Chapitre 15
Jason se mit à courir comme un fou lorsqu'il me reconnut. Il évitait les personnes avec agilité, essayant à tout prix de se rapprocher de moi. Sa maîtresse, une jeune femme, fronça les sourcils et commença à crier après lui lorsqu'elle vit qu'il s'échappait. Quand elle comprit vers qui il se rendait, elle cessa de le héler, et partit à son tour calmement dans ma direction. Mes pas m'avaient également porté vers mon petit frère sans que je ne m'en rende compte. Dans quelques instants, j'allais pouvoir le toucher, chose que je n'avais pas faite depuis, il me semblait des années. Des larmes de joie coulaient le long de mes joues.
Lorsque nos deux corps se percutèrent, un sentiment de bonheur pur m'emplit. J'étais si heureuse de le sentir près de moi après tout ce temps. Il s'était mis à sangloter et me serrait contre lui le plus fort que son petit gabarie lui permettait. Je m'étais penchée à sa hauteur afin de le regarder de plus près. Il avait repris du poids depuis la dernière fois, et il paraissait bien traité. Ses yeux verts avaient toujours le même éclat.
- Mon Jason... chuchotai-je, alors qu'il était blotti contre mon cou.
Ses petits bras frêles me retenaient, m'empêchant de me reculer pour mieux le contempler. Silène et sa maîtresse étaient arrivées à notre niveau et attendaient patiemment que nous nous détachions l'un de l'autre. La sœur d'Aaron finit par toussoter, afin de nous faire comprendre que nous étions longs. Je finis par me relever mais Jason me retint par le bras.
- Non, Daphnée ne pars pas... me supplia-t-il, sa voix se brisant.
- Je n'ai pas le choix, tu le sais bien. Tu es heureux dans ta famille ?
J'essayai de toutes mes forces de ne pas l'attraper et de partir en courant avec lui. Il sourit de toutes ses dents.
- Oui, ils sont gentils avec moi. Lucia m'apprend pleins de choses dans la maison. Je me suis fait un copain, il s'appelle Hector, des fois, il me prête ses jouets et on peut s'amuser ensembles. Par contre ses sœurs, Aurore et Clémence, elles n'ont que trois ans et elles ne font que pleurer.
Je fus soulagée d'apprendre que Lucia, mon amie au court du voyage, prenait soin de lui.
- C'est normal à cet âge-là, et que fais-tu comme tâches chez eux ?
- Des fois je travaille dans le jardin, mais la plupart du temps, j'aide Lucia. Chloé et Emile disent que ça ne sert à rien de me surmener, et ils aiment bien me voir passer du temps avec Hector, il n'a que deux ans de moins.
J'en déduis que Chloé et Emile étaient les parents. J'en profitais pour adresser à la mère de famille un sourire plein de reconnaissance qu'elle me rendit aussitôt.
- Et toi Daphnée, ta nouvelle famille est bien ? Dis, est-ce que tu as revu Marcus ? Vous me manquez.
- Tu nous manques aussi, mon cœur. Oui je suis très bien dans ma famille, ne t'inquiète pas pour moi et non malheureusement, je n'ai pas revu Marcus depuis la vente.
Je tentai de ne pas paraître peinée ou anxieuse devant mon petit frère.
- Daphnée, il serait temps de partir, annonça Silène en retrait derrière moi.
- J'arrive, laissez-moi juste le temps de lui dire au revoir.
- Ne traine pas trop, j'aimerais finir mon tour, sans t'attendre une éternité si possible.
Je me tournai à nouveau vers mon petit Jason et posai mes deux mains sur ses épaules.
- Prends soin de toi, ne fais pas de bêtises. Obéis bien aux ordres et n'oublie pas qu'on t'aime. Je suis contente que tu te sois fait un ami. Passe le bonjour à Lucia.
Je passais une main dans ses cheveux blonds et le serrai fort contre moi, essayant de le rassurer un maximum. Je le sentis hocher la tête. Maintenant qu'il était avec moi, je n'avais plus envie de le quitter. Mon instinct protecteur avait reprit le dessus. Malheureusement, je me forçais et me remis debout, je m'approchais de Chloé.
- Merci madame, pour tout ce que vous faites pour lui.
- Il n'y a pas à me remercier. Il me fait penser à mon fils tu sais, je ne lui ferais pas de mal, ne te fais pas de soucis.
Je fus prise d'un élan de gratitude envers cette femme généreuse. Je la saluais, fis demi-tour et regardais une dernière fois mon frère, lui faisant un signe de la main, avant de repartir en direction de ma maîtresse. Celle-ci paraissait agacée par ma lenteur mais ne fit aucune remarque. Jason continuait à me fixer, immobile, des larmes coulant sur ses joues rebondies. Cette vision me serra le cœur, mais malgré tout je savais qu'il était bien traité, ce qui me donna la force de ne pas retourner vers lui. Silène et moi nous remîmes en route, finissant notre petit tour au marché. Finalement, nous retournâmes à la villa au bout d'une heure.
