Chapitre 38
Marcus,
Quand tu liras cette lettre, je serai déjà partie. Ne m'en veux pas, je t'en prie. Je sais que tu as toujours voulu ce qu'il y a de mieux pour moi, aussi, comprends moi. Nous nous sommes enfuis Aaron et moi. Je crois que je l'aime. Tu connais ce sentiment : regarder la personne à qui tu penses tout le temps, être avec une autre... Cela me rongeait, même si j'essayai sincèrement de faire face. Mais voilà, la réalité est plus dure que prévue. Nous vivons dans une société qui nous enferme et nous empêche d'être qui nous voulons être. Certains ont la chance d'être bien nés, d'autres sont esclaves dès la naissance. Je ne veux pas vivre dans ce genre de monde.
Crois moi, la raison qui me pousse à partir n'est pas seulement Aaron. Bien sûr, s'en est une des principales. Il ne veut pas se marier avec elle, Marcus. C'est moi qu'il aime, il me l'a avoué. Tu ne peux pas imaginer ce que j'ai ressenti à ce moment là. Nous voulons vivre pleinement notre histoire, sans avoir à nous cacher, tu vois ? Sans personne derrière les coulisses pour nous dicter notre conduite ou nous freiner. Je veux vivre, et non survivre. Ce qui m'amène à la deuxième raison. L'esclavage. J'ai conscience que je vivais dans de bonnes conditions par rapport à toi, mais malgré tout, ce n'était pas humain, ce n'était pas moi. Je portais un masque. Endurer, obéir, subir... Je ne pouvais plus... Nous ne sommes pas des animaux. L'idée de partir m'a toujours attirée. Je voulais voyager, découvrir le monde, sans être rattachée à un maitre. Mais, pitié, ne te méprends pas. Je me rappelle très bien, cette nuit-là, lorsque tu m'avais proposé de quitter Rome. J'étais tenté évidemment. Mais il y avait encore Aaron qui me liait à cette ville. Le quitter aurait été, comme m'enlever une part de mon bonheur.
Je ne pars pas sans aucuns regrets, loin de là. Il y a Jason, notre petit frère. Il est si jeune, prends soin de lui je t'en supplie. Il y a Alexandre. S'il te plait, transmets-lui cette lettre que j'ai écrite pour lui. Tu ne peux pas savoir à quel point je me sens mal de faire ce que je lui fais. Il a fait des milliers de kilomètres pour me retrouver, et voilà que je pars. Sa présence va tellement me manquer... Mais ils seront toujours avec moi. Je ne quitterai jamais le collier et le bracelet. Il y a aussi Eulalie, Stella, Julius et même Silène. Ceux sont devenus des amis précieux à mes yeux, malgré tout, je sais que je pourrais toujours compter sur eux. Et bien sûr, il y a toi. Mon grand frère, mon protecteur, mon joueur. Je sais que notre complicité résistera, même si tu m'en voudras. Avec le temps, tu finiras par me pardonner. Je sais qu'au fond de toi, tu arriveras à comprendre ce besoin qui me pousse à partir. Je veux pouvoir courir, et sentir le vent dans mes cheveux. Etre libre, avec lui à mes côtés. Ne te fais pas de soucis, je lui fais entièrement confiance.
J'ai conscience que notre départ va causer un désordre monumental. Un maitre et son esclave qui s'enfuient ensembles, c'est impensable. Rosa va être détruite. Je connais l'ampleur de ses sentiments. S'il te plait, sois là pour elle, c'est une fille bien. Elle aura besoin de quelqu'un pour s'en remettre et tu peux être cette personne. Le mariage va être annulé, les Aquilii vont être critiqués, et perdre tout leur honneur. Je me sens si honteuse de leur causer tant de malheur. Aaron est prêt à le faire pour moi. Pour nous. Je ne peux m'empêcher de penser qu'il le regrettera, lorsqu'il en saisira toutes les conséquences.
