⚘03. Le bâtonnet incandescent
━ 3 septembre 2019 ━
⚘
JE COURAIS À EN PERDRE HALEINE, mes chaussures heurtant les pavés anciens de Saint-Florian, le poignet fermement tenu par Léo, les cheveux battant le vent.
J'aurais aimé dire que les pensées se bousculaient dans ma boîte crânienne, m'assaillaient de toute part, hélas, il n'y avait que le vide. Le vide et mon souffle irrégulier qui comptaient. C'était comme si j'étais en état de choc, comme si j'avais du mal à réaliser ce qu'il se passait réellement autour de moi.
Il n'y avait pas eu de cris, aucunes protestations, juste quelques regards étonnés de la part des passants, qui se demandaient sans doute pourquoi deux étudiants comme nous cavalaient ainsi le long des ruelles exiguës de Saint-Florian.
Léopold s'arrêta subitement à l'angle d'une boulangerie au auvent rosé déployé, et se laissa tomber contre le mur en crépis clair, haletant. Je cessai également ma course et me plaçai face à lui, un point de côté — que j'avais jusque là ignoré — tiraillant mon flanc gauche. Léo reprenait avec difficulté son souffle, m'adressant une œillade amusée et je soufflai, ressentant le contre coup de toute cette course s'abattre sur moi.
— Pourquoi t'as fait ça ? On... On avait large... Largement de quoi payer le repas, ahanai-je, les mains posées sur mon point de côté.
— Parce que c'est marrant et que vivre dans le danger c'est cool, surtout quand tu vas passer ton année enfermé, argumenta Léo en essuyant du revers de la main les perles de sueurs qui naissaient à la racine de ses cheveux.
— Mais on va avoir des ennuis ! On peut pas partir comme... des voleurs !
Comment avais-je pu me laisser entraîner dans une telle situation ? Comment avais-je pu croire un seul instant que ce bistrot appartenait à l'oncle de Léo ? Peut-être parce qu'il avait paru si sûr de lui, ou alors parce qu'au fond de moi, je n'avais pas vraiment cherché à comprendre ?
— T'inquiète pas pour ça, personne ne va nous dénoncer et puis aucun serveur ne nous a vus filer en douce, tenta de me rassurer le blond d'un air détaché.
Je me pinçai les lèvres, guère sûre de ce qu'il avançait mais ne prononçai aucun mot, préférant lui octroyer le bénéfice du doute. Toutefois, la légèreté avec laquelle Léo prenait les choses me dérangeait un tant soit peu et le fait qu'il nous ait mentis à Malo et à moi, n'était pas sans me contrarier. Car s'il avait pu nous mentir sur une chose aussi futile que celle-ci, il était sans doute capable de recommencer.
Mais je le répète encore une fois, je lui accordais le bénéfice du doute. Pour cette fois. Parce qu'on ne se connaissait pas encore très bien.
— Je ferais bien de rentrer, j'ai pas mal de choses à ranger à l'appart, déclarai-je finalement en remontant la anse de mon sac sur mon épaule.
Ce n'était pas vraiment la vérité, mais je redoutais déjà que Léo ne m'entraîne dans de nouveaux ennuis, même s'il y avait peu de chances que cela arrive. Néanmoins, comme disait toujours ma grand-mère, il valait mieux prévenir que guérir.
— Bon après-midi dans ce cas, range bien, répondit Léo avec un soupçon de déception dans la voix.
Après cela, on s'était faits brièvement la bise, se souhaitant respectivement une bonne fin de journée. Puis on était partis chacun de notre côté, moi en direction du campus — où se trouvait la résidence dans laquelle nous habitions avec Malo — et Léo en direction du centre-ville.
⚘
Malo était rentré de sa réunion aux alentours de dix-sept heure. J'étais tranquillement installée sur le canapé, un roman dans les mains, lorsque la porte de l'appartement s'était ouverte, révélant mon meilleur ami. Malo souffla en m'apercevant et laissa tomber son sac à dos sur la table de la cuisine.
— C'était bien à la prépa ? m'enquis-je alors qu'il s'emparait d'une pomme et croquait dedans à pleines dents.
