Epilogue

Mon souffle se coupa sous le coup de la peur. Instinctivement, Aaron vint se placer devant moi, afin de me cacher. Il avait l'air furieux. Sébastien s'avança, un sourire au coin des lèvres.

- Aaron ! Quel plaisir de te retrouver ! Je vois que rien ne t'arrête. Je n'aurais pas cru que tu puisses la retrouver, claironna-t-il en marchant droit vers nous.

Derrière lui, trois de ses esclaves le suivaient. Heureusement, il n'y avait pas Marcus. Je n'aurais pas supporté de le voir assister à cela. Je sentis les muscles d'Aaron se contracter.

- Navré, mais le plaisir n'est pas partagé, énonça-t-il d'une voix profonde et dangereuse.

Sébastien plissa les yeux. Il fulminait.

- Sais-tu qu'à cause de toi, ma fille était anéantie ?

Aaron baissa la tête. Il s'en voulait pour cela.

- Que comptez-vous faire, dorénavant ? tonna-t-il en attrapant ma main et en la serrant fortement.

Le père de Rosa rit si fort, qu'il pencha la tête en arrière. Il finit par la redresser, accompagné d'une moue narquoise, et la main passée dans ses cheveux gris.

- Me venger, évidemment.

Aaron fit rageusement un pas en avant, mais je le retins.

- Je ne vous laisserai pas faire ! rugit-il en le dominant de toute sa hauteur.

Le vieillard ne semblait pas le moins du monde intimidé. Au contraire, il marcha vers nous, ne m'accordant même pas un regard.

- J'ai un marché à te proposer, mon cher Aaron, offrit-il, les yeux pétillants d'une lueur perfide. Si tu te maries avec ma fille, je laisserai ton esclave s'enfuir.

Le souffle saccadé d'Aaron et mon cœur affolé, montraient clairement que nous étions contre cette proposition. Sébastien reprit avec un sourire moqueur :

- Ou bien, tu refuses. Je demanderai la peine de mort de cette chose et ton bannissement. Bien entendu, tu assisteras à son exécution. Mon âme magnanime te laissera la vie sauve, afin que tu puisses réfléchir à tous tes pêchers.

J'avais envie de m'effondrer. C'était la fin. Mes lèvres tremblèrent. Tout ce que nous avions fait était contre la loi. Nous n'avions même pas la justice de notre côté. Aaron ferma les yeux. Sa main broyait la mienne, mais je savais qu'il faisait cela pour garder son sang froid.

- C'est cela que vous voulez ? tenta-t-il de le persuader, ses yeux n'ayant jamais paru aussi bleus. Votre fille ne sera même pas heureuse. Elle saura que son mari en aime une autre. C'est cette vie que vous souhaitez pour elle ? Un mari plein de rancœur, restant avec elle par obligation ?

- Ma fille, comme tu dis ne vas pas avoir le choix. Ma famille a déjà été sous la honte à deux reprises, à cause d'elle. Tu es déjà le second fiancé qu'elle n'est pas capable de garder ! Elle fera un effort pour son image. De plus, je sais qu'elle t'apprécie.

- Vous êtes sans cœur ! éclatai-je en voulant passer devant Aaron.

Le vieux grincheux avait laissé place à un homme sournois. Ses yeux gris me transpercèrent. Un rictus mauvais tordit ses lèvres fines.

- Elle ose s'adresser à moi ! grogna-t-il en levant la main, vengeur.

Aaron réagit immédiatement. Il poussa Sébastien en arrière. Celui-ci se retrouva projeté contre le mur. Ses trois esclaves dansaient d'un pied sur l'autre, ne sachant comment agir.

- Attrapez-les, bande d'incapables ! maugréa Sébastien en se redressant sur les coudes.

Les esclaves foncèrent directement sur nous et nous encerclèrent. Ils savaient que s'ils n'obéissaient pas, Sébastien les ferait payer plus tard. On nous empoigna violemment et nous commençâmes à nous débattre. Un esclave s'occupait de moi, tandis que les deux autres essayaient de contrer Aaron. Je poussai un cri désespéré. Sa poigne était trop forte, cela me brûlait la peau. Une marque rouge n'allait pas tarder à apparaitre. Aaron continuait à lutter, envoyant son poing vers le premier venu. Le second en profita pour lui asséner un coup douloureux sur le nez. Il se mit à saigner abondamment et grogna.

