Chapitre 16
Le reste de la soirée se passa dans une sorte de brouillard d'excitation. J'étais tellement euphorique à l'idée de revoir mon frère que je ne me rappelais pas exactement le déroulement de fin de journée. Aaron avait affiché un grand sourire moqueur en me voyant pour le repas, pensant sûrement qu'il avait eu ce qu'il voulait. Il ne savait pas que sa sœur en avait décidé autrement. Il rirait moins le lendemain, lorsqu'il se rendrait compte que je les accompagnai et qu'il serait obligé de rencontrer sa potentielle future épouse. Allait-elle lui plaire ? Peut-être serait-ce immédiatement le coup de foudre entre eux. Beaucoup de monde avait l'air de dire que c'était une jeune femme magnifique et intelligente. Je me demandais malgré tout pourquoi son ex fiancé avait soudainement décidé d'annuler le mariage. Pour je ne sais quelle raison, je souhaitais que leur entrevue se passe mal et qu'ils n'aient aucun point commun. Je ne pus m'empêcher de m'interroger sur comment cela aurait été si la situation avait été inversée. Si j'avais été une riche romaine et qu'elle n'avait été qu'une simple esclave, ce serait-il intéressé à moi ? C'était sans importance.
Le lendemain lorsque je fis ma descente matinale dans Rome en compagnie d'Eulalie, je ne pus me contenir plus longtemps et lui racontai toutes les nouvelles. Elle fut ravie pour moi lorsqu'elle apprit que j'avais revu Jason et que je m'apprêtai à voir Marcus le soir même. Après cela, la journée se déroula tranquillement. Je passais plusieurs heures en compagnie de Silène, à m'occuper d'elle. Comme elle l'avait imaginé, peu avant le départ prévu, sa mère vint toquer à la porte de sa chambre.
- Ma chérie, tiens toi prête pour bientôt, nous avons un repas ce soir et ton père souhaite qu'absolument toute la famille soit présente.
Sa fille ne décrocha pas le regard de son livre et hocha simplement la tête. Elle finit par me demander de la préparer. La tunique couleur soleil qu'elle choisit était magnifique. Je l'aidais à l'enfiler et elle me remercia. Ensuite, elle mit une fine ceinture tressée en cuire à sa taille et se recouvra d'un léger voile plein de motifs sur ses épaules. Elle était vraiment resplendissante. Je me demandais pourquoi son père ne cherchait pas à la marier, tout comme il s'évertuait à le faire avec son frère. Je maquillais légèrement Silène et la coiffai élégamment. Elle décida de porter des boucles d'oreilles avec des perles et une bague pourvue d'une pierre précieuse. Pour ma part, je restai telle que j'étais. De toute manière, je n'avais pas bien le choix quant à ma tenue.
Nous partîmes dans l'entrée où son père et sa mère nous attendaient. Carmen porta immédiatement un regard froid sur moi.
- Que fait-elle à rester planter là ? Elle n'a qu'à s'occuper de quelque chose dans la villa ! siffla la maîtresse des lieues en me désignant.
- J'ai décidé qu'elle m'accompagnerait au repas. Après tout, c'est mon esclave attitrée... répondit Silène d'une voix calme.
- Il vaudrait mieux que...
- Peu importe. Qu'elle vienne. Cela n'a aucune importance, coupa Julien en faisant taire sa femme par la même occasion.
Il semblait tendu et regardait sans cesse le couloir.
- Le plus important, c'est qu'Aaron arrive au plus vite. Qu'est-il encore en train de trafiquer ?
Au même moment, son fils apparut dans l'entrée. Il avait la mâchoire contractée, et on remarquait instinctivement qu'il se forçait à venir, à cause de sa démarche sûre mais désintéressée. Il n'avait fait aucun effort esthétique, portant une de ses tuniques habituelles et il n'avait pas pris la peine de se raser. Malgré tout, sa barbe de trois jours mettait en valeur ses yeux d'un bleu profond et la couleur de son teint. Sans le vouloir, il était d'une beauté à couper le souffle. Il arriva face à nous et lança froidement à son père.
- Allons-y. Qu'on en finisse au plus vite.
Je m'étais mise légèrement en retrait, ce qui signifiait qu'il ne m'avait pas encore repéré. La famille se mit en route. Il faisait encore jour, en vue du mois dans lequel nous nous trouvions et seuls quelques nuages cachaient le ciel bleu, légèrement rosé. Les oiseaux continuaient de gazouiller, cependant l'atmosphère était malgré tout tendue. Le père et le fils n'avaient aucunement envie de s'adresser la parole, quant à la mère et la fille, la situation ne semblait en rien les déranger. Nous marchions avec une cadence élevée et j'étais de plus en plus stressée. Dans quel état se trouverait mon frère ainé ?
- J'espère qu'Aaron va se détendre, sinon c'est clair que sa fiancée va le trouver bien coincé...me chuchota Silène.