Malgré tout, je ne peux pas partir avec l'idée de ne jamais plus vous revoir. C'est impossible pour moi. Je suis trop attachée à vous. Vous êtes ma famille. Un jour, je reviendrai, je te le promets. Je ne sais pas quand. Peut-être dans quelques semaines, quelques mois, ou mêmes quelques années, quoi qu'il en soit, je serai de retour. S'il te plait, attendez-moi. Il faudra cependant faire cela secrètement. Nous sommes considérés comme des hors la loi dorénavant. Je veux revoir le petit sourire de Jason, voir à quel point il a grandi. Je veux pouvoir rire avec Alexandre et le serrer dans mes bras. Je veux me confier pendant des heures à Eulalie et lui raconter toutes mes aventures. Et je veux te revoir et que tu me prennes dans tes bras. Je veux sentir que tu m'as pardonnée et vérifier que tu vas bien. Méfie-toi de Sébastien et fais attention à toi. Je compte sur toi pour m'excuser auprès d'Eulalie et lui dire à quel point elle a été une amie extraordinaire. Dis à Jason que je l'aime, la prochaine fois que tu le verras. J'ai l'impression de partir comme une voleuse, sans confrontation. Malheureusement, il ne pouvait en être autrement. Pardonne-moi,
Ta sœur qui t'aime, Daphnée.
Alexandre,
Si tu lis cette lettre, c'est que Marcus a accepté de faire ce que je lui avais demandé. Il te l'a sûrement déjà dit, ou peut-être l'as tu appris par quelqu'un dans la ville. En tout cas, saches que c'est vrai. Je suis partie. Jamais je ne pourrais assez te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi. Tu as toujours été là durant notre enfance. Tu t'es battu, tu es tombé malade pour me retrouver. Tu étais même prêt à sacrifier ta vie en devenant esclave pour moi. Cela m'a touché. Profondément. Mais je ne suis pas comme toi. Je ne suis pas prête à devenir l'objet de quelqu'un et dire oui à tout ce qu'on m'ordonne. Ce n'était pas la vie que j'avais prévue. Je sais que tu le sais. Après tout, tu connais tout de moi.
Alors, oui, je l'avoue, je vous ai lâchement abandonné pour partir à l'aventure. Ne m'en veux pas d'avoir refusé lorsque tu me l'avais proposé. Tu seras toujours mon meilleur ami, quoi qu'il arrive. J'espère au fond de moi, que tu cherchais à me retrouver pour t'assurer que j'étais bien vivante. Maintenant que c'est chose faite, rencontre du monde, trouve l'amour. J'ai eu la chance de l'avoir découvert, et je souhaite que tu connaisses ce bonheur. Enfin... chance est une façon de parler. Tomber amoureuse de son maître n'est pas la meilleure des idées, je l'avoue. Cependant, il me comprend vraiment. Avec lui, je suis juste moi. Ne le prends pas mal. Ce n'est pas pareil avec toi. Ce qui nous unie n'a toujours été qu'un lien fraternel. Alors qu'avec lui... c'est tellement plus fort.
Je vais pouvoir vivre ma vie comme je l'ai souhaitée. Je ne t'abandonne pas, ce serait trop dur et j'ai besoin de toi, comme de Jason et Marcus. Je reviendrai, je te le jure. Marcus t'expliquera. J'espère sincèrement que tu ne m'en veux pas et que tu comprendras. Tu as trouvé un bon métier, poursuis dans cette voie. A mon retour, tu pourras me montrer tout ton talent. Moi, je pourrais te narrer toutes mes péripéties. Nom de Jupiter, j'ai tellement hâte ! Désolée, cette lettre est trop courte, mais il est temps pour moi de partir. Prends soin de toi,
Daphnée
PS : Ne t'en fais pas, tu seras toujours le premier garçon qui a pris mon cœur, même si ce n'était pas de l'amour. Ton amitié m'est tout aussi importante.
