⚘02. Le nouvel ami

3 septembre 2019


          NOUS ÉTIONS RESTÉS TOUTE LA MÂTINÉ assis sur les sièges inconfortables de l'amphi de médecine. Les présentations des différents services de la faculté — en passant du tutorat aux restaurants universitaires — s'étaient enchaînées, toutes plus barbantes les unes que les autres. J'avais fait de mon mieux pour demeurer captivée par les blagues de notre professeur de physique, mais avais bien vite décroché quand il avait été question des menus végétariens du RU.

Pendant ce temps-là, Malo n'avait cessé de parfaire sa technique de tournoiement de stylo, s'évertuant à réaliser des mouvements complexes rien que pour impressionner Léo, avec qui il semblait engagé dans un concours futile. Léo s'était prêté au jeu sans la moindre opposition, analysant avec attention les mouvements de Malo, qui, un bout de langue dépassant d'entre ses lèvres, se concentrait sur sa main gauche.

— Un... Deux... Trois... Quatre ! compta Léo avant que le Bic de Malo ne dévie et ne tombe sur la fille assise devant nous.

Cette dernière sursauta au contact de l'objet et se retourna, les sourcils froncés.

— Euh... S'cuse, mon stylo a glissé, s'excusa le brun en feignant une moue désolée.

L'adolescente soupira et ses boucles blondes volèrent autour de son visage ovale. Néanmoins, elle se pencha et ramassa le quatre couleurs de Malo, qui gisait piteusement à ses pieds. Puis elle lui tendit et se retourna, faisant à nouveau face aux intervenants alignés le long de l'estrade.

— Tu crois que les tours qu'il a fait en quittant ma main comptent ? me demanda mon meilleur ami en examinant son stylo.

— Non Malo, on a dit que si ça touchait plus ta main, ça comptait pas, rectifia Léo en aplatissant les épis se dressant sur son crâne. Cherche pas d'excuses, t'as perdu : tu me dois un best of.

Malo soupira, s'avouant vaincu et je reportai mon attention sur la réunion.

La plupart des professeurs du premier semestre se tenait face à nous, discutant sans grande discrétion entre eux ou observant les dernières recrues. Le prof de physique, celui qui n'arrêtait pas avec ses anecdotes depuis qu'il avait pris le micro, me paraissait fort sympathique dans sa chemise trop serrée pour son ventre proéminent. On aurait dit le personnage boute-en-train d'une comédie et je savais d'ores et déjà que j'allais l'apprécier.

— Je vous souhaite donc bien du courage pour cette année, travaillez bien, révisez bien, mangez bien et surtout reposez-vous bien ! Huit heures de sommeil, les enfants ! Même si vous avez du retard, ne négligez pas vos heures de sommeil ! répéta-t-il en pointant un doigt accusateur sur la foule.

Je coulai un regard en direction de Malo : ce dernier se pinçait les lèvres, comme un enfant pris sur le fait.

Nous quittâmes l'amphithéâtre une heure plus tard, tentant de nous frayer un passage au travers de toute cette cohue. Les gens se bousculaient sans retenue, d'autres profitaient de leur petite taille pour gagner quelques places, tandis que les plus grands soupiraient de soulagement en constatant qu'ils se rapprochaient des portes. J'avais bien cru perdre Malo parmi tout ce bazar, regrettant de ne pas l'avoir attrapé par la bretelle de son sac. Cependant, j'avais réussi à le retrouver en compagnie de Léopold, dès que la foule s'était dissipée.

— Léo propose d'aller manger en ville, informa mon meilleur ami lorsque j'eus atteint leur hauteur.

— Y a pas mal de boulangeries et de bistrots sympa dans le coin, ajouta Léo en hochant la tête. Depuis un an que je suis sur Saint-Florian, j'ai eu pas mal de temps pour les tester.

Depuis un an. Cela voulait-il dire qu'il était plus âgé que nous ?

— Oh... Alors tu es...? débutai-je avec prudence, n'ayant guère envie de le blesser.

— Ouais. Je suis un doublant, confirma le blond en esquissant un furtif sourire. J'ai loupé médecine à 50 places à cause de deux QCM à la con. En vrai, j'avais un peu la haine au début mais je me dis que cette année, c'est obligé je vais tout déchirer !