Je souris, amusée par sa réflexion. Elle n'avait pas du être assez discrète car Aaron se retourna et l'assassina du regard.
- On ne t'a pas demandé ton avis.
Son regard se décala vers la droite et il m'aperçut enfin. Il écarquilla les yeux, puis, fronça violemment les sourcils.
- Que fais tu là, Daphnée ? Je t'avais interdit de venir, rentre immédiatement à la maison.
- C'est mon esclave, je te signale, protesta Silène en faisant un petit sourire victorieux. J'ai décidé qu'elle m'accompagnerait, je risque d'avoir besoin d'elle.
- C'est vrai qu'elle te sera bien utile là-bas. On ne sait jamais, tu as raison. Si tu te casses un ongle, tu l'auras à disposition pour te les limer ! ironisa-t-il.
Il s'était mis à notre hauteur, et nous avancions désormais tout les trois côte à côte. Nous nous trouvions dans le centre de la capitale et empruntions de petites allées sinueuses. Nous devions être dans un riche quartier car les appartements étaient impressionnants et les devantures bien décorées. L'agitation était encore présente à cette heure avancée de la journée, même ci il y avait beaucoup moins de monde qu'aux heures de marché.
- De toute façon, qu'est-ce que sa présence peut bien te faire ? Cela n'a aucune importance qu'elle soit là ou non, pour toi, se défendit sa sœur. En plus, il se peut que ce soit sa nouvelle maîtresse, il faut bien qu'elle la rencontre un jour ou l'autre.
Aaron sembla vouloir protester mais décida de se taire. Nous continuâmes notre avancée dans les rues romaines en silence pendant encore quelques minutes, jusqu'à ce que notre petit groupe s'arrête face à une grande maison. C'était un édifice tout en hauteur, mais plutôt étroit. Je comptais quatre étages grâce aux fenêtres. Les matériaux luxueux étaient de couleur chaude. Julien finit par toquer. Nous étions tous tendus. Au bout de quelques instants, la porte s'ouvrit sur un jeune garçon frêle et apeuré. Il parut instantanément soumis à la famille, et se courba.
- Bienvenue, je vais de ce pas informer mon maître Sébastien que ses hôtes sont arrivés. Entrez, je vous en prie.
Nous pénétrâmes à l'intérieur. L'entrée était richement décorée et spacieuse, tout comme devait l'être le reste de l'habitation. On voyait partout autour des fresques et des meubles en bois taillés avec de précieux objets sur le dessus. Au fond un grand escalier en pierre permettait d'accéder à l'étage. L'esclave s'éclipsa rapidement et partit prévenir son maître.
L'attente fut brève, car un vieil homme descendit l'escalier, alors que nous attendions dans en silence son arrivée. Il était comme dans mon souvenir : petit, grisonnant, maigre et un regard malveillant. Une haine profonde enfla en moi, mais je la contrôlai. Après une lente descente, il vint nous saluer.
- Julien ! Mon ami ! Cela me fait plaisir de te voir ! Je vois que tu as ramené ta famille au grand complet. Ton fils va adorer ma fille, n'est-ce pas Aaron ?
Il tourna ses yeux gris vers celui-ci qui hocha froidement, mais poliment la tête. Le vieillard fit une accolade aux deux hommes et salua les deux femmes. Bien sûr, il m'ignora royalement.
- Carmen, toujours aussi ravissante... poursuivit-il, suivez moi dans la salle à manger, on nous a préparé un festin.
Aaron sembla chercher quelque chose autour de lui, fronçant les sourcils et examinant attentivement la pièce. Essayait-il de trouver une sortie cachée, ou peut-être voulait-il apercevoir Rosa ? Il finit par appuyer son regard dans le mien et lâcha discrètement.
- Tu n'as pas intérêt à quitter ma sœur d'une semelle, je te surveille.
Mais pourquoi s'obstinait-il à ce point ? Il ne voulait pas que je vois Marcus... Nous pénétrâmes dans une grande pièce à vivre où plusieurs divans étaient disposés tout autour d'une table garnie de fruits frais. Sur un des sofas, une jeune fille était déjà allongée. Son corps fin mais gracieux possédait une taille marquée et de belles courbes. Sa peau, blanche comme le lait, contrastait avec une imposante chevelure brune ondulée. Ses yeux noisettes étaient pourvus de longs cils charbonneux et renvoyaient un regard emplit de sympathie. Un doux sourire éclairait son visage. La jeune femme était vraiment belle. Julien se racla la gorge.
- Je vous présente ma fille, Rosa.
Nom de Jupiter, c'était elle ! Ce qu'on racontait à son sujet était vrai, elle était ravissante. Un peu trop même... Je me mis à la jalouser involontairement et lançai un regard à la dérobée vers Aaron. Fini son petit air contrarié, il affichait désormais un large sourire et fit un clin d'œil à sa future fiancée qui rit légèrement. Il se décida à s'approcher d'elle et lui fit un baise main.