Sébastien était à nouveau debout et observait la scène, visiblement ravi de nous voir en si mauvaise posture. Les esclaves qui nous bloquaient finir par nous passez le bras autour du cou, nous empêchant de respirer correctement. Je lançai un regard apeuré à Aaron qui me répondit par un petit sourire qu'il voulut réconfortant. Cependant, je voyais dans ses yeux qu'il avait peur. Mon cœur continuait d'accélérer sa course.

- Laissez-la partir... suffoqua Aaron. Tuez-moi à sa place.

- Non !

J'avais crié sans que mon cerveau n'ait eu le temps de comprendre l'information. Aaron tourna sa tête vers moi, malgré le bras qui le retenait.

- Daphnée, je ne vais pas les laisser prendre ta vie...

Sa voix s'était brisée, tout comme la mienne lorsque je lui répondis :

- Parce que tu crois que moi, je vais les laisser faire ?

Ses yeux brillèrent.

- Nous n'avons pas le choix, mon or.

Un sanglot éclata au fond de ma gorge. Je me haïssais m'être montrée si faible devant eux. Je haïssais cet homme qui me volait mon bonheur. Je haïssais ces lois romaines si injustes. Aaron tendit son bras pour me toucher, mais on l'empoigna instantanément.

- C'est pathétique... grinça Sébastien, complètement écœuré. Comment as-tu pu développer le moindre sentiment envers cet être inférieur ? Tu crois sérieusement que je serais prêt à sacrifier le sang noble qu'est le tien, pour sauver la peau d'une vulgaire esclave ?

Il rit d'étonnement, tandis qu'Aaron et moi le regardions, dégoûtés.

- Vous êtes complètement insensible... Qu'allez-vous annoncer à Rosa ? persifla Aaron en recommençant à se débattre. C'est bon ma chérie, j'ai récupéré ton fiancé en tuant la femme qu'il aimait. Tu vas pouvoir fonder une belle et grande famille de patriciens dorénavant ! ironisa-t-il.

Sébastien ne prit même pas la peine de lui répondre.

- Remontez les, qu'on en finisse, lâcha le père de Rosa d'un ton froid, en direction de ses esclaves. Il a décidé de ne pas se marier. Il préfère voir son esclave souffrir ? Parfait. Allons-y, il aura droit au spectacle tant attendu ! Je vais me régaler.

J'écarquillai les yeux et fis tout mon possible pour me détacher en gesticulant. Mon instinct de survie parlait, pendant que l'effroi pulsait dans mes veines.

- Lâchez-moi ! hurlai-je en frappant tout ce qui me tombait dessus.

Aaron faisait de même, malgré ces deux assaillants. Il menaçait quiconque oserait s'approcher de moi pour me faire du mal. Tout d'un coup, l'esclave qui me retenait m'assomma. Sans que je ne puisse réagir, ma tête tomba mollement en avant et mon champ de vision s'obscurcit. J'entendais un sifflement au creux de mes oreilles. Malgré tout, même si toutes mes forces m'avaient abandonnée, je parvenais toujours à percevoir les bruits environnants.

- Daphnée ! s'alarma Aaron.

J'écoutais vaguement les coups pleuvoir. A un moment donné, quelqu'un eut le souffle coupé et je priai pour que ce ne fut pas Aaron. Alors que j'étais toujours une masse amorphe, la voix suppliante de mon compagnon apostropha Sébastien.

- C'est bon. J'accepte... dit-il d'une voix brisée. Je me marierai avec Rosa, mais laissez-là partir. Je vous en prie.

- Voilà qui devient intéressant... s'exclama Sébastien d'une voix ravie, après un moment de silence. Marché conclu !

Je poussais un faible gémissement.

- Non...

On me redressa et je me mis à tituber, pendant qu'on m'emmenait jusqu'à l'extérieur. La lumière vive du soleil m'agressa et mes paupières se soulevèrent malgré moi. Je me mis à grelotter. Ma tête et mon dos provoquaient en moi, une douleur lancinante.

