Chapitre 12


Aaron

Ses lèvres cessèrent de bouger. Sans s'en rendre compte, elle s'était mise à pleurer, des larmes dégoulinant le long de ses petites joues rouges. J'étais indigné. Indigné par ces soldats qui avaient osé lui faire subir cela. Indigné pour toutes ces vies innocentes dont on avait coupé le fil. Tant de destins avaient été anéantis dans l'Empire sans que je ne m'en rendre compte !

Soudain, Daphnée se mit à trembler et elle s'effondra dans mes bras. Je l'enveloppai de mes bras, tentant un maximum de la rassurer par mon étreinte. Elle paraissait si frêle. Ce qu'elle avait vécu était horrible et traumatisant. Un instant, je m'en voulu de lui avoir fait ressurgir toutes ces images. D'un autre côté, le fait qu'elle se soit confié à moi et que j'en apprenne d'avantage sur cette jeune femme si forte de l'extérieur mais brisée de l'intérieur, me remplit d'un élan d'affection.

Je la berçais doucement, et ses sanglots diminuèrent peu à peu. Elle sentait si bon. Des effluves de vanille et de savon envahir mes narines. Sa chevelure, habituellement tressée dans la journée, était maintenant relâchée. De longues vagues dorées se répandaient partout sur mon torse. Je pris une mèche et me mis à jouer avec. De mon autre main, je caressais du bout des doigts le bras de Daphnée. Celle-ci s'arrêta de pleurer, et elle fut soudain très absorbée par mes gestes. Elle releva légèrement la tête, me fixant de ses yeux verts, avant de venir blottir d'avantage sa tête sur mon torse.

Qu'étais-je en train de faire ? Pourquoi avais-je l'envie, non, le besoin, de sentir cette esclave proche de moi ? Pour quelle raison ne voulais-je pas la voir triste et trouvais-je primordial le fait de la rassurer ? Ce n'était pas normal. Elle ne représentait rien sur l'échelle de la société. Et pourtant... Elle est si douce, mais si forte, si fragile mais si battante, si gracieuse mais si maladroite. Lorsque je la voyais arrivé avec les plats lors des repas, je ne pouvais m'empêcher de la regarder à la dérobée. Elle avait cette façon de pincer les lèvres quand quelque chose lui déplaisait, ou de se triturer les cheveux lorsqu'elle était gênée. Cela en devenait presque adorable.

Aaron, réveille-toi. Cette femme n'est pas assez bien pour toi. Tu vaux mieux. Il te faut une riche héritière, pas une vulgaire esclave. Elle ne t'apportera rien dans la vie. Tu la désires, c'est tout. Ne gâche pas ta vie sur de simples pulsions. Je ruminais, tentant de me convaincre, que ce que je ressentais n'était qu'une passade sans importance.

J'entendis un petit soupir d'aise. Je baissai la tête et l'observais. Elle s'était endormie. Son visage paraissait si insouciant et juvénile que j'eus envie de lui caresser la joue. Cependant je me retins. Il allait falloir la ramener dans sa chambre. Je ne pouvais pas rester toute la nuit avec elle dans mes bras, même si l'idée n'était en rien déplaisante. Je me mis à contempler les étoiles quelques instants. Ce moment était très agréable. Après un soupir, je décidais enfin de me lever. Je fis attention à ne faire aucun mouvement brusque et le soutenais toujours de mes bras. Elle était encore assoupie, et les mouvements n'eurent pas l'air de la déranger. La vitesse à laquelle elle s'endormait profondément était vraiment impressionnante, et je l'enviais pour cela. Pour ma part, je mettais des heures avant de tomber dans les bras de Morphée, à trop réfléchir.

Une fois sur mes deux jambes, je la basculais pour qu'elle garde une position confortable. Sa tête était appuyée contre mon épaule. Un de mes bras la tenait dans le haut du dos, l'autre était appuyé contre le dessous de ses cuisses. Je me mis en marche, tentant d'être le plus souple possible. Une fois rentré à l'intérieur, je tournai directement à droite et descendis l'escalier qui menait à sa chambre. Avec un léger coup de hanche, j'ouvris la porte et pénétrai dans la pièce. Elle n'avait pas changé depuis que je la lui avais montrée, une semaine auparavant. J'aurais pensé qu'elle la disposerait à sa façon et rajouterait des objets personnels, or elle avait tout laissé tel quel. Je me sentis idiot, quand je réalisai qu'elle n'avait pu apporter aucun bien.