Lorsque nous pénétrâmes dans l'habitation, Aaron et son père Julien semblait en grande conversation. Sans nous être mises d'accord, nous ralentîmes le pas pour écouter leur échange. Nous étions derrière la fontaine, ce qui signifiait que nous pouvions les observer sans qu'eux nous voient.
- Non Aaron, j'ai été clair là-dessus, le repas ne sera pas décalé, un point c'est tout ! tonna son père.
- Je n'ai aucune envie de rencontrer cette famille, surtout si la fille en aime déjà un autre ! contra Aaron d'une voix implacable.
On sentait qu'il fulminait, mais que malgré tout, il essayait de se contenir.
- Mais peu importe ! L'amour n'a aucune importance dans ce genre d'engagement ! Il faut que tu penses aux intérêts politiques que cela peut nous rapporter, mon fils... tenta-t-il.
- On parle de ma vie, là ! Je ne compte pas me marier avec une femme qui ne me plaît pas ou qui n'en a rien à faire de moi, si c'est pour passer le restant de mes jours avec elle !
- C'est donc pour cela que tu refuses toutes les jeunes femmes depuis le début ? Tu considères qu'aucune n'est assez bien pour tes beaux yeux ? cracha-t-il. Bon dieu, Aaron ! Plus une alliance sera faite tôt, mieux ce sera ! Cesse de tergiverser.
- Vous croyez donc que je fais exprès de retarder le mariage ? Ce n'est tout de même pas de ma faute si toutes les jeunes filles que vous me présentez sont stupides, déprimantes ou laides !
- Tu rêves trop ! La femme parfaite n'existe pas.
- Peut-être bien que si... murmura Aaron.
- En attendant, demain soir tu te présenteras comme convenu chez Sébastien. Sa fille, Rosa, est on ne peut plus charmante. Je me fiche, qu'elle ne te plaise pas. L'accord que nous avons eu avec Sébastien est de plus en plus solide, tu vas rencontrer ta future femme.
Il allait chez le maître de Marius ! Et il allait s'engager... Une pointe d'excitation et de déception se mêlèrent dans mon esprit.
- Comment osez-vous dicter ma vie ? rugit Aaron en se mettant à faire les cent pas, une main dans les cheveux.
- Je suis ton père, tu seras toujours sous mes ordres ! Nous t'accompagnerons ta sœur, ta mère et moi. Je veux vérifier que tu ne fasses aucun faux pas.
- Voilà qu'on m'observe comme une bête !
- Assez ! Sois prêt demain pour dix-huit heures.
Julien n'attendit pas la réponse de son fils et tourna les talons, s'enfonçant dans l'obscurité du couloir. Aaron, fulminant, s'adossa contre le mur, la mâchoire contractée. Il gronda, tant la situation l'énervait, et lança soudainement son point contre le mur de façon brutale. Il souffla, et retira sa main dégoulinante de sang. A son tour, il partit dans sa chambre.
- Et voilà ! Je vais encore devoir passer une de mes soirées chez un magistrat à cause de mon frère ! grogna Silène d'une voix faible. Je suis certaine qu'on va me prévenir demain à la dernière minute...
- Ils ont bien parlé de Sébastien ? demandai-je sans accorder d'importance à son discours.
- Oui, un vrai truand celui là... Tu le connais ?
- Mon frère est son esclave.
- Oh ! Désolée pour toi... murmura-t-elle.
- Cela vous dérange si je pars soigner votre frère ?
Elle fronça les sourcils, comprenant que j'étais complètement ailleurs. Finalement, elle hocha la tête, et je partis sans un regard. A vrai dire, j'étais tellement occupée à élaborer un plan que j'étais passée outre des mesures de politesse. Il fallait à tout prix que j'accompagne la famille dans cette maison. J'avais l'occasion de voir mon grand frère et de prendre conscience de l'état dans lequel il se trouvait. Cela n'allait pas être chose simple. Malheureusement, maintenant que j'avais eu l'occasion de voir mon petit blondinet ce matin, l'envie de voir mon grand brun était d'autant plus forte !
Je partis en direction de la salle où les produits étaient rangés et pris de quoi désinfecter et un bandage. Il fallait que je parle à Aaron et le convainque de me laisser venir. J'espère sincèrement qu'il allait accepter. Une fois munie de tout ce dont j'avais besoin, je pris la direction de sa chambre. Eulalie m'avait bien prévenu qu'aucun esclave ne pouvait entrer. Malgré tout, je pris le risque car la cause me tenait bien trop à cœur. Une fois arrivée devant la fameuse pièce, je toquais doucement. Je pensais attendre quelques instants, mais la porte s'ouvrit brusquement sur un Aaron furieux. Il sembla surpris de me voir et la porte se referma derrière lui. Il resta dans le couloir avec moi.
- Quoi ? dit-il abruptement.
Je sursautais. C'était la première fois que je le voyais aussi en colère.