Aaron
Je l'avais fait. J'avais osé lui demander. Daphnée me regardait avec une expression mêlée d'envie et d'horreur. Toute la semaine, j'avais tenu à mon devoir. J'étais resté dans le rôle du fiancé model en regardant celle qui m'intéressait vraiment, s'éloigner peu à peu de moi. Rosa était gentille et belle. Mais c'était là les seuls attraits que je lui trouvais. Je ne pouvais m'empêcher de la comparer à Daphnée qui elle, était si drôle, si intéressante, si entreprenante. C'était le calme fasse à la fougue. Au fond de moi, j'avais toujours su que je préférais la tempête.
Le baiser qui nous avait unis ce soir là avait été le meilleur moment de ma vie. J'avais senti en moi, ce sentiment de plénitude, de symbiose totale, et j'avais compris. Je l'aimais. Chaque instant passé avec elle était unique et j'en souhaitais toujours plus. Dès que je m'éloignais d'elle, je me demandais ce qu'elle faisait, ce à quoi elle pensait. Alors, quand mon père m'avait annoncé le lendemain que les fiançailles devaient avoir lieu, mon cœur s'était comme brisé. Qui eut cru que ma condition me détruirait à ce point ? A ce moment là, j'avais tellement souhaité être un simple paysan, et même un esclave, pour pouvoir vivre mon amour au grand jour. J'avais finalement demandé à Rosa de m'épouser, les mots sortant de mes lèvres contre mon gré. Ma vie avait été sellée. J'avais eu envie de hurler, de protester, mais je ne pouvais pas.
Je me détestai de ne pas réussir à aimer une femme si charmante et de ne pas cesser de penser à une autre. Le pire avait été quand j'avais dû l'annoncer à Daphnée. J'avais vu son cœur être à réduit à néant devant mes yeux. Elle ne m'avait pas cru. Elle pensait que je m'étais joué d'elle. J'avais anéantis le seul être que je souhaitai à tout prix protéger. Quand elle m'avait tendu le collier d'émeraude que je lui avais offert, j'avais comme reçu un coup de poing. Avec ce geste, elle me trahissait. Et puis, j'avais réalisé que c'était moi le fautif. C'était moi, qui partais en épouser une autre. Ce soir là, la colère avait été si profonde, que je m'étais mis à tout détruit dans ma chambre. Je voulais me trouver dans un lieu dévasté, pour qu'il soit miroir de mon corps. Mes mains s'étaient finalement arrêtées sur ma lyre. Le temps s'était suspendu. Mon échappatoire. Une mélodie avait alors germée dans mon esprit et j'avais attrapé l'instrument, laissant ma tristesse et ma colère se répandre au gré des notes. J'avais tout perdu, sauf la musique.
Durant la semaine, Rosa avait fini par s'installer chez nous. Je ne pouvais nier le fait que nous nous étions bien entendu. Cependant, je voyais à quel point nos sentiments n'étaient pas réciproques. Lorsque je la touchais, je pensais à la peau si douce de Daphnée. Lorsqu'elle m'embrassait, une mélancolie m'envahissait et je ne pouvais contrer cette impression de fadeur. C'était le mot. Fade. L'éclat des yeux de Daphnée était si beau, contrairement à Rosa. Ses cheveux dorés, si soyeux. Mon or. Elle avait le rire le plus agréable que je n'avais jamais entendu. Quand je la voyais dans la salle à manger, je remarquais son air triste, qu'elle essayait en vain de cacher. Je luttais contre moi-même pour ne pas la prendre dans mes bras et la rassurer et lui dire que j'étais là. Sauf que j'étais censé ne plus être là. Alors, j'emmenai Rosa faire des activités, pour nous occuper. Je me disais que, peut-être, avec ce que nous partagerions, il y aurait un déclic, une illumination. Mais rien n'était venu. Un soir, elle avait voulu voir ma chambre, mais j'avais refusé. Je n'en avais pas eu le courage. Trop de souvenirs se rapportaient à cette pièce, désormais.
