31
À mes yeux, rien n'était plus reposant que le son de la mer. Les vagues qui s'échouaient sur la plage dorée, ça, c'était suffisant pour me donner une panoplie de frissons. Ce n'était pas en ayant grandi à Toronto que j'avais connu la plage, le sable, le soleil tapant et l'eau de mer à son meilleur. Toutes ces choses, elles n'avaient rien à voir avec mon quotidien à Toronto. Et pourtant, j'étais reposé. Énormément reposé.
Une semaine auparavant, j'étais tout le contraire de quelqu'un de reposé. Un rien me stressait. Je devais prendre le train pour Vancouver le dix-huit août et ça, croyez-moi, c'était suffisant pour me faire stresser. Parce que ce n'était pas qu'une date de départ. Non, c'était beaucoup plus. C'était une liste de choses sous-entendues qu'il me restait à faire. Une liste interminable que je devais remplir dans un laps de temps serré. Mes nuits, je les passais à me retourner en boucle et en boucle dans mon lit pensant à chaque petit détail qu'il ne me fallait pas oublier. J'avais mon billet, oui. Mais où allais-je loger ? Combien de temps allais-je y rester ? Quels lieux devais-je visiter pour rendre mon expérience plus photogénique ? C'était toutes des questions inquiétantes auxquelles je n'avais toujours pas les réponses.
Le jeudi de la semaine dernière, je dormais chez Sacha. Au bout de quelques heures, ma copine s'était épuisée de me sentir remuer constamment. Elle avait bien essayé les paroles réconfortantes et les petits baisers tardifs, mais rien n'y faisait. Ce soir-là, j'avais donc dormi sur un matelas installé au sol juste à côté de son lit. Je ne lui en voulais pas, après tout je devais être d'une compagnie nettement désagréable.
Lorsque Olivia nous avait invité tous les deux à rejoindre la bande pour un voyage d'une semaine sur la côte-est américaine, Sacha avait sauté sur l'occasion. Sous prétexte que ça nous ferait peut-être du bien à tous les deux, elle m'avait convaincu d'accepter la proposition d'Olivia. Elle était même parvenue à convaincre mes parents. Il faut dire que ceux-ci s'étaient ramollis ces derniers temps : ils n'attendaient plus grand chose de moi et ils me laissaient faire ce que je souhaitais faire.
— À la seule condition que tu nous promettes de ne pas faire trop de folies, m'avaient-ils dit.
C'était la seule contrainte qu'ils m'avaient imposé. La seule. Ils ne m'avaient pas retenu lorsque j'étais parti dans la vieille nouvelle bagnole de Carter avec cinq de mes potes. Ils n'avaient pas prononcés un mot, comme s'ils me faisaient confiance. Qu'est-ce qui leur valait ce changement soudain d'attitude ? Peut-être qu'au fond, ils avaient compris que j'étais un adulte et que bientôt - dans un mois - j'allais voler de mes propres ailes. Néanmoins, ça m'aurait fait plaisir de sortir une liste d'arguments à ma mère pour la convaincre comme je l'avais déjà fait étant plus jeune.
— Tu es un adulte que tu le veuilles ou non, m'avait dit Sacha.
— Je ne croyais pas qu'être adulte c'était aussi soudain.
— Tu crois qu'on devrait le rajouter à notre liste ?
Parce que oui, lors d'une immense période d'ennui, Sacha et moi avions mis sur papier toutes les choses qui définissaient « être adulte ». Nous avions déjà une page complète de définitions.
Nous avions mis douze heures à atteindre le New Jersey. Ces douze heures nous les avions passées entassé à six dans le van beige de Carter, à disputer de nombreuses parties d'échecs et de UNO, la playlist de Sacha en boucle à la radio. À six, nous avions été en mesure de nous louer un petit chalet isolé sur une partie de la plage. De là où nous nous trouvions, nous évitions de rencontrer des Américains ou d'autres touristes portant des casquettes rouges. L'un ou l'autre, ça nous aurait déplu. On n'avait pas besoin de perdre foi en l'humanité alors que nous étions en vacances.
