Chapitre 34
Alexandre se détacha enfin et me regarda très sérieusement, contrairement à son arrivée où il souriait. Je fronçai les sourcils. Pour quelle raison, ce changement soudain de caractère ?
- Ca va ? lui demandai-je en posant une main sur le bas de son bras.
- Je... oui. Tu as passé une bonne journée ? détourna-t-il la conversation, nerveusement.
- Bien - je ne lui parlai pas de la jalousie qui me rongeait, à cause d'Aaron chez Rosa. J'étais simplement déçue de ne pas t'avoir vu lorsque nous sommes revenues du marché, avec ma maitresse. C'est Silène, la sœur d'Aaron.
- Je vois. Elle semble prétentieuse. Nom de Jupiter, cela me fera toujours aussi bizarre de t'entendre dire « ma maitresse ». Désolé, je devais être parti chercher une marchandise au port, à ce moment là.
Nous nous déplaçâmes, pour finalement venir nous poser sur mon lit. Je passais instinctivement mes jambes sur ses cuisses, comme nous le faisions toujours en Gaule, et il sourit en voyant mon geste.
- Ne t'inquiète pas. Tu es là maintenant, c'est tout ce qui compte. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, Silène est très aimable, quand nous sommes seules à seules. Je pense qu'elle a seulement besoin d'attention.
Il hocha la tête, et nous commençâmes à discuter joyeusement. Je lui demandai s'il avait vu un de mes frères, et fus ravie d'apprendre qu'il avait croisé Jason. Il se portait merveilleusement bien, et avait apparemment grandit.
- Mon petit Jason ... Il me manque, me plaignis-je en posant ma tête contre le torse d'Alexandre.
Mon ami paraissait toujours aussi agité, comme-ci il me cachait quelque chose. Au bout d'un moment, je n'y tins plus.
- Bon. Mettons les choses au clair, attaquai-je calmement mais sûrement. Que se passe-t-il ? Cela fait des années que je ne t'ai pas vu si nerveux.
- Oh non, cela se voit tant que ça ?
Je haussai un sourcil.
- Alexandre, au cas où tu l'aurais oublié, j'arrive à décrypter la moindre de tes réactions depuis que nous avons dix ans.
- C'est vrai.
Il se frotta les yeux, visiblement soucieux et me replaça face à lui. Cela devait vraiment être très important pour lui.
- Ecoute, avant que je ne t'explique tout, sache que j'y ai énormément réfléchi avant de te l'annoncer et j'espère que notre relation n'en sera pas entachée.
- Tu commences à me faire peur...
J'étais pendue à ses lèvres, de plus en plus inquiète.
- J'y ai réfléchi pendant ce long voyage, si nous finissions par nous retrouver. Je sais que tu ne peux pas, mais je n'ai pas de quoi vivre à Rome et Salomon, le marchand qui m'a accueilli, va bientôt repartir... Je n'ai pas le choix, je dois le suivre si je veux survivre. Alors je t'en prie, je sais que ce que je te demande est égoïste, mais accompagne nous. Je ne veux pas te perdre une seconde fois...
Je me crispai, et finit par me sentir coupable à cause de mon manque d'enthousiasme. Même si l'idée de partir avec lui me réchauffait le cœur, je ne pouvais abandonner mes frères. Ni Aaron.
- Alexandre, je... ma famille...
Son regard plein d'espoir se remplaça par de la déception, mais il finit par sourire faiblement.
- Je comprends, Daphnée... Je ne peux pas te demander de faire cela, c'était stupide... murmura-t-il penaud.
La toute petite part de moi qui restait éveillée pour l'écouter, tomba à la renverse. Je ne voulais pas le voir à nouveau partir. Ma vie avait enfin prit une tournure agréable. J'avais retrouvé mon meilleur ami et notre complicité était restée intacte. Mes frères étaient prêts de moi et j'avais embrassé l'homme pour qui j'étais infiniment attachée.
- Ce n'est pas de ta faute... contrai-je en lui serrant la main. Ta compagnie me manque terriblement, mais trop de choses me rattachent à Rome désormais...