— Cha va, marmonna le brun la bouche pleine. Les gens ont l'air sympa mais c'est pas pour autant que je leur ai parlés, ajouta-t-il une fois sa bouchée avalée. Et toi ? Vous avez fait quoi avec Léo ? Je te dois combien ?
Sans attendre ma réponse, Malo se précipitait déjà vers son sac échoué, ouvrant la poche située à l'avant pour s'emparer de son porte-monnaie.
— Tu me dois rien, t'inquiète pas, répondis-je en me levant du sofa brun. C'est pas comme si on était partis sans payer...
Malo cligna lentement des yeux face à mes propos, tiquant suite à ces paroles. Le jeune homme aux boucles sombres se tourna vers moi, ses iris jade tentant de déterminer si je plaisantais ou non, si je me moquais tout simplement de lui. Une part de moi était tentée de lui révéler la vérité, mais une autre préférait la lui cacher par peur que toute cette histoire ne nous retombe dessus un jour ou l'autre.
— Je rigole. T'inquiète pas pour l'argent : qu'est-ce que c'est un ou deux billets dans une vie après tout ? questionnai-je en esquissant un sourire, dissipant les soupçons de Malo en un instant.
— C'est comme tu veux, au pire si jamais t'en avais besoin, tu sais où les trouver. Au fait, merci.
— De rien, c'est normal.
Après cela, Malo se dirigea vers sa chambre et ferma la porte derrière lui. Ne voulant pas le déranger et ne souhaitant nullement interrompre une quelconque activité embarrassante, je me contentai de retourner sur le canapé et de me plonger à nouveau dans ma lecture.
L'astre d'Apollon entamait sa descente dans les cieux dégagés, baignant de ses rayons chaleureux le salon de notre petite colocation. Dehors, les passants rentraient de leur journée de travail ou encore de leur première jour de cours. Les enfants, enthousiasmés par la rentrée des classes, racontaient leurs nouvelles aventures à leurs parents. Le trafic routier s'était densifié le long de l'avenue dans laquelle nous vivions et quelques coups de klaxons se faisaient percevoir au loin.
Toute cette agitation ne paraissait guère déranger Van Gogh, qui, couché sur le coussin crème que nous lui avions laissé, ronronnait paisiblement, sa fourrure dorée sublimée par les stries de lumières perçant les stores du salon. J'esquissai un sourire en apercevant la boule de poil qui nous servait de troisième colocataire et décidai d'ouvrir la fenêtre.
Une bouffée de chaleur s'engouffra dans la pièce et je commençai à regretter ma décision. Toutefois, la brise estivale, légère, imperceptible, caressa mon visage, se jouant de mes mèches et je me laissai retomber contre le cadre de la fenêtre, inspirant à plein poumon l'air environnant — peut-être pas la meilleure idée quand on habitait en ville.
Le déroulement de ma journée repassait en boucle dans ma boîte crânienne, du saut disgracieux de Van Gogh sur la table de la cuisine en passant par la rencontre avec Léopold et notre semblant de course-poursuite au travers des allées de Saint-Florian. On avait quand même eu pas mal de chances de ne pas se faire attraper, et même si je me sentais quelque peu coupable d'être partie comme une voleuse — au sens littéral du terme —, je devais avouer que cette montée d'adrénaline ne m'avait guère déplue.
Des volutes de fumées épaisses vinrent obstruer mon champ de vision et je fronçai les sourcils. Des effluves de tabac parvinrent à mes narines et je me penchai par dessus l'appui de fenêtre, guettant la source d'une telle nuisance. Quelle ne fut pas ma surprise quand mes orbes ambrés s'arrêtèrent sur la fenêtre adjacente, qui s'avérait n'être autre que celle de Malo.
N'hésitant pas plus d'un instant, je me décollai de l'ouverture et pris la direction de la chambre de mon meilleur ami. Je toquai contre le bois juste pour la forme mais ne jugeai guère utile d'attendre son invitation à entrer.
— Depuis quand t'as recommencé ? interrogeai-je avec fermeté, les bras croisés contre ma poitrine.
