Chapitre 24

Aaron

Cette soirée me plaisait de plus en plus. J'étais tellement détendu après avoir discuté avec Daphnée. C'était agréable, presque naturel. Le problème, c'est que ce que je faisais était mal. Le temps que je passais avec mon esclave, j'étais censé le passer avec ma future femme. A tout instant, nous pouvions être découverts, et ce serait le chaos. Que dirait mon père ? Ma mère ? Les patriciens ? Malgré tout, je ne voulais pas décevoir Rosa, après ce qu'elle avait vécu avec son précédent fiancé. Je ne me contentai donc de parler avec Daphnée, à l'écart des autres. Je trouvais que les contraintes qu'elles m'avaient imposées étaient plus que justifiables, compte tenu de notre rang.

Nous marchions dans l'obscurité, le plus discrètement possible, afin d'atteindre la cuisine. Le plus délicat avait été de passer devant les chambres de ma famille sans émettre le moindre bruit. Daphnée était passée une ou deux minutes avant moi, afin de prendre le moins de risque possible. Lorsque j'avais traversé le couloir, j'avais retenu ma respiration et guetté le moindre bruit. Finalement, nous étions arrivés dans la cuisine sans encombre. A un moment, mon ventre avait gargouillé si fort, dans le silence de la maison, que cela avait raisonné. Nous nous étions alors figés, et Daphnée m'avait fait les gros yeux. Son expression était si comique que j'avais vainement tenté de m'empêcher de rire. Un bruit étranglé était sorti de ma gorge et elle avait couru vers moi pour me taper le bras et poser la main sur ma bouche. J'avais immédiatement repris mon sérieux, lorsque la sensation de sa peau sur mes lèvres m'avait fait frissonner. Ses yeux semblaient agars, regardant dans toutes les directions, prêts à la moindre éventualité. Finalement, elle se redressa et recommença à marcher.

Lorsque nous fûmes devant la porte de la cuisine, elle me chuchota :

- Restez ici, je vérifie qu'il n'y à personne. Si je ne suis pas de retour dans une minute, repartez dans votre chambre.

J'hochai la tête et elle s'engouffra dans la pièce. Je vis sa peau laiteuse, contrastant avec la nuit disparaître, et attendis, impatient. Je tournai la tête, vérifiant que personne n'était apparu (Mieux valait être trop prudent que pas assez). La salle à manger semblait toujours aussi déserte. Au bout de quelques instants, une main fraiche m'agrippa le poignet et me tira dans la cuisine. Je tournai immédiatement mon regard vers Daphnée, souriante.

- La voix est libre, m'informa celle-ci, soulagée.

Une fois dans la petite salle, nous nous fixâmes, ne sachant plus quoi faire.

- Eh bien, commençai-je narquois, je n'aurais jamais pensé qu'il était si difficile d'aller d'une pièce à une autre.

- Rien n'est encore fait, le retour n'a pas encore eu lieu, après tout.

Je souris à pleines dents, et m'assis sur la première chaise que je trouvais. La cuisine était plongée dans le noir, seulement éclairé par la lueur de la lune passant par la fenêtre. C'était la première fois que je voyais la pièce si calme et si bien rangée.

- Qu'est-ce que tu comptes me faire à manger, femme ?

Elle n'eut pas l'air de comprendre ma note d'humour, et se renfrogna.

- Je dois donc vous servir jusqu'au bout, maître ?

Elle insista tellement fort sur le dernier mot, que je sursautais légèrement. Elle attrapa une tranche de pain de façon sèche et commença à la couper sans douceur. Elle faisait un peu trop de bruit à mon goût, ce qui m'irrita.

- Je rigolais Daphnée, calme toi.

Ses épaules se décontractèrent, et ses mouvements se figèrent. Son regard accusateur me fit me tasser dans ma chaise.

- Cela n'avait rien de drôle, si vous parlez des conditions dans lesquelles nous vivons.

