Chapitre 45

Aaron

Je ne pouvais empêcher mon corps de trembler. J’étais pris de spasmes de fureur. Je ne comprenais pas comment mon père avait pu nous faire cela. Sirius avait un an de plus que moi, je n’étais même pas né à ce moment là. Je contractai rageusement la mâchoire. Je n’étais même pas son premier enfant. Il avait osé tromper ma mère, et voilà que mon demi-frère  se trouvait être la personne avec qui je m’entendais le moins. La personne qui avait tenté d’abuser de Daphnée. J’eus envie de vomir. D’ailleurs, je me demandais où elle était partie. Voilà cinq minutes qu’elle avait fuit en courant. Je m’en voulais légèrement de lui avoir fait peur, mais la colère continuait à bouillonner en moi. Elle avait dû repartir à la forge, attendant que je me calme. Elle ne s’était pas rendu compte qu’en voulant me calmer, elle avait d’avantage attisé ma colère. Elle ne pouvait pas comprendre ce que je ressentais.

Pour la première fois de ma vie, j’eus envie de frapper mon père. Je souhaitais plus que tout rentrer dans la villa et le faire culpabiliser, pour le mal qu’il avait commis inconsciemment. Je ricanai. S’il me voyait, ce ne serait en rien des retrouvailles joyeuses, comme avec Daphnée et ses frères. De toute façon, à l’heure qu’il était, il devait déjà m’en vouloir depuis plusieurs mois. J’étais le fils qui avait tout abandonné pour une esclave. J’étais le fils indigne, comme disait ma mère.

Je m’assis contre un arbre et soupirai. Cela ne s’était pas du tout passé comme prévu. Moi qui voulais simplement observer ma famille de loin, voilà que je me retrouvais à fulminer. Seul. Je me mis à taper nerveusement du pied. Est-ce que Sirius était au courant ? J’avais envie de me lever et de lui lancer la vérité au visage, afin qu’il souffre, comme moi, je souffrais. Seulement, je ne pouvais pas. Si je partais à sa rencontre, la nouvelle que j’étais à Rome se répandrait comme une trainée de poudre. Je ne pouvais pas faire cela à Daphnée.

Je fermais les yeux et inspirai profondément l’air frai de novembre. Je frissonnai. Soudain, j’entendis des pas incertains et relevai brusquement la tête. Ma sœur était en train de tituber, en direction de la terrasse. Elle paraissait anéantie. Je fronçai les sourcils. Même si je n’avais jamais entretenu de relation fusionnelle avec elle, elle restait malgré tout de mon sang, aussi, je m’inquiétais. Pourquoi était-elle dans cet état ? Avait-elle entendu la nouvelle, elle aussi ?

Elle se pencha brusquement et vomit. J’eus un élan vers elle, pour venir l’aider, mais je me retins. Il ne fallait pas qu’elle me remarque. Je ne savais pas comment elle réagirait. Peut-être avait-elle, elle aussi, entendu la conversation entre mes parents… Après tout, ils n’avaient pas été très discrets. Seulement, sa réaction me paraissait étrange. Même si elle venait de découvrir que notre père trompait notre mère, cela semblait disproportionné. Elle n’avait jamais été proche d’aucun des deux. De plus, apprendre que Sirius était son demi-frère aurait dû la réjouir. Après tout, je n’avais jamais pu comprendre pour quelle raison elle semblait l’apprécier depuis des années.

Ma sœur continuait de régurgiter son repas, pliée en deux. Les larmes s’étaient mises à dévaler le long de ses joues. J’eus pitié d’elle. Si je m’approchais, irait-elle me dénoncer ? Peut-être était-elle en colère contre moi... Je lui avais comme volé son esclave. Je savais qu’elle tenait à Daphnée, plus qu’elle n’aurait souhaité l’admettre. Elle finit par se rouler en boule et à sangloter. Je l’entendis murmurer un faible « pourquoi ? ». Ma colère avait complètement disparu, depuis que je l’avais vu arriver. C’était la seule personne à être dans la même situation que moi. La seule à pouvoir me comprendre. 

Et puis je me dis, pourquoi pas ? Après tout, si elle réagissait mal en me reconnaissant, il me suffisait de repartir en courant, de retrouver Daphnée et nous nous enfuirions de Rome. Même si elle prévenait ma famille, ils ne pouvaient prévenir personne, à cause de leur accord avec Sébastien. Pour une fois, ce vieil homme me permettait d’avoir les avantages de mon côté.

Je fis un pas en avant et l’apostrophai, sans élever la voix.