Bercé par le son des vagues, j'étais enfin arrivé à destination. On peut dire que Sacha avait eu raison de me traîner jusqu'ici : ça me faisait un bien fou. À peine huit heures sonnées, je m'étais levé ce matin. Je m'étais douché et habillé en une poignée de minutes seulement, en faisant gaffe à ne réveiller personne. Enfin, je croyais n'avoir réveillé personne.
— J'ai grave besoin de réconfort en ce moment. Tu me permets ?
J'ai souri en apercevant Sacha, les immenses lunettes de soleil aux yeux.
— Bien sûr, ai-je répondu. Viens-là.
Elle s'est collée contre moi, prise par une vague de frissons. Dans l'espoir de lui procurer un peu de chaleur, je me suis mis à lui caresser le dos et les épaules.
— J'ai vraiment mal dormi cette nuit, a-t-elle dit au bout d'un moment.
— Oui, je t'ai entendu remuer sans cesse.
Sacha a eu un faible sourire.
— Pour une fois que ce n'est pas moi qui dérange.
J'ai ri.
— Touché.
Ma copine a collé sa tête contre mon épaule.
— Qu'est-ce qui se passe, Sacha ? lui ai-je demandé. Ça fait plusieurs jours que tu ne dors pas. Ces vacances sont supposées être reposantes. C'est toi-même qui l'a dit, je te rappelle.
— Je fais des cauchemars.
— À quel sujet ?
— Au sujet de tout, a-t-elle murmuré. Au sujet de ton départ.
— Où est donc passé Sacha la grande indépendante, celle qui ne veut avoir besoin de personne ?
Elle a secoué la tête.
— Fais pas le con, Logan. Tu sais ce que je veux dire.
J'ai acquiescé. Elle avait raison : je savais exactement ce que ça voulait dire.
— On s'appellera à tous les soirs.
Sacha a ricané.
— J'ai pas envie qu'on s'appelle à tous les soirs et qu'on embarque dans une relation étouffante, a-t-elle dit. Déjà que t'es suffisamment étouffant comme ça.
Je lui ai donné un coup de coude amical.
— Mais... Oh, bordel, Logan comment on en est arrivé là ?
— Arrivé où ? l'ai-je interrogé, confus.
— Comment on est devenu un de ces couples ringards qui ne peut pas se passer l'un de l'autre ?
L'esquisse d'un sourire s'est glissé sur mes lèvres.
— Tu es ma meilleure amie. C'est normal que je sois incapable de me passer de toi.
— Tu vois, c'est exactement le genre de ringard dont je parlais.
— Hé, ma belle, ça s'appelle de l'amour ça. C'est pas ringard, l'amour.
Sacha a secoué la tête.
— Tu m'as contaminé.
— Moi aussi, je t'aime.
Elle a ri.
— Je fais des cauchemars sur nous, tu sais.
— On ne se perdra pas de vue.
— Ça, tu ne peux pas le promettre.
— Je fais de mon mieux pour te réconforter en ce moment.
Elle a déposé un baiser sur ma joue.
— Je le sais et j'apprécie l'effort, a-t-elle dit. Mais je n'ai pas envie qu'on se fasse des promesses qu'on n'arrivera pas à tenir.
— Alors quoi tu veux qu'on rompe ? Comme Alison et Olivia ? C'est ça que tu veux ?
Pendant un instant, il n'y avait plus que le bruits des vagues s'échouant sur la plage.
— Non, a murmuré Sacha. Non, bien sûr que non. Nous ne sommes pas Alison et Olivia, tu m'entends ? Nous sommes Logan et Sacha, le meilleur couple de tous l'univers.
— C'est vrai qu'il torche la plupart des autres couples.
Ma copine a ri.
— Et c'est pour cette raison que je n'ai pas envie qu'on se sépare.
— Mais ?