- Laissez-la ici.

On me jeta sans ménagement et mon visage mordit la poussière. Le choc me coupa le souffle. J'entendis Aaron gronder et des gens se débattre.

- Vous n'allez pas l'abandonner là, inconsciente ! s'inquiéta Aaron.

- Oh si, nous le pouvons... répondit Sébastien.

- Laissez-moi au moins lui faire mes adieux et la porter en sécurité.

Sa voix était cassée par l'émotion et suppliante. Sébastien ricana et lui répondit qu'il savait très bien que nous nous enfuirions. La plèbe se détournait en voyant la scène et continuait son chemin. Certains regardaient Aaron avec intérêt et surprise.

- Regarde-la bien, poursuivit-il. C'est la dernière fois que tu la vois.

Je réussis à me redresser, utilisant les dernières forces qu'il me restait. Je gémis, les bras flageolant. Je voulais le voir une dernière fois. Son si beau visage était torturé. Ses traits, d'habitudes si doux étaient tordus par la tristesse et la colère. Malgré tout, il me regardait avec amour. Il respirait à toute allure et semblait vouloir graver à jamais mon image dans son esprit. Je fis de même. Qu'allait devenir ma vie sans lui ?

Il ferma les yeux et commença à se débattre pour me rejoindre, seulement, il finit par se calmer. Il ne voulait pas me voir morte. Ses lèvres tremblèrent lorsqu'il me regarda pour la dernière fois. Et je le laissais partir, impuissante. Ma gorge était serrée par l'émotion. Sa vie avait déjà été assez gâchée par ma faute.

- Ne m'oublie pas... murmurai-je.

Mais il ne pouvait pas m'entendre. J'avais parlé trop bas. Il ne se retourna plus. Cependant, à ses épaules affaissées et ses muscles contractés, on comprenait qu'il se retenait pour ne pas partir à ma rencontre. Moi, je n'étais plus rien. J'étais détruite, brisée. Une loque humaine qui avait gâché, je ne sais combien de vies à cause de ses sentiments. Je n'étais plus que larmes et sang. La douleur physique n'était rien comparée aux sentiments qui me ravageaient de l'intérieur.

Les passants me regardaient de façon étrange, mais je restais assise sur le sol, je ne sais combien de temps. Aaron avait disparu, emportant avec lui le peu de raison et de joie qu'il me restait. Je me repassais la journée en boucle quand ma tête se redressa lentement. Le dialogue entre Silène et Carmen, plus tôt dans la journée, me revint en tête. Pauvre. Il était pauvre. Mon cœur repartit furieusement. Avais-je encore la possibilité de changer le cours des choses ? Essuyant hâtivement mes larmes, je sautais sur mes pieds.

Après quelques pas incertains, je partis précipitamment. J'effaçais la douleur et courus à en perdre haleine. Non, tout n'était pas perdu. Je m'accrochai à cela. Je finis par me repérer dans toutes ces allées et partis en direction de la demeure de Sébastien. Je poussais toutes personnes me ralentissant. Venir ici était plus que risqué, mais qu'avais-je à perdre dorénavant ? Une fois devant la maison, je pris une grande inspiration et entrais sans prévenir. Un esclave sursauta en me voyant, mais n'eut pas le temps de réagir. Il me héla, cependant, je le contournais et montais déjà les escaliers. On entendait des exclamations à l'étage. Je poussais le battant et me figeais. Rosa était assise sur un divan, blême. Elle fixait Aaron, des larmes dégoulinant le long de ses joues. Aaron, lui était complètement stoïque. Il avait perdu toute joie. Sébastien qui était debout, fut le premier à m'apercevoir. La haine déforma son visage.

- Toi ! rugit-il en me pointant rageusement du doigt.

Aaron et Rosa sursautèrent et portèrent, dans la foulée, leur regard dans ma direction. Quand il me reconnut, son visage fut affolé et ravi. Du sang dégoulinait le long de son nez et un hématome commençait à s'épanouir sur sa mâchoire. Instinctivement, nos jambes nous portèrent dans les bras l'un de l'autre, pendant que Sébastien exprimait clairement son refus à travers ses hurlements désapprobateurs.