- Je... je voulais.... Enfin c'était pour... bégayais-je.
- Mais articule quand tu parles ! Je ne comprends rien.
- On m'a dit que vous vous étiez écorché. J'ai pensé qu'il vaudrait mieux soigner la plaie.
- Ce n'est pas nécessaire.
Mes yeux se posèrent sur sa main. Celle-ci avait commencé à enfler et du sang séché s'agglomérait tout autour de la plaie encore à vif.
- On dirait bien que si. Ne vous inquiétez pas, ce sera rapide et cela ne fera pas mal.
Il ricana méchamment.
- Si tu crois que je refuse que tu me soignes parce que j'ai peur de la douleur, tu te trompes complètement. En fait, je ne veux juste pas te voir. Je ne veux voir personne.
Sans le vouloir, sa remarque me blessa. Je savais que je n'étais qu'une esclave pour lui, malgré tout, j'imaginais qu'il était légèrement attaché à moi, après les attentions dont il avait fait preuve à mon égard. Apparemment non. Je me raclai la gorge. Il ne fallait pas qu'il remarque que sa pique m'avait atteinte. J'étais venu pour une demande, je n'allais certainement pas repartir sans la réponse.
- J'insiste. Je n'ai pas plus envie que vous de passer du temps à vos côtés, crachai-je.
Ce que je venais de dire restait à discuter. J'aimais passer du temps avec lui, lorsqu'il était aimable avec moi. Il plissa les yeux mais finit par soupirer. Aaron partit dans la salle de bain et m'invita à le suivre. Tout n'était pas perdu.
Une fois dans la salle d'eau, il s'assit sur une chaise et me tendit sa main, attendant que je le soigne. L'expression sur son visage était dorénavant neutre, impatiente peut-être. La blessure n'était vraiment pas belle à voir. La vue du sang me dégouta. Me retenant de faire demi-tour, je pris un vase rempli d'eau et imbibait le tissu. Je m'approchai de mon maître et m'accroupit face à lui. Je pris délicatement sa main, et commençai à nettoyer. Je l'entendis retenir son souffle, et sentis ses muscles se contracter. Il devait avoir plus mal qu'il ne voulait bien l'admettre. Il avait des mains puissantes, et malgré la blessure, j'aimais ce contact avec ma peau.
Une fois la plaie nettoyée, j'appliquai doucement un baume afin qu'elle cicatrise plus vite, et entourai le tout d'un bandage. Je relevai la tête et le regardai. Il me remercia d'un sourire, sa colère envolée. Je me rendis compte que j'avais complètement omis de lui faire ma demande, tant j'avais été impliquée par ce que je faisais. Je pris une grande inspiration, c'était le moment où jamais.
- J'ai cru comprendre que demain vous aviez un diné chez le magistrat Sébastien.
- Ne me parle pas de cela, s'il te plaît.... souffla-t-il. J'avais réussi à ne plus y penser.
- Pardon. C'est juste que....
- Que quoi ?
- Je souhaite vous accompagner.
- Quoi ? Et pourquoi donc ? s'exclama-t-il.
Soudain, ses yeux s'écarquillèrent et une lueur illumina son regard. Un sourire cruel déforma son visage.
- Je vois, reprit-il. Tu veux aller retrouver le beau jeune homme... C'est hors de question.
Il se leva et repartit en direction de sa chambre, considérant la conversation comme close. Ce n'était pas mon avis et sautais sur mes pieds, prête à défendre mes arguments. Je le suivis dans le couloir.
- Je vous en prie ! Il compte beaucoup pour moi. Je veux juste voir son état... Vous connaissez la réputation de Sébastien.
Il s'arrêta dans son élan et s'adossa au mur, face à moi. Il souriait toujours, semblant se délecter de la situation.
- Tu n'as rien à faire là-bas.
- Mais je...
- C'est non, me coupa-t-il avec un sourire satisfait en reprenant sa marche.
Je grognais, frustrée. Ce petit abruti allait m'empêcher de voir mon frère pour aucune raison valable ! Je partis en direction de la chambre de sa sœur et toquais. Celle-ci m'invita à entrer, et je lui exposais la situation. Un sourire éclaira son visage.
- C'est oui ! Tu n'as qu'à m'accompagner, si cela permet d'exaspérer mon frère, je n'ai rien contre ! Après tout, tu es censée être mon esclave attitrée, je n'aurais qu'à prétexter que j'ai besoin de toi. Et puis cela permettra de pimenter la soirée... ajouta-t-elle avec un clin d'œil.
- Merci mille fois !
Je me retins de lui sauter au cou. J'allais revoir mon frère demain !
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J'espère que les retrouvailles vous ont plu et que vous avez hâte de découvrir les prochaines !
Il y a quelques jours, l'histoire était classée 20e dans la catégorie romans historiques, c'est incroyable ! Merci énormément à celles qui votent, et plus généralement à celles qui suivent les aventures de Daphnée ! A bientôt !
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