— Mais je n'ai pas non plus envie de me bercer dans les attentes. Peut-être que dans deux ans, tu vas rencontrer une fille en Californie, vraiment brillante et gentille, qui va beaucoup te plaire. Et là, tu vas te dire : « pourquoi ne pas rompre avec Sacha ? ». En une fraction de secondes, j'aurai disparu de ta vie et je ne serai plus que ton ex.
— Rien de tout ça n'arrivera.
— On n'en sait rien.
— Peut-être que c'est toi qui va me laisser pour un beau Franco-Italien riche qui t'amène souper dans les restos les plus chics de la ville.
— Un Franco-Italien ? m'a-t-elle interrogé sceptique.
— C'est la première chose qui me soit passée à l'esprit, d'accord ?
Elle a ricané.
— La morale de cette histoire c'est...
— On ne doit pas avoir trop d'attentes, voilà ! me suis-je exclamé.
— Exact. On ne peut pas prévoir l'imprévisible.
J'ai dévisagé Sacha avec un sourire énigmatique sur les lèvres.
— Tu as déjà songé à écrire un bouquin ?
— Moi ? Écrire un roman ? Jamais de la vie.
— De nos jours, n'importe qui peut écrire un roman. Suffit de ne pas trop faire de fautes et de se plonger dans un scénario bien remâché : un couple hétéro que tout oppose qui fini par trouver l'amour dans les bras de l'autre.
— Arrête, c'est trop 2013.
— À qui le dis-tu ! Mais tu vois, moi, j'invente pas le business.
Elle a souri.
— Si j'écrivais un livre, de quoi ça pourrait bien parler ?
J'ai haussé les épaules.
— J'en sais rien : de toi, de nous, des cactus.
— Des cactus ?
— Oui, pourquoi pas ?
Son regard s'est perdu en direction de la mer.
— Toi, tu devrais écrire un bouquin.
J'ai froncé les sourcils.
— Ah bon ?
— Fais pas cette tête, m'a-t-elle réprimandé. Tu serais hyper doué.
— Moi, doué ? Je n'ai aucune connaissance en écriture.
— Tu l'as dit toi-même : tout le monde peut écrire un roman de nos jours.
— Alors pourquoi moi plutôt que toi ? C'est vrai quoi, tu adores lire. La lecture et l'écriture, ça s'associe bien.
Ma copine a ri.
— Toi aussi, tu aimes lire.
Je me suis pincé les lèvres.
— Tu veux que je t'avoue quelque chose ?
Elle m'a dévisagé. La curiosité et l'anticipation se lisait dans chacun de ses traits de visage.
— Je n'ai jamais terminé Oliver Twist.
— Quoi ? Comment ça ?
— Ce n'était pas trop ton style, Sacha.
La blonde a haussé les sourcils.
— Et tu as arrêté de lire comme ça ?
— Comment ça, comme ça ?
— Tu as fermé le livre d'un instant à l'autre en te disant que peut-être plus jamais tu n'y toucherais ?
— Ouais.
— J'y crois pas.
— Quoi ?
— Jamais de ma vie je n'ai osé ne pas terminer un livre.
— Et tous ces livres qui traînent dans ta bibliothèque avec un signet au milieu ?
Sacha a grimacé.
— Ils étaient... bons.
— Ah, je n'en doute vraiment pas.
Elle m'a frappé le bras.
— Mais je me suis toujours dit que j'allais les terminer un jour. Contrairement à toi, je n'abandonne pas.
J'ai ri.
— Pourquoi ça sonne comme une reproche ?
La jolie blonde m'a adressé un clin d'oeil.
— Tu comptes tenir ta promesse ? lui ai-je demandé, un peu plus sérieusement.
— J'aimerais bien, mais...
— Mais quoi ?
— Plus les jours, les semaines passent, plus j'ai l'impression que je n'y arriverai pas.
— Comment ça ?
— Comment tu veux lire des mots que tu ne peux même pas voir ?
J'ai serré la mâchoire.