J'avais réfléchis pendant des heures, le soir. Etait-ce ainsi que je voulais vivre ma vie ? Dans le regret et la privation ? Voir la femme que j'aimais s'éloigner, peut-être même rencontrer quelqu'un, et délaisser une femme qui ne le méritait en rien ? J'étais égoïste, mais conscient de la peine que j'allais causée, quoi qu'il advienne. Et j'avais réalisé. J'aurais fini par céder à la tentation et la fin de l'histoire aurait été quoi qu'il arrive des pleurs. Douleur ou douleur. Heureux ou malheureux ? Le choix avait vite été pris. Je ne pensais plus qu'à cela. Partir avec elle. Vivre librement, sans se cacher. Pour elle, je n'hésiterai pas à abandonner mes proches, ma classe sociale et ma fortune. C'était fou, mais c'était tellement mieux.
Je me trouvais donc là, assis contre un mur avec elle, attendant qu'elle se décide. J'avais laissé Rosa devant sa chambre et avais attendu qu'elle rentre à l'intérieur, afin de partir rejoindre Daphnée. Mon cœur battait la chamade. Le reste de ma vie dépendait de la réponse, qui se trouvait sur le bout de ses lèvres. Je ne pouvais m'empêcher de la regarder. Cela m'avait tellement manqué. Elle était sublime. De petites tâches de rousseur parsemaient ses joues et son nez. Ses yeux émeraude brillaient d'indécision et ses longs cheveux d'or s'étalaient sur ses épaules.
- Aaron... finit-elle par murmurer, les larmes aux yeux. Ne me dis pas cela... J'aimerai tellement.
- Alors faisons-le ! m'exclamai-je en lui attrapant, plein d'espoir, ces mains qui m'avaient tant manquées. Imagine ! Juste nous, et le reste du monde.
Elle se mordilla la lèvre inférieure et j'eus la furieuse envie de l'embrasser. J'avais tellement peur qu'elle refuse. Ce que je lui demandai était égoïste. Elle était très attachée à sa famille, contrairement à moi.
- Mes frères... Alexandre...
Je me crispai légèrement en entendant le nom de ce garçon.
- Je sais que ce que je te demande est très dur, mais pense aussi à ton bonheur. Souhaites-tu faire cela toute ta vie ?
- Mais je n'ai pas le choix ! gémit-elle. On m'a forcée, tu comprends ! Si mon village n'avait pas été attaqué, rien de tout cela ne serait arrivé !
Elle regrettait notre histoire. Un poids s'abattit sur moi. Il fallait qu'elle comprenne. Elle n'accepterait jamais, si elle ne s'apercevait pas de l'ampleur de cet enjeu. Je pris une grande inspiration.
- Mon or, je t'aime.
Elle écarquilla ses beaux yeux verts. Je voulais saisir cet instant et l'accrocher partout sur les murs, afin que tout le monde voie comment je la percevais. Comme elle ne réagissait pas, j'agis dans un élan désespéré. Mes mains se plaquèrent contre sa nuque et je la rapprochais de moi, jusqu'à ce que nos lèvres s'entrechoquent. Je gémis à leur contact. Elles étaient parfaites. Je me mis à l'embrasser frénétiquement. C'était brutal. Je laissai ressortir ma peur de la voir m'échapper, mon désir de l'avoir à mes côtés. Elle finit par me rendre mon baiser et passa ses mains dans mes cheveux. Son contact me rasséréna et je la plaquais contre mon torse. J'inspirai sa douce odeur, qui m'avait tant manqué.
Je n'avais pas rêvé, notre alchimie était toujours là, et je ne souhaitai en rien la perdre. Nous finîmes par nous détacher l'un de l'autre, à bout de souffle. Si elle refusait, je perdrais tout ce qui comptait pour moi. Néanmoins, je ne lui en voudrais pas.
- Sache que, si tu ne souhaites pas me suivre, je comprendrai, Daphnée... annonçai-je très sérieusement. Tu n'as qu'un mot à dire. Dis non et je partirai. Plus jamais je ne te le redemanderai. Tu connais mes sentiments pour toi. Ils ne me quitteront jamais. Si au contraire, tu décides de me suivre, je serai le plus heureux des hommes.
Elle me regardait, encore haletante à cause de notre baiser.
