Chapitre 41
Aaron
Nous séjournions sur la plage depuis maintenant deux jours, et j'avais comme l'impression de vivre une nouvelle vie. Daphnée était complètement différente depuis qu'elle n'était plus sous l'emprise de l'esclavage. Elle était comme apaisée, sereine. Cela me plaisait. Pour ma part, tant que je n'étais plus sous la pression de Rome et de ma famille, peu importait où je serai, la situation me convenait.
Nous avions décidé de nous éloigner un peu, afin de trouver une forêt alentour. Il fallait que nous construisions une cabane afin de nous abriter, avant que la pluie n'éclate. Pour l'heure, j'étais bien trop occupé à essayer de lui apprendre à nager.
Nous étions au bord du rivage, les pieds enfoncés dans l'eau salée. Il fallait pour l'instant rester à un endroit où elle avait pieds. J'avais encore trop peur qu'elle ne parte trop loin et que les vagues ne l'emportent par la même occasion. J'avais les mains posées sur sa taille, et elle était en train d'effectuer un semblant de barbotage, ce qui était assez attendrissant à regarder. J'avais un sourire en coin et me concentrai pour que mes pensées ne dévient pas trop. Je lui avais promis, ce cours particulier, elle allait l'avoir.
- Ecarte l'eau de chaque côté avec tes bras et expulse tes jambes vers l'intérieur avant des les ramener, expliquai-je.
- Plus facile à dire qu'à faire... grogna-t-elle alors qu'elle tentait vainement de laisser sa tête hors de l'eau.
Je ris et la lâchai. Elle gigota précipitamment ses membres avant de couler. Je retins mon sourire, lorsque son visage complètement trempé émergea. Elle semblait agacée.
- Pourquoi je n'y arrive pas ?
- Il faut du temps, mademoiselle impatiente.
Elle leva les yeux au ciel.
- Plus vite j'y arriverai, mieux ce sera, se motiva-t-elle en reprenant ses mouvements empressés.
- Plus vite tu te noieras, mieux ce sera, corrigeai-je en baillant. Je ne savais pas qu'être constamment avec toi serait aussi insupportable.
A ma remarque, elle coula à nouveau. Je ricanai et reçu une grande giclée d'eau pour ma taquinerie.
- Hé ! s'exclama-t-elle de nouveau debout, si tu n'es pas content, tu n'as qu'à partir vivre seul dans une grotte. Tu n'auras plus qu'à supporter ta petite personne.
- Avec plaisir ! Rester avec la personne la plus belle et la plus intéressante du monde ne me dérange pas ! ricanai-je en contractant mes biceps et les embrassant un à un.
Elle me poussa en arrière, dans un éclat de rire.
- Tu n'es pas possible !
L'heure qui suivit, nous la passâmes dans l'apprentissage. Malgré ce qu'elle disait, Daphnée comprenait vite. Au bout de quelques minutes, elle était arrivée à adopter un rythme régulier et des mouvements plutôt corrects. Bien sûr, je continuai de la soutenir en maintenant son ventre à la surface, pour la rassurer. Et pour me rassurer par la même occasion... Contrairement à ce que je laissais penser. L'imaginer partir nager en pleine mer, était tout sauf rassurant.
Finalement, après quelques minutes supplémentaires, nous nous éloignâmes du rivage et la mer devint plus profonde. Daphnée avait de l'eau jusqu'aux épaules. De cette façon, nous pouvions d'avantage mesurer ses capacités. Le soleil tapait fort et rester mouillés nous permettait d'être rafraichis, à cause des températures estivales.
Dès que je m'éloignais un peu, Daphnée s'en trouvait décontenancée. Elle perdait ses moyens, et très souvent, finissait par boire la tasse. Je revenais instantanément vers elle, alors qu'elle toussait. A chaque fois, elle secouait la tête et recommença.
- Bon, ça suffit ! J'en ai assez de couler, assura-t-elle d'une voix forte. Je vais y arriver.
- Tu es sûre de ne pas vouloir reprendre demain ? tentai-je en flottant à côté d'elle.