— Tu peux toujours apprendre le braille, lui ai-je dit. Tu auras même déjà un exemplaire de Des souris et des hommes dans ta bibliothèque !
Une esquisse de sourire s'est dessinée sur son jolie visage aux traits fins.
— Ça ne s'apprend pas aussi facilement que ça, a-t-elle admis.
— Tu as essayé ?
— Bien sûr que j'ai essayé ! Qu'est-ce que tu crois ?
J'ai glissé mon bras autour de son épaule et je l'ai attirée un peu plus près de moi.
— Tu es une génie, Sacha. Je ne doute pas une seule seconde que tu vas réussir à apprendre le braille.
— Merci.
— Je le pense vraiment.
Il y a eu un petit moment de réflexion, où j'étais davantage préoccupé par mes pensées que par le regard bleu comme l'océan de Sacha.
— C'est rien, le braille, ai-je blagué. Si tu veux, je peux apprendre avec toi.
— Sérieusement ?
Je plaisantais, mais décidément ce n'était pas le cas de Sacha. Mais, si ça pouvait lui remonter un peu le moral, j'étais prêt à le faire.
— Pourquoi pas ? ai-je demandé.
Elle a souri chaleureusement. Son regard m'a enflammé. J'avais l'impression d'avoir accompli quelque chose de bien. Et ce sentiment était suffisant pour égayer ma journée.
Nous sommes restés à la plage un bon trente minutes. Comme la chaleur nous étouffait, nous nous sommes jetés dans les vagues d'eau salée. L'eau froide nous a réveillé un peu, mais c'était exactement ce qu'il nous fallait. L'eau glissait sur notre peau et le sable humide caressait nos orteils. Sacha souriait à pleine dents. Elle était heureuse. Nous étions heureux. Au loin, mais près de nous en même temps, les goélands jacassaient. Nous étions trop loin de la ville et des ses habituels bruits citadins. Le contraste était parfait. Pour des gens comme Sacha et moi qui avaient grandi en ville, là où les klaxons retentissaient à toutes les lumières, tous les arrêts, c'était tout une expérience à vivre. Ni Sacha ni moi n'avions quitté le bercail très souvent au court de notre courte vie. Les plages, exceptées celles nudistes qui bordaient la métropole, nous étaient étrangères. Il suffisait de parcourir une centaine de kilomètres au sud, traverser les douanes et oublier quel type de président se trouvait au pouvoir des États-Unis et hop ! tout était merveilleux, au bord de l'utopie. Si j'avais une liste à faire de mes meilleurs souvenirs à vie, celui-ci ferait partie de mon top trois. C'était peut-être bien simplet comme moment, mais pour un gars comme moi qui se contentait des petites choses de la vie, ce souvenir était précieux.
Malheureusement, une utopie n'est qu'une illusion, un mirage qui ne prend pas compte de la réalité. Et en l'espace de quelques minutes, d'un instant de bonheur, je me suis enfermée dans ce monde utopique. Sacha m'a bien vite tiré vers la réalité, ses migraines l'ayant reprise de force. Nous avons été obligés de plier bagages, de ranger nos serviettes de plage et de rentrer jusqu'à la petite maison que nous avions louée en compagnie de nos amis. Ceux-ci devaient déjà être réveillés à l'heure qu'il était.
Sacha avait beau se protéger de toutes les manières possibles, que ce soit en portant un immense chapeau ou en s'équipant des lunettes les plus dispendieuses sur le marché, elle restait régulièrement victime de ses migraines. Ces-derniers temps, il était impossible qu'elle passe une seule journée exposée à une forte lumière, sinon elle souffrait de mal de tête pendant des heures et des heures. Ce séjour n'avait pas arrangé les choses puisque Sacha était constamment exposée à la forte lumière du soleil de juillet. Le plus étrange dans toute cette histoire, c'était que des lumières de plus petites forces pouvaient l'affecter aussi. Je n'avais qu'à prendre une photo d'elle avec le flash de mon appareil photo et elle se mettait à voir embrouiller, à avoir mal à la tête et aux yeux... Bref, c'était loin d'être une partie de plaisir. Et on n'en parlait pas trop, comme s'il s'agissait d'un tabou. Parler des migraines de Sacha c'était l'équivalent de parler de sexe au début du vingtième siècle. En gros, on ne se disait rien à ce sujet. Sacha ne voulait pas en entendre parler et moi, ça me mettait en rogne, mais en même temps, je ne lui disais pas que cette habitude de tout vouloir garder pour elle m'irritait parce que je n'avais pas envie de me disputer. C'était sans issu, au final. Nous étions tous les deux dans le tort.