-          Silène !

Elle redressa la tête, surprise d’avoir entendu son nom. J’étais toujours caché derrière un arbre, aussi elle ne me remarqua pas. Je fis un pas en avant et sortis du couvert des arbres. Les yeux de ma sœur s’écarquillèrent instantanément. Ils étaient rouges et gonflés, à force d’avoir pleuré. Ses joues étaient inondées de larmes et ses cheveux couleur corbeaux, collaient à sa peau. Même si elle était toujours assise, elle eut un mouvement de recul. La confusion se peignait sur son visage.

-          Ce n’est pas possible… murmura-t-elle en secouant la tête, tu es parti.

Je fis à nouveau un pas en avant et elle ferma les yeux, ses lèvres tremblaient.

-          Tu n’es pas revenu au bon moment. On ne peut pas dire que les nouvelles soient excellentes, ici.

-          J’ai entendu.

Elle releva la tête, étonnée, mais ne dit rien. Lorsque je fus à sa hauteur, je lui attrapai la main. Cela était étrange, je n’avais presque jamais eu de contact avec ma sœur, depuis maintenant des années. Elle du penser la même chose, car je sentis ses muscles se contracter. Pas d’effusion, pas d’embrassade. Notre relation fraternelle n’avait rien en commun avec celle qu’entretenait Daphnée et ses frères. Un instant, je le regrettai, mais je chassais cette idée de ma tête.

-          Allons nous mettre à l’abri, je ne veux pas qu’on me voie.

Elle acquiesça et nous retournâmes là où je me trouvais quelques minutes plus tôt. Il y avait un silence gêné entre nous. Cependant, j’étais soulagé qu’elle ne soit pas partie clamer haut et fort que j’étais de retour. Nous nous assîmes, le dos appuyé contre le tronc. Finalement, elle demanda :

-          Où est Daphnée ?

Je soupirai. Je n’en avais aucune idée. Elle devait être avec son meilleur ami, au moment où nous parlions.

-          Elle est dans Rome. Elle va bien.

Elle baissa la tête.

-          Pourquoi ne t’a-t-elle pas accompagné ? Elle ne voulait pas me voir ?

Sa voix avait faibli en posant la question. Derrière son tempérament brusque, ma sœur manquait de confiance en elle. Je gigotai nerveusement.

-          Disons qu’elle est partie quand elle a compris à quel point je m’étais emporté, en apprenant que Sirius était notre demi-frère, énonçai-je d’une voix calme.

A son nom, son corps se tendit fortement et ses yeux se voilèrent à nouveau de larme. Je posai une main réconfortante sur son épaule.

-          Hé, ce n’est pas grave, faisons comme-ci nous ne savions rien.

Je n’aurais jamais pu imaginer dire cela, seulement quelques minutes plus tôt. Silène secoua la tête.

-          Tu ne comprends pas.

Sa voix était faible, comme une plainte. On aurait un petit animal pris au piège et blessé. Je ne l’avais jamais vu aussi démunie, seulement, je savais qu’elle ne m’en dirait pas plus. Elle avait toujours été très secrète. Personne ne parla pendant quelques minutes.

-          Comment était-ce, à la maison, ces derniers mois ? demandais-je, le regard perdu au loin.

-          Tendu. Père ne veut toujours pas croire que tu aies fait cela. Il est dans le déni le plus total. Mère est devenue encore plus… irritable. Il y a une tension permanente, c’est insupportable.

Elle soupira et reprit.

-          Comme ton mariage ne peut avoir lieu, ils se sont mis en tête qu’il fallait me trouver un mari, à moi aussi. Je sais que je ne finirais pas avec un homme que j’aime… Ils ne me laisseront pas le choix… finit-elle, d’une voix amère.

-          Je suis désolé pour toi. Je sais ce que c’est. Tomber amoureux d’une esclave n’était pas un de mes choix les plus judicieux. Mais je ne regrette pas. Loin de là.

Elle baissa les yeux et se mit à triturer nerveusement ses doigts.

-          Où étiez-vous tout ce temps ? demanda-t-elle en fixant ses yeux bleus dans les miens.

-          Nous avons vu la mer, déclarai-je d’une voix rêveuse. Notre vie là-bas me manque déjà.

-          Vous allez repartir, je suppose.

-          Ailleurs, plus loin, avouai-je avec un sourire. Tu ne diras rien n’est-ce pas ?

Elle sembla blessée par ma question. Ses yeux me lancèrent des éclairs.