Elle ne prit pas la peine de me répondre et se mit à nager. D'abord légèrement inquiet, je finis par écarquiller les yeux. Sa brasse était parfaite et régulière. Elle avançait assez rapidement, et contrairement aux fois précédentes, elle ne sombra pas. Nom de Jupiter ! Il avait suffit qu'elle s'ordonne d'y arriver pour que cela fonctionne. Cette fille avait beaucoup trop de détermination, cela me plaisait. Je souris.
- Aaron ! Regarde ça ! C'est incroyable, je nage !
Un immense sourire éblouit son visage et ses yeux pétillèrent d'exaltation. Mon cœur s'affola tant j'étais heureux pour elle. Une goutte dégoulinait le long de sa mâchoire et ses cheveux, d'habitude si clairs, prenaient une teinte infiniment plus foncée à cause de l'eau. Elle était magnifique.
Elle finit par s'éloigner un peu trop du rivage à mon goût, aussi, je partis la rejoindre. Je nageais rapidement et la rattrapais.
- Tu t'es très bien débrouillée, soufflai-je à son oreille.
Elle hocha la tête, ses yeux verts analysant les miens. Elle était fière d'elle.
- Il vaut mieux retourner sur la plage. Tu risques d'être fatiguée.
Daphnée fit d'abord la moue, avant de finalement hocher la tête. Elle savait où étaient ses limites. Nous nous dirigeâmes à brasses lentes, jusqu'au sable fin, avant de nous allonger pour sécher. Sa tunique collait contre son corps et je faisais tout mon possible pour ne pas la fixer. Je décidai de fermer les yeux, allongé sur la plage. Elle fit de même et me prit la main.
Une semaine plus tard
Les fagots de bois que je portais entre mes bras tanguaient légèrement. Cela faisait plus d'une semaine que nous avions fuis Rome et depuis, nous nous étions déplacés jusqu'à une petite crique à environ une heure, en cheval. Grâce à cela, nous étions coupés du vent et de plus, une forêt et un village se trouvaient à proximité. C'était l'endroit idéal. Depuis plusieurs jours déjà, nous nous attelions à la construction de notre cabane. Nous avions pris des couleurs, à force des heures passées au soleil. Nous respirions la santé, ce qui transparaissait à travers notre bonne mine.
Je contournais un tronc majestueux et enjambais une racine avant d'apercevoir notre construction. Daphnée paraissait concentrée. Elle était en train de ficeler des fagots que j'avais déjà ramené afin d'en faire un toit. Je souris face à cette vision. Ce n'était pas le genre de femme à avoir peur de se mettre au travail pour les activités extérieures. Sauf quand les araignées entraient en jeu bien sûr. Notre cabanon s'étendait sur six pieds de long, à l'endroit où nous dormions. Cet espace n'était pas très haut. Cela nous permettait d'économiser du bois, puisque nous étions allongés. Nous avions étalé de la paille sur la terre et récupéré quelques mousses, afin de rendre le tout plus confortable. Juste à côté, nous avions aménagé une petite pièce pour pouvoir manger et discuter. J'avais commencé à sculpter une table à partir d'une souche, cependant, mon travail n'était pas encore achevé. Dans l'ensemble, nous étions assez satisfaits du résultat, même si tout n'était pas encore au point.
Pour ce qui était de la nourriture, cela devenait plus problématique. En effet, au bout de quelques jours, nous étions arrivés au bout de nos réserves et avions dû nous résoudre à trouver d'autres solutions. Le matin, Daphnée partait à la cueillette. Elle m'avait avoué avoir l'habitude de faire cette activité, puisque dans son village gaulois, c'était chose courante. Cependant, la végétation n'était pas la même et elle avait parfois peur de ramener une plante incomestible. Elle revenait donc souvent, seulement munie de quelques fruits. Pour ma part, je chassais. Je pouvais avouer que c'était on ne peut plus difficile. Certains jours, plusieurs proies tombaient dans mes pièges et nous pouvions manger de petits animaux tel que le lapin. D'autres jours, je revenais bredouille. Dans ces moments là, je me sentais mal à l'aise vis-à-vis de Daphnée. Je ne voulais pas qu'elle ressente la faim à nouveau. Je m'étais même essayé à la pêche, mais n'ayant pas les armes et filets nécessaires, mes tentatives étaient restées infructueuses. Nous faisions sécher la viande en ayant réussi, je ne sais comment à récupérer du sel au bord de la mer.
