Chapitre 37
Lorsque j’arrivais dans la cuisine, Eulalie me sourit doucement. Elle savait que la situation était difficile pour moi.
- Il me faudrait quelque chose pour rafraichir Rosa ! lançai-je.
- Il y a des feuilles de palmiers dans la réserve si tu veux… m’annonça Stella tout en continuant de s’afférer devant les fourneaux.
- Tu plaisantes ? m’étonnai-je. Je ne vais quand même pas secouer des feuilles devant elle, pendant des heures ! Si c’est pour attraper des crampes, non merci !
Eulalie et Stella me firent une mine contrite. Bon, très bien. Apparemment, je n’allais pas avoir le choix. Je soupirai et partis chercher ce dont Stella m’avait parlé. La feuille semblait vraiment énorme pour mes petits bras. Cela me fit me remémorer la fois où mon père m’avait aidé à construire une cabane, et lorsqu’il avait porté des branches trop lourdes pour moi. Je me figeai. J’allais devoir annoncer à Marcus, le décès de nos parents. Je n’étais pas prête psychologiquement, malheureusement, je n’avais pas vraiment le choix.
Je rejoignis la salle à manger, accompagnée de mon énorme palle. Rosa et Aaron riaient doucement, main dans la main. Quand ce dernier me repéra, il se crispa légèrement. J’en fis abstraction et me positionnai devant Rosa. Je me mis à remuer la feuille, afin de faire du vent.
- Cela vous convient-il ? demandai-je nonchalamment.
Elle ne prit pas la peine de répondre, tant elle était affairée à admirer Aaron.
- Je veux un grand mariage ! reprit-elle, les yeux pleins d’étoiles. Une grande cérémonie.
- Tu l’auras, dans ce cas… accepta Aaron qui ne semblait pas aussi enjoué qu’elle.
Je levai les yeux au ciel. Je commençai sérieusement à avoir mal aux bras. Si elle avait trop chaud, elle n’avait qu’à aller aux thermes pour calmer ses ardeurs. Un peu plus tard, alors que je pensais sérieusement à partir à cause d’un quelconque prétexte, Julien apparut.
- Mon fils, appela-t-il Aaron. Je sais que ce que je vais te proposer n’ait pas vraiment dans les règles, mais pourquoi ne pas proposer à Rosa d’habiter chez nous, avant le mariage ? Vous serez dans une chambre séparée, bien entendu. Mais cela lui permettrait de mieux se familiariser à sa nouvelle famille, et ce serait pour nous un grand honneur.
Rosa hochai la tête, visiblement ravie par la proposition. Aaron, quant à lui se tortilla sur son divan.
- Si vous pensez que c’est le mieux, père, alors soit. Julius n’aura qu’à partir chercher ses malles afin qu’elle s’installe.
- Ce serait avec plaisir ! approuva sa fiancée. Mon esclave pourra-t-il rester là ? J’aime avoir mes petites habitudes.
Elle désigna mon frère qui tentait de contrôler sa joie. Aaron haussa un sourcil mais finit par soulever ses épaules, signe de son approbation.
- Tant qu’il ne dérange pas, je ne vois pas d’inconvénients.
Pour ma part, mes sentiments étaient mitigés. J’allais avoir mon frère à mes côtés, et par conséquent, en étais ravie. Cependant, voir Aaron et Rosa ensembles tous les jours n’était pas pour me plaire. Je ne pouvais m’empêcher de repenser à nos baisers, et une rancœur amère restait présente. Aaron me jeta un coup d’œil mais se détourna rapidement lorsqu’il remarqua que je l’observai également. Il avait paru gêné. La situation lui convenait-elle ?
Rosa lui sauta au cou et se mit à parler rapidement de tout ce qu’ils pourraient prévoir. Je finis par décrocher. Je prétextai une envie d’aller aux toilettes et partis. Une fois dans un couloir à l’écart, je me callai contre le mur et glissai le long de la paroi, en soupirant. Je repliai mes genoux et appuyai ma tête dessus. J’entendis des pas et relevai la tête. Marcus me regardait et se rapprocha.