Lorsque je percutai le corps ferme d'Aaron, je pris une profonde inspiration. Son doux parfum emplissait mes narines. Le sentir dans mes bras, alors que je pensais ne plus jamais le revoir était quelque chose d'inespéré.

- Tu es folle... murmura Aaron tandis qu'il me serrait de toutes ses forces. Pourquoi es-tu revenue ? Ils vont te tuer !

Je secouai la tête, recommençant à sangloter. Je finis par me détacher. Rosa avait baissé la tête, les yeux écarquillés et accompagnés d'une moue triste.

- Vous ne pouvez pas nous retenir ! clamai-je en direction du père, alors qu'Aaron m'observait, confus. Les Aquilii sont ruinés, je sais tout.

Sébastien pencha la tête, surpris que je sois au courant de cela. Puis, il éclata de rire.

- Cela ne change rien pour moi, petite sotte ! Ils sont ruinés par ma faute ! Tout l'argent qu'ils ont perdu me revient. Leur nom de famille les hausse au rang de patricien, quoi qu'il arrive.

A cause de simples mots, mes espoirs s'envolèrent à nouveau. Qu'allait-il faire de moi, maintenant que je m'étais jetée dans la gueule du loup sans réfléchir ? Aaron me regardait en fronçant les sourcils. Il ne savait pas que sa famille avait perdu toute sa fortune. Soudain, la porte s'ouvrit à nouveau dans un grand fracas. Toute la pièce sursauta. Sirius venait de débouler, fou de rage.

- Qui t-a permis d'entrer ? s'offusqua Sébastien en grinçant des dents.

Sirius n'eut pas le temps de répondre, il était déjà front contre front avec un Aaron fulminant. Tout deux étaient en train de se défier du regard. Je poussais un cri mais mon compagnon me recula, afin de me mettre en sécurité.

- Et dire que je partage le même sang que toi ! cracha Sirius à Aaron, avant de se tourner vers Sébastien. Vous devriez surveiller vos esclaves ! Un de vos affranchis est venu me trouver. Il me proposait quelques informations en échange d'un peu d'argent. Je n'ai pas pu refuser. Me voilà avec une nouvelle famille... ricana-t-il.

Aaron se contracta à ses mots. Rosa avait redressé la tête, surprise et Sébastien écarquilla ses petits yeux vicieux.

- Voilà qui est intéressant ! clama-t-il en s'avançant.

- Si tu crois que je vais rester là sans rien faire ! pesta Sirius, avec une moue dégoutée en direction d'Aaron. A cause de ta famille, je ne suis qu'un bâtard ! L'autre fils ! Le fils dont le père n'a pas voulu et qui a été obligé d'être caché ! cracha-t-il.

- Tu ne mérites pas mieux ! s'emporta Aaron avec toute la haine qu'il avait accumulé.

Sirius fut plus rapide que lui, d'un geste vif, il m'attrapa et me serra violemment contre lui. Emportée contre mon gré, je poussais un cri affolé et Aaron fonça directement sur lui. Mes mains devinrent moites.

- Arrête-toi là !

Je sentis une lame froide glisser contre ma gorge et je déglutis, les yeux écarquillés. Sirius avait parlé d'une voix menaçante et Aaron me regardait, effrayé par ce qui allait suivre.

- Si tu avances, je la tue, expliqua-t-il d'une voix calme. C'est bien ce que je pensais. Ce pauvre petit Aaron, amoureux de son esclave... Tu es tombé bien bas.

Aaron était tétanisé, les yeux emplis d'angoisse. Rosa s'était relevée et fixait la scène avec des yeux écarquillés. Elle se tordait les mains. Son père, lui, semblait captivé par la conversation. Moi, j'étais trop occupée par le métal froid qui s'enfonçait de plus en plus dans ma gorge. J'étais complètement paniquée.

- Voilà ce que nous allons faire, continua Sirius qui me serrait toujours aussi fort. Nous allons nous rendre au sénat, et tu vas payer pour ton crime. La peine qu'ils t'infligeront ne sera rien, comparée aux ressentiments que je porterai jusqu'à la fin de ma vie... Maintenant, suis-moi, vite.