Malo avait sursauté quand j'avais débarqué dans son espace, cachant sans grande conviction le bâtonnet incandescent coincé entre son index et son majeur. Il était assis sur l'appui de fenêtre, le corps tout juste retenu par les barreaux de métal cernant l'ouverture. Un paquet de cigarette reposait au sol, entre un classeur vide et la pile de polycopiés que nous étions allés chercher la veille.
— Je... C'est pas... C'est juste que..., bredouilla Malo avant d'abandonner, laissant sa tête retomber en arrière. Depuis la pré-rentrée, depuis qu'un des gars avec qui j'étais m'a proposé une taffe. Mais promis j'arrête, c'est la dernière, je te promets Clélie.
— Je suis pas ta mère, Malo, t'as pas de compte à me rendre, exposai-je en me détendant quelque peu. C'est juste que... Je comprends pas pourquoi tu me l'as pas dit plus tôt.
— Parce que c'était pas utile de t'en informer, peut-être ? rétorqua Malo en portant le bâton à ses lèvres, expirant la fumée toxique qui emplissait ses poumons.
Sur ce coup-là, il marquait un point. Moi-même, je n'avais pas jugé utile de lui raconter notre précédente tentative de fuite. Disons qu'on était quittes à présent.
Je laissai retomber mes bras et m'avançai jusqu'à Malo. Mon meilleur ami me fit une place malgré l'étroitesse de la planche de bois et je m'installai face à lui. Le brun expira une énième bouffée de nicotine avant de me tendre sa cigarette.
J'hésitai un instant, me demandant si tout ceci était vraiment une bonne idée, si cela ne bousillerait pas tout le chemin que nous avions parcouru tous les deux, ce parcours du combattant contre le soldat Lucky et son sergent Malboro. Hélas, mes phalanges furent plus furtives que mon esprit et sans que je ne m'en rende compte, le bâtonnet incandescent effleurait déjà mes lèvres.
Mon corps n'avait pas oublié le geste, encore moins mes muscles, mais lorsque je repoussai cette fumée opaque hors de mes poumons, une sensation étrange s'empara de ma gorge. Des tiraillements avaient pris possession de ma trachée et j'avais l'impression d'étouffer. Je toussai alors, sous le regard amusé de Malo qui attrapa avec hâte son précieux, pendant que mes chers poumons rendaient l'âme.
— Alors Clélie, on a perdu l'habitude ? se moqua-t-il gentiment et je lui écrasai le pied. Aïe !
Quelques secondes passèrent pendant lesquelles nous demeurâmes silencieux, observant l'effervescence qui régnait dans la rue. Une ambulance déboula à pleine vitesse, se frayant un passage parmi les citadines et la sirène se répercuta contre les murs de notre résidence.
— T'as pas peur toi ?
Malo écrasa sa cigarette dans son cendrier improvisé — un ramequin de notre cuisine.
— Peur de quoi ? répéta mon meilleur ami en arquant un sourcil, ses boucles brunes malmenées par le vent.
— De la PACES, de notre nouvelle vie, du fait qu'on soit loin de tout le monde, loin de Saint-Lac.
Il se pinça les lèvres, l'air pensif.
— Honnêtement ? Ça me terrifie. Mais je me dis que dans la vie, on n'a rien sans rien et que si vivre un an le nez penché sur mes polys et le prix à payer pour que je devienne médecin, moi je veux bien courir ce risque.
Il marqua un temps d'arrêt avant de reprendre :
— Puis on est tous les deux, donc je vois pas ce qui pourrait nous arriver de mal.
━ ⚘ ━
Oh Malo... Que tu es naïf mon petit x) si seulement tu savais le quart de ce qui t'attend, tu ne ferais pas autant le malin !
Sinon, j'espère que ce chapitre vous aura plu, il était un peu plus posé que le précédent mais je trouve qu'il montre plutôt bien la relation entre Clélie et Malo. Ou du moins, il en donne un aperçu.
N'hésitez pas à me dire ce qui ne va pas, à me signifier les petits soucis ou même à commenter votre ressenti, ça me fait toujours plaisir et ça m'aide vraiment à m'améliorer !
Merci merci encore d'avoir lu jusqu'ici ! Je vous dis à lundi pour le chapitre 4 !
Bonne journée / soirée !
capu ton cygne ✶
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top