J'admirais la détermination qui animait les orbes lunaires de Léo. Malgré cet échec — que je trouvais fort injuste —, il gardait le sourire, comme si ce n'était pas grave, comme s'il reculait simplement pour mieux sauter. Je me demandais bien comment il faisait pour conserver le sourire et aborder avec légèreté cette année. Si j'étais à sa place, je serais certainement en train de paniquer et j'en voudrais à la terre entière.

Mais lui avait préféré converser avec deux primants comme nous, deux petits chiots apeurés loin de leurs repères et de leur train-train habituel. Il me paraissait être quelqu'un de bien, comme un grand frère qui prendrait ses cadets sous son aile. Ne restait plus qu'à croiser les doigts pour que je ne me trompe pas. Car après tout, il s'agissait un concours et "pas de pitié pour les rats" était la devise de bon nombre de personnes ici.

— On va où, du coup ? m'enquis-je alors que nous franchissions les portes de verre de la fac de médecine.

— Au Kraken Doré, c'est un bistrot situé sur la place de l'hôtel de ville. Ils font un fish and chips à tomber ! avoua Léo en se mordant la lèvre inférieure, le ventre gargouillant.

— Et on y va comment ? poursuivit Malo en passant une main dans ses boucles brunes.

Léopold s'arrêta brusquement, les pouces coincés sous les bretelles de son sac à dos, un sourcil arqué. Le visage ainsi tiré, il me donnait l'impression d'échafauder un plan des plus farfelus. Ses iris grisonnantes passaient de Malo à moi, et je fronçai les sourcils, me demandant bien ce qui cogitait dans son esprit.

— L'un de vous deux a bien une voiture, non ? déclara Léo subitement.

J'échangeai un regard avec Malo. Un sourire en coin s'était esquissé sur son minois fatigué et je le regardai avec plus d'intensité, tentant de lui faire comprendre qu'il était préférable pour lui de la fermer.

— Eh bien... C'est-à-dire que..., commençai-je en rabattant une mèche mordorée qui avait glissé devant mes yeux.

— Clélie a embouti la Fiat de sa mère en rentrant de boîte cet été, et depuis elle ne veut plus lui prêter, compléta Malo, guère terrorisé par mes iris ambrées.

Je soupirai, sentant mes joues jalouser la teinte des coquelicots, alors que Léo, étonné par ces révélations, ricanait nerveusement.

— Ah merde..., commenta tout de même ce dernier avant de se ressaisir. Ça veut dire qu'on va devoir prendre le bus ou y aller à pieds, mais vu cette chaleur on sera mieux dans un endroit climatisé.

— Toi aussi t'es privé de voiture ? relança Malo d'un air amusé.

— Non, moi j'ai juste pas le permis.

Malo hocha la tête sans pour autant demander plus de renseignements et nous nous mîmes en route.

Il y avait un arrêt de bus non loin de la faculté, et la ligne qui passait par ce dernier nous amènerait jusqu'au centre-ville de Saint-Florian, du moins d'après les souvenirs de Léo. Nous nous rassemblâmes donc près de l'abri, savourant l'ombre des pins jonchant l'avenue, et attendîmes notre moyen de transport. Ce fut pour nous l'occasion de discuter davantage, échangeant des banalités surmontées d'anecdotes en tout genre.

C'est ainsi que j'appris que Léo habitait non loin de Saint-Florian, à tout juste trente minutes de route et qu'il avait l'habitude de rentrer chaque week-end en BlaBlaCar. Il nous conta ses multiples péripéties, notamment la fois où il avait laissé son réfrigérateur entrouvert pour découvrir son parquet inondé au réveil. Je n'avais pu m'empêcher de m'esclaffer alors qu'il renchérissait avec d'autres de ses aventures, et Malo se tordait lui aussi de rire.

Finalement, j'avais bien fait d'accepter qu'il s'installe à nos côtés dans cet amphi.

Le bus arriva au moment où Léo reprenait son souffle et nous montâmes à bord. Le trajet fut court jusqu'à l'hôtel de ville de Saint-Florian, ce qui ne fut pas sans me déplaire. Mon ventre avait gargouillé avec vigueur, heureux de faire savoir aux autres passagers qu'il était affamé. À de multiples reprises, j'avais souhaité me terrer six pieds sous terre, notamment lorsqu'un silence pesant s'était installé dans l'habitacle et que mon estomac belliqueux avait crié sa rage.

