11


— T'es prêt pour l'examen de chimie ?

J'ai écarquillé les yeux.

— Quel examen ?

— Tu plaisantes, pas vrai ? s'est exclamé Lawrence.

J'ai fait signe que non.

— Toi, Logan Campbell, le mec le plus studieux que je connaisse, t'es en train de me dire que t'as pas révisé pour l'exam de chimie ?

— J'ai été distrait, ai-je marmonné.

Distrait ? Mec, en six ans d'amitié, je n'ai jamais vu ça ! T'es sûr que tu vas bien ? T'as pas la gastro ou un truc du genre ?

Non, je n'allais pas bien. Ce n'était pas la gastro, cependant : c'était Sacha. Elle ne répondait à aucun de mes messages et semblait m'éviter depuis qu'on s'était embrassé. Était-ce une erreur ? Peut-être, mais je ne pouvais pas en avoir la confirmation si elle s'acharnait à me fuir comme ça. À chaque fois que je la croisais dans les corridors, elle changeait brusquement de direction. Lorsque je l'appelais, je tombais toujours sur sa boîte vocale.

— C'est Sacha ?

J'ai acquiescé.

— Elle m'évite, ai-je dit.

Ça faisait mal à l'orgueil de l'admettre à haute voix. Ce n'était pas comme si Lawrence ne m'avait pas prévenu que Sacha allait me faire un coup pareil. J'avais toujours réfuté cette idée qui laissait croire qu'elle n'était qu'une manipulatrice qui aimait jouer avec les sentiments des gens, mais plus les jours passaient, plus j'avais des doutes à ce sujet.

— Il s'est passé quelque chose entre vous ?

— L'autre soir, on s'est embrassé.

— Et tu m'as rien dit ? s'est offusqué mon ami.

J'ai haussé les épaules.

— Je ne croyais pas que ça t'intéresserait, ai-je expliqué. Je te voyais déjà là, à me faire les gros yeux et à me lancer des « tu tombes dans le panneau, mec ».

— Hé, je ne suis pas Olivia !

J'ai crispé les mâchoires à la mention de mon amie. Depuis notre dispute au sujet de Sacha, notre relation était assez tendue. Je traînais toujours autant avec la bande, mais Olivia et moi évitions de nous parler. Nos amis faisaient comme si de rien n'était, mais au fond, tout le monde savait. Je détestais être en froid avec mon amie d'enfance, mais ça me semblait légitime de lui en vouloir un peu.

J'ai suivi Lawrence jusqu'à son casier.

— C'était comment ?

— Quoi ?

— De l'embrasser ! s'est-il exclamé.

— C'était bien ?

Bien ?

— En fait, c'était génial. J'avais l'impression d'être, tu sais, une de ces étoiles qui explose ?

Il a haussé un sourcil dans ma direction.

— J'ai l'air de m'y connaître en étoiles ?

— Laisse tomber, ai-je grommelé.

— Et maintenant elle t'ignore ?

— Ouais.

— Je peux faire ma Olivia deux secondes ?

Trop orgueilleux, je n'ai pas répondu.

— Je te l'avais dit ! s'est exclamé mon ami. Cette fille est manipulatrice. Elle joue avec les gens.

— Ne dis pas ça.

— Au moins, t'es pas tombé amoureux d'elle.

Les mots m'ont manqué. Je n'avais jamais été très doué pour mentir. Aucune répartie ne m'est venue sur le moment et je suis resté là, à chercher une excuse, le visage aussi rouge qu'une tomate. J'avais l'impression d'être pris en flagrant délit, comme si être amoureux de Sacha Macleod était un crime.

Le mensonge devait se lire dans mon visage, car Lawrence m'a dévisagé.

— Tu plaisantes, j'espère ? s'est-il exclamé.

— Quoi ?

— Fais pas l'innocent, Logan. Tu sais très bien de quoi je parle.

J'ai retenu mon souffle.

— T'es amoureux de Sacha, a-t-il deviné. T'es carrément tombé dans les panneau, en fait.

— Je croyais que je t'avais déjà accordé tes deux secondes sur le sujet.

— Logan...

— Écoute, on ne choisit pas de qui on tombe amoureux !

— Ah, ça je te l'accorde.

Nous avons pénétré dans la classe de chimie. Je n'ai pas été surpris de tomber sur un local pratiquement désert. Il était encore tôt. Seuls quelques studieux s'étaient présentés à l'avance, cherchant probablement à profiter de ces vingt minutes qui leur restaient avant le début des cours pour étudier.

Lawrence s'est raclé la gorge.