Bien sûr, notre faim restait supportable. Il était vrai que, parfois, la fin de journée était difficile, cependant, nous étions assez heureux pour faire abstraction du reste. Si vraiment, notre situation devenait trop difficile à gérer, j'avais toujours ma réserve de sesterce, bien cachée précieusement. Cependant, nous préférions garder l'argent en dernier recours, car acheter en ville restait toujours un risque à prendre. Je savais que si Daphnée souhaitait arrêter, elle n'hésiterait pas à me le dire. Peut-être ses frères lui manquaient-ils trop ?
Je déposai le tas de brindilles au pied de notre habitation et époussetai mes vêtements. Daphnée qui était toujours aussi affairée, ne me remarqua que vaguement. Elle avait les yeux plissés et la langue légèrement sortie, tant elle était concentrée pour réussir son nœud. Je souris et repartis en direction de la table, que je continuai de sculpter à l'aide de mon couteau. En soi, la confection de la table n'était pas primordiale, mais cette activité permettait de m'occuper. Parfois, Daphnée partait seule vers la mer. Elle aimait nager, et je lui faisais dorénavant assez confiance, pour qu'elle ne prenne aucun risque. De plus, le temps était assez clément, et par conséquent, la mer peu agitée. Lorsqu'elle revenait, elle affichait un sourire épanoui et je ne pouvais m'empêcher de me réjouir pour elle. C'était cela l'amour ? Accorder plus d'importance au bonheur de l'autre plutôt qu'au sien ?
Des fois, nous décidions de faire une balade à cheval, ou simplement au bord de la mer. A aucun moment, notre complicité n'avait failli, et cela nous rassurait, l'un comme l'autre. J'adorais ses réflexions, son humour et tout simplement sa présence. Le soir, lorsque je m'endormais, mes bras l'entourant, et elle, nichée contre mon torse, je me sentais parfaitement comblé.
J'entendis des applaudissements et relevai la tête, intrigué. Cela devait bien faire une heure que je m'attelais à ma tâche, et je n'avais pas vu le temps passer. Daphnée semblait toute contente.
- J'ai fini ! Nous avons le plus beau de tous les toits ! se réjouit-elle.
On aurait dit qu'elle était presque sur le point de sautiller. En même temps, je comprenais son enthousiasme, elle avait dû y passer un moment, pour que le tout tienne.
- Normal, la narguai-je en haussant les sourcils, accompagné d'un sourire narquois. C'est moi qui ai choisi les brindilles, le résultat ne pouvait qu'être magnifique.
- Je rêve, toi tu n'es que le livreur, c'est moi l'artisan ! feignit-elle de s'offusquer. En plus, ta table est moche.
C'était cela, notre quotidien. Des moqueries et des petites piques. J'adorais.
- Je ne te permets pas, femme.
Elle me tira la langue.
La nuit commençait à tomber. Nous venions de manger des olives, ainsi que des œufs. Nous avions réussi à récupérer une poule qui s'était sûrement éloignée du village. Afin qu'elle ne parte pas, nous avions créé un petit enclos. Il ne faisait pas trop frai, en somme la température était parfaite. Les étoiles commençaient à apparaitre dans le ciel. Daphnée avait sa tête posée sur mon épaule et le regardait pensivement. Soudain, j'eus une idée. Après m'être excusé, je me levai et retournai rapidement dans notre cabane.
- Ne bouge pas, dis-je doucement à Daphnée.
Elle se retourna pour suivre mes gestes, intriguée. J'étais désormais agenouillé derrière notre table et récupérai ma lyre. La musique m'avait manqué, et j'avais envie de lui en faire profiter. Lorsque Daphnée aperçut mon instrument, elle sourit tellement que mon ventre se retourna. Comment de simples yeux pouvaient-ils créer et exprimer tant d'émotions ?
Je retournai m'asseoir à son côté. Elle se décala afin de me laisser plus de place pour jouer, mais je la tirai par la taille pour qu'elle soit à nouveau contre moi. Je plaçai la lyre sur mon genou et commençai. La mélodie emplit immédiatement tout mon être. J'étais complètement captivé et occultai le reste du monde. Plus rien n'avait d'importance, à part les douces notes qui s'échappaient et cette fille, assise juste à mes côtés. Le chant des oiseaux accompagnait cet air, à la fois triste et plein d'espoir. Je n'osai lui avouer que je l'avais écrit lors de la semaine où mes fiançailles avec Rosa étaient devenues ma seule préoccupation.
