Chapitre 9

Daphnée

Je fronçai les sourcils. Cela se voyait non ?

- C'est un bracelet offert par mon meilleur ami, Alexandre, j'y tiens énormément.

- Ce n'est qu'une breloque... contra-t-il.

- La valeur financière n'a aucune importance ! Ce qui compte c'est l'attention. Vous n'allez tout de même pas me dire que vous n'avez aucun objet qui vous tient à cœur ?

- En fait, si... avoua-t-il penaud. J'ai toujours eu tout ce que je souhaitais, et personne n'a jamais été si proche de moi au point de m'offrir un... bracelet, qui d'ailleurs ne vaut trois fois rien.

Il avait dit le mot avec une sorte d'aversion, ce qui me vexa profondément.

- C'est ce que j'ai de plus précieux ! Désolée de ne pas avoir eu la chance d'être née riche, comme vous ! m'exclamai-je outrée.

Je crus déceler une pointe de regret dans ses yeux bleus qui accrochèrent mon regard. Comme la première fois que je l'avais vu, sa beauté me frappa. C'était le mot. Il avait quelque chose de viril dans son attitude et sa mâchoire carrée, recouverte d'une légère barbe ne me laissait pas indifférente. Contrairement aux autres patriciens, sa peau était légèrement bronzée, ce qui lui apportait un côté lumineux, presque solaire. Ses muscles semblaient gravés dans le marbre, tant la proportion était parfaite. Il ressemblait à Apollon. C'était cela, on pouvait le comparer à un dieu. Enfin, il y avait cette odeur enivrante qu'il dégageait. Ce mélange de pin et d'un parfum subtil qui était indéniablement masculin. Une sorte de tension monta entre nous. Il y avait de la colère, de la frustration, mais aussi du désir. Lui aussi, semblait me détailler sans scrupule. Finalement, il eut l'air de revenir à la réalité et se releva d'un bond.

- Je dois y aller, va trouver ma sœur, quand tu auras finis ton travail, explique-lui la situation.

Il me sourit, et ressortit de la laverie. Mais qu'avait-il à toujours partir à un moment crucial ? J'étais complètement déboussolée. Que m'arrivait-il ? Il fallait que je me ressaisisse, j'étais ridicule. J'avais sûrement été la seule à ressentir ces différentes émotions. Pour me changer les idées, je me mis à frotter violemment le tissu.

Finalement, je finis par me lever et sortir. Je passais par la cuisine et Stella me demanda mon aide. Je me mis à cuisiner, dans la bonne humeur, Eulalie avec nous.

- Alors, que va-t-il t'arriver ? me lança celle-ci.

- Je dois être au service de Silène jusqu'à ce qu'Aaron se trouve une épouse, ricanai-je en épluchant un légume.

- Ma pauvre ! Bonne chance, elle est presque aussi froide que sa mère !

- C'est bien cela qui m'inquiète !

- Promets-moi de ne pas finir comme Auguste ! plaisanta-t-elle.

- Oh non ! Mon eau est trop tiède, apporte de moi de l'eau glacée. Et évente-moi avec un palmier après ! me plaignis-je en imitant Carmen. J'accoure, j'accoure votre Altesse !

Eulalie éclata de rire et j'entendis Stella faire de même. Nous passâmes le reste de l'heure à travailler, de façon détendue, nous racontant de petites anecdotes. Finalement, lorsque ce fut midi, Stella s'écria :

- Allé ma brebis ! Fini la rigolade, il est temps de dresser les plats, nos maîtres ont faim ! Je sais que c'est le repas le moins important de la journée, mais ce n'est pas une raison pour trainer !

Elle nous distribua à chacune, du fromage, des fruits, des légumes, de la bouillie et du pain. Ainsi que du vin, pour agrémenter tout cela bien sûr ! Lorsque je dû franchir les portes, une angoisse me saisit. Comment allait réagir Carmen ? Et Aaron ? Je finis par me dire que cela n'avait aucune importance et arrivais la tête haute. La harpie arrêta immédiatement de parler et me regarda avec une animosité féroce. Aaron quant à lui, pris soin de m'ignorer. Je disposais consciencieusement les plats et pris soins de ne faire aucun faux pas.

Au bout d'un certain temps, nous revînmes pour récupérer les aliments et Aaron me fit un discret sourire, comme pour m'encourager après que sa mère m'eut dit.