— Tu veux qu'on révise ensemble ?

J'ai hoché la tête. Je ne me faisais pas d'illusion : j'allais couler cet examen. Cependant, j'avais la possibilité de l'échouer avec un peu plus de classe. Ce serait toujours mieux que rien.

On a révisé jusqu'à ce que la cloche sonne sous des airs d'Amazing Grace. J'ai observé Sacha faire son entrée dans la classe et se glisser entre quelques personnes pour obtenir une place à l'arrière. Elle m'a dépassé sans m'accorder le moindre regard comme si elle ne me connaissait pas. J'ai crispé les mâchoires et j'ai encaissé le coup. La douleur commençait à être remplacée par l'irritation. Faisait-elle exprès ? Avait-elle seulement conscience de jouer avec mes sentiments ? Avais-je imaginer ce baiser ?

S'il y avait une chose que je pouvais tirer de cette histoire c'était que l'amour faisait mal. Affreusement mal.



À la fin des cours, je me suis installé à une table dans la cafétéria. Lawrence et Alison sont venus me rejoindre quelques minutes plus tard, tous les deux soumis à une conversation mouvementée. L'asiatique m'a salué, un sourire sur les lèvres.

— J'ai manqué quelque chose ? ai-je demandé.

— Lawrence est persuadé que Mme Walsh s'est faite refaire la poitrine.

— Je te jure que ce n'est pas naturel ! T'as qu'à observer.

— Figure-toi, que je ne regarde pas ses seins, moi.

— C'est difficile de les manquer, d'accord ? a protesté Lawrence.

Alison a levé les yeux au ciel.

— Pervers.

— Et puis, comment arrive-t-elle à faire tenir tout ça à son âge ? C'est un dinosaure, cette femme.

Mon amie l'a ignoré.

— Et puis, Logan, ton examen de chimie ?

— Je m'en suis plutôt bien tiré, ai-je dit.

— Lawrence m'a raconté à propos de Sacha. Je suis désolée.

J'ai fusillé mon meilleur ami du regard.

— Tu lui as dit ?

— Quoi ? C'est Alison : je vois pas pourquoi on devrait lui cacher quoi que ce soit.

La concernée a souri comme si elle cherchait à nous prouver qu'elle était digne de confiance. J'ai plissé les yeux, incertain.

— Tu ne comptes pas le répéter à Olivia, pas vrai ?

— Je ne vois pas pourquoi je ferais ça, a-t-elle admis. Ça lui donnerait simplement une raison de plus pour râler et j'ai horreur de l'écouter se plaindre.

— Elle râle tout le temps, comment tu fais ?

— Oli n'est pas toujours comme ça, vous savez.

— Ah bon ?

Alison a secoué la tête, découragée.

À l'autre bout de la cafétéria, j'ai aperçu Pénélope et Cole. Tous les deux échangeaient des messes basses de peur qu'on les entende. Je me suis surpris à les dévisager pendant un moment. Que pouvaient-ils bien se dire ?

— Oublie Sacha.

— Facile à dire ! ai-je ricané.

— Écoute, Logan, cette fille n'est pas assez bien pour toi.

— Tu ne la connais pas !

— Tu me dois cinq dollars, Alison ! s'est exclamé Lawrence. Je t'avais prévenu qu'il allait dire ça.

Elle a soupiré, avant de tendre un billet à mon ami. Je les ai regardés, incrédule.

— Vous ne me prenez pas au sérieux ! me suis-je offusqué.

— Si, bien sûr que si, mais...

Mais ?

Mon amie a baissé les yeux.

— T'as essayé et ça n'a pas marché. Ne t'acharne pas, je t'en supplie. Tu te fais du mal pour rien.

J'ai jeté un nouveau coup d'oeil à Pénélope à l'autre bout de la pièce. Elle faisait de grands gestes et Cole l'écoutait, distrait. Le sportif n'avait pas l'air dans son assiette : la tristesse se lisait clairement dans son regard, tout comme la fatigue. Alison m'a surpris en train de les épier. Elle a soupiré.

— Logan...

— Qu'est-ce qui se passe ? l'ai-je interrogé. Pourquoi Cole est comme ça ?

Lawrence et Alison ont échangé un regard.

— On ne lui dit pas ! a protesté Lawrence.

— Il va finir par l'apprendre de toute manière. On est mieux de lui dire maintenant, avant qu'il ne l'apprenne de la bouche d'un autre.

— De quoi parlez-vous ?

— On ne voulait pas t'en parler tout de suite.

— On avait peur que ça te donne de faux espoirs, a ajouté Alison.