Je me tus, cherchant quelque chose pour détendre l'atmosphère, qui avait pris une tournure beaucoup trop critique. Finalement, je me levais et me plaçais à côté d'elle.

- Apprends-moi à cuisiner, je n'ai jamais essayé, soufflai-je.

La frustration quitta ses jolis traits, remplacée par l'étonnement.

- Vraiment ? Vous n'avez jamais voulu essayé ?

Je poussai un soupir, espérant que la conversation ne dérape pas à nouveau.

- A quoi cela m'aurait servi ? J'ai toujours eu des esclaves pour faire tout ce que je souhaitais à ma place.

- Très bien, marmonna-t-elle tristement. Que voulez-vous essayer ?

- Un gâteau ! m'exclamai-je en essayant malgré tout de parler le moins fort possible.

- Cela risque d'être trop compliqué grimaça-t-elle. On comprendrait rapidement que le four a été utilisé, avec le bois en moins. En plus, l'odeur se propagerait.

- Oh... compris-je, déçu. Si nous enlevons tous les aliments à cuire, cela ne laisse plus beaucoup de possibilités. Je crois que je vais me contenter d'un fruit, avec une tranche de pain et du fromage.

- C'est ce qu'il y a de mieux à faire.

Daphnée aussi semblait chagriné de ne pas m'avoir vu cuisiner. Elle m'indiqua où se trouvait tout ce que je cherchais et je commençai à manger. Tout en mâchonnant, je me rendis compte qu'elle me regardait sans rien faire.

- Ne sois pas ridicule, mange avec moi, l'incitai-je en tapotant la chaise à ma droite.

Elle parut hésiter plusieurs secondes avant d'attraper un fruit et de le croquer à pleine bouche. Je ne pus m'empêcher de regarder le jus du fruit dégouliner le long de ses lèvres pulpeuses. Je me raclai la gorge et me concentrai sur ma tranche de pain. C'était la première fois que nous mangions en même temps, et sûrement la dernière. Elle semblait savourer chaque bouchée, profitant un maximum de la saveur, comme-ci la possibilité de manger ce fruit ne se présenterait plus jamais. C'est à ce moment là que je compris que je ferais tout mon possible pour la préserver de la faim, et des autres malheurs. Elle ne pouvait pas tout tenter dans cette relation, elle avait tout à perdre. J'étais égoïste en voulant passer le plus de temps possible avec elle. Elle méritait tellement mieux.

- Arrêtez de me fixer la bouche ouverte, vous bavez.

Sa réflexion me fit revenir à la réalité et ma bouche se referma. Elle rit légèrement, amusée par mon air perdu.

- Allez-vous coucher si vous n'êtes même pas capable de manger sans partir dans la lune.

J'allais lui répondre qu'en effet, il valait mieux, quand un bruit de pas dans l'escalier se fit entendre. Quelqu'un remontait. Nous nous figeâmes, pétrifiés par l'horreur que cela impliquait. La personne remontait et une porte claqua. Soudain, nous comprîmes et sautèrent sur nos pieds, Daphnée attrapa tout ce que nous avions disposés sur la table et les rangea rapidement à leur place initiale, je l'aidai également, afin que cela aille plus vite. Les pas se rapprochaient et mon cœur battait la chamade. Ma vie allait être ruinée. SA vie allait être ruinée. Qu'allions nous dire ? Qui était-ce ?

