Chapitre 6
Daphnée
Mais qu'est ce qu'il me prenait ? Je tremblai comme une feuille depuis qu'Aaron était tranquillement venu discuter avec moi. Et d'ailleurs pourquoi ? Voilà qu'il se mettait à faire la causette avec ses esclaves ! Allons nous balader ensemble bras dessus bras dessous pendant que nous y sommes ! Je me ressaisis et entrai dans la cuisine où Eulalie et Stella se trouvaient. Elles avaient l'air de m'attendre, car dès qu'elles me virent, les deux se levèrent de leur chaise et me demandèrent d'une même voix :
- Alors ?
- Alors quoi ?
- Que voulait donc le maître ? s'exclama Eulalie.
- C'est vrai que nous n'avons pas l'habitude de le voir dans les cuisines et encore moins de lui adresser la parole... rajouta Stella.
- Eh bien... Il voulait que je me dépêche pour aller aider sa mère. Dis-je tout en haussant les épaules.
Je ne sais pour quoi je ne leur dit pas la vérité. Peut-être car je ne la comprenais pas moi-même. Elles eurent l'air déçues mais n'insistèrent pas. Je finis par les informer que je devais aller nettoyer la tunique de Carmen, la mère d'Aaron, et sortis.
Elle était toujours là, étendue sur son divan avec sa fille et son mari. Cependant, Aaron n'était toujours pas revenu. Un instant, je m'interrogeais sur l'endroit où il se trouvait. Je secouai la tête, chassant cette question de mon esprit et m'approchai. Carmen releva la tête et s'emporta en m'apercevant :
- Ce n'est pas trop tôt ! Même un tétraplégique irait plus vite que toi !
- Pardonnez moi, je cherchai un baume précis afin que la tâche ne persiste pas. J'aurais besoin de votre tunique, si cela ne vous dérange pas.
J'essayais de garder un ton poli, même si son attitude m'horripilait. Elle n'avait qu'à se lever si je n'étais pas assez rapide pour elle !
- En voilà une bien bonne ! Crois tu que c'est moi qui doit m'adapter à toi esclave ? ricana-t-elle, cherchant l'approbation de son mari. Tu auras ma tenue quand j'aurais fini de manger.
Je contractai la mâchoire et me forçai à répondre avec courtoisie.
- Bien sûr, madame.
Elle ignora complètement ma remarque et cria.
- Auguste, ici !
Je n'avais pas remarqué, mais un adolescent sorti de derrière un pilier. Il se tenait les mains serrées, la tête haute avec un air indubitablement hautain. Ses cheveux blonds cendrés, ses yeux marrons ainsi que sa petite taille me faisait fortement penser à un petit toutou. Il n'avait pas l'air d'avoir plus de seize ans. Lorsqu'il fut à notre hauteur, il inclina exagérément la tête.
- Madame, vous m'avez demandé.
Elle eut une petite mimique satisfaite. Elle devait adorer qu'on soit à son entière disposition.
- Emmène la dans ma chambre, je ne supporterai pas de voir sa tête ahurie jusqu'à la fin de mon repas, souffla-t-elle.
Il se courba à nouveau, m'attrapa brusquement le bras et nous partîmes dans la direction opposée aux cuisines. Lorsque plus personne ne put nous, voir, je retirai vivement mon bras et le fusillai littéralement du regard.
- Ne t'avise plus jamais de me toucher !
Il ricana.
- Si tu crois que tu m'intimides ! Ici, j'ai tout les droits et les privilèges, car Carmen me fait confiance.
Nous continuions de marcher d'un pas vif.
- Si tu crois que je vais me retenir de dire ce que je pense face à un gamin boutonneux de quinze ans tu te trompes lourdement !
- J'ai dix-huit ans ! s'offusqua-t-il.
- Tiens ! Ta tête parait aussi mature que ton esprit ! Je n'aurais pas du m'en étonner.
- Tais-toi. Bougonna Auguste.
Aucune réparti. Ridicule. Nous allions franchir une porte lorsqu'Aaron surgit face à nous. Auguste allait continuer son chemin, mais Aaron l'arrêta. Et moi, j'étais là, toujours avec mon pot de crème à la main.
- Où allez-vous comme ça, tout les deux ?
- Notre très chère maîtresse Carmen, m'a prié de l'amener dans sa chambre. déclara l'esclave à côté de moi, avec son ton si insupportable.
- Laisse la moi.
- Mais... j'ai reçu des ordres...
- Tu oserais donc me désobéir ? le menaça Aaron en plissant les yeux.
Mais que faisait-il ? Cela ne me dérangeais pas d'attendre dans la chambre.
- Non, balbutia Auguste, je vais de ce pas la prévenir.
- Va... ricana notre maître, il en est de ton devoir en temps que bon toutou.