— Quoi ? Que se passe-t-il ?

Mon coeur battait à un rythme irrégulier. Mes amis ne semblaient pas en avoir conscience, car ils continuaient de faire durer le suspense.

— Sacha a rompu avec Cole Stevens.

J'ai pris un moment pour encaisser la nouvelle. Lorsque mon cerveau a finalement procédé à traiter l'information, mon coeur a fait un bon dans ma cage thoracique. Sacha n'était donc plus avec Cole ? J'ai senti l'espoir se glisser en moi, comme un regain d'énergie. Alison avait eu raison de ne rien me dire : j'avais de nouveau un peu d'espoir. Des milliers de scénarios me venaient brusquement à l'esprit. Une part de moi souhaitait croire que Sacha avait rompu avec Cole parce que je m'étais immiscé dans l'équation.

— Depuis quand ? ai-je interrogé mes amis.

— Quelques jours. C'est assez récent.

— Vous croyez que... ?

Alison a pincé les lèvres.

— J'en ai aucune idée, Logan.

— Si ça se trouve, c'est encore Sacha qui essaie de te manipuler, a lancé Lawrence.

— Elle n'est pas comme ça !

Mon meilleur ami a levé les yeux au ciel.

— Je dois trouver Sacha, ai-je murmuré.

— Logan...

Alison a tenté de m'en empêcher, mais trop tard, j'étais déjà sur ma lancée.



À force de côtoyer Sacha j'avais compris qu'elle avait beaucoup de secrets. Seulement, son refuge n'en faisait pas parti. Ainsi, je n'ai pas eu bien de difficulté à la trouver. Prenant mon courage à deux mains, je me suis glissé dans le Steven's Amusement Park. J'ai grimpé dans l'arbre, les mains tremblantes. Malgré ma peur des hauteurs, je suis parvenu à traverser de l'autre côté de la palissade sans la moindre égratignure. Je carburais alors à l'adrénaline. Le parc entier était plongé dans l'obscurité totale, rendant l'endroit encore plus effrayant qu'il ne l'était déjà. Néanmoins, j'ai continué mon chemin jusqu'à atteindre le carrousel. Sacha était assise sur les marches de celui-ci comme je l'avais prédis.

— Tu m'évites, pas vrai ?

Elle a sursauté.

— Logan, c'est toi.

— Qui veux-tu que ce soit ?

En m'approchant davantage, j'ai réalisé que ses yeux étaient rougis et bouffis. Sacha venait de pleurer et ça me tuait de ne pas savoir pourquoi. Elle s'était isolée ici pour une raison, non ?

— Qu'est-ce que tu viens faire là ? m'a demandé mon amie.

— Je cherche à savoir pourquoi tu me fuis.

— Je ne te fuis pas.

— Pourtant, ça en a tout l'air.

Sacha a soupiré.

— C'est compliqué.

— J'ai tout mon temps.

Je me suis assis sur les marches du carrousel, à ses côtés.

— J'ai entendu dire que tu avais rompu avec Cole.

Elle a baissé les yeux.

— Il le fallait bien.

— Est-ce que c'est parce qu'on s'est embrassé ?

— Ça n'a rien à voir.

Mon coeur s'est serré. Tout l'espoir que j'avais alors a brusquement disparu.

— Mais...

— Tu croyais vraiment que j'allais rompre avec Cole pour être avec toi ? Que j'allais te sauter dans les bras comme ça ?

— J'y ai cru, oui.

Sacha a secoué la tête. J'ai senti le besoin immédiat de me défendre.

— Tu flirtes avec moi, sans arrêt. L'autre soir, tu m'embrasses et puis, maintenant tu romps avec ton copain. J'étais supposé comprendre quoi exactement ?

— Il n'y avait rien à comprendre, Logan !

— Alors tous ces signaux que tu m'envoies, je les imagine ? Tu ne t'en rends pas compte ou bien tu fais exprès parce que ça t'amuse ? J'en ai un peu marre de tourner autour du pot.

J'ai haussé la voix, incapable de contenir l'irritation qui faisait surface en moi. Sacha s'est tendue, les mâchoires contractés. Ça m'était un peu égal : après tout, je ne souhaitais qu'obtenir des réponses à mes questions.

— Tu t'amuses avec moi, c'est ça ? ai-je demandé.

— Non, ce n'est pas ça. Je...

— Explique-moi alors !

— Qu'est-ce que ça changerait ?

Cette fois, elle avait crié.

— Tout, peut-être, ai-je répondu. Je pourrais t'aider à arranger ça.

Sacha a ricané.