- Evite de vider la carafe sur la toge de quelqu'un ! minauda Carmen.

J'avais méticuleusement évité la remarque et avais fait demi-tour en direction de la cuisine, l'air de rien. Après cela, nous pûmes manger ce qui restait. Auguste et Julius s'étaient rajoutés à nous pour le repas. Nous bavardions, dans un joyeux brouhaha, sauf Auguste bien entendu, qui était à l'écart en train de rechigner. Cela me fit un bien fou de discuter innocemment, comme avant. Mais très vite, Julius nous salua gentiment et nous informa qu'il devait retourner jardiner. Auguste en profita pour s'éclipser sans un mot. Nous débarrassâmes toutes les trois la table et je compris qu'il était temps que je rende visite à Silène, la sœur d'Aaron. Eulalie partit avec Julien, le père d'Aaron qui l'avait appelé pour qu'elle l'aide, et bien sûr Stella resta dans la cuisine, toujours fidèle au poste.

Je traversais le couloir et m'arrêtais devant la deuxième porte. La chambre de Silène. Après avoir pris une grande inspiration, je toquai. J'entendis un « entrez » assourdi par la cloison et pénétrai dans la pièce. C'était vraiment très beau. Clinquant, mais beau. Silène avait la même vue que ses parents, mais la pièce était complètement différente. Tout était blanc et brillant. C'était épuré mais luxueux. Un voile transparent, accroché au lit à baldaquin sur la droite, flottait au gré du vent. La psyché, les meubles en bois grouillants de bijoux, de vêtements et d'accessoires laissaient percevoir son attrait pour le soin des apparences. Silène était étendue sur son lit, en train de lire un livre.

- Que veux-tu ? Je ne t'ai pas fait appeler.

- Votre frère n'a pas dû vous expliquer la situation. Je suis votre esclave attitrée dorénavant. L'informai-je, toujours sur le pat de la porte.

Elle leva un sourcil, sceptique et referma son livre après s'être redressée.

- Et pourquoi aurais-je soudainement le droit à une esclave personnelle ?

Je n'allais quand même pas lui dire que c'était ma punition. Cela ne serait pas très agréable à entendre. Je décidais donc d'énoncer l'aspect pratique.

- C'est afin de m'entrainer, lorsque je serai l'esclave de la futu...

- C'est bon j'ai compris ! me coupa-t-elle en se rallongeant. Cela me semblait étrange aussi, que quelqu'un pense à mon petit confort dans cette famille.

Je ne sus quoi répondre à cela. J'étais toujours là, à attendre qu'on me dise quoi faire. Elle soupira.

- Bon, si tu es là, autant que tu serves à quelque chose... Va me chercher ma lime à ongles !

- Où est-elle ?

Elle fit un geste vague en direction d'une table et se replongea dans sa lecture. D'accord, merci pour ton aide, ma vieille. Je m'approchai de l'endroit désigné, et mis quelques secondes avant de reconnaître la lime. Je la pris et m'avançais vers Silène. Même si elle était indifférente, elle me sembla beaucoup moins horrible que sa mère. C'était déjà cela. Elle reprit, mine de rien.

- Alors comme ça, tu essayes d'étouffer ma mère ?

Nom de Jupiter ! Allais-je entendre parler de cette histoire toute ma vie ?

- Ce n'était pas mon intention.

- Tais-toi. Je déteste les personnes qui mentent.

Je me retins de lui raconter la véritable version des faits, de façon cinglante. De toute manière, elle ne me croirait pas. A la place, je me mis à polir ses jolis ongles bien roses.

- Quand tu auras fini, tu me brosseras les cheveux et tu me les tresseras.

J'en déduis que le « s'il-te plaît » ne faisait pas parti de son vocabulaire. Comme elle me l'avait si gentiment « demandé », je m'appliquai à faire une natte à ses longs cheveux noirs et soyeux. Quand je passai la main dans ses mèches, j'enviais sa chevelure si douce, comparée à la mienne qui était rêche comme de la paille.

- Maintenant, lis moi mon livre. J'en ai marre de me fatiguer les yeux.

Je m'exécutai, non sans exaspération. La fin de l'après-midi se déroula de la même façon. Une succession d'ordres que je devais réaliser immédiatement. Même si le travail n'était pas physiquement dur, je fus exténuée au bout de quelques heures.

- Tu peux y aller maintenant, j'ai envie d'être seule.