- Mais où irions-nous ? Nous n'avons nulle part où allez. Nous serions des fugitifs... énonça-t-elle, inquiète. Rosa serait anéantie. Elle t'aime.
- Mon or, tout cela n'a aucune importance. Dis-moi où tu souhaites aller et nous irons. Tant que je suis avec toi... Je sais qu'entre nous, il y a eu beaucoup de disputes et d'incertitudes. Mais ce dont je suis sûr, c'est que je ne vois mon avenir qu'avec toi. Rosa s'en remettra. Tu comptes d'avantage que sa peine de cœur.
- Tu perdras ton honneur...
Je voyais qu'elle était émue par mes paroles à ses joues rosies et son timide sourire. Elle essayait de me montrer tous les obstacles qui nous séparaient de la liberté, cependant j'y avais déjà mûrement réfléchis.
- Je préfère perdre mon honneur que de ne plus t'avoir à mes côtés.
Ses yeux se voilèrent à nouveau de larmes tant elle était touchée. Soudain, elle s'accrocha à moi, ses bras autour de mes épaules et de mon cou. Je l'enlaçai tendrement, surpris par son geste. Au bout de quelques minutes elle murmura :
- Je veux voir la mer.
Mon cœur s'accéléra.
- C'est oui ?
Sa petite tête se mit à bouger rapidement de haut en bas et un rire empli d'une joie pure sortit du fond de mon être. Je ne pouvais m'empêcher de sourire comme un bienheureux. Je lui attrapai les mains et la soulevai, afin que nous soyons tout deux debout.
- Allons faire nos baluchons ! m'exclamai-je, les yeux pétillants.
- Nous partons maintenant ? s'étonna-t-elle, surprise.
- Bien sûr ! Je ne resterai pas une minute de plus à jouer un rôle ! Je veux en profiter tout de suite !
Je l'entrainai vers l'intérieur. Il n'y avait personne en vue.
- Je suppose que je ne peux pas leur dire au revoir ? murmura-t-elle, soudainement triste.
Mon sourire disparut. Je secouai négativement la tête. Je ne supportais pas de la voir malheureuse, cependant, cela aurait été trop risqué.
- Si tu hésites, il est encore temps de changer d'avis... la rassurai-je à contre cœur en lui plantant un baiser sur le front.
Elle frissonna, puis prit une grande inspiration.
- Nous allons le faire.
Elle avait énoncé cela avec tant d'aplomb et de détermination, qu'un large sourire étira mon visage.
- Va prendre des réserves de nourritures en cuisine. Des aliments qui se conservent longtemps, si possible. Je m'occupe de nos vêtements et du reste. Fais attention à ne pas te faire repérer. Rendez-vous dans dix minutes dans ma chambre.
Elle acquiesça, et se rapprocha rapidement, avant de me poser un doux baiser plein de promesses, qui me retourna le ventre. Elle se recula et fit demi-tour.
Enfin ! Nous allions le faire ! Je souris à pleine dents et partis dans ma chambre. Devant la pièce où se trouvait Rosa, j'eus un léger pincement au cœur, mais le chassais rapidement. Je fourrai un maximum de tuniques dans un sac en toile, avant de partir dans la salle de bain pour récupérer quelques produits d'hygiènes et des médicaments, au cas où. De retour dans mes lieux, j'observai la salle méthodiquement et finis par fixer ma lyre. Après un instant de réflexion, je l'attrapai. J'étais prêt à faire des sacrifices, cependant la musique me restait vitale.
Je m'assis au bord de mon lit. Un nouveau chapitre de ma vie allait commencer. Bizarrement, ma famille n'allait pas tant que cela me manquer. Je n'avais jamais eu de lien très fort avec ma mère et ma sœur. Mon père était le seul membre de ma famille avec qui j'avais partagé de bons souvenirs. Je regardais avec nostalgie la chambre qui m'avait abrité pendant vingt longues années.
On toqua à la porte et je fus légèrement nerveux. J'espérais sincèrement que ce ne fusse pas un membre de ma famille, ou Rosa. Heureusement, après avoir traversé le couloir, la porte s'ouvrit sur une magnifique tête blonde qui me regardait avec excitation. Elle me sourit et entra précipitamment, les bras chargés de mets.
