Chapitre 53 : Olenka
Olenka tournait les pâtes de son assiette sans conviction. Le repas n'avait pas de goût. Encore une journée. Une journée de plus. Une journée de trop.
Les journées étaient longues.
Elle ne put s'empêcher de jeter un regard à sa gauche. Matth y mangeait, entouré de ses innombrables amis. Là, à cet instant, il éclatait de rire et tout le monde l'imitait. Les jolies fossettes qui accompagnaient son grand sourire se creusaient au coin de ses joues. Le cœur d'Olenka se serra. Elle lui en voulait. Elle lui en voulait d'être heureux sans elle alors qu'elle broyait du noir sans lui.
Ce n'était pas juste. Olenka voulait être heureuse, elle aussi. Elle voulait montrer à Matth qu'elle avançait seule sans lui. Elle voulait lui montrer qu'elle était heureuse sans lui. Et, plus encore, Olenka voulait se prouver à elle-même qu'elle n'avait pas besoin de lui pour avancer. Olenka voulait être la femme indépendante qu'elle s'était toujours jurée d'incarner.
Mais elle avait le cœur brisé.
En face d'elle, Anna et Zoé se racontaient des potins. Éclats de rire et échange de regards emplis d'amour. Olenka ne s'était jamais autant sentie de trop. Elle aimait ses deux amies et elle savait que c'était réciproque. Mais elle se sentait de trop. En fait, elle se sentait désormais de trop partout. Même si elle refusait de se l'admettre, elle avait été terriblement blessée, bien plus qu'elle n'aurait pu l'imaginer. Depuis l'histoire entre Matth et Lili, elle se sentait laide, ennuyeuse, inintéressante. Elle avait perdu sa place. Sa place était à aux côtés de Matth. Arrête de penser à lui, se sermonna t-elle, en vain. Elle retourna la tête vers le brun. Elle espérait peut-être croiser son regard, ou quelque chose comme ça. Elle voulait juste sentir cette connexion entre eux.
Matth devait sentir son regard sur elle. Léo, qui mangeait en face de lui, lui désigna même Olenka d'un coup de menton, comme pour lui montrer qu'elle le regardait. Mais Matth ne bougea même pas la tête. Olenka encaissa le coup en se forçant à fixer de nouveau son repas. Pourquoi elle n'y arrivait pas ? Pourquoi elle n'arrivait pas à avancer sans lui, alors que c'était lui qui l'avait blessée ?
Pourquoi était-elle si faible ?
Après qu'il l'ait trahie, Olenka avait voulu qu'il remue ciel et terre pour la reconquérir. Pas pour le rabaisser en permanence ou se sentir importante ; simplement parce qu'elle avait eu besoin de sentir qu'il l'aimait vraiment. Elle avait juste eu besoin qu'il lui prouve que non, elle n'était ni laide, ennuyeuse ou inintéressante. Résultat, il s'était rapidement lassé et avait tourné la page aussi vite qu'il l'avait trompée. Olenka retint un haut-le-cœur.
Anna et Zoé arrêtèrent de rire.
« Ne fais pas attention à lui, l'intima Zoé d'un air attristé.
- Tu l'oublieras vite, ajouta Anna. »
Olenka leur adressa un sourire penaud et se força à reprendre des pâtes, ne serait-ce que pour s'adonner à une activité qui lui ferait penser à autre chose que lui. Son cœur se serra. Colère. Tristesse. Haine. Désespoir. Manque.
Matth posa sa main sur l'épaule d'une blonde.
Jalousie.
Olenka ne put s'en empêcher, elle détailla du regard ladite blonde. Elle lui ressemblait un peu ; des yeux bleus, une peau pâle avec des taches de rousseur, de longs cheveux blonds et lisses. Lorsqu'elle se leva, Olenka remarqua sa minceur.
Elle était plus mince qu'elle.
Olenka observa son assiette. La blonde de Matth avait pris des légumes et des fruits, pendant qu'Olenka se gavait de pâtes et de donuts. Dégueulasse, songea t-elle. C'est dégueulasse, et je mange ça. Moi aussi, je le suis. Elle a l'air tellement saine et joyeuse, c'est ça qui la rend attirante. Pendant que je me morfonds et je dépéris à vue d'œil.
Tu m'étonnes que Matth soit passé à autre chose.
Olenka s'efforçait de repousser au plus loin ces pensées. Elle savait que ces pensées étaient nocives, et surtout fausses. Elle savait que Matth ne l'avait pas choisi pour son physique ou autre. Du moins, elle tentait de s'en persuader. Qu'est-ce que tu en sais ? la nargua la petite voix, cette petite voix mauvaise qu'il fallait chasser avant qu'elle ne prenne le dessus.
Alors qu'elle s'intimait de ne pas le faire, Olenka repoussa son assiette et son donuts. Malheureusement - ou non -, ses amies la connaissaient trop bien. Et Anna ne manquait pas ce genre de détails.