Il fit un pas en arrière, m'emportant avec lui. Je n'osais pas me débattre. J'avais trop peur qu'il ne me coupe réellement la trachée. Aaron, le suivit comme un automate, ne pouvant protester. Un seul geste suffisait pour m'ôter la vie. Il avait les yeux grands ouverts et la mâchoire contractée. Une veine pulsait contre sa tempe. Lorsqu'il croisa mon regard, il sembla vouloir s'excuser milles fois de son impuissance. Sébastien laissa faire. Après tout, de cette manière, il aurait également sa vengeance. Nous avions joué. Nous avions perdu. Sirius marchait à pas rapide et descendit agilement les escaliers. En bas, je reconnus mon frère qui s'arrêta net en m'apercevant. Son visage se décomposa.

- Qu'est-ce que...

- Retenez-le, dit calmement Sébastien qui se trouvait en haut des marches.

A son tour, mon frère fut entouré d'esclaves. Il se mit à se débattre rageusement en criant mon nom.

- Adieu, Marcus, déclarai-je en souriant piteusement.

- Nooon ! hurla celui-ci en faisant tout son possible pour se détacher.

Mais c'était impossible. On le retenait trop fermement. Il assassina Aaron du regard.

- J'avais confiance en toi ! Tu devais la protéger !

Aaron déglutit et ferma les yeux. Il ne voulait pas affronter la réalité, trop dure à regarder. Nous sortîmes dehors. Tous les regards se tournèrent vers nous. Le peuple apeuré se recula, nous laissant la place pour passer. Les conversations se taisaient à notre approche et reprenaient de plus belle, derrière nous. Mon cœur battait à tout rompre. C'était fini.

Enfin, nous arrivâmes devant le Sénat : un majestueux bâtiment, pourvu de grandes colonnes blanches. Nous n'étions que quatre. Rosa ne nous avait pas accompagnés. Elle devait être trop choquée pour réagir. Je la comprenais.

Nous franchîmes les grands battants et nous dirigeâmes vers l'assemblée. Je souhaitais faire demi-tour et m'enfuir avec Aaron, mais c'était impossible. Sirius avait été contraint de me retirer la lame qui jusque-là, se trouvait sous mon cou. Je jetais un coup d'œil à Aaron. Plus que jamais, j'avais besoin de son soutien. Il se mit à mon niveau et attrapa ma main. Nous ne pouvions plus reculer. Sa paume forte me rassura instantanément et je pris une grande inspiration. Je sentais son pouls battre à toute allure, tout comme le mien.

L'assemblée finit par appeler Sirius. Aaron et moi nous avançâmes à contre cœur, alors que Sébastien nous barrait le passage vers l'extérieur. L'immense salle en forme circulaire et tout en marbre, était pourvue d'une estrade. Dessus, une centaine de sénateurs portant une tunique avec de bandes pourpres nous fixaient avec attention.

- Ce patricien, entonna Sirius d'une voix forte, s'est enfui avec cette esclave, en abandonnant sa famille et sa fiancée derrière lui. Il a renoncé au mariage et a volontairement quitté la capitale romaine. Le père de la fiancée, ici présent, et moi-même, souhaiterions que justice soit faite. A cause de son irresponsabilité, il a déshonoré deux puissantes familles romaines !

Aaron et moi avions gardé la tête baissée tout au long du discours. Nous étions tendus, dans l'attente de la sentence. Un sénateur romain, dont l'âge était plus qu'avancé, se leva et répondit.

- L'adultère n'est puni que lorsque la femme trompe le mari. A ce que vous m'avez dit, toutes les fautes reposent sur cet homme, cela ne peut être puni. De plus, la mariage n'a même pas eu lieu.

Un autre sénateur se leva. Sa barbe brune recouvrait une grande partie de son visage.

- C'est faux ! tonna-t-il. La loi «Julia maritandis ordinibus » interdit les unions entre un esclave ou un affranchi et un citoyen ! Il commet un crime qu'il faut sanctionner !

Un autre sénateur contra :

- La loi 445 « Lex Canuleia » autorise les mariages entre patriciens et plébéiens !

- En effet, mais pas avec les esclaves ! riposta le barbu. Il a abandonné la cité, c'est de la trahison !

