effluves de menthe et de rhum émanant du liquide transparent. La boisson coula prestement le long de mon œsophage. Les saveurs mentholées rehaussées par le goût âcre de l'alcool vinrent tapisser les parois de ma gorge, laissant derrière eux une sensation de chaleur.
Je fermai les paupières pendant un instant, avec l'impression d'être ailleurs, bien loin de ces néons et de cette musique latino. Le cocktail glissait toujours le long de mon œsophage et je me serais sans doute arrêtée si ce n'était pas aussi bon.
— Eh doucement, Clélie ! se soucia Malo en posant une main sur mon bras.
J'arquai un sourcil en me dégageant. Je n'avais pas besoin de son autorisation pour boire quand même.
— C'est bon, Malo, je vais pas faire un coma éthylique non plus ! me moquai-je en éloignant la paille en plastique de mes lèvres.
La moitié du cocktail avait déjà disparu. Oups.
— Commencez pas à vous disputer les gars, c'est pas cool sinon, intervint Léo.
Ce dernier avait les mains libres, mais à en juger par son haleine, il avait fait un passage du côté des shots de Get 27. Pourtant il paraissait alerte, contrairement à Anh qui s'écrasait presque sur moi, des gouttelettes de sueur perlant sur son front. Malo me jeta un regard interrogateur en constatant cette proximité nouvelle mais je l'ignorai royalement. Je n'avais pas de compte à lui rendre et même ses yeux de petit chien battu ne pourraient rien y faire cette fois.
— Malo ! Viens prendre ton shot petit bizuth ! s'écria une voix rauque entre deux toussotements.
Je reconnus la fille blonde, celle avec la robe à fleurs lila, qui s'était emparée du micro pendant la répartition de début de soirée. Et vu la façon dont elle s'adressait à mon meilleur ami, il s'agissait sans aucun doute de sa marraine.
— J'arrive, Sasha ! rétorqua le brun en levant les deux pouces en l'air. Tu peux me garder ça, Clélie ? ajouta-t-il en me tendant son verre de vodka orange.
J'hochai la tête et m'emparai du récipient de verre, suivant du regard le jeune homme qui s'éloignait en direction de la dénommée Sasha. Cette dernière passa un bras autour de ses épaules et l'amena près du barman — d'ores et déjà épuisé de sa soirée. Je me pinçai un peu plus fort les lèvres, l'observant jusqu'à ce que sa silhouette eut disparu de mon champ de vision. Me voilà seule, de nouveau.
Lorsque je détournai mes iris, je constatai que Jasmine, Anh et Léo se déhanchaient à nouveau, esquivant du mieux qu'ils le pouvaient les gouttes de bière que Jasmine projetait en l'air. Ils riaient aux éclats et leur hilarité générale augmenta lorsque Léopold glissa et se retrouva les quatre fers en l'air.
Anh l'aida à se relever, mais au lieu de remettre le blond sur pied, l'Asiatique fut entraîné en avant par son meilleur ami, s'échouant sur lui. Jasmine termina sa bière d'une traite et plongea elle aussi dans cette mer de jambes et de bras. Ils m'intimèrent de venir les rejoindre, toutefois je leur montrai les deux verres que je tenais dans les mains.
— Bah t'as qu'à les boire ! proposa Léo comme s'il s'agissait de l'option la plus logique.
— Je vais rendre ça à Malo et j'arrive ! expliquai-je en prenant la direction du comptoir.
Mes deux verres dans les mains, j'avançais avec prudence vers mon meilleur ami. La pénombre n'arrangeait rien à mes déplacements et les lasers zébrant la salle se répercutaient avec force sur mes verres de lunettes, m'aveuglant par instant. Le sol glissant tanguait sous mes iris fatiguées et je m'arrêtai en plein milieu, espérant que cette sensation plus que désagréable se tarisse.
Malheureusement, demeurer statique n'arrangeait rien et je fus tentée de poser mon verre sur un coin des podiums : si jamais je venais à tomber, je pourrais au moins me rattraper de ma main libre. Aussi m'accolai-je contre la barre de pole dance se trouvant près de moi et bus à grandes goulées ce qui restait de mon cocktail, délaissant la paille fournie avec le mojito. Cette action m'arracha une quinte de toux mais je n'y prêtai pas plus longtemps attention, reprenant bien vite mon périple.
La température grimpa d'un coup. L'atmosphère déjà pesante devint étouffante. J'avais chaud, j'avais froid, je n'arrivais pas à me décider. C'était comme si tout mon système nerveux s'était mis en marche, activant des synapses qui n'avaient pas lieu d'être et inhibant les plus importantes. Je tâtonnais, cherchant désespérément un quelconque équilibre sans pouvoir y parvenir.
Les lumières dansaient sous mon regard vague et un sourire béat, presque niais s'installa sur mon minois. Les premiers rires vinrent lorsque je trébuchai une première fois, le bout de ma chaussure butant contre le pied d'une fille, renversant des gouttes de vodka sur mon top à bretelles. Je jetai un coup d'œil aux taches, sans pour autant les voir et mon regard divagua vers le comptoir.
Malo était accoudé au plateau de bois, vidant d'une traite le contenu de son shot sous les applaudissements de Sasha, qui paraissait aussi joyeuse que Jasmine ou encore Esther à en juger ses joues rouges et la lueur hagarde de son regard. Ses mèches cendrées étaient totalement décoiffées et son rouge à lèvre avait bavé, donnant l'impression qu'elle s'était abreuvée de sang.
Malo reposa son verre sur le comptoir et Sasha se jeta sur lui, l'embrassant à pleine bouche.
Moi, je reportai mes yeux sur sa vodka, jugeant que finalement il n'en avait pas besoin.
Alors je l'avais bue, cul sec. Puis tout s'était accéléré autour de moi.
Mon cœur battait fort dans ma poitrine, tel un prisonnier secouant les barreaux de sa cellule. Des perles de sueurs se formaient à la naissance de ma nuque, glissant le long de mon échine et serpentant le long de mes épaules. La foule dansante se résumait à une masse informe, braillante, et les lumières agressaient mon regard absent.
J'haletais presque, j'étouffais dans cet espace confiné. Mais bon sang, que faisais-je ici ? Pourquoi ne sentais-je plus mes muscles ? Pourquoi avais-je l'impression qu'à tout instant, mon coeur allait lâcher ? Il fallait que je sorte de là, ce n'était plus possible ! Mais où se trouvait la sortie déjà ? Y en avait-il une au moins ?
Puis soudain, je les avais aperçus. Ils étaient en train de se manger littéralement la peau, ils se consumaient à quelques mètres de moi, comme des bougies, comme s'ils ne leur restaient plus que quelques instants à vivre.
Achille, mon parrain, et Lucie, sa filleule.
Alors j'avais ri.
Puis l'euphorie avait pris le dessus.
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Pray for Clélie, la pauvre elle est complètement à la ramasse.
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