— On est arrivés ! s'enthousiasma Léo en ouvrant grand les bras. Clélie, Malo, je vous présente le Kraken Doré, aka le meilleur bistrot de tout Saint-Florian.

Le Kraken Doré était en réalité une brasserie spécialisée dans les moules frites et autres plats fris. Des effluves de fish and chips et d'huile de friture embaumaient l'atmosphère environnante, se mêlant aux touches de jasmin émanant des pots de fleurs disposés près de l'entrée. L'enseigne, une pancarte en bois suspendue à l'angle du restaurant, représentait un calamar agitant ses tentacules dorées, donnant l'impression qu'il saluait amicalement — ou non — les passants. Enfin, le auvent bleuté avait été déployé, offrant un tant soit peu d'ombre aux clients attablés.

Léo ne prit guère la peine d'attendre qu'un serveur ne se libère et nous attira vers l'une des tables disposées le long de la terrasse. Je jetai un regard aux alentours, guère sûre de l'audace soudaine de notre nouvel ami, mais Malo me saisit par le poignet, coupant court à mes hésitations. Léo s'échoua sur la chaise en métal placée à ses côtés, laissant tomber son sac à ses pieds et mon meilleur ami fit de même. Quant à moi, j'hésitais encore.

— T'attends le déluge, Clélie ? railla Malo en remarquant ma perplexité.

— On devrait pas plutôt s'adresser à un serveur avant de prendre une table ? Peut-être qu'elle est réservée, supposai-je en indiquant la-dite table de la main.

No stress, Clélie. Le Kraken Doré appartient à mon oncle, les serveurs me connaissent donc t'as vraiment aucun souci à te faire, assura Léo en m'invitant à m'installer.

Je coulai néanmoins un regard en direction d'une serveuse aux cheveux bouclés, qui prenait la commande d'un couple de trentenaire à quelques tables de nous, réfléchissant aux propos de Léo. Toutefois, je finis par m'asseoir à côté de Malo, posant mon sac sur mes genoux.

— Alors, vous en avez pensé quoi de cette réunion de rentrée ? Pas trop stressés après ce qu'a dit Garnier, le prof d'UE 3 ? relança Léopold en se redressant.

— Franchement, je sens que ça va bien se passer ! Les profs ont l'air cool puis sachant que je me suis inscrit à la prépa, je vois pas pourquoi je devrais m'inquiéter, avoua Malo avec confiance, attrapant un morceau de pain qui reposait dans la corbeille posée devant lui.

— C'est vrai qu'avec la prépa..., rétorqua le blond un peu plus bas, une légère ironie dans la voix. Toi aussi tu t'es inscrite à une prépa privée, Clélie ?

— Non, moi je fais juste le tutorat, c'est déjà assez, répondis-je simplement.

Quand on était en PACES, on avait le choix entre suivre des cours de soutien dans une prépa privée ou directement à la faculté. À Saint-Florian, les cours du tutorat étaient dispensés par des élèves de deuxième année, tandis que ceux de la prépa étaient assurés par des professeurs et par conséquent, étaient beaucoup plus encadrés. Mais pas forcément mieux adaptés.

Si Malo n'avait pas hésité un seul instant à s'inscrire dans une prépa privée, j'avais de mon côté catégoriquement refusé de me laisser séduire par leurs belles paroles. Je n'avais rien contre eux, ne venez pas vous imaginez de telles sottises, mais j'estimais que j'étais désormais assez grande pour me prendre en main et travailler sans qu'on m'indique quoi faire ou quoi réviser.

J'avais passé l'intégralité de mon cursus scolaire en établissement privé, à travailler et à obéir aux moindres ordres du corps enseignant. Désormais, je sentais un besoin de retrouver cette liberté longtemps refoulée, de me prendre en main une bonne fois pour toute.

Et puis, claquer trois milles balles pour ne même pas être sûre d'avoir mon année, je devais avouer que ce n'était pas vraiment ma tasse de thé.

— Yes vive le tut' ! s'exclama Léopold alors que nous échangions un high five. Tu vas voir on s'éclate de ouf et les tuteurs sont vraiment cool. Ils sont toujours là pour toi si jamais t'as des questions. Puis ce que j'aime bien aussi, c'est qu'ils ont vécu la PACES et qu'ils peuvent te donner des conseils pour travailler, poursuivit-il avec entrain. D'ailleurs, vous ne m'avez même pas dit ce que vous vouliez faire !

— Pharmacie.