« Olenka, tu manges, lui ordonna la brune d'un air autoritaire, mais l'œil inquiet. »
Anna avait reconnu. Elle avait sans doute reconnu cette mauvaise lueur dans l'œil d'Olenka, elle ne la connaissait que trop bien.
« Je prépare mon bodygoal, tenta de plaisanter Olenka. »
Elle ne voulait pas que ses amies la regardent avec inquiétude. Il n'y avait aucune raison, elle allait pour le mieux. Elle n'avait rien qui pourrait pousser les gens à s'intéresser à elle.
« Je rigole pas, lança Anna. »
Olenka fronça les sourcils. Pourquoi en faisait-elle tout un plat ? Il n'y avait rien d'important. Ce n'était pas parce qu'elle ne finissait pas son repas que c'était grave. Olenka allait bien. Elle avait mis trop de temps à vaincre ses complexes et son mal-être pour qu'ils ne reviennent la bouffer. Olenka était forte et avait confiance en elle. Ça non plus, elle n'allait pas le perdre !
« Faut que je vous dise un truc, commença Olenka sans trop réfléchir. J'ai été contactée par une agence de mannequinat.
- Quoi ?! s'écria Zoé, le repas restant déjà oublié.
- Rien d'important, les coupa de suite Olenka. C'était une agence assez louche, le mec qui voulait faire des photos avait l'air archi pas fiable. Du coup, ça n'a pas donné suite... Mais cet été, j'aimerais bien passer des castings, un peu partout. Je me fais pas d'illusions, mais qui ne tente rien n'a rien. Elle baissa un peu les yeux. J'ai besoin de changer d'air. »
Ses amies l'observaient d'un air incrédule. En fait, maintenant qu'elle le formulait à voix haute, Olenka savait que c'était quelque chose qu'elle voulait vraiment faire. Elle n'en avait jamais parlé à personne, mais elle rêvait souvent de défilés sur des grands podiums. Plus que jamais, elle avait besoin d'être reconnue pour sa valeur, même si ce n'était que son physique. D'être admirée. Elle n'était pas assez confiante pour se dire qu'elle allait y arriver, mais elle se permettait de l'espérer.
« Wahouh ! Cest trop bien ! s'écria Zoé, surexcitée. Tu vas être prise, c'est sur !
« C'est super... déclara Anna, d'un air toujours perplexe. Mais Olenka, ça ne change rien. Tu dois manger.
- Je mange, rétorqua Olenka avec agressivité. Putain, c'est la première fois que je finis pas mon assiette, et ça y est je vais devenir anorexique ?
- Pas à moi. Je le connais, ton regard, répliqua Anna d'un ton sans appel. »
Le regard d'Anna et Zoé se posa sur Olenka et la blonde eut envie de fuir. Elle se sentait prise au piège. Elle détestait ce regard inquiet qui l'analysait. Elle ne voulait plus être intéressante, elle ne voulait plus que les autres lui portent attention. Elle se sentait nulle. Alors elle se leva et lança avec impatience :
« Puisque j'ai plus le droit de pas avoir faim, je me casse. »
Et elle s'en alla. Elle ne put échapper au regard inquiet que ses deux amies échangèrent mais elle les ignora. Olenka savait qu'elle allait bien, et elle en avait marre que les gens ne voient que du négatif en elle. Elle était normale !
Lorsqu'elle passa à côté de la table de Matth, un petit silence se fit. Olenka sentit le regard de Matth sur elle, alors elle lui décocha un coup d'œil meurtrier. Elle le détestait. C'était à cause de lui si plus rien n'allait dans sa vie.
Olenka eut un petit pincement au cœur lorsqu'elle jeta ses aliments. Elle avait horreur du gaspillage alimentaire. Mais elle garda la tête bien relevée et sortit dehors.
À sa grande surprise, elle tomba sur Lili. La grande blonde traversait la cours, cherchant visiblement quelqu'un. Quand elle aperçut Olenka, elle alla la voir d'un pas stressé. Olenka fit comme si elle ne l'avait pas vue. Elle détestait Lili. Elle détestait Lili de l'avoir trahie et surtout, elle la détestait parce que Matth la trouvait attirante. Au moins, avait dû la trouver attirante, vue la situation. Lili se planta face à elle et chuchota :
« Olenka, je peux te parler s'il te plaît ?
- Casse-toi. Je te jure, Lili, c'est pas le moment. »
À sa grande surprise, des larmes apparurent dans les yeux de Lili. Olenka s'efforça de ne pas flancher devant cette détresse apparente. Elle s'en fichait. Elle s'en fichait.
« Olenka, s'il te plaît meuf, je t'en supplie, murmura Lili en lui prenant la main.
- Me touche pas ! »
Olenka se dégagea violemment et elle pénétra dans le hall du lycée avec une haine anormale en elle. Elle en voulait au monde entier, mais surtout à elle-même. La blonde se rendit en cours avec hâte, impatiente de se changer les idées.
Un peu plus tard, son ventre gargouilla. Olenka grimaça. Elle regrettait de ne pas avaler le donuts.
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