- Enchanté Rosa, tu es sublime ce soir.
- Je te renvoie le compliment.
Il rit et s'assit sur le divan à côté d'elle, toujours en l'admirant. Mon cœur se serra. Les invités prirent place et le repas pu débuter. Nous étions en soirée, ce qui signifiait qu'il allait durer une éternité. De longues heures de tortures se profilaient devant moi. J'eus l'idée de m'éclipser discrètement pour partir à la recherche de mon frère. Après tout, Aaron était bien trop absorbé par sa nouvelle conquête. Finalement, je me résolu à attendre sagement à l'écart, espérant l'apercevoir.
Lorsque les plats commencèrent à défiler, je guettai chaque esclave entrant et sortant espérant découvrir Marcus. Il n'était là nulle part. Je palis en voyant l'état de toutes ces personnes. Ils avaient tous un regard vide et apeuré ainsi qu'un corps chétif. Leurs vêtements, si l'on peut appeler cela des vêtements, étaient usés jusqu'à la corde. Tous semblaient avoir été battus. On apercevait des hématomes ou des blessures plus ou moins vieilles sur un bras, une jambe, le visage. Au moindre faux pas, Sébastien n'hésitait pas à hurler sur ses esclaves qui se recroquevillaient lentement, s'attendant sûrement à un coup.
Le diner avançait et Marcus n'était toujours pas en vu. Par contre, les deux tourtereaux ne se gênaient pas pour être vus, eux. Leur conversation paraissait insatiable et ils avaient sans cesse un regard amusé l'un envers l'autre. Ils s'échangeaient parfois une caresse discrète sur le bras, ce qui m'agaçait. Ils auraient au moins pu attendre d'êtres seuls. Julien et Sébastien semblaient ravis de leurs ententes et discutaient fortement. Silène et Carmen s'échangeait quelques mots de temps en temps, essayant de faire passer le temps. La femme de Sébastien n'était pas là, je me demandais où elle pouvait bien se trouver.
Quand le dessert commença à être servi, je sentis un tapotement sur mon épaule. Sursautant, je me retournais vivement. Un grand sourire éclaira mon visage. Mon frère était devant moi. Je ne pu retenir un léger cri de joie. Il mit un doigt devant sa bouche, souriant, et me fit comprendre de ne pas faire de bruit. Il m'attrapa la main, et m'entraina discrètement à l'extérieur de la pièce.
Lorsque nous fûmes dans l'entrée, je lui sautai immédiatement au cou. Il souriait à pleines dents et me berça tout en rigolant légèrement.
- Ma Daphnée, tu m'as tellement manqué ! Je n'osais même pas espérer te voir.
- Je n'aurais manqué cela pour rien au monde.
Je resserrai d'avantage mon étreinte, dans ses bras protecteurs. Malgré sa carrure, je sentis qu'il avait maigrit, ses côtes saillaient contre mon corps. Je me redressai légèrement et l'observai. Son visage s'était amincit et une barbe brune recouvrait maintenant ses joues creusées. Ses cheveux avaient également poussés et je ne pus m'empêcher de passer une main dans ceux-ci. Malgré sa joie de me voir, un regard de détresse qu'il essayait de dissimuler se percevait au fond de ses yeux. Un énorme hématome s'étendait sur sa joue gauche, et il avait la lèvre fendu. J'eus immédiatement une boule dans la gorge. On n'avait pas le droit d'infliger cela à mon frère.
- Il te bat, Marcus.
Ses yeux se voilèrent.
- Ce n'est rien de grave je te jure, ne t'inquiète pas pour moi.
- Mais comment peux-tu dire cela ? Je me faischaque jour tellement de soucis, à ton sujet... Regarde dans quel état tu es.
- Je suis fort, petite sœur.
- Oui, mais tu n'es pas invincible.
Il tenta de sourire. Et me reprit dans ses bras. Je m'imprégnais de sa présence qui m'avait tant manqué. Malheureusement, je me mis à sangloter. L'état dans lequel il se trouvait était pire que ce que j'imaginais, et il tentait de me cacher la vérité.
- Hé, ne pleure pas ... me rassura-t-il.
Au lieu de répondre, je me collai d'avantage contre lui.
- Tu as revu Jason ? chuchota Marcus.
- Hier. C'était la première fois depuis qu'on avait été séparé. Il se porte très bien, sa famille est formidable. Tu lui manques.
Il souffla de soulagement et me frotta le dos.
- Il me manque aussi.
Nous étions enlacés, savourant ce moment quand une voix masculine tonna derrière nous.
- Daphnée ! Qu'est-ce que je t'avais dit ?
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Prochain chapitre du point de vue d'Aaron ! Vos avis ? :)
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