Les larmes me montèrent aux yeux. Je détestais le faire souffrir, mais l'image d'un grand brun aux yeux bleus océan persistait dans ma rétine. La vérité, c'est que je ne pouvais plus quitter Aaron après ce que nous avions partagé tous les deux la veille.
Soudain, le regard de mon ami s'éclaira, puis il parut déterminé.
- Très bien. Si tu préfères rester ici, alors soit, mais moi aussi. Je serai esclave pour rester à tes côtés. Tant pis pour ma liberté. Le plus important, c'est d'être heureux prêt de toi.
Plus il parlait, plus il hochait la tête, convaincu par ses propos et affirmant sa décision. Pour ma part, je poussais un petit cri d'exclamation et portai mes mains à ma bouche, trop surprise. Finalement, je retrouvais l'usage de la parole.
- Non ! m'indignai-je en le secouant. Tu n'as pas le droit de faire cela ! Tu crois sérieusement que je vais te laisser te faire acheter pour me voir ? Jamais ! Je préfère que tu aies toute ta liberté !
- Daphnée, non. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour te quitter à nouveau.
- Nous ne nous verrions même pas ! insistai-je en tentant de le persuader. Si quelqu'un voulait vraiment t'acheter, tu resterais en permanence dans sa demeure et tu aurais gâché ta vie. Il serait impossible de nous rencontrer.
- Je m'enfuirai la nuit pour partir à ta rencontre.
- C'est trop risqué ! piaillai-je en secouant la tête.
Il sembla réfléchir. Maintenant que l'idée de devenir esclave s'était insinuée dans son esprit, il ne semblait plus vouloir la lâcher.
- Alors, pourquoi ne pas être esclave dans cette maison ? Je serai à tes côtés.
Je fronçai les sourcils, dépitée.
- Ils n'ont pas besoin d'esclave supplémentaire... J'avais déjà demandé à Aaron d'acheter Jason, mais il avait refusé, disant que c'était inutile, expliquai-je. Ils ne prendront pas la peine de dépenser plusieurs milliers de sesterces pour toi...
Son visage n'exprimait désormais que tristesse. En plus, Aaron allait être jaloux et n'accepterait sans doute jamais. Mais cela, Alexandre n'avait pas besoin de le savoir. Il se ressaisit et afficha un petit sourire.
- Je comprends, ma belle.... Dans ce cas, je viendrai à eux, et me proposerait gratuitement. Ils m'auront en temps qu'esclave sans avoir à payer !
Il était décidemment très fière de son idée. Je soupirai.
- Alexandre, peut-être que maintenant, tu es prêt à ce sacrifice, mais bientôt tu regretteras.
Il parut s'offusquer.
- Jamais je ne...
Toc toc toc. Nous nous retournâmes immédiatement vers ma porte, alertes.
- Oh non ! couinai-je en sautant sur mes pieds. Sors par la fenêtre, tu n'es pas censé être là !
Il se releva précipitamment, et je criai un vague « j'arrive » pour que la personne patiente. Alors qu'Alexandre escaladait la fenêtre, j'eus le temps de lui glisser :
- Reste derrière ma fenêtre, ce devrait être rapide. Nous n'avons pas fini notre discussion.
Il hocha gravement la tête, me serra rapidement dans ses bras et se positionna dos contre le mur, à l'extérieur. Je courus de l'autre côté de la pièce pour ouvrir la porte. Ce n'était pas vrai ! Aaron, me regardait, légèrement inquiet.
- Tu vas bien ? Tu as mis du temps avant d'ouvrir et j'ai cru entendre du bruit.
- Désolée, je me changeais.
A vrai dire, j'avais plutôt l'air d'une folle, avec mes cheveux décoiffés et ma mine soucieuse, à cause de la nouvelle. En plus de cela, l'homme que j'avais embrassé la veille se trouvait dans ma chambre, alors que mon meilleur ami, qui soit dit en passant était bien décidé à devenir esclave dans cette maison, était juste à côté et allait tout entendre de notre conversation. J'étais fichue, je ne pouvais pas prévenir Aaron. Il ne comprendrait jamais que je fasse secrètement venir un homme dans ma chambre. Alexandre allait tout découvrir et je ne pouvais pas l'empêcher d'écouter. Faites qu'Aaron parle de sujets banals...