Mon cœur battait à tout rompre lors de leur débat. J'étais parti me coller contre Aaron qui avait placé son bras autour de ma taille, dans un étau protecteur. Il affichait un air grave. Les sénateurs continuaient d'énoncer différentes lois et Sirius placardait un petit sourire ravi sur son visage. Il était certain que la loi pencherait de son côté. Au bout de longues minutes de confrontations entre les différents sénateurs, l'un d'eux demanda d'une voix puissante :

- Que répond l'accusé pour défendre sa cause ?

Aaron fut surpris qu'on l'appelle. Il finit par s'avancer d'un pas, et déclara avec assurance.

- J'avoue m'être enfui avec cette esclave. Mon seul crime est de l'aimer.

L'émotion me fit monter les larmes aux yeux. Un brouhaha enfla le long de l'assemblée. Cela me fit frissonner et Aaron revint immédiatement contre moi. Ils allaient dorénavant passer aux votes.

- Que ceux qui souhaitent que l'accusé et son esclave soit épargnés, lèvent la main.

L'angoisse me tordit le ventre. Je triturais nerveusement mon collier. Une vingtaine de mains se levèrent. Mon cœur lâcha.

- Que ceux qui souhaitent que l'accusé et son esclave subissent un châtiment, lèvent la main.

Toutes les autres mains de l'assemblée se dressèrent. La majorité était contre nous. Je fermais les yeux et posais ma tête contre le torse d'Aaron. Tout était finit. Aaron tourna doucement son visage vers le mien. Il était résigné, mais me sourit tristement.

- Daphnée, je suis désolé. J'aurais aimé que cela se passe autrement.

- C'est moi qui suis désolée... Tout est de ma faute.

- Non... Ne pense jamais cela, tu m'entends. Tout ce que nous avons fait, nous l'avons décidé ensembles.

Je hochai la tête, alors que ma gorge me brûlait. Sébastien et Sirius, eux, jubilaient.

La foule criait. Un nombre incalculable de romains étaient agglutinés devant l'estrade, afin d'assister à ma mort.

La sentence était tombée la veille. Aaron serait banni. Je serai torturée avant d'être exécutée. J'allais être fouettée quinze fois, puis décapitée. Apparemment, la décapitation était un privilège que le sénat m'avait fait, puisqu'elle était réservée aux citoyens romains. Aaron avait rugit et protesté en entendant ma peine. Il avait failli se battre avec Sirius lorsqu'il avait vu son petit sourire satisfait. On les avait séparés. Aaron avait été envoyé dans une cellule, tout comme moi. Evidemment, nos cachots avaient été à l'opposé l'un de l'autre.

La nuit que j'avais vécue avait été horrible. Comment aurait-il pu en être autrement ? Je savais que j'allais mourir le lendemain. Mes frères n'allaient plus avoir de sœur, mon meilleur ami me perdrait une troisième fois, mais cette fois-ci, pour toujours. Et Aaron... Je ne pouvais pas me le pardonner. Ma seule consolation était de savoir qu'on lui avait laissé la vie sauve. Au moins, il ne serait pas mort par ma faute. Je savais que malgré tout, il m'aimait. Chaque geste que nous avions échangé, chaque regard complice volé en étaient la preuve. J'avais eu la liberté dont j'avais tant rêvé pendant quelques mois, j'en payais désormais les conséquences. Est-ce que je regrettais ? Non, jamais.

Un garde me poussa vers l'estrade où étaient entreposés un fouet et une hache. Je ne pleurais plus. C'était mon destin. C'est étrangement calme que je gravis les marches. Je souris ironiquement. C'était ici que tout avait commencé. C'était sur cette estrade que j'avais été vendue. Je me retournai pour faire face à la foule excitée qui hurlait. Mes yeux s'ouvrir en grand et mon cœur s'accéléra, quand je vis Aaron attaché en face de moi. On le contraignait à assister à toute la scène. Une bouffée de rage grandit en moi. Comment les humains pouvaient-ils être aussi cruels ? Aaron ne me quittait pas des yeux et forçait sur ses liens pour venir me récupérer. D'immenses cernes s'étendaient sous ses belles prunelles bleues tourmentées. J'avais envie de lui dire « ne t'en fais pas, ça va aller ». Mais je ne pouvais pas. Alors je lui rendis tout son amour, dans un simple regard.