- Nous prendrons deux chevaux, expliquai-je en retournant vers mon lit. De toute façon, ils se rendront compte de notre absence assez rapidement et ne tarderont pas à comprendre. Autant prendre des montures pour que nous les semions plus vite et afin de nous alléger.
Elle avala difficilement sa salive et remit nerveusement une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Elle était adossée contre le mur.
- Aaron ? dit-elle faiblement. Et si... s'ils nous rattrapaient ? Que nous arriverait-il ?
Je me levai aussitôt et posai mes deux mains sur chacune de ses joues afin de la rassurer. Je la regardai droit dans les yeux, afin qu'elle voie toute ma sincérité et mon amour.
- Cela n'arrivera pas, la rassurai-je. Quoi qu'il nous attende, sache que je ne regretterai jamais mes choix. Chaque instant passé avec toi était un cadeau.
Elle hocha la tête avec un petit sourire, trop émue pour parler. Je la serrai dans mes bras et la berçai doucement. Finalement, elle me demanda :
- Pourrais-je écrire des lettres avant de partir ? Je ne peux pas m'en aller sans m'expliquer. Ce serait trop... dur.
Je lui caressais la joue en souriant tendrement avant d'hocher la tête. Je savais que quitter toutes ces personnes avec qui elle était attachée, lui demandait un énorme effort. Malgré tout, je savais qu'elle choisissait ce qu'elle considérait de mieux pour elle. Si elle avait préféré rester aux côtés de ses frères, elle n'aurait pas hésité à me le dire.
Daphnée partit s'asseoir à ma table et trouva du parchemin, une plume et de l'encre. La plume resta un moment suspendue au dessus du papier, avant qu'elle ne se mette frénétiquement à écrire. Je ne pouvais m'empêcher de l'observer. Son fin profil se dessinait et je voyais ses lèvres trembler. Cela lui coûtait d'écrire ces mots pour ses proches. Je savais qu'elle avait besoin d'être seule avec elle-même, en cet instant.
Enfin, elle griffonna quelques phrases, hésita, en rajouta une et relâcha sa plume. Elle se retourna vers moi et un sourire d'apaisement étira ses lèvres.
- Merci de m'avoir laissé le temps d'écrire. J'en avais besoin.
Si cela lui permettait d'être plus épanouie, je lui aurais laissé tout le temps du monde. Elle se redressa. Nous y étions. Il était temps de partir. Nous échangeâmes un regard, vérifiant que nous étions sur la même longueur d'onde. Nous nous sourîmes.
J'attrapai le sac de vêtements et la lyre. Daphnée s'occupa du sac de nourriture et récupéra ses lettres. Je sondai une dernière fois ma chambre, l'esprit vide, puis nous sortîmes.
Nous fîmes preuve du plus de discrétion possible dans les couloirs. Mon cœur battait à tout rompre. Il ne fallait pas que quelqu'un nous aperçoive. Je pris la main douce de Daphnée et la pressai contre la mienne. Nous arrivions prêt de la fontaine, quand nous entendîmes des pas. Horrifiés, nous nous regardâmes et courûmes nous réfugier derrière la structure. Je sentais les mains de Daphnée devenir moites. Les pas étaient de plus en plus audibles et quelqu'un apparut dans la pièce. Je priai tous les Dieux pour que cette personne ne nous voie pas. Je reconnus ma mère. Mon cœur se serra. C'était la dernière fois que je la voyais. Peut-être allait-elle nous voir. Peut-être allait-elle me traiter d'abomination, de traître. La peur se mua en colère lorsque je me remémorai toutes les fois où elle avait osé porter la main sur Daphnée. Je n'avais jamais compris le si grand mépris qu'elle lui portait.