Nous sommes rentrés au chalet, alors que tout le reste de ma bande déjeunait et regardait la télévision. Olivia disputait une partie d'échecs avec Carter, qui alternait entre le jeu et son bol de Froot Loops, alors qu'Alison et Lawrence étaient affalés sur le sofa et regardaient un sitcom américain, leurs déjeuners poser sur la table basse en face d'eux. Sacha est entrée et a tout de suite regagné sa chambre à l'étage.
— Je vais me reposer, a-t-elle dit. Ne m'attendez pas pour l'excursion à Atlantic City.
— Euh, bon matin à toi aussi, Sacha, a marmonné Lawrence.
Mais trop tard, ma copine était déjà à l'étage. Tous mes amis se sont mis à me dévisager comme si c'était de ma faute.
— Vous vous êtes disputés ? m'a demandé Carter.
— Tu peux tout nous dire, tu sais, Logan, m'a assuré Alison.
— Vous avez rompu ? m'a interrogé Olivia.
— J'espère bien que non, a ajouté Lawrence. Je commençais à bien vous apprécier tous les deux en tant que couple... Et puis, ce serait vraiment inconfortable si vous rompiez à ce moment-ci du voyage. On doit encore cohabiter ensemble pour quatre jours.
J'ai chassé tous leurs questionnements ou commentaires d'un geste de la main.
— Du calme ! me suis-je exclamé. On ne s'est pas disputé. Sacha est simplement allée faire une sieste.
— À neuf heures et demi le matin ?
Mes amis étaient tous sceptiques, alors je leur ai sorti l'excuse la plus banale au monde.
— Elle n'est pas dans son assiette, en ce moment. C'est tout. Ça ira sûrement mieux dans quelques heures.
C'était un mensonge par omission. Sacha n'était pas dans son assiette, c'était bien vrai, mais j' « oubliais » de préciser que c'était parce qu'elle avait une maladie qui progressivement la rendait aveugle. Rien de moins.
— En attendant, ai-je dit. Ne la dérangez pas. Elle a besoin de repos.
— Mais... Est-ce qu'on l'attend toujours pour Atlantic City ?
Je me suis mordu la lèvre.
— J'irai la voir dans une heure pour vérifier avec elle. Ça vous va ?
Olivia et tout le reste de la bande a acquiescé.
Comme promis, vers dix heures et demi je suis allé rejoindre Sacha à l'étage pour voir dans quelle état elle pouvait bien se trouver. Je suis entrée dans notre chambre sans faire trop de bruit et je me suis assuré de bien refermer la porte. Étrangement, Sacha n'était pas allongée sur le lit comme je l'avais supposée. Au contraire, elle était assise sur le bord du matelas, le téléphone appuyée contre l'oreille. Elle n'a pas cillé quand elle m'a vu entrer. À l'expression qu'elle affichait et par la politesse qui s'entendait dans sa voix, je devinais que c'était un appel important.
— D'accord, merci. Merci Dr. Chan. Je vous tiendrai au courant. Bien sûr. Passez une excellente journée.
Sacha a raccroché. Je me suis approché et je l'ai dévisagée.
— Tu m'expliques ? Pourquoi t'appelles ton médecin ?
Elle a baissé les yeux.
— Viens t'asseoir, Logan. Il faut que je te parle d'un truc.
— Tu me fais peur, là.
