Chapitre 8 : Matth
Ce fut d'un pas triste et lourd que Matth quitta le lycée, ce soir.
Quand il avait vu Olenka traverser le hall, seule, tête basse, il n'avait pas réfléchi et l'avait rejointe. Mais voir la jeune femme si malheureuse lui avait broyé le cœur. Il aurait tout donné pour subir sa douleur à sa place. Il ne la connaissait pas vraiment mais il sentait que son âme était pure et ne méritait pas d'être ainsi meurtrie.
Les reproches qu'elle lui avait sous-entendus l'avaient achevé. Olenka l'accusait de la délaisser au profit de ses nouveaux amis, et Matth ne pouvait même pas se défendre. C'était vrai, il portait peu d'attention à la blonde. Mais après le dernier repas qu'ils avaient partagé ensemble, quand elle avait confié qu'elle n'était pas intéressée par une éventuelle relation, Matth avait compris qu'il s'engageait sur un terrain dangereux en se rapprochant d'elle. Il ne pouvait pas prendre le risque de souffrir, surtout après tout ce qu'on lui avait toujours enseigné au sujet de l'amour. Il avait assez vu les ravages que ce dernier pouvaient causer. Et pas question de laisser ses schémas parentaux se répéter sur lui.
Mais aujourd'hui, Olenka avait besoin de lui. Il avait voulu se préserver mais c'était égoïste. Alors Matth se jura d'être toujours là pour elle, même si cela entraînerait la potentielle destruction de son cœur. Parce que ce cœur avait peu d'importance quand celui de la blonde était en jeu. Il se sentait si grand, si maladroit, face à elle. Olenka était comme une bombe à retardement : elle faisait partie de ces filles qui gardaient toujours la tête haute mais explosait intérieurement. Matth voulait l'aider. Après tout, il excellait dans l'aide des autres en dépit de soi.
Il prit le chemin du retour et au fur et à mesure qu'il s'approchait de chez lui, l'image de la belle blonde dans ses pensées fut remplacée par la même terreur qui l'habitait chaque soir quand il rentrait. Comme toujours, il ignorait ce qu'il allait trouver. Il ne pouvait qu'espérer secrètement que cette soirée ne serait pas pire que la précédente.
Le brun inspira un grand coup avant d'ouvrir la porte de leur minuscule maison. Des mauvaises herbes immenses s'épanouissaient dans le jardin et les murs auraient bien eu besoin d'un coup de peinture. Cependant, il y avait d'autres priorités, bien plus importantes.
Matth pénétra dans leur demeure, la boule au ventre. À priori, tout allait bien. Si le silence morbide régnait toujours, tout semblait normal.
Il déposa son sac avant d'aller dans le salon qui servait de cuisine.
Son cœur se glaça.
Une silhouette décharnée était avachie dans les ruines d'un canapé. L'ombre ne fit pas un geste alors que le garçon s'approchait d'elle. Lorsqu'il s'accroupit pour se mettre à son niveau, il fut, comme toujours, frappé par le vide qui émanait du visage pâle de celle qui était sa mère. Son enfant intérieur associait toujours sa mère à la femme pétillante et dynamique qui aurait combattu le monde entier pour ses enfants. Un jour, peut-être, il se ferait à la réalité.
« Bonjour, maman, souffla Matth en refoulant ses larmes. »
Sa mère releva vaguement la tête ; elle ressemblait à un fantôme. Elle le contempla longuement avant de rebaisser la tête, les yeux toujours exorbités et la bouche tremblante.
Matth cacha sa déception face au mutisme de sa mère et alla dans sa chambre, le cœur en lambeaux. Un mouvement attira son attention. Sa petite sœur lisait un livre, toute innocence envolée. Le garçon en eut le cœur serré. Ces dernières années, il avait apprit à devenir un sourire pour le bonheur de ses proches. Mais cela ne suffisait pas. Sa petite sœur Lola avait besoin de sa maman, et malgré tous les efforts du monde, il ne pourrait jamais la remplacer.
« Coucou, ma princesse. »
Il embrassa son petit bout de vie, dont les yeux s'illuminèrent. Il était heureux de se dire qu'il était là pour la faire sourire. Même s'il rêvait d'une autre vie, savoir que sa sœur n'était pas seule lui permettait de garder de la force.
« Tu as passé une bonne journée ?
- J'ai eu un seize en conjugaison, lui apprit-elle, les yeux pétilllants de bonheur.
- Wahouh ! Tu es bien la sœur de ton frère.
- Mais, tu n'as jamais de notes au-dessus de la moyenne, rétorqua-elle d'un air perplexe. »
Matth se força à garder son habituel sourire. Sa sœur était tant habituée à vivre dans un univers morose qu'elle ne saisissait jamais ses touches d'humour. Elle avait l'habitude de toujours renvoyer la terrible vérité de la réalité. C'était comme si elle avait perdu sa capacité d'imagination, sans doute trop déçue de ses espoirs passés. Matth ne savait pas trop si cela avait de lien, mais c'était sa théorie, et elle lui fendait le cœur. Il était malheureux de la voir grandir si vite - trop vite.