Je finis par la déposer délicatement sur son lit, et la recouvrait d'un drap fin. Privé de sa chaleur corporelle, j'eus soudain froid. J'étais toujours penché sur elle, et je ne sais pour quelle raison je ne me redressais pas. Elle était belle, j'aimais la regarder. Ses longs cils charbonneux créaient des ombres sur ses pommettes hautes. Elle avait un petit grain de beauté en haut de sa joue droite qui lui donnait un petit côté singulier. Enfin, je m'attardais sur ses lèvres... Elles étaient roses et pulpeuses et je n'arrivais à détacher mon regard. Elles m'appelaient. Sans m'en rendre compte, je me penchais de plus en plus. Mes lèvres se rapprochaient dangereusement des siennes. Je sentais son souffle chaud et aérien. Seuls quelques millimètres nous séparaient maintenant. J'allais enfin connaître la sensation de ce baiser. Au loin, un hululement de chouette me sortit de mon état second. Je me redressai brusquement. Nom de Jupiter, que m'apprêtais-je donc à faire ? Cette esclave m'ensorcelait. Je repartis doucement en direction de la sortie, après m'être passé une main dans les cheveux, de contrariété. Lorsque je m'apprêtai à refermer la porte, je crus entendre un léger murmure. Je tendis l'oreille.

- Merci, Aaron.

Avais-je rêvé ? Je la regardais une dernière fois. Elle dormait toujours à points fermés. Je repartis en sens inverse. Que m'arrivait-il ? J'étais complètement bouleversé. Une fois arrivé dans ma chambre, je m'étendais sur mon lit. Cette nuit là, je mis des heures à trouver le sommeil. Non pas à cause des problèmes quotidiens, mais d'un petit sourire innocent qui me hantait.

Le lendemain, j'étais complètement exténué. Lorsque mon père me vit arriver le matin dans la salle à manger, il eut l'air intrigué par mon état.

- Comment vas-tu, mon fils ? Tu n'as pas l'air en forme aujourd'hui d'après tes cernes. Des soucis ?

- Ne vous inquiétez pas, père. Il ne m'est rien arrivé d'important.

Du moins, c'est ce dont j'essayais de me convaincre.

- Temps mieux, n'oublie pas que nous avons rendez-vous avec un magistrat cette après-midi, et qu'ensuite, il nous faudra aller au port pour vérifier une marchandise.

- Je serai là comme prévu.

Ma mère et ma sœur arrivèrent nonchalamment et nous nous installâmes sur notre banquette, attendant d'être servis. Ce jour-ci, je n'avais pas envie que les plats arrivent si vite que cela, à cause d'une certaine personne. Notre esclave noire, Eulalie finit par sortir de la cuisine munie de mets. Daphnée suivit la marche, elle aussi tenant la nourriture. Malgré ses pleures de la veille, elle semblait en pleine forme. Elle s'approcha rapidement de la table, évitant mon regard. Etait-elle gênée par ce qu'il s'était produit. Finalement, elle finit par m'adresser un discret sourire que je lui rendis immédiatement, avant de me forger à nouveau une expression indifférente. Souriait-elle pour me remercier de l'avoir réconforté, ou se moquait-elle de la tentative de baiser avorté ? Elle repartit en direction de la cuisine avec moins d'entrain. Je continuai à la suivre légèrement du regard. Elle devait être perdue dans ses pensées car elle se prit une colonne en marbre en pleine tête.

- Oh pardon ! s'exclama-t-elle, avant de réaliser la situation, tout en rougissant violemment.

Personne n'eut l'air de remarquer et ma famille continuait de discuter tranquillement, quant à moi, je pris une gorgée de vin pour tenter de dissimuler mon éclat de rire. Elle pressa le pas avant de refermer vivement la porte de la cuisine, honteuse ?

Lorsqu'elle revint pour nous resservir de la boisson, je lui demandais discrètement, un sourire amusé au coin des lèvres :

- Pas d'hématome frontal en vue ?

- Seulement vos éternelles moqueries, monsieur. chuchota-t-elle.

- Je n'oserais pas, répondis-je sur le même ton.

- M'en voilà rassurée.

Personne n'avait perçu notre échange et elle en profita pour s'éloigner et resservir ma sœur.

Nous finîmes par partir, mon père et moi pour les affaires. L'agitation de Rome m'avait toujours plu, et c'est donc avec joie que je partis en direction de la capitale, désireux de me changer les idées. Nous eûmes plusieurs débats avec différentes personnalités romaines au cours de la journée, avant de devoir se rendre au port où des marchandises nous attendaient sur une nef. Lorsque tous les détails furent réglés, nous pûmes tranquillement rentrer à la villa.

J'aimais passer ce temps avec mon père. Comme j'étais l'héritier de la famille, il aimait m'enseigner tout son savoir. Dès mon plus jeune âge, nous avions développés une complicité que je n'avais jamais ressentie avec ma mère. Une fois arrivés devant notre demeure, nous pénétrâmes dans notre jardin. Sans m'en rendre compte, je tournais la tête vers l'arbre où Daphnée et moi nous étions assis la veille. J'entendis un éclat de rire et dirigeais mon regard dans la direction qui correspondait. C'était Daphnée qui riait à une remarque du jardinier, Julius. Eulalie était également présente, et tout trois bavardaient joyeusement, tout en accomplissant leur tâche respective : le linge pour les filles, l'entretien du potager pour le jeune homme. J'avais ralentis mon allure. Daphnée m'aperçut et redevint sérieuse. Je secouais la tête en reprenant ma cadence habituelle. Elle n'avait qu'à rire avec son jardinier, ça m'était égal.