Heureusement, ma mère continua son chemin et disparut au bout du couloir. Nous soufflèrent de soulagement, à l'unisson. Nous attendîmes encore quelques instants avant de reprendre notre traversée. J'espérais qu'il n'y avait personne dehors, derrière la porte. Daphnée m'arrêta et me désigna les escaliers qui menaient aux chambres des esclaves. Il fallait qu'elle dépose les lettres. Je lui dis que je l'attendais ici et elle se hâta de partir poser ce qu'elle avait écris. J'espérais qu'elle ne croise aucun esclave en bas. Je ne savais comment elle réagirait. Au bout de quelques minutes, où je regardais anxieusement de droite à gauche, on me tapota l'épaule. Je sursautai violemment et me retournai. Rosa m'observait en fronçant les sourcils. Les battements précipités de mon cœur retentirent sourdement, jusque dans mes oreilles. Mince, j'étais dans la panade. Si elle découvrait la vérité, tout ce que nous avions espéré avec Daphnée aurait été détruit.
- Aaron, que fais-tu planté seul, au milieu du hall ?
J'avalais ma salive, une sueur froide coulant le long de mon dos. Daphnée n'allait pas tarder à remonter.
- Je...je dois me rendre à Rome, porter ces vieilles affaires, balbutiai-je en désignant nos sacs. J'attendais Julius. Il doit m'accompagner.
Elle papillonna des cils, ce qui m'exaspéra.
- Je vois... Souhaites-tu que j'aille le chercher ?
- Ce serait très gentil, en effet ! m'empressai-je d'approuver.
C'était une occasion en or. En partant rejoindre Julius, elle l'éloignait des chevaux et faisait diversion pour notre fuite, sans s'en rendre compte. Je me sentis tout à coup très mal pour elle. Ce que je m'apprêtais à lui faire était horrible. Elle ne le méritait pas, surtout après avoir perdu une première fois sentis on fiancé.
Rosa me sourit et avant que je n'aie eu le temps de m'en rendre compte, elle posa ses lèvres sur les miennes. Je me fis violence pour ne pas me reculer et elle finit par se détacher. J'avais envie de me frotter les lèvres, tant j'avais l'impression d'avoir trahi Daphnée. Ma fiancée - ou ex fiancée, peu importe- me fit un clin d'œil et lança :
- A tout de suite !
Je n'eus pas la force de lui répondre. Je n'osais même pas imaginer son état, lorsqu'elle comprendrait mon stratagème. Rosa sortit et disparue aussi vite qu'elle était arrivée.
Quelques secondes plus tard, Daphnée émergea des escaliers. Je me sentais légèrement mal à l'aise, après ce qui venait de se passer. Elle avait les yeux légèrement rougis et mon cœur se serra. Abandonner ses frères allait être une épreuve. Je l'attrapai contre moi, avant de lui embrasser le sommet du crâne.
Il était temps de partir. Nos minutes étaient comptées si nous ne voulions pas nous faire repérer. Je finis par l'entraîner vers l'extérieur, munis de nos affaires et provisions. Nous nous déplacions sur la pointe des pieds, ce qui devait être assez ridicule d'un point de vue extérieur. Lorsque je vis Julius et Rosa parler, en se dirigeant vers l'entrée, je posai ma main sur la clavicule de Daphnée afin qu'elle s'arrête. Ils ne pouvaient pas nous voir de là où nous nous trouvions, mais mieux valait ne prendre aucun risque.
Finalement, la grande porte se referma derrière eux et nous nous mîmes à courir pour accéder aux écuries. Dans quelques instants, ils se rendraient compte de la supercherie. Une fois dans les étables, je préparai en un temps record nos montures, tandis que Daphnée accrochait les sacs sur leurs flancs. Une fois que tout fut en place, je la hissai sur son cheval et grimpai à mon tour sur ma monture. Je regardai Daphnée qui m'observait, elle aussi.
- Prête ?
- Prête.
Nous nous élançâmes au galop. J'abandonnai derrière moi mon ancienne vie, sans aucun regret.
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Que pensez-vous du choix qu'a fait Daphnée ? Est-ce qu'elle a pris la bonne décision ? J'espère que les lettres vous ont permis de mieux comprendre son état d'esprit. Laissez des commentaires ! :)
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