Une esquisse de sourire s'est dessinée sur ses lèvres.
— Non, ne t'en fais pas.
Je me suis tranquillement assis sur le bord du lit, côte à côte avec Sacha.
— Je pars à Cuba en septembre.
— Quoi ? Tu t'es réservée des vacances dans le Sud ? Sans moi ?
Elle a secoué la tête.
— Ça n'a rien à voir avec des vacances.
— Comment ça ?
— Il y a une clinique à Cuba... Les chirurgiens y sont hyper doués. Ils auraient même été en mesure de trouver un traitement qui arriverait à ralentir la maladie.
— Je... Mais c'est une super nouvelle !
— Oui, ça l'est.
Elle souriait presque.
— Et tu comptes recevoir ce traitement ?
Ma copine a acquiescé.
— Si ça marche, je serais probablement la femme la plus heureuse au monde. Dr Chan ne veut pas que je compte entièrement sur cette procédure, car selon lui, elle pourrait aussi ne pas marcher.
— Il ne veut pas que tu aies des attentes.
— Non, pas du tout.
Je me suis mordu la lèvre. Pendant un instant, personne n'a dit un seul mot. Puis, sous la tension qui emplissait peu à peu la pièce, Sacha a craqué.
— À chaque fois que je ferme les yeux, je me dis que c'est ce qui m'attend, que j'aurais toujours les yeux fermés dorénavant. Et peut-être que lorsque je me réveillerai le lendemain, je serai incapable d'ouvrir les yeux de nouveau, je serai incapable de voir ton visage, les milles et une couleurs qui composent le crépuscule... J'ai continuellement peur de me réveiller un matin et de n'être confronté qu'à une seule chose : le néant. Et le néant, bah, ça m'effraie. J'ai peur d'avoir du mal à accepter ma cécité. Tu vois, j'ai déjà peur. J'ai tellement peur que j'en fais des cauchemars. Le pire, c'est que j'ignore quand la cécité décidera de me frapper. J'ai pas envie que la dernière chose que je vois soit le mauve de mon plafond ou la couleur de mes rideaux. Non, ça c'est moche. Quand on y pense, il y a tellement de choses que je n'aurai pas le temps de voir... Si seulement j'avais su... Heureusement, le traitement est là pour ça. Il m'ouvre une porte que je croyais déjà fermée et verrouillée à clé.
J'ai pris sa main, parce que ça me semblait être la chose à faire dans un moment pareil.
— Sacha, tu es forte.
— Non, je suis tout sauf forte. Parce qu'à chaque fois que j'arrive à me persuader que tout ira bien et que je serai en mesure de surmonter cette épreuve, ma vision se dégrade et me rappelle que la maladie, ça fait partie de moi maintenant. Je suis sous sa menace en tout temps. Comment veux-tu que j'arrive à être forte quand aucun de mes traitements ne marchent qu'on me répète sans cesse que mon cas est l'un des plus particuliers parce que ma vue se dégrade à une vitesse impressionnante ?
— Mais tu es toujours debout. Et avoir peur, Sacha, c'est loin de te rendre faible. Avoir des faiblesses, c'est humain. Et je te trouve forte de simplement demander de l'aide, de t'entourer de gens que tu aimes et de faire confiance à des professionnelles. Tu es forte, Sacha.
Elle s'est mise à pleurer sur mes épaules.
— Tu sais pourquoi c'est toi qui devrait écrire un livre, Logan ?
— Parce que j'adore le drame ?
Une esquisse de sourire aux lèvres, Sacha a secoué la tête. Elle avait une drôle de tête comme ça, les larmes ruisselantes sur les joues mais le sourire s'immisçant pourtant sur son visage. Ma copine avait l'air hystérique, mais elle n'en restait pas moins jolie.
— Parce que, selon moi, Logan, tu es doué avec les mots. Et tu dis de belles choses.
Elle a déposé un baiser sur ma joue.
— Et peut-être aussi parce que tu es un amateur de drame.
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