- C’est plus difficile que ce que j’avais imaginé… avouai-je d’un faible sourire.
- Oui, je sais. Avoir ton grand frère qui surveille le moindre de tes faits et gestes, n’est pas ce que tu avais imaginé.
Je ris. Il savait très bien que je parlais de nos maitres. Je posai ma tête sur son épaule, lorsqu’il fut assis à ma hauteur.
- C’est vrai que le voir la toucher n’est pas facile à regarder, reprit-il. Et puis, avouons-le, il est beau garçon.
Je rougis.
- La voir glousser et papillonner autour de lui n’est pas évident non plus, argumentai-je.
- Dans quoi on s’est fourrés, petite sœur ?
Il avait dit cela d’un ton très sérieux, observant le mur d’en face, perdu dans ses pensées. Je ne répondis pas. Je n’en avais aucune idée. J’avais conscience que le moment était mal choisi, mais après tout, il n’y aurait jamais d’instant approprié.
- Marcus ?
- Oui, fée ?
Il se tourna vers moi et les larmes me montèrent aux yeux.
- Papa et maman sont morts.
Je n’avais jamais vu mon frère pleurer. Quand nous étions plus jeunes bien sûr, il avait quelques fois fait des caprices et les larmes lui étaient montées aux yeux. En dehors de ces instants, il avait toujours été un roc puissant et serein sur qui je pouvais compter. Sa carapace s’effondra à cet instant, je vis l’homme endurci par les mois d’esclavage redevenir un petit garçon en quelques secondes. Plus de barrières, plus de retenue. Juste des larmes qui dégoulinaient. Aucun mot, seul son corps parlait pour lui. Et c’était dur. Dur de voir son frère perdre toute sa joie et savoir que c’était moi qui lui avais causé cette souffrance, en lui annonçant la nouvelle.
Je ne pouvais rien lui dire, il savait ce que je ressentais puisqu’il vivait la même chose. Contrairement à moi, il n’essaya pas de nier l’évidence. Il m’attira contre lui, et nous pleurâmes en silence.
- Jason ?
Ce fut son premier mot après la nouvelle. Il s’était peut-être écoulé cinq minutes, ou une heure. J’avais perdu toutes notions du temps. Je secouai la tête pour lui faire comprendre que notre petit frère n’était pas au courant.
- Ne lui disons rien… murmura-t-il. Il est trop jeune, il n’a pas besoin d’être orphelin à son âge. Laissons-lui cette insouciance encore un temps.
Etait-ce la meilleure solution ? Lui cacher la vérité, pour le préserver de la tristesse ? Je réfléchis quelques instants avant d’acquiescer. Son enfance allait être brisée s’il apprenait la nouvelle.
Nous avions parlé un certain temps, et dorénavant, il valait mieux que je retourne à mon poste. Je me redressai, époussetai ma tunique et tendis la main à mon frère afin de l’aider à se relever. Il me remercia et nous fûmes de retour dans la salle à manger. Aaron et Rosa avaient quitté les lieux. Mon ventre se crispa. Il devait l’avoir emmenée dans sa chambre. Je me sentis soudainement si insignifiante.
Le reste de la semaine se déroula de la même manière. Rosa avait pris possession de sa chambre, comme-ci elle était déjà maîtresse des lieux. Elle passait le plus clair de son temps avec son fiancé qui l’amenait à de nombreux endroits. Eulalie me rapporta qu’ils étaient allés à l’amphithéâtre, à une course de chars, au Colisée… Ils enchainaient les activités, puis se prélassaient ici ou se baladaient dans la capitale romaine. Leurs liens s’étaient infiniment resserrés au cours de ces derniers jours. Chaque fois que je les voyais, l’un portait un geste tendre à l’autre, souvent accompagné d’un regard doux.