Quand il était petit et que tout allait bien, lui aussi avait de bonnes notes. Il était un des meilleurs élèves de sa classe. Mais il y avait eu la chute, la disparition de son père et la descente aux enfers de sa mère, et il s'était retrouvé en charge de la maison. Il avait dû absolument tout faire seul et l'école n'était petit à petit plus devenue une priorité. Sa famille passait avant. Il avait de la chance d'avoir eu des enseignants compréhensifs qui l'avaient toujours soutenu, par exemple en lui laissant du temps supplémentaire pour rendre des devoirs. Sinon, il aurait sans doute décroché depuis longtemps.
« Je vais préparer à manger, déclara t-il en secouant la tête pour sortir de ses pensées.
- Je vais t'aider ! »
Matth aurait voulu décliner son aide. Cependant, il vivait avec la peur constante qu'il ne lui arrive un malheur et que sa sœur se retrouve seule avec sa mère sans savoir se débrouiller. Alors, même s'il se sentit coupable, il ne put refuser.
Il prépara des pâtes et sa sœur coupa le jambon en petits morceaux. Leurs repas, surtout quand Matth rentrait du foot et ne rêvait que de prendre une douche et de se reposer, étaient très basiques et peu élevés en quantité. L'argent que leur envoyait leur père - quand il en avait envie - ne suffisait pas à couvrir tous leurs besoins. Cette année, Matth allait devoir être contraint de travailler au MacDonald's le soir après l'école. Il avait été embauché la semaine dernière et sa première journée serait ce soir. Il était dépité. Il grandissait avec une colère noire contre la société. Car, dans un monde meilleur, sa mère n'aurait pas fini dans cet état et ils seraient mieux accompagnés.
Il mangea rapidement et demanda à sa petite sœur :
« S'il-te-plaît, ma chérie, va apporter sa part à maman. Essaie de la faire manger. Je vais travailler, je reviens vers minuit.
- Tu as école demain ?
- Oui.
- Tu vas être fatigué.
- Mais non, je suis un super-héros ! »
La vérité était qu'il serait encore plus épuisé qu'il ne l'était déjà, mais il ne voulait pas embêter sa petite sœur avec ces détails. Elle avait le droit de vivre sans se préoccuper du bien-être de son grand frère. Dire que j'ai une dissertation à rendre pour demain...
Dans un élan de démotivation totale, il sortit de chez lui et se dirigea vers son nouveau lieu de travail.
*
« Tu es presque en retard, le réprimanda son patron.
- Désolé, haleta t-il, essoufflé. Je devais préparer à manger. »
Le visage du patron se radoucit. Il connaissait la situation difficile de Matth. Même s'il détestait susciter la pitié, il n'avait pas eu le choix d'expliquer son besoin urgent de trouver un travail à tout juste seize ans.
« Allez, c'est rien. Enfile ce tablier et va rejoindre les autres. On n'a pas le temps de te présenter. Va rejoindre Raphaël et Olenka à la caisse. Demain, tu iras en cuisine. »
Olenka ? Le cœur de Matth rata un battement. Il n'y avait pas des centaines d'Olenka dans le coin. L'idée qu'il travaillerait peut-être avec la belle blonde allégea un peu sa souffrance. Mais pourquoi travaillerait-elle ici ? Elle n'avait pas l'air de manquer de quoi que ce soit.
Il reconnut sa haute queue de cheval blonde et lisse de loin et un sourire traversa son visage. La simple présence de sa blonde suffisait à lui mettre un peu de baume au cœur.
« Les gars, voici Matth. Il est nouveau, aidez-le en cas de besoin. »
Olenka se retourna et sursauta en reconnaissant son ami. Elle rougit légèrement. Le brun la rejoignit, sur un petit nuage. Il ne savait pas quel effet il lui faisait, mais au moins, il lui faisait de l'effet. Alors qu'il rêvait d'engager la conversation, le dénommé Raphaël le coupa bien vite :
« Occupe-toi de ces gens. Dépêche. »
Il couvait Olenka d'un regard protecteur et la jalousie s'empara de Matth. Étaient-ils ensemble ? Cette hypothèse le dérangeait fortement. La blonde ne lui avait pas quand même pas sorti tout son discours anti-relationnel amoureux pour finir avec le premier idiot méprisant venu ?
La soirée se passa sans trop d'encombres, si l'on ne prenait pas en compte les clients trop pressés et râleurs. À la fin, éreinté, Matth se dirigea vers les vestiaires pour se changer.
Lorsqu'il sortit dehors, il aperçut Olenka qui discutait avec Raphaël. Elle riait aux blagues de quelqu'un qui n'était pas lui. Matt pesta silencieusement avant de s'en aller aussitôt dans la direction opposée. Il fallait qu'il arrête de croire en sa bonne étoile. Sa vie ne serait qu'un enchaînement de complications, et ses rayons de soleil vite balayés par des orages sans fin. Son optimisme le maintenait en vie, mais il s'agirait bien toujours de survie. Sa vie avait pris fin il y a bien longtemps.
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