Il m'examina, mais contrairement à d'habitude, il ne souriait pas. Il finit par soupirer et s'avança avant de s'asseoir sur mon lit, là où se trouvait Alexandre, une minute plus tôt. Mon cœur tambourinait, attendant de voir la suite.
- Il faut que je te parle.
Cela n'augurait rien de bon et mes mains devinrent moites. Je me reculais avant de tomber sur une chaise. Il avait passé la journée avec Rosa.
- Je t'écoute, murmurai-je d'une petite voix.
Il prit une grande inspiration et se leva avant de venir s'agenouiller devant moi, en posant ses mains sur mes genoux.
- Ce qui s'est passé hier soir... commença-t-il.
Je fermai les yeux, faisant tout mon possible pour retenir les larmes et contenir la boule qui me brulait la gorge. J'attendais la suite, inquiète. Regrettait-il ? Forcément. Sinon, il n'afficherait pas cette mine contrite.
- Nous ne pouvons pas recommencer, reprit-il. Crois-moi, Daphnée. Je ne regrette en rien nos baisers. Tout était incroyable... C'était même plus qu'incroyable, c'était parfait. Je n'ai jamais eu tant d'alchimie avec une personne...
- Ne dis pas cela... le coupai-je, alors que ma voix se brisait. Si tu le penses réellement, tu ne souhaiterais pas tout arrêter.
J'avais conscience qu'Alexandre entendait tout, mais pour l'instant j'étais entièrement concentrée sur Aaron, qui me détruisait petit à petit pour la seconde fois.
- Les fiançailles ont eu lieu, chuchota Aaron d'une voix peinée. J'ai demandé à Rosa de m'épouser, et elle a accepté.
Il tentait de capter mon regard, mais je me détournai. Cet homme me détruisait encore et encore. Les larmes jaillirent. J'avais osé espérer, alors que cela avait été inévitable.
- Sors, s'il te plait, dis-je d'une voix faible en regardant le sol.
Il paraissait blessé par ma réaction. Mais comment voulait-il que je réagisse ? Que je lui saute dans les bras en lui criant félicitations ? Que je lui mette un coup de pied au derrière en le traitant de tous les noms ? Ou peut-être pire. Il avait peut être envie que je le supplie de continuer. Eh bien non.
- Daphnée, je...
- Je sais. C'est le devoir. Rosa est un parti très avantageux.
- Non. Je veux que tu comprennes, que je fais cela pour ma famille, pas pour mon honneur. Ce que je ressens pour elle n'est rien comparé à ce que je ressens pour toi.
- Arrête, je t'en prie. Pars.
Ses yeux se voilèrent de tristesse, mais il finit par se relever.
- Je n'oublierai jamais, ce qu'il y a eu entre nous, c'est gravé dans ma chaire à jamais, annonça-t-il très sérieusement. Je sais que c'est inutile de te le rappeler, mais n'en parle à personne.
- Effectivement, cela pourrait causer quelques disputes entre les jeunes mariés, répondis-je sarcastiquement.
- Cela pourrait surtout causer ta mort, contra-t-il d'une voix dure. Et s'il te plait, pour moi, prends soin de toi.
Il repartit vers la porte, alors que je n'étais plus qu'une loque humaine. J'eus malgré tout la force de détacher le collier d'émeraude.
- Prends-le.
Il se retourna et vis que je tendais ma main, avec au creux, le bijou. Il eut l'air de recevoir un coup en plein ventre, et ses yeux se firent désespérés.
- Non, il est à toi, pour toujours.
Il disparut, après avoir fermé la porte. Je m'écroulais en sanglotant. Lorsqu'il avait prononcé ces mots, il ne semblait pas seulement avoir parlé du collier. Les deux hommes en dehors de ma famille, auxquels je tenais le plus m'avaient complètement retournée au cours de la soirée. J'étais passée de l'inquiétude, à la conviction, avant de ressentir de la peur, puis, finalement, une grande tristesse. Soudain, je relevai la tête. Alexandre, devait encore être à ma fenêtre.
Je me redressai fébrilement et partis voir. Dehors, tout était désert. Mon meilleur ami, était parti en entendant tout ces aveux. J'étais seule.
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