Derrière lui, une autre estrade avait été installée. Sébastien, Rosa, Sirius, Julien et Carmen étaient confortablement installés, afin d'assister à l'exécution. J'eus envie de vomir. Un siège se trouvait vide, à côté de la mère d'Aaron. Silène n'avait pas souhaité assister à ma mort. Je fermai les yeux, reconnaissante. Je sondais la foule du regard. J'espérais qu'aucun de mes proches ne s'y trouvait. Je ne voulais pas qu'ils me voient dans cet état. Mon petit Jason... Je secouais la tête. Il ne fallait pas que je pense à lui.

Le bourreau finit par m'attraper violemment par le bras et m'allonger sur une table, le ventre appuyé contre le bois froid. Je tournais la tête vers Aaron. Ce que je vis me retourna le cœur. Il pleurait. Il était impuissant. J'admirais pour la dernière fois son corps svelte musclé, sa mâchoire prononcée, recouverte de barbe, ses lèvres pulpeuses, fendues à cause des coups qu'il avait reçu, ses cheveux bruns si soyeux mais si indisciplinés. Et ses yeux. Ses beaux yeux bleus océans brillant de larmes. Il criait des paroles, mais je n'entendais rien. Il se battait avec les cordes qui l'enchainaient. Il ne voulait pas être confronté à la mort. Surtout pas la mienne.

- Je t'aime.

Je savais que ce n'était qu'un murmure et qu'il ne pouvait m'entendre. Après un dernier regard, je me détournais. Adieu, pensai-je. Je fermai les yeux. Fort. A quoi ressemblait la mort ? Reverrai-je mes parents ? Mon cœur battait à tout rompre.

Le bourreau se déplaça sur l'estrade qui grinça. Le fouet courut le long de mon dos, comme une caresse. Puis la sensation disparut et je frissonnais. La foule s'était tu. L'arme devait être en suspend au dessus de moi. Soudain, l'air siffla. Avant que je n'aie le temps de réagir, les lanières s'abattirent sur mon dos, comme une gifle. Je hurlai. L'homme prit son temps. Mes oreilles bourdonnaient. La seconde fois, tout mon dos n'était que brûlure. Ma tunique s'était déchirée, tout comme ma peau. Mon hurlement retentit à nouveau. Celui d'Aaron aussi. A chaque coup asséné, la foule poussait une exclamation. Le sang dégoulinait le long de mon dos et les larmes le long de mes joues. Je criais à en perdre la voix. Mais quelle importance ? Elle ne me serait bientôt de plus aucune utilité.

Dix coups. J'avais la chaire à vif. Il m'en restait cinq. Je pensais à Jason, Marcus, Alexandre, Eulalie, et Aaron. Je tentais de rester forte. Pour eux. La souffrance était telle, que mon corps voulait plus que tout s'évanouir. Alors c'était cela, mes dernières secondes sur terre ? La douleur pour avoir osé aimer ?

- Haaaa ! rugis-je en sanglotant.

La morsure du fouet avait été particulièrement violente cette fois-ci. Je me vidais de mon sang. Ma peau palpitait, tandis que tous mes nerfs se concentraient sur mon dos. Plus que deux. Je ne voulais pas ouvrir les yeux. Je ne voulais pas voir la réaction de la foule, et encore moins celle d'Aaron. Je l'entendais hurler à la mort, à chaque fois que j'étais atteinte. Il semblait d'avantage souffrir que moi. Lorsque je fus frappée pour la dernière fois, le soulagement m'emplis. La mort allait être une douce délivrance. Je ne pouvais plus bouger. Mes paupières papillonnèrent faiblement. Je n'avais pu me retenir de rencontrer une dernière fois son visage.

La douleur a l'état pur. La haine. La tristesse. Voilà tout ce qu'exprimait le portrait d'Aaron en ce moment-même. Les larmes coulaient le long de ses joues et trois hommes le retenaient. Il avait réussi à se détacher de ses liens, à force de tirer dessus, et avait les poignets en sang. Pourquoi ? eus-je envie de souffler. Je t'épargne les coups, ne t'inflige pas cela pour moi. Il tentait de s'approcher de l'estrade, mais c'était impossible. Trop d'hommes le bloquaient.