Je ne pus m'empêcher de rire. Il avait pensé à la même chose que moi. Quand il m'entendit, Aaron tourna sa tête vers moi et sourit légèrement. Humilié, Auguste fit demi-tour sans un mot. Nous n'étions plus que deux, planté là à ne rien dire. Il finit par se racler la gorge et me questionna :
- Comment trouves-tu la maison ?
- Eh bien, pour être franche, je n'ai pas encore eu le temps de la visiter. J'ai juste vu la cuisine, ma chambre, la pièce à vivre et ce couloir. Oh, et là où vous ranger vos provisions. Expliquai-je en rougissant.
- Mais qu'est-ce que tu attends ? répliqua-t-il en fronçant les sourcils.
- Je ne sais pas, je suppose qu'Eulalie voulait me montrer les lieux après le repas.
Mon ventre en profita pour gargouiller brillamment. Je rougis d'avantage. Depuis combien de temps n'avais-je pas pris un vrai repas ? J'espérais qu'il ne m'avait pas entendu. Mes souhaits tombèrent à l'eau lorsqu'il laissa échapper un rire insouciant.
- Cela n'a pas l'air d'être ta préoccupation première, en tout cas. me taquina-t-il.
- Oui, effectivement, murmurai-je gênée, en passant une main dans mes cheveux blonds.
Il fronça tout à coup les sourcils comme-ci il venait de réaliser quelque chose d'important.
- Depuis combien de temps n'as-tu pas mangé ?
Bonne question. Je comptai mentalement le nombre de repas manqué.
- Il me semble que j'ai mangé un crouton de pain la veille au soir de la vente. finis-je par avouer.
- Quoi ? s'indigna-t-il. Mais tu dois être morte de faim ! Pourquoi n'as-tu pas mangé hier soir ? Tu risques de t'évanouir. Enfin, se reprit-il, ton travail ne va pas être très productif.
- Disons que le voyage m'avait fatigué. J'avais juste envie de dormir...me justifiais-je en haussant les épaules.
Il sembla soudain si compréhensif et compatissant.
- Va manger, reprit Aaron.
- Comment ? Non, je ne peux pas. Je dois attendre Carmen. Je veux dire, votre mère, enfin ma maîtresse, bref.
Je m'énervais toute seule à balbutier comme-ci j'avais trois ans.
- Ta santé est plus importante qu'une vulgaire tâche.
- Oui mais ce n'est pas n'importe quelle tâche. C'est la divine tâche de madame ma maîtresse, ironisai-je.
Voilà que je me mettais à faire de l'humour avec lui. De mieux en mieux. Ma remarque allait peut-être l'offusquer. Je regrettais aussitôt mes paroles. Au lieu de cela, il ricana également.
- Oui et bien la divine tâche de madame ma mère va attendre que l'estomac de mon esclave soit rempli.
Tout à coup, je n'eus plus envie de plaisanter. Un instant, j'avais oublié ma condition, mais il avait suffit d'une seule phrase pour que la réalité me retombe brutalement dessus. Il vit que j'avais repris mon sérieux et sembla troublé. Aaron reprit finalement la parole.
- Tout cela pour dire qu'il serait temps de te nourrir, tu vas finir comme un sac d'os si cela continue.
A peine eut-il terminé sa phrase qu'il avait déjà fait volte face et se dirigeait vers une pièce un peu plus loin dans le couloir. Etait-ce sa chambre ? Aucune importance. Finalement, je partis comme il me l'avait ordonné, en direction de la cuisine. Lorsque je repassais devant la tablée, ils me lancèrent tous un regard. Je vis que la table avait été débarrassée. Il ne restait plus qu'une corbeille de fruits. Julien, le père, semblait dans l'incompréhension, Silène fronçait les sourcils et Carmen et Auguste voulaient me tuer du regard. Ce dernier avait dû leur expliquer la situation car personne ne fit de remarque. Quant à moi, je baissai la tête et traçai tout droit. J'atteins rapidement ma destination et fus ravie une fois à l'abri des regards. La pièce était déserte. Où étaient-ils tous passés ? N'était-ce pas le moment du repas pour nous, maintenant que nos maîtres avaient mangé ?
Je haussai les épaules et m'assis en face de la table. Tant pis, j'avais faim et je comptai bien me rassasier. Je pris une tranche de pain et l'engloutissais. Que cela faisait du bien ! Je me permis de prendre une galette de céréales recouverte de miel. Le goût était tellement bon, après des mois de privation, que je ne pus contenir un léger gémissement. Je savourais un maximum, comme-ci c'était mon dernier repas. Je ne savais plus ce que manger à sa faim voulait dire. Une fois que j'eus fini ma pomme et un œuf, je fus rassasiée et me levai. Je ressortis de la cuisine et partis en direction de la chambre de Carmen, mon pot toujours dans la main. Lorsque je toquai, j'entendis un entrer.
Elle était assise face à un miroir, l'air de m'attendre.
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