Je n’avais plus parlé à Aaron depuis son aveu dans ma chambre, et l’évitai un maximum. La plaie était encore trop fragile et à vif lorsque je le voyais avec sa fiancée. Je me détestai pour avoir eu la faiblesse de flancher et avoir goûté à l’impossible. La saveur avait été délicieuse, et je ne pouvais m’empêcher de vouloir la savourer à nouveau. Aaron avait bien tenté à une ou deux reprises de me faire discrètement signe, afin de pouvoir me parler. Cependant, je m’étais éclipser, faisant mine de n’avoir rien vu. Je ne voulais pas être cette fille. L’autre fille. Nous étions sur une pente on ne peut plus dangereuse, et si nous tombions, nous entrainerions Rosa avec nous.
Je m’occupai désormais d’elle. Je ne pouvais pas le nier, c’était une jeune femme charmante. Mais l’entendre tous les soirs, lorsque je lui brossais les cheveux, me confier à quel point elle était attachée à Aaron me faisait jalouser. J’avais envie d’être à sa place. Je souhaitais pouvoir être aux côtés de cet homme comme elle en avait la possibilité. Librement. Aussi, dès que j’en avais fini avec elle, je partais rejoindre Silène. Sa compagnie était toujours aussi agréable, et pleine de caractère. J’aimais m’occuper d’elle.
La semaine n’avait pas apporté que son lot d’inconvénients. J’avais été aux côtés de mon frère. Retrouvé cette présence rassurante, me ramenait quelque peu en Gaule. De plus, il était plus facile de supporter ensemble le rapprochement de nos maîtres, que séparément. Il s’était tout de suite entendu avec Julius, et cela m’avait fait grandement plaisir quand je m’en étais rendu compte. Ces deux-là avaient de nombreux points communs, et souvent, lorsque Marcus n’avait rien à faire, il partait aider Julius à l’extérieur. Alexandre m’avait secrètement rendu visite à deux reprises dans ma chambre, lors de soirées. Son état s’était amélioré, même s’il restait de nombreux stigmates de son combat. Il me racontait à quel point son nouveau métier lui plaisait. Le voir si épanoui me réchauffait le cœur, et je remerciai les Dieux qu’il ait pu réalisé un métier convenable , plutôt qu’avoir eut à subir la condition d'esclave, comme il me l'avait proposé. Nous pouvions rire et nous confier l’un à l’autre, comme auparavant. Il était une bouffée de fraicheur dans ma vie.
La dernière bonne nouvelle avait été la rencontre avec mon petit Jason. Depuis que Marcus se trouvait à la villa, nous descendions tous les trois, Eulalie, lui et moi, aux thermes le matin. Alors que nous sortions du bâtiment, mon grand frère était apparu tout sourire.
- Que se passe-t-il ? avais-je demandé en haussant un sourcil.
- Crois-moi, me rendre aux thermes n’as jamais été aussi réjouissant !
Je l’avais regardé sans comprendre. Mais de quoi me parlait-il ? Une petite tête blonde était alors sortie de derrière ses jambes et avait couru dans ma direction.
- Daphnéeeeeee !
Sous le choc, j’avais attrapé Jason dans mes bras avant de le serrer très fort. Il sentait le propre et ses cheveux plus longs s’étaient décolorés à l’aide du soleil. Il m’avait alors regardé très sérieusement, avec son visage poupin.
- Tous les soirs, je pense à vous et je demande aux Dieux que vous soyez tous contents. Ma nouvelle maman me dit que oui, mais je peux pas vous voir, alors des fois je suis triste. J’espère que vous ne m’oubliez pas. Tu as toujours mon collier coquillage ?
- Bien sûr, assurai-je en ajoutant un clin d'oeil.
J’avais alors sorti de sous ma tunique la petite ficelle de pêcheur, ornée d’un magnifique coquillage. Le collier chevauchait celui offert par Aaron. Deux bijoux que je chérissais. Deux vies complètements différentes. J’avais été très émue par les paroles de mon frère. Il était heureux, malgré tout, il avait besoin de sa famille et pensait à nous. Marcus s’était alors approché.
- Tu sais mon grand, avait-il déclaré en s’agenouillant, moi je pense à toi tout le temps, pas seulement le soir, tu es un peu gonflé.