Le bourreau revint avec la hache. Enlève-moi cette douleur, je t'en prie... suppliai-je intérieurement. Il la souleva. Plus personne ne parlait. Plus que quelques secondes...

- Arrêtez !

Surprise, j'ouvris les yeux. Ce n'était pas Aaron qui avait parlé. C'était une voix de femme. Rosa, pour être plus précise. Je l'observais, stupéfaite. Pourquoi ralentissait-elle mon destin ? Voulait-elle que je souffre encore quelques instants pour l'avoir privé de son fiancé ? La jeune femme s'était levée. Ses yeux étaient écarquillés et elle aussi, pleurait. Le bourreau retint son geste et attendit qu'il s'exprime.

- Ne la tuez pas ! cria Rosa, la voix brisée. Je suis la fiancée d'Aaron, je refuse que l'on lui fasse cela. Elle a reçu sa peine. Bannissez-la. Elle a assez souffert.

Je respirai fortement. Mon cœur qui battait faiblement eut un sursaut d'espoir. Je m'étais complètement trompée sur cette jeune femme. Elle aimait sincèrement Aaron. Le voir souffrir ainsi était trop douloureux pour elle. Elle préférait me laisser la vie sauve plutôt que d'être vengée. Etait-ce possible que je survive ? J'entendis Sébastien et Sirius protester fortement. J'observai Aaron. Les dieux semblaient avoir entendu ses prières. Il semblait ébahi. Le bourreau, indécis, tourna la tête vers un magistrat et un sénateur. Tout deux s'observaient, sceptiques. Ils finirent par avoir une discussion houleuse pendant quelques minutes. Les minutes les plus longues de ma vie. Je regardai avec espoir l'homme que j'aimais. La douleur que je ressentais signifiait plus que tout la vie. Finalement, l'un deux annonça :

- Après réflexion, la demande de mademoiselle Rosa a été acceptée. L'esclave, n'aura plus jamais le droit de poser le pied sur un sol romain, tout comme son compagnon, lui aussi banni. Vous pouvez disposer.

La foule rugit. Certains de joie, d'autres de colères. Moi, je sanglotais de soulagement. J'étais vivante, et j'allais le rester encore un moment. Rosa nous avait sauvés. Cette femme abandonnée à deux reprises, et dont le père était un monstre, était la clé de notre bonheur. Je lui en étais infiniment reconnaissante. On relâcha Aaron, qui accourut immédiatement vers moi. Il n'y croyait pas. Le soulagement apaisait ses traits, jusque là si tendus. Il grimpa les marches et s'approcha à toute vitesse.

- Daphnée, ma Daphnée....

Il caressa mon visage en pleurant. Ses mains se déplaçaient au dessus de mon corps meurtri, sans oser me toucher. Il avait peur de me faire du mal.

- Je suis tellement désolé... sanglota-t-il. Tu es vivante, c'est incroyable...

Il finit par me soulever, en me portant sous les aisselles. Tandis qu'il me redressait, je gémis et grimaçais. La douleur était insupportable.

- Pardon !

Ses gestes étaient tendres et doux. Avant que je n'aie le temps de réagir, ses lèvres rencontrèrent les miennes brusquement. C'était un baiser de soulagement, d'espoir et de promesses. Je souris faiblement.

- Nous allons, l'avoir notre vie en Gaule... murmurai-je, la voix éraillée à force d'avoir hurlé.

Il rit piteusement, les larmes aux yeux. Il passa sa main dans mes cheveux.

- Oui. L'empire n'a pas réussi à nous séparer.Maintenant, on reste ensemble. Jusqu'à la fin. 

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Voilà ! Cette histoire est finie merci à tous de l'avoir lu, de m'avoir permis de l'améliorer ! C'est vos commentaires et vos votes qui m'ont permis de continuer le livre alors merci encore une fois ! J'aimerais vraiment avoir votre avis sur la fin et sur l'histoire en général 😊
Peut être que j'écrirais de nouvelles histoires, mais il n'y aura pas de suite pour celle-ci, alors à bientôt 😘

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