Les jours qui suivirent ressemblèrent aux précédents. Je partais en expédition avec mon père et rentrais le soir. Parfois, j'allais en ville le soir, rendre visite à des amis d'enfance. D'autres soirs, ma mère organisait des réceptions avec des patriciens, toujours dans l'optique de me trouver la femme parfaite. Je voyais Daphnée lors des repas et nous continuions à nous lancer des regards discrets, avec un petit sourire en coin. Je pense que nous avions développé une sorte d'amitié implicite, basée sur la confiance et de ses confidences. Malgré tout, nous ne nous étions pas revus en dehors, mais cela était mieux ainsi. Je n'allais tout de même pas passer mes instants de libres avec une esclave.

Un jour, néanmoins, je m'inquiétais. Je n'avais pas vu Daphnée à son poste habituel. Le matin, seule Eulalie nous apporta le repas, tout comme le midi. Je me surpris à chercher une chevelure blonde dans les couloirs de notre résidence, mais en vain. Je n'osais demander à Silène les raisons de son absence. Elle aurait trouvé cela étrange que je m'inquiète pour une esclave et m'aurait posé des questions auxquelles je n'aurais pas voulu répondre. Finalement, lors du souper, je me décidai à interroger Eulalie sur la raison de son absence.

- Elle est clouée au lit, monsieur.... m'avait-elle avoué en chuchotant. Elle voulait se lever pour travailler, mais la pauvre n'a même pas eu la force d'atteindre le pas de sa porte. Lorsque je suis allé lui rendre visite tout à l'heure, elle dormait profondément. Elle a beaucoup de fièvre.

- C'est grave ? m'inquiétais-je, essayant de paraitre le moins impacté possible.

- J'espère que non.

Sur ces paroles rassurantes, elle était retournée servir nos hôtes. Je passais le reste du repas perdu dans mes pensées, répondant évasivement lorsqu'une question m'était posée. Enfin, le calvaire prit fin et je pus retourner dans ma chambre. Je me mis à faire les cents pas, indécis. Je voulais partir prendre de ses nouvelles, mais était-ce réellement raisonnable et nécessaire ? Après tout, ce n'était pas mon rôle, et les autres esclaves veillaient sur elle. Mais n'était-ce pas aussi ce que devait faire un ami en cas de problème ? Me considérait-elle seulement comme tel ? Pour ma part, oui. Mais amie cachée. Jamais je ne pourrais m'exposer avec elle en public, ce serait humiliant. J'étais son maître après tout. Mais une relation amicale ne devait-elle pas être basée sur l'égalité, et le respect vis-à-vis de l'autre ? J'étais perdu.

Au bout d'une demi-heure, je me résignais à me lever. J'avais envie de voir dans quel état elle se trouvait, et ce n'était pas notre niveau social qui allait m'en empêcher. J'avais envie de la voir tout simplement d'ailleurs. Juste un sourire. Je sortis de ma chambre et partis directement en direction de la sienne. Je voulus un instant faire marche arrière pour lui prendre de quoi manger dans la cuisine, mais me ravisai. Les servantes s'en étaient sans doute déjà occupées. Peut-être était-ce Julius qui lui avait porté son repas. Bref, cela n'avait aucune importance, de toute façon, je ne savais pas cuisiner.

Une fois devant sa chambre, je toquais doucement et entrai. La pièce se trouvait dans la pénombre, cependant, je pouvais apercevoir sa silhouette allongée sur le lit. Je m'approchais et vins m'asseoir sur une chaise déjà placée au bord du lit. Comme je l'avais déduis, une assiette encore pleine ainsi qu'un verre d'eau étaient posés à son chevet. Je finis par observer Daphnée. Elle semblait si frêle et fragile. Ses joues paraissaient d'avantage creusées que d'habitude, ou bien était-ce seulement mon imagination.Sa peau et ses lèvres, d'habitude si colorées, étaient désormais pâle comme la mort. Une fine pellicule de sueur recouvrait son visage. Même dans son sommeil,elle ne semblait pas rassurée, car un léger froncement de sourcil transformait son visage. Instinctivement, je touchais son front pour vérifier sa température. Elle était bouillante. Mes doigts frais durent la soulager car elle se mit doucement à cligner des yeux, comme sorti d'un état second. Ses yeux brumeux parcoururent la pièce du regard, cherchant à comprendre la situation. Finalement, ils se focalisèrent sur moi.

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