— Ce n'est pas aussi simple. Ça ne l'est jamais.

— Comment veux-tu que ça le soit si tu te fermes comme une huître lorsqu'on aborde les sujets sensibles ? Tu ne me laisses même pas t'aider.

Son regard s'est perdu au loin. Je l'ai observé, attendant des réponses de sa part. Rien n'est venu. Au lieu de quoi, ses mâchoires se sont contractées et ses poings se sont serrés. Voilà, de nouveau cette manière qu'elle avait de se détacher de ses émotions lorsque les choses se compliquaient.

Elle s'est alors tournée vers moi, le visage impassible.

— Tu sais quoi, Logan, t'as raison.

Je l'ai dévisagé, bouche bée.

— De quoi tu parles ?

— T'as raison, je joue avec les gens.

— Sacha...

— Je dis la vérité, a-t-elle murmuré. Toi, particulièrement, t'as été crédule. L'espace d'un instant, t'as réussi à croire que je t'avais embrassé parce que tu m'intéressais. Comment t'as pu croire une seule seconde que toi et moi ça marcherait ?

Je suis resté muet.

— T'avais besoin d'un peu de réconfort, d'une fille excentrique qui pouvait t'apporter un peu d'amour. J'ai joué le jeu et tu m'as cru. Tu m'as cru comme le dernier des imbéciles.

— Tu ne penses pas vraiment ce que tu dis.

— Ouvre-les yeux, bon sang ! Ce n'est qu'un jeu pour moi. Je suis comme ça, moi. Je suis pas quelqu'un de bien.

— Arrête.

Elle a baissé les yeux.

— Tout ça, c'est du faux. Notre relation, mon flirte, le baiser.

— Arrête !

— Tu voulais connaître la vérité, Logan. La voilà, la vérité !

J'ai serré les poings. Sacha a fuit mon regard.

— Va-t'en, a-t-elle murmuré.

— Je te demande pardon ?

— Va-t'en ! Je veux pas de toi ici.

Une bourrasque d'émotions faisait rage en moi. J'avais envie de comprendre. Pourquoi agissait-elle comme ça ? Quelque chose clochait. À vrai dire, quelque chose clochait depuis le tout début. Sacha n'avait peut-être jamais été honnête avec moi. Ça m'a mis en colère.

— J'ai vraiment cru que toi et moi ça pourrait marcher, ai-je déclaré.

— Logan, pars.

— Au final, t'avais raison Sacha : les gens sont comme des cactus. Tu sais pourquoi ? Parce qu'au fond, on ne voit que leurs épines.

Elle n'a rien dit, son regard refusant de rencontrer le mien.

— Et toi, Sacha, t'es remplie d'épines.

Ces mots sont sortis comme un venin de ma bouche. Je me suis brusquement levé, m'éloignant d'un pas rapide du carrousel. J'ai quitté le parc d'attractions, sans un seul regard derrière moi.



Je suis rentré chez moi. Je me suis réfugié dans ma chambre. J'ai jeté l'exemplaire de Des souris et des hommes à l'autre bout de la pièce. Tant pis s'il était endommagé. Sacha s'amusait bien à briser les gens, elle. Alors pourquoi n'aurais-je pas le droit d'endommager son fichu livre ? J'ai ignoré les reproches de mes parents. J'ai ouvert mon ordinateur. J'ai effacé mon historique de navigation. Au diable, mes projets de voyage et de photographie. Tout ce que Sacha m'avait dit n'avait plus d'importance. Elle mentait, elle me manipulait depuis le début. Je devais me consacrer sur ce qui comptait vraiment. Sacha m'avait suffisamment éloigné de mon but comme ça. Il était temps de me reprendre en main. J'ai rédigé ma demande d'université. Je l'ai placé dans une enveloppe, prête à être envoyée. Demain, j'irai la poster. Je me suis assis sur mon lit. J'étais contrarié. J'étais triste. J'étais perdu. J'étais trahi.

J'ai pleuré.

C'est difficile de revenir à sa routine lorsqu'on a connu mieux. L'espace d'un instant, on parvient à goûter à quelque chose de différent, loin de ce à quoi nous sommes habitués. On est sur un nuage et puis, brusquement, la réalité nous rattrape et on doit retomber sur la terre ferme. Sacha s'était immiscée dans ma vie jusqu'à en laisser une marque. Elle a brisé ma routine, m'a donné goût à quelque chose de mieux. Inconsciemment, elle m'a fait comprendre qu'il y avait quelque chose de plus qui manquait à mon quotidien.

Maintenant qu'elle était partie, j'ignorais comment redescendre sur terre.

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