- Bien mademoiselle.

Je sortis rapidement de sa chambre, avant qu'elle ne me demande autre chose. J'espérais avoir du temps pour moi, avant le prochain repas car il n'était que dix-sept heures. Lorsque je passai devant la cuisine, Eulalie m'attrapa et m'expliqua qu'elle avait besoin d'aide pour la préparation du repas. Encore ? J'avais l'impression de passer ma vie en cuisine ! Je n'osais même pas imaginer le quotidien de Stella ! Je passai une demi-heure de plus à cuisiner. Le repas du soir était le plus consistant de la journée. Il fallait donc en préparer d'avantage. Eulalie m'expliqua que pour ce repas, il ne faudrait non pas rentrer en cuisine, mais rester aux aguets derrière les convives s'ils manquaient de la moindre chose.

- Ce soir, la famille reçoit un couple avec leurs deux enfants.

Génial. Moi qui pensais pouvoir me reposer, c'était raté ! Ces grands repas duraient trois heures ! Et ce n'était pas une hyperbole... Je sortis de la cuisine, chargée d'escargots et d'huitres. La pièce à vivre était donc plus remplie que d'habitude. Tout le monde était allongé sur une banquette remplie de coussins multicolores. En m'approchant, je remarquai qu'Aaron tentait de discuter avec une jeune femme pulpeuse. Celle-ci semblait s'ennuyer à en mourir. Je posais les mets sur la table, et Aaron parut se laisser distraire par mes gestes. Il s'était rasé et lavé. Comme Eulalie me l'avait indiqué, je me plaçai en retrait, près d'une colonne et attendais. De temps en temps, je m'approchais pour resservir un invité. Le reste du temps, je me retenais de bailler. Je voyais parfois du coin de l'œil, Aaron me lancer un regard, avant de se détourner, lorsqu'il comprenait que je le fixais aussi.

Vint ensuite le service principal, je rapportais volailles rôties, sauces, ragoûts et bouillis. Cette fois-ci, je m'amusais à regarder les convives lorsque je repris mon poste au fond de la salle. Carmen discutait avec une femme, sûrement la mère de la jeune femme. On aurait dit qu'elles passaient leur temps à se faire des compliments hypocrites. Silène mangeait sans prendre part à la moindre conversation et on lisait sur son visage son envie d'être ailleurs. Julien discutait avec le père et le frère de la jeune femme. Ils avaient une conversation animée sur une tactique de conquête. Enfin, Aaron avait fini par abandonner l'idée de converser avec sa compagne qui était désormais occuper à regarder à l'horizon, sans aucune joie de vivre. Je me demandais ce qu'il lui fallait de plus à cette fille ! Elle discutait avec l'un des meilleurs partis de l'Empire, en plus de cela, il était avenant et sexy. Comment pouvait-elle se permettre de faire la difficile ? Aaron s'était donc rajouté dans la conversation de son père. Lorsqu'il émettait une opinion, les hommes semblaient écouter son avis attentivement. Il devait faire preuve de grande justesse dans ses propos.

Enfin, le second service arriva. J'apportai les fruits, les gâteaux et autres friandises. Lorsque je posais le plat, Aaron s'arrêta de parler et me remercia. J'en fus agréablement surprise, et lui sorti mon plus beau sourire. Je jetais parfois un coup d'œil à Eulalie, qui elle aussi, était là, prête à intervenir. Nous nous souriions, essayant de nous motiver. Après cela, les invités n'étaient plus tout à fait sobres, avec tout l'alcool ingurgité. Les conversations se firent plus bruyantes, et les rires plus prononcés. Même Silène et la jeune fille se mirent à glousser bêtement. Une fois que tout fus fini, les invités repartirent, après de nombreuses accolades. Je débarrassais rapidement, aidée d'Eulalie.

Nous pûmes enfin manger en cuisine. Pour tout dire, je n'avais pas très faim. Cependant, je me forçais malgré tout à avaler quelques restes avant de dire au revoir à ma coéquipière. J'étais éreintée. Une fois dans ma chambre, je m'allongeais sur mon lit. Qu'est-ce que c'était agréable ! Ca y est ! J'avais eu un aperçu de ma nouvelle vie. Une journée sur des centaines d'autres qui m'attendaient. Je fermai les yeux, et une succession d'images floues envahirent mon esprit. Finalement, je m'endormis, des yeux bleus perçants me fixant.

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