-          Je sais que nous n’avons jamais été proches, tous les deux, mais je tiens à toi. A vous deux. Je ne ferais rien qui pourrait vous nuire, dit-elle d’une voix sèche.

Je méditais sa réponse.

-          Merci.

Elle ne répondit pas. Il fallait qu’elle sache, qu’elle en ait conscience, avant que nous repartions.

-          Tu sais, Daphnée t’apprécie beaucoup, elle aussi.

Son regard s’adoucit. Le fait de lui avouer cela l'avait rempli de gratitude.

-          Va la rejoindre. Vous n’avez pas de temps à perdre. Vivez votre vie.

Je hochai la tête, un sourire au coin des lèvres. Nous nous relevâmes et nous toisâmes un instant, ne sachant pas comment réagir. Elle finit par sourire et me fit un signe de tête que je lui rendis. Puis, chacun fit demi-tour.

L’agitation commençait dans la capitale, à cette heure-ci, beaucoup de marchands commençaient à sortir et préparer leur vente. Ces rues pavées et ces grands bâtiments m’avaient manqué. Tout au long du trajet, je fis bien attention de ne pas être repéré. Je restais discret et me détournais. Il fallait que je retourne à la forge pour retrouver Daphnée. J’avais envie de m’excuser auprès d’elle. Mon comportement avait été injuste envers-elle. Pour ne pas que le forgeron se pose de question, une fois devant la boutique, je rentrai par la porte de derrière, qui menait directement là où Alexandre travaillait. J’entendis rapidement des bruits de métaux s’entrechoquant. Je vérifiais que personne ne m’observait dans la rue, et entrai.

Au grincement de la porte, Alexandre releva la tête et suspendit son geste. Il ne devait pas s’attendre à être interrompu. Lorsqu’il me reconnut, ses sourcils se froncèrent.

-          Aaron ? Que fais-tu là ? m’interrogea-t-il, surpris, en reposant son marteau.

Ce fut à mon tour de froncer les sourcils.

-          Eh bien, je suis venu chercher Daphnée… expliquai-je comme-ci cela était évident.

Son expression montrait clairement l’incompréhension et mon cœur se mit à battre plus fort, en supposant ce que cela signifiait.

-          Je ne l’ai pas revue, depuis mon départ avec Jason… assura-t-il, commençant à être inquiet à son tour.

Je blêmis et m’assis sur la première chaise que je trouvais. Mon cœur battait maintenant à tout rompre.

-          Nom de Jupiter ! m’emportai-je en posant mes mains sur mon front et mes coudes sur mes cuisses.

Je m’imaginais instantanément le pire. Daphnée perdue. Daphnée blessée. Daphnée agressée. Daphnée torturée. Tout cela était de ma faute. C’était moi qui l’avais laissée partir, sans la retenir. Je me mis à trembler. D’un bond, je fus sur mes pieds. Il fallait que je la retrouve, avant que cela n’empire. Alexandre, lui aussi s’agitait, inquiet.

-          Tu l’as perdue ? rugit-il en s’approchant dangereusement de moi.

Je contractai la mâchoire. Je ne trouvais rien à répondre. C’était la vérité. J’étais le seul à blâmer. Ses yeux se rétrécirent, à cause de la colère et il leva rapidement son poing. Je l’interceptai à quelques centimètres de mon visage.

-          Je ne ferais pas cela, si j’étais toi… le mis-je en garde, le regard froid. Si tu commences à me frapper, nos chances de la retrouver seront de plus en plus faibles. Nous perdons notre temps en ce moment-même.

Il abaissa son poing, toujours fulminant. Il savait que j’avais raison.

-          Alors quelle est ta solution ? rumina-t-il.

Je réfléchis un instant avant de répondre :

-          Séparons-nous. Tu fais le nord et l’est de Rome, je fais le sud et l’ouest. Dans deux heures, retrouvons nous ici. Si aucun de nous deux ne l’a retrouvée, nous penserons à autre chose à ce moment là. Nous n’avons pas une minute à gaspiller.

Il acquiesça et nous sortîmes rapidement. Mon cœur battait à tout rompre. Je savais que je prenais des risques énormes en m’affichant ainsi, mais la sécurité de Daphnée était plus importante. Une peur enflait de plus en plus en moi. Imaginer simplement que je ne la reverrai jamais me détruit. Je secouais la tête et poursuivis en trottinant. Il fallait à la fois que j’aille vite, mais que je regarde partout. Alexandre était parti dans la direction opposée.