— Médecine, ajouta Malo en avalant sa dernière bouchée de pain. D'où la prépa privée, se justifia-t-il.

Léo ne releva pas, préférant consulter la carte des plats inscrite sur son set de table.

La serveuse que j'avais aperçu lors de notre arrivée s'approcha de notre table et prit notre commande. Léo lui adressa un sourire charmeur lorsque les plats arrivèrent, la complimentant pour la rapidité de son service, ce qui la fit rougir. Nous nous restaurâmes par la suite, poursuivant notre discussion entre deux bouchées.

Léo avait raison, le fish and chips du Kraken Doré était vraiment succulent — quoiqu'un peu gras sur la fin. Malo mordait dans ses frites à cœur joie, se prenant même pour un morse en coinçant deux bâtonnets sous sa lèvre supérieure. Léo avait manqué d'avaler de travers en le voyant et nous nous étions improvisés secouristes en lui tapant dans le dos, l'aidant à recracher son morceau de cabillaud.

Finalement, Léo parvint à reprendre son souffle, le visage rouge et les larmes aux yeux.

— Meurs pas mec, ça fait à peine quatre heures qu'on se connaît et tu manques déjà de rendre l'âme, constata Malo en avalant une gorgée de sa bière.

— Arrête d'être aussi drôle, peut-être que ça m'aidera à rester en vie, ironisa le blond en respirant doucement.

— Je vais essayer, mais c'est pas dit que j'y arrive, rétorqua mon meilleur ami avant de jeter un coup d'œil à sa montre. Merde ! Faut absolument que j'y aille : j'ai une réunion à la prépa ! Clélie, tu peux payer ma part ? Je te rembourse ce soir dès que je rentre à l'appart, poursuivit-il en m'implorant du regard.

Je soupirai, vaincue. Il fallait dire que les yeux de chiens battus de Malo avait toujours réussi à me faire craquer, ce qui n'était pas forcément une bonne chose à vrai dire. À cause de ces yeux jade, je m'étais retrouvée déguisée en Obélix pour Halloween l'année dernière, et l'année d'avant, j'avais accepté de faire un tour de Space Mountain en sa compagnie et avais bien cru que mon cœur allait plus d'une fois s'arrêter.

— Ça marche, mais en échange c'est moi qui choisis ce qu'on regarde ce soir, ok ?

Malo acquiesça d'un signe de la tête et se leva de table, son sac à dos glissé sur une épaule. Il salua Léo d'une poignée de main et m'ébouriffa les cheveux avant de s'en aller vers l'arrêt de bus. Je l'observai s'éloigner le sourire aux lèvres, espérant qu'il ne se perde pas dans Saint-Florian, même s'il y avait de fortes chances que cela arrive.

Nous continuâmes à discuter avec Léo, abordant sa première année de PACES et les erreurs qu'il en avait retiré. C'était intéressant de l'écouter déblatérer à ce sujet, cela éclairait certaines zones d'ombre qui persistaient dans un coin de ma tête. Puis soudain, le garçon se leva brusquement de table, renversant des gouttes de Fanta sur son set en papier.

— Viens, Clélie ! On s'en va !

— Mais... Et l'addition ? balbutiai-je d'un air perdu, fronçant les sourcils.

Néanmoins, Léo en avait décidé autrement et préféra s'emparer de mon poignet, me traînant déjà loin du restaurant du Kraken Doré.

— Tu te rappelles quand je t'ai dit que cette brasserie appartenait à mon oncle ?

J'hochai la tête, lentement.

— Bah c'était pas vrai, alors cours steplaît.














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*UE : Unité d'Enseignement, en gros c'est le terme pour définir une matière.

Je sais, j'avais dit plus de boulets mais il faut savoir que Léo est une véritable catastrophe sur pattes donc j'étais obligée sorry.

En tout cas j'espère que ce chapitre vous aura plu, on rentre tout doucement dans l'histoire et on commence doucement à appréhender cette petite année à la fac. Et puis on fait enfin connaissance avec Léo, le troisième personnage principal de cette histoire ce qui n'est pas rien !

Merci beaucoup d'avoir lu jusqu'ici, j'espère que ce chapitre n'était pas trop long et qu'il ne vous a pas ennuyés.

Comme d'habitude, si vous avez des questions n'hésitez pas à me les poser, j'y répondrai avec plaisir !

Bonne journée / soirée !

capu ton cygne

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