Je ris et Jason laissa apercevoir un sourire édenté. Ses dents de laits étaient tombées et je m'attendris
- Pourquoi vous venez pas me voir à la maison ? s’était interrogé Jason en affichant une mine triste. On pourrait vivre tous ensemble. Ma nouvelle famille avec mon frère et ma sœur.
- Ce n’est pas si simple, mon cœur…
Ses yeux bleus pleins d’espoirs s’étaient mouillés de larmes et Marcus l’avait immédiatement pris dans ses bras tandis que j’avais essayé de ne pas flancher.
- Pourquoi vous êtes ensemble et pas moi ? C’est pas juste.
J’avais regardé mon frère ainé, ne sachant quoi répondre.
- Un jour, on sera tous ensemble, assura Marcus en posant ses mains sur ses épaules.
Le maitre de Jason, en bon père de famille, apparut et nous salua brièvement. Il était accompagné d'un de ces fils et attendait notre petit frère. Je ne savais pas quand j'aurais l'occasion de le revoir, et mon moral diminua quelque peu. A chaque fois que je le quittai, le moment était on ne peut plus difficile. Il nous avait fait un bisou sur la joue et nous nous étions serrés tous les trois longuement dans nos bras. Notre famille avait été réunie. L’instant était précieux.
Les nouveaux souvenirs que je pouvais ajouter aux anciens me réchauffaient le cœur. Mon petit frère était trop jeune pour comprendre notre situation, mais il avait néanmoins conscience de l'importance de ces rares moments.
J’étais dehors, adossée contre le mur de la villa et observai le jardin fleuri. Une coccinelle se déplaçait le long de mon bras. La fin de l’après midi arrivait et je savourai ce moment de répit, avant le retour des maîtres. Je finis par entendre du bruit dans l’entrée. Aaron et Rosa étaient revenus, mais je ne bougeais pas. Je préférai rester dans un monde sans problèmes, encore quelques instants. Les secondes se transformèrent en minutes. Enfin, j'entendis des pas sur ma droite et tournai la tête. J’écarquillai les yeux, Aaron approchait. Pourquoi venait-il me voir ?
Sa silhouette se dessinait à contre jour, le soleil se couchant derrière lui. Il avait une démarche assurée et très vite, il fut à ma hauteur. Il m’observa. Moi aussi. Cela faisait longtemps que je n’en avais pas pris la peine et mon cœur s’accéléra légèrement. Ses yeux océans me sondaient. Il s’assit à côté de moi. Nos bras et nos cuisses se touchaient et sa proximité me fit immédiatement frissonner.
- Bonjour, murmura-t-il de sa voix rauque.
- Bonjour.
Plus personne ne parla. Que dire ? Alors, comment ça va dans ton couple ? Non, certainement pas. Il finit par attraper une mèche de mes cheveux blonds et jouer avec. Au bout d’un moment, je n’y tins plus. J’étais trop nerveuse pour continuer ainsi.
- Pourquoi êtes-vous là ?
J’avais repris la forme de politesse sans le faire exprès. Après tout, un faussée s’était creusé entre nous. Malgré tout, il se crispa. Il soupira et lâcha ma mèche. Il hésitait à parler. A plusieurs reprises, il ouvrit la bouche avant de la refermer. Finalement, il déclara :
- J’ai essayé, Daphnée, il fit une pause très sérieusement avant de reprendre. J’ai essayé de toutes mes forces, mais je n’y arrive pas.
Je ne comprenais absolument pas de quoi il me parlait et lui fis comprendre en fronçant les sourcils.
- Je n’arrive pas à l’aimer. Je ne devrai même pas avoir à me forcer. Développer des sentiments amoureux pour ma fiancée devrait être naturel. Mais c’est impossible. Rosa n’est pas toi.
Il prit une grande inspiration et ce qu'il demanda bouleversa tout mon être.
- Je t’en prie, je ne peux pas passer le reste de ma vie à te regarder sans pouvoir t’avoir. Enfuyons-nous tous les deux.
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Aviiiis ! :) à bientôt ^^
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