Soudain, une voix trancha le silence. Daphnée s'était mise à fredonner. Mes doigts continuaient de glisser le long des cordes. Etonné, je tournai la tête vers elle. Elle avait les yeux fermés et mouvait sa tête de droite à gauche. Sa voix était incroyable : douce et voluptueuse. Elle s'accordait parfaitement avec la mélodie. Elle inventait les paroles au fil de la chanson, mais ses propos sonnaient si justes.
Lorsque je m'arrêtai, elle cligna à plusieurs reprises des paupières, comme-ci, elle revenait à la réalité. Je lui souris tendrement.
- C'était magnifique.
Nous avions parlé d'une même voix. Sans que je ne m'en aperçoive, ma main était déjà en train de caresser doucement sa joue. Un soupir de bien-être s'échappa de ses lèvres et je le capturai d'un baiser.
Deux semaines plus tard
- Tu me promets de faire attention ? demandai-je pour la quinzième fois, en la regardant dans les yeux.
Elle leva les yeux au ciel et ne me répondit même pas. Nous étions en train de marcher en direction du village. D'une petite allure, je l'avouais. La veille, Daphnée s'était évanouie, et je m'inquiétais pour elle. Cela faisait près de deux jours que notre alimentation se résumait à de l'eau. Je ne sais pour quelle raison, les animaux décidaient d'éviter mes pièges, tous les fruits des arbres à l'horizon semblaient avoir été récoltés et notre poule avait choisi ce moment-là pour arrêter de pondre.
Daphnée, déjà fine, s'était rapidement affaiblie, mais avait tenu le coup. Jusqu'à hier soir. Nous étions en train de chercher de quoi nous nourrir quand tout à coup, elle s'était effondrée dans mes bras. Je m'étais mis à l'apostropher en criant, la soutenant comme je le pouvais. Elle n'avait pas bronché, la tête tanguant en arrière. Je l'avais alors soulevé et avais couru jusqu'à notre cabane, qui heureusement, ne se trouvait pas bien loin. Après l'avoir allongée délicatement sur notre lit, je m'étais empressé de lui apporter de l'eau douce. J'en avais glissé entre ses lèvres, et elle avait automatiquement avalé. Ensuite, je lui en avait étalé sur le visage. Peut-être allait-elle se réveiller avec la fraicheur. Mais rien ne s'était produit, et j'étais resté assis à ses côtés, à veiller sur elle, complètement paniqué. J'étais déjà en train de m'imaginer, milles scénarios possibles, plus horribles les uns que les autres, le cœur battant à tout rompre. Finalement, ses paupières avaient faiblement papillonné et elle avait murmuré d'une voix beaucoup trop rauque à mon goût.
- J'ai faim...
Mon cœur s'était serré. Je ne pouvais même pas lui offrir un minimum de nourriture. Une moue triste, de défaite s'affichait sur mon visage. Elle s'était alors détournée du lit, avant de vomir tout ce que son estomac lui permettait : de la bile. A ce moment-là, les yeux emplis d'inquiétude, je m'étais senti si impuissant... Je lui avais retenu les cheveux et une main réconfortante s'était posée sur le creux de son dos. J'avais tellement souhaité être à sa place, pour ne pas qu'elle aie à endurer cela. Lorsqu'elle s'était enfin redressée, les yeux complètement vitreux, j'avais pris la décision d'aller au village. Le risque de se faire arrêter était bien plus faible, comparé à l'importance que j'accordais à sa santé. Je lui avais énoncé ma volonté, et elle avait d'abord protesté. Ou plutôt marmonné, vu son état maladif. Finalement, elle avait cédé, quand elle avait compris qu'il n'y avait plus d'autre solution.