Heureusement que nous étions au mois de novembre, cela me permettait d’avantage de supporter les bouffées de chaleur que j’avais. Plus j’avançais, plus mon corps se contractait. A chaque nouveau pas sans la voir, j’avais un peu moins de chance de la retrouver. Ma gorge se serra. Si seulement je l’avais retenue, rien de tout cela ne serait arrivé. Nous n’avions aucun point de rendez-vous. Heureusement pour moi, on ne fit pas réellement attention à ma présence. Les ruelles étaient tellement pleines, que les regards ne se portaient pas instinctivement sur moi.

Et si nos recherches restaient infructueuses ? Et s’il était déjà trop tard ? Je grognai et accélérai. Je continuerai à la chercher, jusqu’à la trouver. Des que je voyais une tête blonde au loin, mon cœur gonflait d’espoir, mais était très vite déçu. Ce n’était jamais elle. J’avais envie de frapper chaque personne se mettant sur mon chemin. Je passai chaque recoin au peigne fin, cherchant quelque chose qu’elle aurait pu laisser tomber. Rien. J’espérais plus que tout qu’Alexandre ait eu plus de chance que moi et qu’il l’ait retrouvée. Il me restait encore une heure à chercher. La moitié du temps était écoulé et rien ne laissait présager son retour.

J’étais impuissant. Cela me mettait hors de moi. Je me mis même à chercher son ombre à travers les ouvertures des maisons. Les bruits environnants se confondaient les uns les autres, tant mes pensées étaient brouillées. Si quelqu’un lui faisait du mal…. Je contractai la mâchoire. Je souhaitais tellement être à sa place et la mettre en sécurité. L’heure qui suivit fut la même que la précédente. Des larmes de rage et de désespoir m’étaient montées aux yeux. J’avais échoué. Je n’avais pas réussi à retrouver celle que j’aimais. Elle était peut-être quelque part en train de m’appeler, et je ne l’entendais même pas… Peut-être était-elle-même en dehors de Rome… J’étais haletant, à la fois à cause de ma course, mais aussi à cause de la colère et du désespoir.

Le retour jusqu’à la forge fut lent. Je regardais partout autour de moi. J’entendis même un homme crier mon nom, mais cela n’avait plus aucune importance. Qu’on me voit ou pas, tant que Daphnée n’était pas en lieu sûr, je m’exposerai pour la retrouver. J’étais anéanti mais une petite lueur d’espoir germait encore au creux de ma poitrine. Elle était peut-être en sécurité dans la forge dorénavant. Peut-être était-elle simplement partie se balader en dehors de Rome et était revenue au cours des deux heures. C’est précipitamment, que je poussais la porte arrière de la forgerie.

Alexandre faisait les cent pas. Je compris. Elle n’était pas là. Un grondement sorti de ma poitrine. Lorsqu’il me vit, il n’eut pas de difficulté à deviner si elle était ou non avec moi. Cela se voyait sur mon visage.

-          Et maintenant ? Que fait-on ? pesta-t-il en m’assassinant du regard. On attend bien sagement qu’elle réapparaisse ?

-          Assez ! m’énervai-je en tapant du poing sur la table.

J’étais déjà assez tourmenté, il n’avait pas besoin d’en rajouter une couche. Soudain, nous entendîmes des pas approcher. J’écarquillai les yeux et Alexandre se dépêcha d’ouvrir la trappe. Je me faufilai à l’intérieur et il la referma d’un coup sec. Je respirai fortement, à cause de la peur, mais me mis à écouter attentivement.

-          Quelqu’un est venu déposer cela pour toi… déclara une voix bourrue à l’intention d’Alexandre.

Un froissement se fit entendre et les pas commencèrent à s’éloigner. Ils s’arrêtèrent à nouveaux et l’homme reprit.

-          Il a aussi dit que c’était à l’intention d’un de tes amis. Apparemment, tu comprendras en lisant. Ne traines pas, nous avons du travail aujourd’hui.

Les pas s’éloignèrent, jusqu’à ce que je ne puisse plus rien percevoir. Après une minute supplémentaire à attendre, la trappe se souleva à nouveau. Alexandre semblait avoir vu un mort.

-          Qui y’a-t-il ? m’inquiétai-je en sortant.

Pour toute réponse, il me tendit le bout de papier qu’il tenait dans sa main. Je fronçai les sourcils et décryptai l’inscription. Mon sang se glaça.

Au moins, nous serons sûrs que plus jamais tu ne tromperas ta femme.
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Tout ça devient tendu ! Va - t-il réussir à la retrouver ?

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