Daphnée ne concevait visiblement pas de se faire prendre ce soir car elle me poussa dans le premier grand placard qu'elle trouva, et s'engouffra à son tour avec moi. Le placard était assez large et haut pour nous contenir tous les deux, mais nous étions désormais à l'étroit quand elle referma la porte qui nous cacha. Une casserole s'enfonçait dans mon dos mais cela n'avait aucune importance. Nous étions collés l'un contre l'autre, terrorisés. Je vis que Daphnée avait les larmes aux yeux, mais se retenait. Elle était si courageuse que j'eu envie de la serrer dans mes bras. Bien entendu, ce n'était absolument pas le moment. Mon sang palpitait dans mes veines, et j'avais les mains moites lorsque j'entendis la porte de la cuisine grincer. C'était le pire son que je n'avais jamais entendu. Les pas étaient désormais forts, et lourds. La personne s'arrêta, elle devait être en train d'examiner la pièce. Faite qu'elle n'ouvre pas le placard ! Faite qu'elle n'ouvre pas le placard ! Priai-je. La main de Daphnée s'accrocha à la mienne et je la serrai de toutes mes forces. Les pas reprirent, se rapprochant d'avantage. Je fermai les yeux, comme-ci j'avais le pouvoir de me téléporter.

- J'aurais juré avoir entendu des voix... grogna la voix nasillarde d'Auguste.

Mes muscles se contractèrent. Toujours à arriver au mauvais moment celui là ! Je ne savais absolument pas comment ma mère faisait pour le supporter. J'avais si peur. S'il nous découvrait, il n'hésiterait pas à aller la prévenir. Cela signerait l'arrêt de mort de Daphnée. Mes yeux se posèrent sur elle, et l'effroi était si présent dans ses pupilles que je voulus tout faire pour la rassurer. Mais je ne pouvais pas ! J'étais enfermé dans un placard, mon sort entre les mains d'un vulgaire esclave sous les ordres de ma mère ! J'étais si frustré de ne pouvoir rien faire. Je sentais le souffle de Daphnée et sa chaire de poule.

Auguste bougea à nouveau.

- Ce n'est pas possible ! Il y a des miettes de pains partout ! Il faudra que j'en touche deux mots à Stella, si elle n'est même pas capable de tout nettoyer correctement !

Après s'être plain une dernière fois, le garçon s'éloigna et on entendit la porte de la cuisine grincer à nouveau. Enfin, on perçut des pas dans l'escalier et une porte éloignée claqua. Nous restâmes figés encore de nombreuses minutes, sous le choc. Nom de Jupiter, nous n'avions pas été découverts ! J'étais si soulagé ! Daphnée été saine et sauve, elle ne serait pas tuée. Tout le monde était encore dans l'ignorance. Cela m'avait causé une telle frayeur ! J'en tremblais encore.

Je pris alors conscience que nous ne pouvions pas tenter une nouvelle fois ce qu'il venait de se passer. Il fallait que je nous protège, quitte à paraître pour un insensible. Je tournai la tête vers Daphnée. Ses larmes dégoulinaient le long de ses joues, et elle avait les yeux écarquillés, ainsi qu'un grand sourire aux lèvres. Elle paraissait si petite, si fragile. Je me retins de l'embrasser. Au contraire, je me détestais pour ce que je lui dis ensuite.

- Tu as vu ce qui aurait pu arriver par ta faute ? crachai-je. Tu n'es qu'une moins que rien, ne m'approche plus jamais. A cause de toi, mes chances de me marier avec Rosa auraient été réduites à néant.

Son si joli sourire se décomposa sous mes yeux. Je vis d'abord dans son regard de l'incompréhension, puis de la confusion, de la déception, de la tristesse, de l'indignation. Et enfin, la colère. Je l'avais abandonnée de la pire des manières. Elle ne chercha même pas à me parler. Elle sortit précipitamment du placard et disparut. Je n'entendis plus le moindre bruit. Elle avait dû se faire discrète pour qu'Auguste ne l'entende pas.

Pour ma part, je ne bougeais pas. J'avais juste une boule dans la gorge. J'avais envie de me frapper. Je glissai le long du mur et fermai les yeux. J'avais fait le mieux que je pouvais faire. Cela ne pouvait pas continuer ainsi. C'est sans m'en rendre compte que je repartis dans ma chambre, des souvenirs confus de toute cette soirée pleins la tête.

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Que pensez vous de la réaction d'Aaron ? A bientôt ! :)

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