Au début, j'avais insisté pour y aller seul, mais elle avait refusé. Elle avait clairement dit que soi nous y allions tout les deux, soi personne n'y allait. J'aurais préféré mille fois la laisser se reposer, mais je savais à quel point elle était têtue. De plus, plus tôt elle mangerait, mieux ce serait. J'avais passé la nuit, à moitié conscient, car son état m'alarmait. Elle avait beaucoup transpiré, et s'était tournée et retournée dans son sommeil.
Heureusement, au matin, notre poule nous avait fait une surprise. Alors que je m'étais levé, Daphnée toujours endormie, un œuf nous attendait bien sagement. Je l'avais immédiatement fait cuire, sur le petit feu de bois que nous entretenions à côté de notre cabane, avant de me hâter à l'apporter à Daphnée. Mon ventre protestait, mais mon cœur n'en avait que faire. Il voulait tout lui laisser. Elle m'avait gentiment demandé de partager, mais j'avais vite protesté en disant que la volaille en avait fait un deuxième, que j'avais déjà mangé. Mentir n'était pas la meilleure des solutions, cependant, c'était pour son bien.
Le simple fait de manger, lui avait redonné de la couleur. Ses joues avaient rosi et ses yeux s'étaient trouvés à nouveau hagards. Cela m'avait infiniment rassuré. Peu de temps après, nous étions en route. J'avais pris sur moi, ma petite bourse où toutes nos réserves d'argent étaient glissées. Malgré tout, j'avais peur qu'un problème survienne à cause de son faible état. Depuis trois semaines que nous étions là, elle avait perdu du poids. Moi aussi d'ailleurs, cependant, les travaux en plein air nous musclaient tout les deux suffisamment, pour rester en bonne forme physique.
Nous étions aux portes de la cité. Nos mains étaient attachées l'une à l'autre. Seul point de stabilité autour de nous.
- Rappelle-moi ce qu'on doit faire ? m'enquis-je prudemment en fixant la ville.
Je savais que je devais être insupportable à lui rabâcher sans cesse les mêmes règles, depuis le début du trajet. Seulement, c'était nécessaire.
- Je ne regarde personne dans les yeux, je me fais discrète. C'est toi qui parle. Je garde toujours ma main dans la tienne et je ne m'éloigne pas... énonça-t-elle d'une voix ennuyée.
- Et si tu ne te sens pas bien ?
- Je te le dis immédiatement. Aaron, je vais bien ! finit-elle par s'exclamer. On peut y aller maintenant ?
Je ne pouvais dire non à ses petits yeux émeraude implorants et finis par hocher la tête en soupirant. Nous franchîmes finalement la porte. Je serrai fort cette petite main contre la mienne, m'assurant qu'elle était toujours vivante.
Contrairement à la ville majestueuse de Rome, ce petit village au bord de la mer n'était clairement pas aussi riche. Les grosses pierres avaient remplacées le marbre et les routes dallées n'étaient ici que de la simple terre. Les rues semblaient beaucoup plus étroites et les maisons étaient pratiquement toutes construites à partir du bois. L'agitation, elle aussi, semblait différente. Il n'y avait pas ce brouhaha permanent qu'on trouve dans l'agora, mais seulement quelques éclats de voix de temps en temps. On voyait des enfants rieurs se courir après, et des marchands transporter rapidement de lourdes charges jusqu'à leur étale. Tout en observant, nous continuions d'avancer.
Daphnée semblait tout aussi observatrice. Lorsque nous arrivâmes devant tous les mets entreposés pour le marché, je crus que la définition du mot bonheur se peignait sur son visage. Je comprenais. J'en salivais déjà. On trouvait beaucoup de poissons, ce qui ne diffusait pas une odeur très agréable. En même temps, nous nous trouvions sûrement dans un village de pêcheurs. A côté, se trouvaient toutes sortes de légumes et de fruits. On apercevait un grand nombre d'agrumes. Non loin de là, un marchand vendait des fromages et autres produits. Il y avait même du miel et des céréales. Cette profusion de couleur et de nourriture me fit presque tourner la tête.
De nombreuses personnes se pressaient autour des tables, afin de récupérer ce dont elles avaient besoin. J'entrainai Daphnée dans la même direction. Il était temps de nous nourrir. Moi aussi, je me trouvais de plus en plus affaiblis. Je partis rapidement acheter tout ce dont nous avions besoin, après avoir patienté. Parler à des personnes autres que Daphnée, même de simples marchands, après trois semaines rien qu'avec elle, me déstabilisa légèrement. Ils étaient aimables et simples, contrairement à Rome où tout le monde semblait impatient.
Quand je sortis ma monnaie, certains eurent les yeux exorbités. Ils n'avaient sûrement pas l'habitude de voir autant d'argent. Peu importe. Je n'avais rien d'autre. Dès que tout fut payé, nous glissâmes toute la nourriture dans un grand panier que nous avions acheté. Tout se passait comme prévu, et j'en étais ravi. Comme ni l'un ni l'autre ne pouvions plus attendre, nous nous dépêchâmes de partir nous asseoir dans un coin reculé du village. Il était temps de manger, nous en mourions d'envie.
Nous nous posâmes rapidement et attaquâmes nos réserves. Je geignis de plaisir tant je savourais le morceau de fromage de chèvre qui fondait dans ma bouche. Nous nous étions chacun coupé un morceau de pain. Cela faisait une éternité que nous n'en avions pas mangé. Je mâchai lentement, tout comme Daphnée. Finalement, je ne regrettais pas d'être venu. Il ne nous était rien arrivé de grave. J'avais eu peur que des hommes alliés à mon père ne nous retrouvent, mais après tout, quelles étaient les chances pour que nous soyons au même endroit, après des semaines ?
- Nom de Jupiter, c'est le meilleur moment de ma vie ! se ravit Daphnée entre deux bouchées.
Elle avait des petites miettes de pain au coin des lèvres et je les retirai doucement.
- Hé ! Je pourrais en être vexé ! fis-je mine de me plaindre. Si tu préfères manger plutôt que de recevoir mes merveilleux baisers, pas de problème. Retourne avec la poule.
Elle éclata de rire et je souris comme un idiot.
- Elle sera toujours de meilleure compagnie ! plaisanta-t-elle.
Je crispai ma main sur mon cœur, comme si j'en étais abattu. Soudain, quelqu'un passa dans la ruelle déserte. Il avait un pas pressé et la tête penchée. Il ne du pas faire attention et me bouscula. Je grognai, puis fronçai les sourcils. Je tâtai mon corps. La bourse avait disparu.
- Reste-là.
Je n'attendis pas qu'elle me réponde et sautais sur mes pieds avant de courir vers le voleur. Bien sûr, Daphnée n'en fit qu'à sa tête et me suivit. J'entendais ses pas précipités derrière moi. L'homme sentit qu'on le suivait et se mit à courir entre les maisons.
- Toi, là ! Rends ce qui ne t'appartient pas, espèce de lâche !
J'avais crié et je savais qu'il m'avait forcément entendu. Au lieu de ralentir, il accéléra et je grognais. Heureusement que j'avais pris des forces, en mangeant juste avant. Dommage pour lui, j'étais bon coureur et finis par le rattraper. Je le percutai et l'envoyai au sol. Sa tête cogna contre la terre et sa lèvre se mit à saigner. Je n'étais pas violent par nature. S'il me rendait tout de suite l'argent, la confrontation s'arrêterait là.
- Je crois que tu as quelque chose qui m'appartient, grognai-je en l'empoignant par le haut de sa tunique.
L'homme devait avoir une trentaine d'année. Il avait des cheveux couleur corbeau et des yeux marron apeurés. Il était assez maigre pour que je sache que j'aurais facilement l'avantage. J'entendis quelqu'un arriver et me retournai. Daphnée venait vers nous, à bout de souffle.
- Ne reste pas là ! l'implorai-je avant que la situation ne dérape.
Elle secoua la tête, le panier toujours à la main. Elle tentait encore de reprendre sa respiration. Après tout, elle ne s'était évanouie que la veille. L'homme sous moi gigota.
- Je ne vois pas de quoi vous parlez ! Lâchez-moi ! cracha-t-il.
Il tenta de me frapper mais je retins son bras. La colère monta. Je l'avais vu, et il osait encore mentir.
- Rends-moi la bourse, et je te donnerai une pièce, marchandai-je en le meurtrissant du regard.
Il ricana et secoua la tête.
- Aaron, m'appela Daphnée l'air anxieuse. Peut-être a-t-il réellement besoin de cet argent pour survivre...
J'observai la femme que j'aimais. Nous venions de nous faire voler, mais elle était prête à tout lui laisser, alors qu'elle ne savait même pas s'il était vraiment dans le besoin. Je m'attendris. Elle était vraiment magnanime.
- Je suis prêt à faire un petit échange... grommela le voleur en se dandinant.
Je reportais mon attention sur lui et ma mâchoire se contracta immédiatement. Il fixait Daphnée avec une lueur d'intérêt dans le regard. Je me retins de ne pas le frapper. Imaginer un autre homme s'intéresser à elle me retourna le ventre.
- Je vous rends l'argent. Laissez-moi la fille.
Plusieurs choses se produisirent en même temps. La rage enfla en moi, je lui assenai un violent coup de poing au visage et Daphnée cria. La tête de l'homme tangua en arrière et Daphnée m'agrippa le bras pour m'arrêter. A son toucher, je m'arrêtai instantanément, mais le mal était fait. Deux hommes arrivèrent au coin de la rue.
- Maximus est à terre !
Ils étaient apparemment alliés avec lui. Je le fouillais rapidement, et récupérai ce qui m'appartenait pendant qu'il était encore trop sonné pour réagir. Je me redressai d'un bond et me plaçais devant Daphnée pour la protéger. Ses petites mains se posèrent sur mes omoplates et elle se cacha derrière moi.
Les deux hommes s'avancèrent tels des prédateurs et partirent relever leur allié, qui était toujours à terre. Ils se tournèrent alors vers moi et m'observèrent méchamment. Ils ne prirent pas le temps d'analyser la situation et deux glaives glissèrent entre leur main. Ils étaient armés, nous étions sans défense. Je savais que la meilleure solution était la fuite. Je pensais avant tout à la sécurité de Daphnée. Mais celle-ci, à la vue des poignards, sortie de son état de calme, lâcha le panier, et courut dans leur direction avant que je n'ai eu le temps de comprendre ce qu'il se passait.
- Vous ne lui ferez pas de mal ! hurla-t-elle.
Elle envoya son pied dans les parties de l'un qui se plia tout de suite en deux, avant de gifler violemment l'autre qui était trop étonné pour réagir. Je courus à sa rencontre et la reculais immédiatement. L'homme qui avait été giflé se ressaisit et m'envoya un coup de couteau qui me coupa la peau du bras. Je me mis à saigner, mais lui envoyai une droite d'une grande puissance, avant de lui asséner un coup de genoux dans le ventre. Le choc le fit reculer et il se pencha en avant, tentant de reprendre sa respiration. Le voleur - Maximus, donc- avait finit par se relever et était prêt, lui aussi, à attaquer. Il avait une lame, comme ses compagnons et s'approchait dangereusement de Daphnée qui avait les yeux écarquillés. Il était dos à moi et mon poing partit tout seul. Il fallait que je la protège. Avant que la situation n'empire d'avantage, j'attrapai Daphnée par la main et nous détalâmes. Elle avait eu le temps de récupérer la nourriture. Nous étions à bout de souffle et malheureusement, entendîmes des personnes à nos trousses.
Heureusement, lors de l'altercation, personne d'autre ne s'en était rendu compte. Mon bras me tirait, il fallait que nous nous cachions avant qu'ils ne nous rattrapent. Nous les semâmes dans la ville. A l'orée de celle-ci, une étable remplie de foin nous attira et nous nous glissâmes discrètement à l'intérieur. Mieux valait rester cachés un temps ici, plutôt qu'ils ne nous suivent et repèrent notre cabane. Nous ne parlions pas, guettant le moindre son. Au bout de quelques minutes, nos respirations redevinrent régulières et personne ne vint nous rejoindre.
Soulagé, je pris Daphnée dans mes bras et la serrais fort. Elle me rendit instantanément mon étreinte. A cause du trop plein d'émotions, elle laissa échapper quelques larmes que je récupérai en embrassant ses joues mouillées. Nous restâmes cachés dans cette grange, le reste de l'après-midi. Finalement, il fut temps de rentrer.
- Allons-y.
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Comment avez vous trouvé le chapitre ? :) C'était le dernier avant le retour à Rome qui va être on ne peut plus agité !
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